Écologie en actes

Auteur : Igor Babou

Photographe et chercheur en sciences humaines, Igor Babou retrace une expérience d’écologie sociale en banlieue parisienne qui interroge les discours sur l’environnement.

« Il faut faire et c’est à nous de le faire. Il faut ne faut pas attendre que ça vienne d’ailleurs », explique Amélie Monnereau, initiatrice avec quelques compagnons du Laboratoire écologique zéro déchet (LEØ) à Noisy-Le-Sec, en Seine-Saint-Denis. Dans une imprimerie désaffectée, en juin 2018, ce petit groupe issu du théâtre et de l’éducation populaire a mis en œuvre une initiative écologiste et sociale singulière. Le photographe et socio-anthropologue français Igor Babou les a accompagnés depuis septembre 2018 et décrit les tenants et aboutissants de ce projet autonome et citoyen, qui fait apparaître au grand jour les apories du discours environnementaliste. Professeur à l’université Paris Diderot, spécialiste des relations entre environnement, politiques publiques, savoirs et sociétés, il s’intéresse en effet aux friches urbaines et à l’écologie radicale en ce qu’elles permettent « de porter l’attention sur des pratiques bien différentes des politiques publiques de la nature, tout en restant fondamentalement politique ». Il présente dans Viv(r)e la friche photographies et témoignages, accompagnés d’un récit-analyse, et insiste sur le fait que sa démarche est imprégnée d’une « une éthique de l’attachement et du singulier » qu’il oppose, dans une formulation qu’on aurait aimée plus nuancée, « à la montée en généralité, à l’idéologie objectiviste des journalistes, de certaines sciences sociales et des sciences dures ». En effet, explique-t-il, « les gens, les sociétés et les discours ne sont pas des objets ! »

Pas bobo écolo

Le LEØ s’articule autour de trois pôles d’activités – et que nul n’entre ici en consommateur : la gratuiterie, où on dépose et récupère vêtements et objets, dont les étiquettes et les logos sont systématiquement supprimés ; la cantine, offrant à prix libre des boissons chaudes bio à partager autour de grandes tables en bois ; et l’atelier d’autoréparations, avec son animateur et sa panoplie d’outils. Une Association pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP) y intervient aussi, et chacun peut venir animer une activité en lien avec le thème « Marre de subir ? Tout se répare ». Ici, les maîtres mots sont récupération, mise à disposition – de matériels, d’outils, de lieux, de matières premières… – proximité et complémentarité des besoins et des savoir-faire. Ainsi la gratuiterie n’est pas une friperie : on y propose des vêtements neufs « pour que les gens arrêtent d’aller acheter des choses au supermarché » qui seraient fabriquées dans les circuits classiques d’une industrie peu respectueuse ni de l’environnement ni des travailleurs.

Car la démarche est politique – sans affiliation partisane. Le LEØ n’existe pas en référence au discours politique sur l’écologie mais se positionne en refus des ravages du libéralisme. Amélie Monnereau revendique le choix de la lutte pour un monde en paix avec la nature et avec soi. Elle veut proposer autre chose que « la société normale », justement perçue comme inacceptable : « presque de la poésie ». Le lieu accueille des activités du mouvement écologiste Extinction Rébellion, des militants LGBT, des Gilets Jaunes… Pour eux, la crise est à la fois politique et environnementale. L’écologie ne doit pas être « excluante » : elle n’est pas réservée aux « bobos écolos gentrifiés » qui seuls en auraient la maîtrise. Ce n’est pas non plus une somme de petits gestes, comme le prône le mouvement des colibris. C’est encore moins l’approche macro, centrée sur le réchauffement climatique et la préservation de la biodiversité. Igor Babou rend compte des débats et du « sempiternel clivage entre d’un côté l’écologie « colibris/petits gestes » et de l’autre l’analyse des rapports de domination en termes de « classe/race/genre » », qu’il estime plutôt lié aux affinités politiques que fondé sur des distinctions conceptuelles, et rappelle la tradition écologiste anticapitaliste très politisée, de Murray Bookchin aux États-Unis à André Gortz en France. Il fait également remarquer qu’« une écologie qui ferait l’impasse sur ces questions de domination et sur les médiations multiples qui les construisent au quotidien serait condamnée à reproduire les apories de l’environnementalisme avec sa quête d’une nature « sauvage » séparée de l’humain. » Plein d’empathie pour le projet qu’il décrit, il déplore la prédominance des logiques de spéculation immobilière, salariant des gardiens pour maintenir inutilisés des bâtiments sains et beaux qui seront détruits pour « enfermer du vide » et construire du bas de gamme.

Une partie importante de l’ouvrage s’intéresse aux publics qui y viennent et font vivre le lieu. Igor Babou présente plusieurs témoignages d’usagers, transcrits dans le respect de leur oralité. Hormis quelques artistes et enseignants, ils sont issus souvent de milieux modestes et d’origine algérienne ou marocaine. Ils rappellent que leurs parents n’avaient pas attendu les discours sur la nécessité de préserver l’environnement pour avoir des pratiques de non gaspillage et de recherche de produits sains. Plus que de label bio, il est question de moyens de transport, de gestion des déchets, de réduction de la consommation et de solidarités de quartier.

Blocages institutionnels

Cependant le projet a une existence précaire : friche dans une société qui privilégie la propriété privée, le LEØ a fait l’objet d’une expulsion au bout de six mois et a dû déménager à Pantin, puis y faire face à un procès intenté par l’Établissement public foncier d’Île-de-France. Igor Babou souligne le gouffre entre le discours affiché de l’écologie politique et l’absence de fait de volonté politique, qui se manifeste par l’entrave à la mise en œuvre citoyenne et au quotidien des principes environnementalistes et les condamne à rester « interstitielles ». Il déplore aussi le manque d’outils juridiques pour pérenniser ces initiatives de démocratie participative.

Mais preuve de la profondeur des liens tissés et de la pertinence de son action : le public de Noisy-Le-Sec a en partie suivi le LEØ à Pantin, le procès a été gagné en première instance et une subvention a été accordée par une institution territoriale, en reconnaissance du travail effectué. « Parfois, les utopies se réalisent », se réjouit Igor Babou. Mais il insiste cependant sur le caractère non duplicable de l’expérience : ce sont en effet les interactions et les négociations au quotidien entre les personnes qui permettent d’ancrer le projet dans son public. Chercher à la modéliser pour la marketer serait la réifier et la couper de ces ancrages, donc de son sens.

Pour un aperçu du travail photographique d’Igor Babou : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02138618/document

 

Kenza Sefrioui

Vi(v)re la friche, Enquête photographique sur une expérience d’écologie sociale en banlieue parisienne

Igor Babou

978-2-9573401-0-1

Autoédition, 156 p., 25 €, à commander ici :https://igorbabou.fr/prevente-du-livre-vivre-la-friche/


Oumaima CHAMCHATI

Linkedin

Doing Business in Africa : From Economic Growth to Societal Development

La Violence fondée sur le genre en termes de coûts économiques : Enquête combien nécessaire , pas encore suffisante

Auteur : Rapport HCP

Une première qui devrait être retenue à l’avantage du HCP, son enquête nationale sur la violence à l’égard des femmes et des hommes de 2019 ; elle fait partie des nouvelles perspectives que peuvent offrir les indicateurs nationaux pour mieux appréhender la réalité socioéconomique. Réalisée, avec l’appui de l’ONU FEMME au Maroc, entre février et juillet 2019, l’enquête a permis d’estimer, pour la première fois au Maroc, le coût monétaire de la violence à l’encontre des femmes et des filles, se rapportant spécifiquement aux coûts directs et indirects de cette violence supportés par les individus et leurs ménages, dans tous les espaces de vie, et pour les formes de violence physique et sexuelle au cours des 12 mois précédant l’enquête. 
Le HCP et l’ONU femmes ont tenu symboliquement à rendre public les premiers résultats de cette enquête lors de la campagne nationale et internationale de mobilisation pour l'élimination de la violence à l'encontre des femmes de cette année 2020 qui a eu lieu durant la période entre le 25 novembre et le 10 décembre. On apprend ainsi que parmi l’ensemble des femmes victimes de la violence physique et/ou sexuelle au cours des 12 mois précédant l’enquête tous contextes confondus, 22,8% ont dû supporter, elles ou leurs familles, des coûts directs ou indirects de la violence. Le coût global de la violence est estimé à 2,85 Milliards de Dh. En rapportant ce coût au nombre total des victimes, le coût moyen est de l’ordre de 957 Dh par victime. Les coûts directs constituent la majeure partie du coût économique global avec une part de 82% (2,33 Milliards de Dh) contre seulement 18% pour les coûts indirects (517 Million de Dh). 
La part du milieu urbain dans le coût économique global de la violence est de 72% (2,05 Milliards de Dh), celle du milieu rural est de 28% (792 Million de Dh). Le coût moyen supporté par les victimes citadines (1000 Dh par victime) est plus élevé que celui des victimes rurales (862 Dh par victime).
L’espace conjugal accapare, à lui seul, plus des deux tiers du coût global de la violence avec une part de 70% (un coût global de 1,98 Milliards de Dh), suivi des lieux publics avec 16% (448 millions de Dh) et du contexte familial avec 13% (366 millions de Dh).S’agissant des formes de violence, près de 85% du coût global concerne la violence physique (2,4 Milliards de Dh) et 15,3% la violence sexuelle (436 millions de Dh). 

Près de 70% du coût direct de la violence est relevé dans le contexte conjugal (1,63 Milliard de Dh), 15% dans les lieux publics (356 millions de Dh) et 13% dans le contexte familial (307 millions de Dh). 

Les dépenses engagées pour accéder aux services de santé représentent 42,3% du coût direct (986 millions de Dh). En deuxième position viennent les dépenses liées au recours aux services juridiques et judiciaires (25,8% ; 600 millions de Dh), suivies de celles liées au remplacement ou réparation des biens endommagés (17,9% ; 417 millions de Dh), à l'hébergement suite à l’abandon du domicile (13,5% ; 314 millions de Dh) et au recours aux services de la société civile (0,5% ; 11 millions de Dh). 

                                            

                                  Graphique 2 : Structure du coût direct selon les types de dépense (En %)

                                     

                        Source : HCP, Enquête nationale sur la violence à l’encontre des femmes et des hommes 2019

Plus de 55% (284 millions de Dh) du coût indirect global revient au coût estimé des jours de travaux domestiques perdus, soit 281,2 millions de Dh pour les femmes victimes et 3,1 millions de Dh pour leurs conjoints. Près de 44% de ce coût (227 millions de Dh) est lié à la perte de rémunération suite à l’absence au travail rémunéré des femmes victimes (172 millions de Dh) et de leurs époux (55 millions de Dh). Le coût des jours de scolarisation manqués des victimes et de leurs enfants suite aux incidents de la violence à l’encontre des femmes ne représente que 1% du coût indirect total (5,7 millions de Dh).
Ces résultats ne comblent pas toutes les lacunes sur le sujet, bien au contraire ils indiquent qu’il y a encore du chemin au niveau méthodologique comme au niveau des domaines à approfondir en termes  d’examen pour rendre les indicateurs plus performants et plus précis par rapport à leur ciblage ;mais c’est un bon début pour aller de l’avant : 
Pendant longtemps, peu de personnes au Maroc -à l’exception des experts et universitaires- prêtaient une attention au travail du HCP, cette institution nationale au rôle stratégique, était engloutie dans la discrétion effrayante des administrations. La situation a changé avec le développement des nouvelles technologies, les chiffres comptent désormais pour tout le monde : Le monde des données et des big data est déjà là et devient l’affaire de tout un chacun sans exception ! l’ignorance a un lourd prix pour les individus comme pour les nations !
 On pourra rappeler déjà qu’au cœur de la période du confinement cette année  chacun cherchait à comprendre et rendre intelligible sa situation. Les chiffres relatifs à la pandémie avaient leur intérêt mais beaucoup d’autres données manquaient ; les deux enquêtes sur les différents impacts de la crise pandémique du HCP ont un effet hirondelle sur l’opinion publique, elles ont contribué à  l’amélioration à la fois des possibilités d’une évaluation des performances de cette institution par les différents milieux observateurs, mais aussi, ouvert l’accès à des données  relativement disponibles,  permettant aux experts et à l’opinion de mesurer les effets de cette crise sur la population. Deux initiatives qui ont eu leur effet positif sur l’opinion publique malgré leurs limites, celle-ci demandait d’autres enquêtes supplémentaires sur les aspects de leur quotidien de crise, sanitaire, économique, sociale , ….
Les chiffres et les indicateurs comptent pour toutes et tous 
En tout cas, depuis l’adoption par la communauté internationale des indicateurs liés aux objectifs du développement durable (ODD), le HCP est sur la pente d’une mise à niveau de grande envergure. L’année 2020 du HCP a été marquée aussi par les efforts déployés dans le cadre de mise à niveau des stratégies nationales en relation avec les Objectifs de développement durable et humain 2015-2030. Le déficit est immense, le pays a besoin de nombreux nouveaux indicateurs, devant s’ajouter à ceux qu’il a déjà pour installer des politiques plus efficaces et efficientes.

Rapport sources : https://www.hcp.ma/Cout-economique-de-la-violence-a-l-encontre-des-filles-et-des-femmes-depenses-et-perte-de-revenus-des-menages_a2625.html


SALEEM : un réseau d’entrepreneuriat étudiant

 

Soueda ABIDI

Soueda Abidi

Chercheurs associés et permanents

FacebookTwitterLinkedin

Ahmed BENABADJI

Mohamed Amine BELEMLIH

Pages