Le mythe de la coopération ?
Du statut apparemment dépassé des organisations séquentielles par silos, la rhétorique managériale se plaît à mettre en avant aujourd’hui les organisations transversales, matricielles ou par projet. Ce dernier type d’organisation du travail se veut être un système coopératif qui place l’humain au cœur du fonctionnement des entreprises. Partant de ce principe, coopérer est un phénomène naturel. Pris actuellement comme un « allant de soi », tant les vertus du « travailler ensemble » ont été magnifiées, la coopération pose pour nous des problèmes d’action collective auxquels les managers se trouvent confrontés.
Retour tout d’abord sur un bref historique de l’évolution des types d’organisations dans les entreprises, au regard de cette problématique bien entendu. Ce que les tenants des théories classiques se sont évertués à démontrer, c'est-à-dire l’assise d’une organisation parfaite où prévalent efficacité et rendement, a été mis en branle la première fois lors du premier choc pétrolier de 1974. En effet, les certitudes sur la domination des producteurs sont tombées au profit d’une exigence de plus en plus forte de la part des clients. Ce renversement a eu comme principal impact un réaménagement de la façon d’organiser le travail dans un schéma plus transversal, plus coopératif, qui vise globalement le « plus pour moins » à moindre coût. Mais le passage à plus de coopération dans les entreprises apporte dans le même temps plus d’exigences aux salariés, car ces derniers sont contraints par la nécessité de réajustements d’ordre social, ce afin d’équilibrer les dérives de coopération. Celle-ci étant un construit social contingent qui implique plusieurs variables d’ajustements, elles-mêmes souvent commandées par des stratégies individuelles ou collectives.
Socialement, les individus sont rassemblés en strates abstraites basées sur le statut social, entre lesquelles il réside une grande distance sociale et peu de communication, et à l’intérieur desquelles l’égalitarisme est souvent absent. Politiquement, l’influence de groupes informels peut moduler ces strates invisibles et rendre la coopération délicate du fait d’intérêts contradictoires dormants ou explicites. Remarquez que même dans le fonctionnement du travail, le salarié est évalué individuellement tandis que son labeur est la résultante d’un processus collectif. L’exigence des systèmes coopératifs, au vu de la dure réalité des marchés et du fait que le client remonte très haut dans l’entreprise aujourd’hui, engendrent finalement un désinvestissement émotionnel du salarié : l’engagement individuel est noyé dans une exigence collective contraignante.
Face à ces transformations, nous pourrions réfléchir au bien fondé des organisations séquentielles par silos, où la définition des tâches était claire, et où l’individu était finalement moins contraint par les turpitudes de la dimension collective de l’action.
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