Le retour de la géopolitique

Il est révolu le temps, naïf, post-1989, où il était permis de croire, dans le sillage de néo-prophètes du libéralisme, que le marché régulerait le monde, que la mondialisation finirait par niveler les inégalités ou encore (rêve non exaucé) que le commerce serait meilleur régulateur que la violence et la guerre. Il est tout aussi révolu le temps de la guerre unilatérale, chirurgicale, américaine, envahissante, qui intervenait, dans les interstices de la pacification commerciale, pour s’assurer que ses intérêts étaient intacts, au Moyen Orient, où ses visées intouchables, en Afrique. Depuis trois ans, au moins, et surtout depuis l’hésitation américaine à jouer la carte du droit d’ingérence par la force en Syrie, et le passage à l’acte russe en Ukraine, nous vivons le retour à une géopolitique à plusieurs inconnues. Quels sont les grands chapitres de cette résurgence ?

Le premier concerne la redéfinition de périmètres d’alliés stratégiques qui se jaugent à distance. Et dans ce sens, il se passe des choses. D’abord, le projet d’accord de libre-échange Etats-Unis / Europeen négociation vient renforcer leurs liens sécuritaires par l’OTAN, souligne l’affranchissement énergétique de Washington et le besoin de montée en puissance politique du Vieux continent. Le second chapitre pourrait avoir pour titre, « le repli identitaire et nationaliste en temps de redéfinition de la carte géopolitique ». Cela renvoie au phénomène de pseudo-Etats religieux qui légitiment et fragilisent à la fois l’Etat religieux d’Israël, comme il renvoie au retour des nationalismes en Europe qui réinvente sa citadelle face au retour des tendances belliqueuses à ses frontières.

Tout cela se passe au moment où dans les coulisses, la carte du Moyen Orient, post-ottomane, est en train de muter. Derrière l’effet grossissant des luttes sunnites-chiites, mises en avant par les médias, les enjeux réels sont économiques : le chamboulement de la carte énergétique avec d’un côté les Etats Unis qui deviennent un pays exportateur de pétrole et d’un autre côté le gaz que la Russie fournit en grande partie à l’Europe ; le sentiment de plus en plus grandissant aux Etats Unis, dernièrement verbalisé par le nonagénaire, Henry Kissinger, selon lequel nous serions au bord d’une troisième guerre mondiale vu que l’axe Iran-Russie-Chine met à mal Israël et l’équilibre des géants du pétrole et de l’armement dans la région ; la volonté de plus en plus exprimée par les BRICs de s’affranchir de la tutelle financière du Dollar ; la montée inexorable des multinationales, surtout des TICs, monopolisés par les Etats Unis, avec ce que cela comporte comme base de données mondiales, et la volonté de plus en plus exprimée par des Etats-nations de jouer la carte de la souveraineté, et donc de la censure préalable, au niveau des télécommunications et de l’accès à l’information ; et enfin, la fragilité sécuritaire des Etats-nations face à la montée d’un radicalisme guerrier et diffus.

Face à ce maelström, nous ne pouvons plus avoir la même attitude angélique née au début des années 90 et qui a culminé en 2011, selon laquelle la société civile, les mouvements sociaux et autres insurgés mis au-devant de la scène par les media, pourraient à eux seuls infléchir la tendance. Ce retour massif de la géopolitique, des manœuvres des Etats profonds et autres flux de financement parallèles où, américains, européens du nord, et pays du Golfe rivalisent dans la fabrication des opinions et des consentements, montre que l’enjeu devient bien plus complexe. Il ne suffit plus de vouloir le changement pour l’amorcer. Il faut réapprendre à saisir les rapports de force en présence pour agir au mieux. Un siècle après la première guerre mondiale, nous sommes vraisemblablement au commencement d’un nouveau cycle géopolitique. 

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