Aicha Belarbi
Aicha Belarbi, une carrière professionnelle diversifiée : professeur émérite de l’Université Mohamed V de Rabat, sociologue, écrivain, expert auprès des Nations Unies et d’a...
Voir l'auteur ...Contemporanéité des concepts de Fatima Mernissi : Configuration des espaces public et privé en temps de confinement
Le « Harem », pour Fatima Mernissi, est un « concept spatial, une frontière qui divise l’univers en deux : un espace intérieur féminin, caché et interdit à tous les hommes, à l’exception du maitre, et un espace extérieur ouvert à tous, sauf aux femmes ». Nombre d’études ethno-anthropologues, sociologiques, voire économiques recourent à cette dichotomisation, déterminant des espaces différenciés, reliées aux spécificités de genre. L’espace privé décrit comme espace féminin, de claustration, de sauvegarde de la vie et de stabilité.
Abécédaire pour penser autrement : Porc épic
A quelle distance dois-je me tenir des autres pour construire avec eux
une sociabilité sans aliénation[1]
Abécédaire pour penser autrement : Silence
Depuis près de trois mois, un silence inédit s’est emparé de nos cités. Un tsunami mutique a déferlé dans nos rues.
Il est communément accepté que le silence est l’absence de bruit. C’est le cas. Le silence qui s’est installé depuis plus d’un mois, accompagnant le confinement des êtres, a induit l’arrêt de leurs machines infernales, de leurs déplacements, de leurs déambulations, de leurs récriminations.
Lamia Kadiri
Le temps des plateformes
Auteur : Nick Srnicek, traduit de l’anglais par Philippe Blouin
Dans un bref essai, le philosophe britannique Nick Srnicek interroge les évolutions du capitalisme induites par l’économie numérique dominée par quelques grandes plateformes et plaide pour leur collectivisation.
« Ces firmes deviennent propriétaires de l’infrastructure même de la société », s’inquiète Nick Srnicek dans cet ouvrage à la fois d’analyse économique et de plaidoyer. Géographe et philosophe, ce spécialiste de l’économie numérique enseigne la géopolitique au King’s College à Londres et s’intéresse notamment à l’imaginaire post-travail et post-capitaliste, prônant la sortie du capitalisme néolibéral et l’instauration du revenu universel. C’est dans cette perspective que se situe son étude des principales plateformes devenues incontournables dans notre quotidien. Il en propose une typologie et les resitue dans l’histoire du capitalisme.
Continuités économiques
L’âge des plateformes, c’est l’avènement d’une économie d’intermédiaires, fondée sur des « infrastructures numériques qui permettent à deux ou plusieurs groupes d’interagir » et sur un nouveau type de matière première, les métadonnées. « La plateforme s’est vite imposée comme un nouveau modèle d’entreprise capable d’extraire et de contrôler des quantités extraordinaires de données », note Nick Srnicek en soulignant l’émergence de grandes entreprises monopolistiques qui dominent « le capitalisme actuel des économies à revenu élevé et à revenu intermédiaire ». Il s’agit de véritables systèmes où les effets de réseau sont décisifs, ainsi que la quantité (plus que la qualité) des données. L’aspect technologique n’est pourtant pas le cœur du livre, même s’il est question d’internet des objets, de robotique de pointe, d’apprentissage automatique et de fabrication additive.
Dans le premier chapitre, intitulé « La longue récession », c’est en effet à l’histoire économique du phénomène que s’intéresse l’auteur, afin de souligner moins les « innovations radicales » auxquelles les plateformes sont souvent assimilées que les continuités. Pour Nick Srnicek, elles prolongent trois moments de l’histoire du capitalisme, surtout américain : « la réaction vis-à-vis de la récession des années 1970 ; le boom économique des années 1990 et son effondrement ; et la réponse suscitée par la crise de 2008 ». Elles confirment la séparation des travailleurs d’avec leurs moyens de subsistance, dans un contexte de surproduction, et leur précarisation via l’augmentation de la sous-traitance, l’affaiblissement des syndicats et les délocalisation. Dans les années 1990, internet, « essentiellement non commercial jusque-là », devient commercial : sa valorisation boursière atteint desniveaux élevés et beaucoup d’entreprises adoptent le modèle de « la croissance avant les profits », espérant capter des parts de marchés pour devenir incontournables – cela deviendra « un trait caractéristique du secteur numérique » jusqu’à aujourd’hui. « Face à l’impossibilité de compter sur le secteur industriel en pleine léthargie, on a donc misé sur une sorte de « keynésianisme financier » pour relancer l’économie sans risquer de déficit budgétaire » : d’où la prolongation de la bulle spéculative jusqu’en 2000. Après la crise de 2008, la baisse des taux d’intérêt générant celle des taux de rendement des actifs financiers a orienté la thésaurisation des entreprises, notamment de haute technologie, dans les paradis fiscaux, en parallèle de l’explosion du chômage et de la précarité chez des travailleurs « forcés à accepter le premier emploi venu ».Délocalisation, sous-traitance de travailleurs non qualifiés et sous payés, pour une population excédentaire de plus en plus désespérée, et concentration de la propriété… aujourd’hui, note Nick Srnicek, « La SiliconValley commercialise ce qui est essentiellement un outil de survie en le présentant comme un outil d’émancipation ».
Infrastructures lourdes
Dans une deuxième partie, l’auteur dresse une typologie des modèles, surtout américains, de plateforme, qui toutes ont en commun de s’appuyer sur l’extraction de métadonnées et sur « la propriété de logiciels (les 2 milliards de lignes de codes qui appartiennent à Google ou les 20 millions de lignes de code de Facebook) et d’équipements informatiques (serveurs, centre de données, téléphones intelligents, etc.) construits sur la base de codes sources libres ». Il ne s’agit aucunement d’une économie immatérielle, puisque cela nécessite de lourdes infrastructures en équipement informatiques, en électricité, en ressources pour capter, enregistrer, analyser et vendre les données. Nick Srnicek en distingue cinq. D’abord la plateforme publicitaire (Google, Facebook), qui extrait les données fournies par les particuliers, entreprises, États mais aussi objets connectés au marché publicitaire et place ses revenus en épargne, dans des fusions-acquisitions et investit dans les entreprises émergentes de technologies. Ensuite, la plateforme nuagique (AWS) met en location ses serveurs, logiciels, systèmes d’exploitation et applications, s’assurant une position de force par sa longueur d’avance dans le développement. Puis la plateforme industrielle (comme MindSphere de Siemens), en pointe sur l’internet des objets 4.0, propose « un cadre permettant de lier les capteurs aux actionneurs, les usines aux fournisseurs, les producteurs aux consommateurs et les logiciels aux équipements » et sont les moteurs du développement industriel. La plateforme de produit à la demande (Zipcar), vend ses produits comme des services. Enfin la plateforme allégée (Uber, Airbnb), de services ou d’interfaces marchandes, qui se présente comme le lieu de rencontre entre usagers, clients et travailleurs, est une plateforme « virtuelle qui pousse au maximum le modèle d’hyper externalisation « dans lequel les travailleurs, le capital fixe, les coûts d’entreprise et la formation sont tous confiés à des sous-traitants. Ne reste que le minimum nécessaire à l’extraction – le contrôle de la plateforme, qui permet de percevoir une rente de monopole ». Malgré la précarisation de journaliers sous surveillance et la rémunération à la tâche, ces plateformes ne sont pas rentables. « Peut-on vraiment considérer cette lutte acharnée entre entreprises non rentables comme un symbole de la renaissance du capitalisme ? », s’interroge l’auteur.
Vers un internet fragmenté ?
Enfin Nick Srnicek replace ces plateformes dans la logique de concurrence inhérente au capitalisme. La course à l’extraction induit des dynamiques de fusion de firmes en vue d’obtenir ou de maintenir une position dominante, par le biais moins de concentrations que de « connexions rhizomatiques », de partenariats, de fusions-acquisitions et autres financements croisés. Résultat : les plateformes finissent par se ressembler et aboutir à une « plateforme modèle ». De plus, voulant se rendre incontournables, elles tendent à se fermer en « écosystèmes clos » qui fragmenteraient Internet. Or, sans la publicité, manne réduite par les bloqueurs de pub, les règlementations et la crise économique, quel serait le modèle économique pour ces plateformes ? Imagine-t-on Google payant ? « L’impératif capitalistique du profit va les contraindre à développer de nouveaux moyens d’extraire un surplus à partir de l’économie existante sur des formes d’entreprises beaucoup plus modestes. »
Nick Srnicek conclut sur la nécessité d’une régulation étatique pour briser les monopoles, imposer la protection de la vie privée et lutter contre l’évasion fiscale, tout en estimant que ce n’est pas suffisant car cela n’agit pas « sur les conditions structurelles qui ont favorisé l’essor des plateformes ». Il appelle de ses vœux à la collectivisation et à la mise en place de plateformes post-capitalistes « qui mettraient leurs données au service d’une meilleure redistribution des ressources, d’une plus grande participation à la vie démocratique et de la promotion de l’innovation technologique », voire de plateformes publiques « dont la propriété et le contrôle seraient entre les mains de la population (et dissociés – ce point est crucial – de l’appareil de surveillance de l’État). »Mais comment ? Car la bataille politique promet d’être dure…
Capitalisme de plateforme, l’hégémonie de l’économie numérique
Nick Srnicek, traduit de l’anglais par Philippe Blouin
Lux, collection Futur Proche, 160 p., 14 €
abécédaire pour penser autrement : Télétravail
Qui aurait deviné il y a juste quelques temps, une telle récurrence de ce mot autant qu’en cette période de confinement. Télétravail, voici une notion que j’associais jusque-là, soit à un domaine d’activité exclusivement technique (en relation avec Télé), où les travailleurs sont connectés à des plateformes numériques ultrasophistiquées ou encore aux sociétés nordiques où l’organisation et la culture du travail sont bien plus développées et où la relation de l’individu avec son travail est différente.