Pouce !

 

Ambidextre vous dites ?

Partie III : Pouce!

 

Les deux billets précédents ont jeté les bases du concept d’ambidextrie (Cf. lien 1 et lien 2) où nous nous étions arrêtés aux deux modèles qui dominent dans la littérature : l’ambidextrie structurelle et l’ambidextrie contextuelle. Nous proposons dans ce qui suit de clore ce triptyque par l’énoncé de ces deux modèles aux réalités organisationnelles différentes, et où la supériorité d’un modèle sur l’autre ne sera pas discutée tant l’adjonction des nombreux paramètres complexes tels que le contrôle, le rôle de la Direction Générale, les contextes de stabilité ou d’instabilité, ou encore la qualité des interactions, mettra en difficulté la prévalence d’un modèle sur l’autre. Il s’agira seulement de soulever quelques interrogations propices à d’autres explorations.

L’ambidextrie structurelle : les mains aux manettes

Cette forme d’ambidextrie consiste selon Tushman et O’Reilly (1996), à partager les unités organisationnelles entre l’innovation d’exploration et l’innovation d’exploitation, en termes de structure. Dans cette perspective, les auteurs sont conscients de la nécessité de tenir compte de l’opposition – naturelle - des deux innovations et mettent l’accent sur l’importance et la pertinence d’avoir un design organisationnel adapté les séparant. Cela supposerait en revanche à notre sens de mettre en place une organisation agile permettant de mener les deux activités en parallèle d’une part. D’autre part, nous soulevons la question de la création par ce système d'un phénomène de différenciation organisationnelle au niveau de la pratique des différentes équipes, de leurs langages, de leurs normes, que seule la Direction Générale, outre un redoublement d’efforts dans l’arbitrage des connaissances produites, devra veiller à induire plus d’intégration et de cohérence au niveau macro-organisationnel.

L’ambidextrie contextuelle : les mains liées

Les tenants de l’ambidextrie contextuelle quant à eux, soutiennent que l’organisation des deux activités d’innovation doit être concentrée en une seule unité qui renforce leur efficience et leur développement[1]. Dans cette unité, les différents acteurs se répartissent les activités d’exploration et d’exploitation en fonction des disponibilités, de l’expérience, de l’expertise, etc. Dans ce cadre, l’ambidextrie intervient à l’échelle individuelle. Les salariés peuvent mener de front des activités d’exploitation, produisant de la connaissance directement actionnables dans leurs fonctions, et des activités d’exploration, qui impliquent un engagement actif dans de nouveaux domaines de connaissance. Si ce système consolide a priori des connaissances (et développe de nouvelles compétences !) mutuellement acquises par l’entremise d’un jeu d’interactions, l’on pourrait s’interroger ici sur la temporalité des processus d’exploration et d’exploitation, qui par nature (oserons-nous dire), diffèrent. Ce qui peut nuire éventuellement à la qualité de l’innovation. Au surplus, si ce modèle développe de la flexibilité et de la dynamique, ne pourrait-on pas penser que l’ambidextrie structurelle, en assignant des instructions et des tâches claires, n’assure pas plus de routines organisationnelles positives, gages de stabilité macro-organisationnelle ? Aux manageurs, par leurs pratiques, leurs expériences…et leur lucidité, de trouver l’équilibre (toujours instable !).

L’hybridation de la fonction R&D comme troisième voie

Alors les développements récents dans l’étude de cette difficile conciliation nous amènent à adopter une forme hybride reposant sur le centralisation/décentralisation de la fonction R&D. Certains auteurs préconisent la mise en place de structures de R&D décentralisées favorisant l'innovation d'exploitation et des structures de R&D centralisées favorisant les innovations d'exploration[2].

…Mais ce n’est pas fini !

Et avec les alliances, les partenariats, avec l’extension de l’entreprise au-delà de ses frontières, comment on fait ? Force est de s’interroger sur la complexité de la question du périmètre de l’ambidextrie. A l’heure de l’externalisation, il semble que l’exploration soit plus efficace en dehors des frontières de l’organisation qu’à l’intérieur, mais cela impose à l’organisation de produire une bonne synthèse de ses connaissances et de celles de l’environnement réalisée par d’autres acteurs. Car si l’acquisition de nouveaux savoirs « maison » fait courir le risque de myopie et de « grégarisme organisationnel », le « outside the box» fait courir le risque du syndrome NIR : “Not Invented Here[3] (ou rejet des connaissances externes). 

 


[1] Cf. les travaux de Gibson et Birkinshaw (2004)

[2] Cf. travaux d’Argyris et Silverman (2004)

[3] Cf. R. Katz et T.J. Allen (1982/2007)