Ubérisation accélérée

J’ai écrit ce blog au début de l’été dernier,  je pensais alors  qu’Uber n’a pas mis pied au Maroc encore, mais ce n’était pas le cas , dès le mois d’aout j’apprenais que des syndicats de Taxis à Casablanca déclaraient leur grogne contre cette concurrence illégale  et que la wilaya de la même ville annonçait pour sa part que les activités en cours d’Uber au Maroc étaient non conformes à la loi. Depuis, la polémique et les protestations sur ce dossier ne cessent de se propager chez nous aussi. Ci-dessous l’intégralité de mon texte initial 

Avez-vous déjà entendu parler d’Uber ? Il s’agit d’une société qui développe et exploite des applications mobiles de mise en contact d'utilisateurs avec des conducteurs réalisant des services de transport. Basée à San Francisco, aux États-Unis, Uber[i] est valorisée aujourd’hui à plus de 50 milliards de dollars et ses applications sont commercialisées dans cinquante-huit pays et 250 villes à travers le monde. Avec sa fulgurante expansion, elle est devenue cet été la plus grande des baptisées « licornes » par la mythologie du capitalisme version USA.[ii]. Que vient faire l’animal légendaire de la Grèce ancienne dans ces affaires de start-up ? La nouvelle mythologie high tech de la Silicon Valley a créé son propre jargon. "Le terme romance l'histoire des entreprises technologiques : il les fait passer de quelque chose de compliqué à quelque chose de magique et même sympathique, tout en étant rare et puissant", indique l’inventeur de ce terme, Aileen Lee, spécialiste du capital-risque. Cette dernière a réalisé en 2013 une étude, démontrant que moins de 0,1% des entreprises dans lesquelles investissaient les fonds de capital-risque atteignaient des valorisations supérieures à 1 milliard de dollars. A la quête d’un terme vendeur pour qualifier ces pépites. Elle a trouvé que le mot "licorne" y convenait. D’après elle, le terme renvoyait à quelque chose de rare, relié au rêve et à l'« heroic fantasy[iii] » ; en tout cas mis en circulation sur les pages de Techcrunch[iv] , le terme a tout de suite pris.  

Mais revenons à notre Uber, également à l’origine d’une grande polémique en Europe, là où elle s’est attaquée aux travailleurs du secteur des taxis urbains ! En quoi consiste ses prestations ? Elles permettent à des particuliers de s’improviser chauffeurs et de faire des courses et des trajets payants au profit de clients par le biais de leur véhicule privé. Cette société qui réalise désormais plusieurs milliers de courses chaque minute à travers le monde, est en train de déclencher un véritable tollé. Les syndicats de taxis européens dénoncent partout la concurrence déloyale .Ils estiment que les services proposés par Uber prennent le travail des chauffeurs de taxis sans être réglementés en tant que tel. « Nous voulons les mêmes règles pour tous ceux qui offrent le même service » disent les taxis drivers.

Mais Uber fait déjà tache d’huile, certains économistes et médias parlent déjà d’ "ubérisation" de l'économie. Tout a commencé il ya quelques années lorsqu’on assisté à l’émergence de discours élogieux sur l’économie collaborative, ou de partage[v] , mettant en relief le paradigme du CtoC (Consumer to Consumer), la mutualisation des biens, des espaces et des outils (l'usage plutôt que la possession), l'organisation des citoyens en "réseau"etc.  . Au bout de l’histoire et très rapidement on s’est retrouvé pourtant face à une nouvelle astuce pour enrichir des mastodontes.  

Dans la logique de cette approche, Amazon envisage de faire livrer ses produits par des particuliers, via une application "On my way". Si cette plateforme est mise en œuvre, les sociétés de logistique et de transport perdront une part non négligeable de leur clientèle et ne pourront plus offrir des emplois de chauffeurs livreurs à beaucoup de monde[vi]. L'ubérisation ne constitue pas en elle-même un progrès technique. Ce ne sont que des plateformes de mise en relation des particuliers entre eux via Internet. Et des idées comme celles-là prolifèrent très rapidement partout ! 

Depuis l’arrivée des nouvelles technologies d’information et de communication, le monde du travail se trouve en mutation accélérée, les changements touchent aussi bien les modes d’organisation du travail que les modes de production et de circulation des produits. Le problème posé par ces évolutions repose sur le fait qu’elles œuvrent toutes dans le même sens, celui de vouloir améliorer les performances du système déjà en place, réduire les couts et les charges, améliorer la compétitivité du produit et son adaptation aux gouts du consommateur , faciliter sa circulation et  améliorer les marges bénéficiaires du capital .Le modèle consumériste reste la référence de base de l’ensemble du monde du travail dans le monde. Or quoiqu’on dise, cette tendance se trouve être en contradiction fondamentale avec le travail humain ; elle agit en permanence pour sa déshumanisation ; sa dématérialisation et le démantèlement de ses structures au sein de la société. La question n’est pas nouvelle, déjà

David Ricardo (1772-1823) soulignait l’ambiguïté du progrès technique. On trouve chez lui, l’idée de la compensation et d’un équilibre entre les emplois détruits et créés. L’économiste français Alfred Sauvy (1898-1991) a parlé lui de déversement estimant que sur le long terme, la destruction et la création d’emplois se compensent et que le progrès technique ne peut donc être cause de chômage. Ainsi, si certains économistes s’inquiètent des mutations en cours, d’autres se font moins alarmistes ; la révolution industrielle a effectivement détruit beaucoup d'emplois, mais d'autres métiers sont apparus par ailleurs, en nombre plus important. Seulement, Sommes-nous réellement dans cette configuration ?

 

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[i] https://www.uber.com

[ii] Les « unicorn » sont là-bas les jeunes entreprises non cotés en Bourse et valorisées à plus de 1 milliard de dollars.

[iii]  genre littéraire qui présente un récit héroïque dans le cadre d'un monde merveilleux

[iv] http://techcrunch.com/2013/11/02/welcome-to-the-unicorn-club/

[v] L’économie du partage désigne généralement les nouveaux modes de consommation permettant de partager entre consommateurs l’usage ou la consommation de produits, équipements ou services.
Le partage ou prêt peut être gratuit ou payant. Les domaines d’activités les plus emblématiques de l’économie du partage sont par exemple des sites d’hébergement entre particuliers, des sites de covoiturage ou de location entre particuliers (bateau, camping-car, etc.)

[vi] Amazon envisage aussi  de faire appel aux services d’Uber , de livraisons par  taxis et d’un système de drones pour le même usage  !

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