Edito 13: Consensus de Washington et dissensus des indignés
Le 2011 arabe, avec ses ramifications mondiales, arrivant jusqu’aux portes de Wall Street, semble être sur le point d’achever définitivement le Consensus de Washington. Ce dernier, né sur les décombres du Mur de Berlin en 1989, annonçait à partir de la Mecque du capitalisme mondial, le triomphe des fortunés. Inspirés par l’école néolibérale de Chicago, les dix commandements de ce Consensus étaient censés remettre les pays en développement sur les rails de la croissance et de la rigueur budgétaire. Un mot-clé manquait au programme : la justice (sociale et économique).
Si les premières cibles de cette gigantesque mascarade y ont laissé des plumes (le nombre de pauvres en Amérique latine est passé entre 1980 et 2000 de 120 à 220 millions), elles ont eu la chance d’avoir des leaders clairvoyants, des investisseurs atypiques et des sociétés civiles dynamiques, pour tourner le dos à ce marché de dupes et avoir le courage de politiques alternatives. De ce côté-ci du globe, manque de bol, la pilule a été administrée par des autocraties corrompues, têtues, opaques et prétendument soucieuses des équilibres macro-économiques. A l’arrivée, les régimes en place ont fini par agacer les indignés de tous bords.
Comme par effet boomerang, l’onde de choc de cette indignation des «petites gens» a été fortement ressentie au coeur du temple où le Consensus de Washington a vu le jour, depuis plus de deux décennies : la Banque mondiale et le Fonds Monétaire International. Lors de leur dernier sommet annuel, tenu en septembre 2011, les débats à l’ordre du jour traduisaient un remueméninges sans précédent. Comment contourner les gouvernements et soutenir financièrement et/ou logistiquement des sociétés civiles à l’écoute du réel ? Comment aider ces populations victimes d’injustices à passer du «shouting» au «counting» ?
Faut-il en déduire que le dissensus des indignés inverse la tendance ? N’allons pas si vite en besogne. Ce que l’élite façonnant la politique économique dominante tente de remettre sur la table (le rôle de l’Etat régulateur, la revalorisation de l’emploi, la transparence des comptes, la ré-humanisation de l’économie) est une version toilettée, aseptisée, de demandes pressantes et fortement argumentées provenant d’économistes maison, comme Joseph Stiglitz, qui ont fait leur deuil de ce sinistre Consensus depuis des lustres. Au fond, cela ressemble fort à une réplique d’élite, perplexe devant ce soudain retour des peuples et prête à faire quelques concessions sur des aspects cosmétiques (l’accès à l’information, à des financements partiels ou à des plateformes d’échange). L’essentiel des ruptures à opérer dépendent des rapports de force au sein de chaque pays. Or, là, les consensus institutionnels, à Rabat par exemple mais aussi au Caire ou à Tunis, sont plus durs à faire bouger. Pourquoi ? Les élites qui tiennent les rênes, relayées par des experts biberonnés au dogme néolibéral, cherchent plus à gagner du temps et amadouer les protestataires qu’à instaurer les bases d’une gouvernance plus juste et équitable.
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