Emplois ou privilèges : Comment libérer le potentiel de l’emploi dans la région Mena ?

Emplois ou privilèges : Comment libérer le potentiel de l’emploi dans la région Mena ?

Auteur : WORLD BANK GROUP

Un rapport opportun pour comprendre les mécanismes qui empêchent l’épanouissement des économies  d’une région où sont réunis trop de paradoxes. Les responsables politiques des pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (MENA)  répètent sans cesse, vouloir stimuler la croissance du secteur privé et créer plus d’emplois. Ce discours se trouve pourtant aux antipodes des réalités économiques de la région  où des systèmes de privilèges bien  installés bloquent littéralement ces options. Le rapport de la Banque mondiale est fondé  sur une étude réalisée par l’une de ses équipes de  chercheurs et consultants, rendu public en l’automne 2014, il analyse les facteurs de la demande qui réduisent l’accélération de la création des emplois et leur lien avec  les défaillances  de la  compétitivité et les privilèges  qui bénéficient à certaines entreprises.

Focalisé  sur les pays importateurs de pétrole dans la région MENA, la plupart des analyses de ce rapport excluent les pays du Golfe et autres grands exportateurs de pétrole et de gaz. Le modèle et les politiques spécifiques qui faussent les dynamiques des entreprises et de création d’emplois dans les pays exportateurs de pétrole de la région MENA pourraient être différents. Mais La capture des privilèges des politiques par les entreprises liées aux dirigeants politiques ou aux familles princières  est une source de distorsion des politiques existant à la fois dans les pays importateurs et exportateurs  de pétrole dans la région MENA. Ainsi les auteurs  de ce rapport estiment que les principaux résultats et les implications politiques sont pertinents pour l’ensemble de la région.

Quels types d'entreprises créent-elles  plus d'emplois dans la région MENA? Sont-elles différentes de celles des autres régions  du monde ? Quelles sont les politiques dans la région MENA qui empêchent le secteur privé de créer  plus d'emplois? Comment ces politiques affectent-elles  la création de la concurrence et de l'emploi?  Comment ces politiques sont-elles associées aux  privilèges  bénéficiant aux entreprises politiquement connectées?

La  conjoncture politique a permis à l’équipe de recherche l’accès à des données souvent inaccessibles ainsi que la collecte de témoignages et d’informations  de terrain de grand intérêt. Ce rapport atteste de l’impact durable des politiques conçues pour protéger les rentes de monopole de certaines élites dans la région. Il présente une analyse des effets négatifs provoqués par les privilèges accordés aux entreprises liées aux pouvoirs politiques. Recensant les distorsions qu’elles  entraînent il démontre que dans la région , une entreprise connectée politiquement dans un secteur a de 11 à 14 % plus de chances d’acquérir des terrains de la part du gouvernement par rapport aux autres entreprises , un dirigeant d’entreprise connecté politiquement réduit la moyenne du temps d’attente pour l’obtention d’un permis de construire de 51 jours et que la prévalence des inspections par les services locaux est de 20% plus élevée  pour les entreprises non connectées. D’ailleurs là où s’installent les entreprises connectées les investisseurs préfèrent ne pas y aller et l’entrée est de 28% inférieur par rapport aux secteurs non connectés !

Le premier chapitre analyse les dynamiques et les facteurs déterminants de la création d’emplois dans la région MENA et compare ces caractéristiques à celles observées dans les économies en développement rapide et les pays à revenu élevé. Un premier constat est   la faiblesse de la croissance de la productivité dans la région par rapport aux autres régions du monde sur toute  la période de la  vingtaine d’années précédente.

Le changement démographique représente  environ 50 pour cent de croissance du PIB réel global par habitant au cours des 20 dernières années, lequel taux est le plus élevé du monde. La plupart des pays de la région ont fait l'expérience de changement structurel en matière d’emploi en raison d'un déclin de la part du travail agricole.

La croissance de la productivité globale a cependant été, la plupart du temps, entraînée par la croissance de la productivité à l’intérieur  des secteurs, lesquels comparativement  demeuraient toutefois à la traîne  par rapport  à d'autres régions du monde.

L’analyse des données recensées  montre que la plupart des travailleurs de la région MENA sont employés dans les petites entreprises à faible productivité. Les secteurs privés des pays de la région MENA se caractérisent par de faibles  chiffres  d’affaires  et la lente croissance de productivité. Cela  s’explique  par une combinaison de facteurs  intra-entreprise et une mauvaise répartition du travail et du capital entre secteurs. Selon les auteurs, la mauvaise réallocation des ressources au sein des entreprises et des politiques  publiques de la région , handicape le développement de la compétitivité.

Et  à travers l’examen de la croissance et des performances en matière d’emploi dans ces pays et en comparaison aussi avec les pays d’Asie de l’Est, on relève que les mécanismes de création d’emplois dans la région sont identiques à ceux qui s’opèrent dans d’autres régions de la planète et que celles-ci, comme ailleurs,  reposent  largement sur la création d’emplois par des entreprises jeunes et productives.

Au Liban, quelque 177 % de la création nette d’emplois entre 2005 et 2010 est le fait de petites start-up alors qu’en Tunisie, celles-ci ont créé 580 000 emplois entre 1996 et 2010, soit 92 % du total de la création nette.

Toutefois  le rapport constate que la  place de ce type d’entreprises reste  faible dans le tissu global marqué par des entreprises peu dynamiques, souvent liées aux gouvernements, avec de faibles chiffres d’affaires et de  faibles taux de  croissance de la productivité.

En Égypte, 71 % des entreprises liées au pouvoir contre 4 % seulement des entreprises sans relations politiques commercialisent des produits protégés par au moins trois barrières à l’importation. En Tunisie, ce sont 64 % des firmes proches du régime et seulement 36 % des autres qui opèrent dans  les secteurs peu ouverts aux investissements directs étrangers. En Égypte, la croissance de l’emploi diminue d’environ 1,4 % par an lorsque ces entreprises politiquement « connectées » font leur entrée dans de nouveaux secteurs qui auparavant étaient libres de toute influence politique.

Les règles en vigueur tendent davantage à protéger les initiés bien établis qu’à encourager de nouvelles entreprises. En moyenne, 6 entreprises à responsabilité limitée sont créées par an dans la région pour 10 000 personnes en âge de travailler. Un chiffre à comparer aux résultats de 91 pays en développement (20/10 000) et, surtout, à ceux du Chili (40/10 000) et de la Bulgarie (80/10 000).

Au lieu d’occuper des emplois qualifiés et hautement productifs, à l’instar de ce que peut offrir l’industrie du logiciel, les demandeurs d’emploi relativement instruits sont contraints de gâcher leur talent dans des métiers peu productifs, où les perspectives de carrière et de rémunération sont limitées. Pénalisées par des obstacles culturels, les femmes de la région MENA affichent les taux de participation à la population active les plus faibles du monde, le rapport présente notamment le cas du Maroc à ce propos. Les résultats montrent que le changement structurel n'a pas profité  de la même façon aux femmes  et aux hommes. Les communications et les finances et l'immobilier  comme secteurs à forte productivité ont augmenté la part de l’emploi pour les femmes et les hommes, mais le nombre de nouveaux emplois dans ces secteurs est très faible en proportion et il bénéficie principalement aux femmes et aux  hommes instruits et citadins. Le fait est qu’au Maroc environ 60 pour cent des femmes de la population active travaillent dans l'agriculture -la quelle représente 39% des emplois  - plus de 77 pour cent d'entre elles  comme aides familiaux, et 44 pour cent à temps partiel.

Le chapitre 2 se penche sur l’influence de diverses politiques publiques mises en œuvre dans les pays de la région MENA en matière de concurrence ; il  met en relief  l’impact qui en découle sur le plan de la dynamique des entreprises et de l’emploi.

Ces politiques prennent des formes différentes selon les pays et les secteurs mais partagent plusieurs caractéristiques communes: Ces politiques apportent des handicaps au  libre accès  au marché intérieur, excluent certaines entreprises de programmes gouvernementaux, augmentent le fardeau réglementaire et des incertitudes pour les entreprises non connectées, protègent certaines entreprises et secteurs de la concurrence étrangère sur le marché local , et découragent les entreprises nationales d’aller à la  concurrence sur les marchés internationaux.

Le rapport définit les entreprises gazelles au Maroc comme étant celles ayant  au moins 10 employés  et dont le nombre d’emplois est doublé  chaque 4 années d’exercice. A ce propos,  34% de ces gazelles n’ont  finalement que quatre ans d’âge, et 55 % d’entre elles ont moins de dix ans d’existence. Les Gazelles par la création nette d'emplois dans le secteur manufacturier au Maroc ont  compensé  les emplois détruits dans  tout le secteur industriel formel. Mais  la situation est assez complexe, la croissance de l'emploi est la plus forte dans les quatre à cinq premières années suivant l'entrée en activité  et tend à se stabiliser par la suite. En Jordanie, les établissements de tous les secteurs économiques non agricoles doublent  leur taille dans les cinq premières années de leur activité, au Maroc les entreprises industrielles  sont 1,7 fois plus grande sur la même période.

Parmi les pays non membres du CCG, la Tunisie et le Maroc avaient le plus haut taux d'entrée aux secteurs économiques  par habitant; l’Algérie, l'Irak, l'Egypte, la Syrie le plus bas. Les densités d'entrée dans de nombreux pays en développement à croissance rapide comme la Serbie, le Brésil, la Croatie, le Chili, et la Bulgarie sont pourtant entre deux et  huit fois plus élevées qu'au Maroc et en Tunisie (les Deux pays non-GCC de la région MENA avec la plus grande entrée densités).

L’efficacité de la répartition des ressources est  par ailleurs plus faible au Maroc et en Egypte qu'au Chili, la Colombie, ou l’Indonésie.

Le chapitre 3 revient sur les politiques industrielles mises en place dans la région MENA par le passé et met ces expériences en parallèle avec celles de pays d’Asie de l’Est. Les nuances se présentent comme suit : Les politiques engagées en Asie ont généralement été liées à des performances et résultats, ainsi qu’à des moyens et des systèmes d’évaluation, ce qui manque aux politiques dans la région  Mena. En outre, les politiques asiatiques étaient favorables à une concurrence transparente pour tous, une égalité de chances dans  l’accès aux marchés locaux et des incitations pour aller vers des marchés extérieurs.

Dans le cas marocain par exemple il cite le manque de transparence, les contraintes règlementaires, juridiques et fiscales imposées aux entreprises et dont les startups et les entreprises jeunes et productives souffrent en particulier. Ce constat se renforce à travers des comparaisons avec d’autres régions, en particulier l’Asie de l’Est et la Turquie voisine ainsi que les enquêtes de terrain parmi les entrepreneurs.  Citant l’expérience marocaine et le programme émergence le rapport note l’absence de réformes administratives d’accompagnement des programmes industriels ; ainsi que la faiblesse des moyens engagés par l’Etat en comparaison avec les programmes des pays asiatiques en la matière.

Ce chapitre  s’interroge sur les causes qui ont fait réussir l’expérience coréenne dont le décollage s’est effectué relativement dans des conditions similaires à celles des pays de Mena. Il semble ainsi que plusieurs facteurs ont joué en faveur de la mutation coréenne, en premier le choix de l’Etat de soutenir des activités nouvelles au niveau productif n’existant pas auparavant. Figure en second lieu  le fait que le soutien était fermement lié pour tous -y compris pour les proches au pouvoir- au critère des performances à l’export. Par ailleurs l’Etat coréen a entrepris des réformes administratives et organisationnelles fermes au niveau des administrations et  des secteurs public et privé pour appuyer les politiques industrielles. Enfin, autre indicateur, les grandes entreprises coréennes publiques et privées ont  assisté  également   le secteur privé dans ces politiques. On peut résumer cela par la présence d’une volonté politique convergente chez tous les intervenants, ce qui semble faire défaut  dans la région.

Le chapitre 4 explicite comment les privilèges et avantages  des politiques économiques finissent  par être accaparées par une minorité de bénéficiaires connectés  au pouvoir politique et  comment les privilèges conférés à ces entreprises aboutissent à des distorsions qui sapent la concurrence et entravent la croissance du secteur privé et des emplois dans la région MENA.

L'accès limité au financement externe réduit la croissance de la productivité parmi les entreprises manufacturières les plus grandes et âgées  au Maroc.des charges administratives excessives, moins de transparence  et de prévisibilité des autorités fiscales, plus d'obstacles dans le système judiciaire, et des niveaux de corruption élevés et moins de concurrence nationale  réduisent  les opportunités de croissance pour les jeunes  petites entreprises au Maroc. La période de croissance sans emploi au cours de la dernière décennie semble liée aux contraintes rencontrées par les jeunes entreprises, ayant un potentiel de croissance élevé.

Plus de 50 pour cent des entreprises interrogées de la région Mena considèrent l'incertitude politique économique et réglementaire comme un obstacle à la croissance de leurs entreprises, et presque 35 pour cent  la considèrent comme «grave» ou qualifie d’obstacle «majeur».En vérité, c’est la question de la mise en application des politiques publiques qui perturbe le plus  les promoteurs, pas les politiques en elles mêmes. Et ce sont ces questions qui amènent les connections politiques ou les déploient.

Les exemples flagrants de cette situation sont apportés par les cas égyptien et tunisien.

Les privilégiés sont soustraits à la compétition à travers la mise en place de nombreuses barrières d’accès, et  parmi les aspects cités pour l’ensemble de la région on trouve  l’application discrétionnaire sur le terrain par les gouvernements  de leurs  politiques publiques en matière économique.

Concernant  les effets de ces politiques on s’aperçoit que les moyennes et grandes  entreprises  liées  au pouvoir politique et qui monopolisent les privilèges  finissent par ne créer que peu d’opportunités d’emploi, alors que les petites entreprises non connectées et employant une certaine main d’œuvre productive , harcelées par les différentes barrières immigrent vers l’informel .Une analyse qualitative d’ensemble montre que les outils dissuasifs en usage sont surtout  des  mesures étatiques non tarifaires  et  la  corruption   qui leur est liée.

Le rapport s’achève sur la proposition d’une feuille de route pour le système de  prise de décision en matière de politiques économiques ainsi que les principaux domaines et axes de réforme à inscrire au programme d’action pour le développement du secteur privé et de l’emploi dans la région MENA. 

par : Bachir Znagui


L’Algérie entre retards et avancées

L’Algérie entre retards et avancées

Auteur : Abdellatif Benachenchou

 

L’universitaire et chercheur Algérien, Abdellatif Benachenchou revient sur les investissements de cette dernière décennie en Algérie. Il y énumère les différentes avancées et révèle les innombrables écueils.

L’Algérie est un pays qui a la réputation d’être fermé à l’investissement. Les réputations ont la peau dure mais se vérifient souvent ! Entre lois protectionnistes  et enfermement dans une économie dépassée, qu’en est-il des investissements étrangers au pays de Boutefllika ? Quelles entreprises osent s’aventurer dans ce pays aux lois austères ?  

C’est à ces questions qu’essaye de répondre l’universitaire et chercheur Abdellatif Benachenchou dans son essai : Les nouveaux investisseurs.

Les réponses sont du moins, inattendues. Contre toute attente, l’Algérie semble renaître de ses cendres et on sent un air de renouveau malgré un coma économique apparent !

Aujourd’hui, et sans surprise aucune, le secteur des hydrocarbures reste le plus attractif. La reprise de 2004 semble avoir donné un coup de fouet à l’économie notamment grâce à l’installation du norvégien Statoil et de l’espagnol Repsol.

Des projets structurants sont en route (malgré les innombrables scandales de la Sonatrach : société nationale des hydrocarbures)

Parmi les grandes réalisations de l’énergie : le gazoduc Medgaz, qui reliera Béni Saf à Almeria en Espagne pour transporter « 8 milliards de mètres cubes par an, avec une extension à 16 milliards dans un  second temps ». Le partenariat avec l’Espagne semble prendre un nouvel essor et ne se limite pas aux hydrocarbures. Un consortium algéro-espagnol a été également mis en place dans le domaine du dessalement des eaux (le groupe Enima Aqualia a décroché le contrat de réalisation de l’usine de Mostaganem d’une capacité de 100 000 mètres cubes, la société Ridesa associé au Canadien SNC Lavalin, va quant à elle construire l’usine de dessalement de Zéralda).

De toute évidence, des projets structurants pour l’Algérie sont en train d’être pris en charge par les Espagnols. La péninsule ibérique est en phase de devenir un partenaire privilégié pour le pays.

L’Algérie semble sortir d’une longue hibernation, après des années de terrorisme où des pans entiers de l’économie ont été mis à terre, il devient urgent de développer aujourd’hui les autres secteurs : banques, médicaments, ciment, électricité ports, etc…

Selon Benachenchou « la poursuite de l’ouverture économique pour attirer des investisseurs performants et une bonne régulation sont les seuls moyens de lutte durable contre la pauvreté et la croissance de l’emploi : l’efficacité de la politique économique et sociale ne dépend pas de la taille du secteur public mais de l’attractivité de l’économie et des performances des entreprises ».  

 

Des lois en évolution, des marchés à prendre

La percée chinoise en Algérie est devenue un cas d’école. « En 2005 alors que La Chine se hisse à la 4ème place de fournisseurs, elle s’empare de 6,2%  de parts du marché contre 5% en 2004 »,  détrônant ainsi les Etats-Unis pourtant partenaire bien implanté au pays.  

Aujourd’hui le pays du soleil couchant se positionne sur le marché des hydrocarbures, s’est emparé du celui des travaux publics et d’équipements, et grignote, également, une bonne part du secteur des télécommunications. L’Empire du milieu semble avoir retrouvé tout son panache au cœur du Maghreb.  

Par ailleurs, Benachenchou nous apprend que la banque marocaine Attijari Wafa Bank se dit prête à investir « 100 millions d’Euros en Algérie. Attijari Wafa Bank attend maintenant des autorités algériennes la réponse aux demandes d’agrément qu’elle a déposées pour la création de trois entités ». Benachenchou parle également d’implantation de la BMCE qui a présenté une demande d’agrément.

Une affaire à suivre de près…

Mais que se passe-t-il pour les investisseurs locaux ? S’il est un exemple à suivre et à étudier, ce serait sans aucun doute celui de Cevital, une PME devenue un empire industriel.

Pour satisfaire les besoins de croissance Cevital, la banque d’Algérie a mis en place (récemment), une loi qui permet le financement à partir de l’Algérie des opérations extérieures d’entreprises algériennes ! Une première dans ce pays aux lois protectionnistes tant de fois décriées.  

Dans cette Algérie qui se dit prête à l’ouverture, tout n’est pourtant pas rose. L’auteur énumère également les innombrables dysfonctionnements et les manques à gagner.

Il pointe du doigt le sous développement du tourisme qui demeure un grand handicap pour le développement du pays.

Pourtant, l’Algérie pourrait profiter de niches touristiques telles le tourisme thermal (le pays dispose de 202 sources), le tourisme d’affaires, les déplacements religieux (l’Algérie compte quelques lieux saints pour les chrétiens : tombeau de Saint-Augustin, le père Foucault (18 000 visiteurs en 2005), le pèlerinage des Tijani (Laghouat) etc…)

La faiblesse de la capacité hôtelière en constitue le principal écueil. Pou y remédier quelques projets phares sont en route. Le Saoudien Sedar compte construire des complexes touristiques d’une capacité de 20 000 lits à l’Ouest d’Alger. Le groupe touristique Accord a, par ailleurs, un projet de construction de 36 hôtels dans différentes régions du pays. Les Allemands comptent s’emparer de la zone d’Al Qala (frontière tunisienne) et les Américains la région de Jijel. (à 350 Km à l’est d’Alger)…

Chacun semble vouloir sa part du gâteau. Malheureusement, ces projets ne font partie d’aucune stratégie structurante et trainent depuis pas mal d’années…

Par Amira-Géhanne Khalfallah 


XXIème siècle, et encore « primates sociaux »

XXIème siècle, et encore « primates sociaux »

Auteur : Paul Seabright

 

Paul Seabright analyse les rapports entre hommes et femmes à la lumière de l’évolution de l’espèce depuis la Préhistoire jusqu’à nos jours.

Elles n’auraient d’yeux que pour leur porte-monnaie, ils ne s’intéresseraient qu’à leurs formes voluptueuses. C’est sur le récit d’un malentendu sentimental de ce genre que le philosophe et économiste britannique Paul Seabright entame son essai. Sauf que, contre toute attente, il ne s’agit pas ici d’humains, mais de mouches. L’auteur prend un malin plaisir à entretenir la confusion sur une page et demi, avant de révéler le pot aux roses. Mouches ou homo sapiens sapiens, « mâles et femelles utilisent tous deux des stratégies économiques à des fins sexuelles ». Certes, d’une façon qui varie selon le sexe et l’époque. Mais « depuis la nuit des temps » a lieu une « négociation systématique de biens économiques – l’argent, la nourriture par exemple – ou de ressources non monétaires comme le temps, l’effort ou l’estime de soi ». C’est donc à la lumière de l’économie que Paul Seabright propose de relire, à travers l’histoire, les relations entre les sexes. Ce brillant petit livre plein d’humour, fait appel aux ressources de la biologie, de l’anthropologie, de la psychologie et bien sûr de l’histoire. « Les mouches mâles accaparent la nourriture non pas pour la manger mais pour mieux contrôler le choix sexuel des femelles. De la même façon, les hommes thésaurisent les ressources économiques pour pouvoir faire pression sur les choix des femmes. Comme pour les mouches, les points les plus sensibles des relations économiques entre hommes et femmes concernent moins ce qu’ils consomment que ce qu’ils contrôlent ». S’ensuit une démonstration par la mouche, la punaise, l’éléphant de mer, le paon, le lion, le chimpanzé et autres bonobos, au terme de laquelle Paul Seabright admet que l’espèce humaine se distingue par la « forme particulièrement complexe » de ce conflit entre hommes et femmes, en raison de la dépendance extrême du nouveau-né humain, qui implique que son arrivée déclenche tout un réseau d’alliances entre les acteurs concernés. À l’origine, le rapport entre abondance (des mâles, des spermatozoïdes) et rareté (des femelles, des ovules), qui a façonné tout au long du « tunnel évolutif », la sexualité humaine. Mais le propos de Paul Seabright n’est pas de se livrer à un exercice de sexologie comparée. Pour lui, pour parvenir à dépasser les inégalités entre hommes et femmes, il est indispensable de « comprendre les traces psychologiques laissées par le tunnel ».

 

Les séquelles de l’évolution

Autant le dire tout de suite : malgré les conquêtes, le cerveau de l’homo sapiens sapiens est toujours configuré pour les besoins du chasseur-cueilleur de la Préhistoire, car le cerveau évolue plus lentement que les mœurs et les représentations sociales. Le lecteur doit faire abstraction de son amour-propre pour comprendre la démonstration.

Le livre est organisé en deux parties. La première retrace l’histoire de la reproduction sexuée et des stratégies, des rôles et des politiques propres aux genres. Paul Seabright étudie, avec un regard acéré, l’économie des relations qui définissent cet « héritage biologique ». « Sexe et techniques de vente » énumère ainsi l’art des signaux et des processus de séduction, voire de manipulation, car « le sexe a besoin de publicité ». « Séduction et émotions » analyse le rapport entre l’émotion et le simple calcul rationnel pour la reconnaissance sexuelle : il y est question de séduction et de soupçons, de Darwin, bien sûr, et du Rouge et le Noir de Stendhal. Puis Paul Seabright nous assène, en troisième chapitre, que nous sommes encore des « Primates sociaux » : il évalue l’héritage des primates, mais aussi ce qui nous en distingue : volume du cerveau, allongement de la durée de l’enfance, donc division du travail.

Dans la deuxième partie, Paul Seabright nous transporte aujourd’hui, et interroge l’empreinte des comportements archaïques dans nos sociétés modernes. Sa réflexion part du constat que, malgré les avancées considérables concernant la participation des femmes à divers secteurs de la vie économique et sociale dans les sociétés industrialisées, leurs revenus stagnent toujours autour de 80 % de ceux des hommes et que les hommes occupent toujours la plupart des postes de pouvoir. Dans « A la recherche du talent » et « Que veulent les femmes ? », il se penche sur la disparité des talents et des motivations entre hommes et femmes – aucune ne justifiant cependant la sous-représentation des dernières à des postes de pouvoirs ni leur assignation à un rôle – toute recherche de lecture essentialiste est ici vouée à l’échec. Dans « Conjonctions d’intérêts », l’auteur analyse le fonctionnement des réseaux : « Alors que les réseaux des hommes leur donnent accès à des postes de pouvoir économique, ceux des femmes n’ont pas les mêmes effets ». Le chapitre suivant, joliment intitulé « Un charme rare », s’intéresse aux modalités de coopération humaine, et notamment aux risques de « ne pas pouvoir coopérer avec ceux dont nous valorisons le plus la collaboration ». Paul Seabright établit justement un parallèle entre l’exclusion des femmes aux postes de pouvoir économique et la surreprésentation des hommes parmi les marginalisés (chômeurs, sans-abris, détenus). « Si la biologie peut parfois nous donner l’impression que nous sommes victimes de notre héritage, l’économie montre que nous pouvons adapter cet héritage pour façonner notre avenir », conclut-il, avec un certain optimisme. Et d’appeler à l’invention de nouveaux modèles, reposant sur une meilleure coopération et une plus grande justice : « Hommes et femmes peuvent donner plus de poids à leurs responsabilités domestiques lorsque le coût pour leur carrière est moindre. […] Le sexe libéré de la dépendance économique est souvent meilleur, l’économie libérée de la dépendance au sexe sera probablement meilleure aussi ». Un ouvrage stimulant, qui évoque la question du genre avec beaucoup de subtilité, sans tomber dans les stéréotypes.

 

Par Kenza Sefrioui

 


Hold up sur la démocratie

Hold up sur la démocratie

Auteur : Susan George

 

Susan George alerte sur les agissements de lobbyistes bataillant dans l’ombre pour les intérêts du secteur privé. Au détriment de l’intérêt général et du bien commun.

« Bill Clinton, à bord du Boeing présidentiel Air Force One, confie à des journalistes qu’il est plongé dans la lecture d’un ouvrage passionnant, Global Dreams[1], qui montre comment une poignée d’entreprises transnationales ont pris le contrôle du monde. À un journaliste qui lui demande ce qu’il a l’intention de faire à ce propos, Clinton répond : « Moi, rien. Que voulez-vous que je fasse ? Je ne suis que le président des Etats-Unis. Je ne peux rien à propos des grandes entreprises. » Sur le mode de l’autodérision, ou en reconnaissant ce fait, le président des États-Unis avoue son impuissance. Or, si le chef du gouvernement du pays le plus riche et le plus puissant du monde se trouve démuni face aux ETN [Entreprises transnationales], qu’en est-il des hommes politiques moins influents ? » Cette question de fond a lancé l’universitaire franco-américaine Susan George dans la rédaction de ce livre, une enquête à charge contre les attaques des lobbyistes à la solde de grandes entreprises privées contre les États et les organisations internationales. Après plusieurs essais à grand succès, dont Comment meurt l’autre moitié du monde  (1976) et Leurs crises, nos solutions (2010), la présidente d’honneur d’Attac-France se penche sur un nouvel aspect des effets dévastateurs de la mondialisation capitaliste. Cette fois-ci, elle s’intéresse à ces individus et entreprises « qui n’ont pas été élus, qui ne rendent de comptes à personne et dont le seul objectif est d’amasser des bénéfices » et dont l’action tend à « orienter la politique officielle, qu’il s’agisse de santé publique, d’agroalimentaire, d’impôts, de finance ou de commerce ». Groupes de lobbying, soi-disant « comités d’experts » ou autres organes créés de toute pièce sont à l’origine d’une mutation politique, notamment en Amérique du Nord et en Europe, en s’arrogeant un « statut quasi officiel » et faisant émerger ainsi une autorité illégitime, que Susan George qualifie de « corporatocratie ». « Le gouvernement au sens où on l’entendant habituellement, celui qui est dirigé par des responsables clairement identifiables et élus démocratiquement, se trouve aujourd’hui affaibli, voire supplanté par des crypto-gouvernements auxquels la classe politique a fait des concessions délibérées, forcées, ou tout simplement irréfléchies ».

 

« Autorités illégitimes »

Dans un premier chapitre, Susan George rappelle l’horizon démocratique défini par le modèle des Lumières, sa philosophie de la représentation, sa protection des droits et libertés individuelles et collectives – modèle menacé par le néolibéralisme, dont la doctrine et l’application ont montré qu’il ne défendait que les intérêts des puissants et se sont avérés « préjudiciables à l’immense majorité d’entre nous ». Susan George s’attelle ensuite au fonctionnement des lobbies et méga-lobbies. Abondamment documenté, ce livre ouvre au lecteur les coulisses des négociations ayant trait à l’industrie agroalimentaire, à l’industrie pharmaceutique, à l’environnement ou encore aux traités de libre échange, qu’elles prennent place à Washington, Bruxelles, Davos, etc. Non sans un humour grinçant, Susan George brosse un portrait du parfait lobbyiste et en dévoile la panoplie de techniques et d’arguments : discrétion, temporisation, et art d’énoncer des contrevérités, du moins d’instiller le doute : « Si vous représentez les intérêts de l’industrie du tabac, des boissons alcoolisées, des produits chimiques ou des industries polluantes, vous devez apprendre à ignorer et à déformer la science. » Elle attire également l’attention sur le rôle, identique mais moins connu, d’organisations sectorielles « de plus en plus nombreuses à représenter les intérêts de vastes secteurs industriels » : instituts, centres, fondations, conseils… basés à Bruxelles ou Washington, financées par les entreprises qui ont besoin de ces vitrines. Susan George pointe d’ailleurs du doigt le système de « porte tambour » entre ces structures et le pouvoir politique, permettant « aux hauts fonctionnaires d’une agence réglementaire, de la Commission ou du Parlement [européens] d’être recrutés par le secteur privé, ou inversement », créant d’évidentes situations de conflits d’intérêts. Les activités de ces personnes et structures portent essentiellement sur la définition des normes comptables et fiscales, sur le marketing du tabac et de l’alcool, sur le climat, pour dicter des lois conformes à leurs intérêts. Susan George se penche particulièrement sur les traités internationaux et alerte sur le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement entre les États-Unis et l’Europe, préparé dès 1995 par le Dialogue commercial transatlantique et ce slogan qui se passe de commentaire : « «Approuvé une fois, accepté partout ». Traduisez : « Si nous, les ETN de part et d’autre de l’Atlantique, donnons notre feu vert, le reste du monde n’a plus qu’à suivre. » » Au terme d’une enquête rigoureuse, elle traque l’opacité entourant la composition des groupes de travail, réexplique les enjeux globaux : principe de précaution, normes et droit du travail, et surtout souveraineté et respect des institutions. Et de s’indigner d’une négociation visant à établir des exceptions pour la santé, pour l’environnement, pour la culture, etc. « La seule option décente serait de quitter la table des négociations, de refermer poliment la porte derrière nous et d’appliquer la politique de la chaise vide ». Susan George attire enfin l’attention sur l’Initiative de restructuration mondiale, lancée par le Forum économique mondial de 2009, visant à « opérer une fusion entre les Nations Unies et les transnationales, avec la participation éventuelle de quelques figurants issus de la société civile », c’est-à-dire à « confier aux renards la charge du poulailler ». En exergue de cet ouvrage d’utilité publique, cette éloquente citation de Tonny Benn lors de son discours d’adieu au Parlement britannique : « Au fil des ans, j’ai mis au point cinq questions démocratiques [à poser à une personne influente] : « De quel pouvoir êtes-vous investi ? Par qui ? Dans quel intérêt l’exercez-vous ? À qui êtes-vous tenu de rendre des comptes ? Et comment faire pour se débarrasser de vous ? » S’il n’est pas possible de se débarrasser de ceux qui nous gouvernent, c’est qu’il ne s’agit pas d’un régime démocratique ». CQFD.

 

Par Kenza Sefrioui

 

[1] Global Dreams. Imperial Corporation and the New World Order, Richard Barnet et John Cavanagh, New York, Simon & Schuster, 1994.

 

Des terroristes en quête de territoires

Des terroristes en quête de territoires

Auteur : Alexandre Adler

 

Les noms changent mais l’horreur est la même : GIA,  AIS,  Al-Qaëda, AQMI, DAESH (ISIS), Boko Haram… ont tous commis des meurtres ou commandité des assassinats au nom de Dieu.

Sous ces noms différents, une même idéologie a semé la terreur, justifiant, viols, assassinats, déplacements de populations… Dans son livre, Le Califat du sang, le journaliste Alexandre Adler, nous fait voyager du Maghreb à l’ Orient, d’Afrique du Nord jusqu’en Afrique Centrale pour suivre ces fous de Dieu.  

Pour commencer il nous conduit à la genèse d’Al-Qaëda qui, nous révèle-t-il, est d’inspiration …. marxiste. Aussi incroyable que cela puisse être : «Son père fondateur, Abdullah Azzam, était un universitaire d’origine palestino-jordanienne qui enseignait dans l’université la plus prestigieuse d’Arabie-saoudite. Sa réflexion portait sur la transposition du marxisme à l’islam politique de manière à féconder celui-ci. Il affirmait qui la doctrine marxiste, qui était fausse dans son principe puisqu’elle niait Dieu, avait malgré tout élaboré des solutions pratiques et techniques dont tout mouvement d’émancipation devait s’inspirer ». 

Mais le mouvement et l’idéologie d’Azzam sont vite récupérés par un radicaliste devenu célèbre : Oussama Ben Laden. Ce dernier commence sa propagande en aidant les pauvres, en construisant des autoroutes ... Au Soudan, le cheikh est vénéré. Ils est synonyme de bienveillance et accède au statut de grand sage.

Forte de ses nombreux adeptes, Al-Quëda essaye de s’installer au Soudan, au Tchad et au Centre-Afrique. Elle y trouvera sa plus belle expression en Afghanistan grâce à l’aide et la complicité de l’armée pakistanaise. Aussi, l’Arabie Saoudite et sa complicité  lui ont fait le plus grand bien. Mais le royaume des Al-Saoud se retira  après le 11 septembre, Al-Qaëda échappant  à leur contrôle. « C’est le moment où  Al-Qaëda rompt le cordon ombilical avec l’Islam conservateur saoudien et du golf persique, qui, non sans une certaine inquiétude, l’avait accompagné dans son mouvement ascendant ».

Mais on parle de moins en moins aujourd’hui de ces terroristes qui ont accompagné notre quotidien pendant de longues années. Al-Qaëda a été affaiblie. L’arrivée, d’autres « méchants » sur la scène médiatique l’a éclipsé. Aujourd’hui, Daesh effraie, défraie la chronique avec son drapeau noir et ses avancées spectaculaires.

Les rêves d’expansion du Califat sont bien plus précis: l’Etat Islamique en Irak et au Levant, l’a bien compris, il faut territorialiser le djihad et instaurer la Califat perdu en 1923 (à cause de Mustapha Kemal Atatürk). 

Le califat tant souhaité par Ben Laden, sera-t-il finalement réalisé par Al-Baghdadi ? Rien n’es moins sûr !

 

L’Afrique et la route du pèlerinage

A l’heure où l’on se sent cerné de toutes parts par le terrorisme, Adler ose affirmer pourtant : « Jamais les islamistes n'ont été aussi faibles à l'échelle de l'Orient islamique. On est en train d'assister aux spasmes d'un mouvement entraîné dans une décadence irrémédiable ». Toujours selon l’auteur de cet essai, si les Daesh entrent dans l’Irak  chiite ils se feront massacrer. Et pour cause, l’Iran fait aujourd’hui écran à Daesh et les Etats-Unis ont tout intérêt à composer avec.  On en voit déjà les prémices et les négociations du nucléaire iranien vont bon train depuis quelques temps. L’ennemi d’hier devient l’allié d’aujourd’hui. L’Iran tire profit du conflit et va entrer par la grande porte, après des années d’embargo, dans la communauté internationale !

Au Maghreb, Al-Qaëda a récupéré une fraction de l’AIS en Algérie. Aqmi est né avec cette même idée de territoire en s’alliant à des anciens de la branche armée du FIS. Ces dissidents qui ont œuvré sous l’emblème du GIA ont refusé la réconciliation nationale prônée par le président algérien Bouteflika. Aujourd’hui Aqmi,  continue de manœuvrer –à plus faible échelle- en Algérie et revendique toujours des assassinats dans le pays.

L’Afrique n’est pas en reste et les nombreux conflits qui secouent la terre-mère portent l’étendard du religieux. Mais toutes les tueries et les massacres que nous vivons  aujourd’hui, trouvent leurs origines dans des politiques mises en place depuis de nombreuses années.

Le dictateur lybien Kaddafi dans ses délires hégémoniques avait, par exemple, entrainé des groupes Touaregs et a formé les cadres du « mouvement de libération de l’Azwad ». Ce mouvement est composé essentiellement de Touareg maliens. Par ailleurs, « Un certain nombre de pouvoirs et de personnalités du Moyen-Orient donnent de l’argent à Aqmi, afin de soutenir l’aile radicale du mouvement de l’Azwad. C’est ainsi qu’Ag-Ghali, fort du soutien politique et militaire qui lui est accordé, ouvre les portes de ce territoire malien du Nord en train de se décomposer, à des djihadistes venus de toute la région ».

Cette pénétration africaine de mouvements islamistes radicaux soutenus par les pays du Moyen Orient n’est qu’un premier opus. Très vite Le Boko Haram (l’instruction occidentale est impie), arrive à la rescousse. Le Califat africain est en marche. Selon l’auteur, le mal du Nigéria vient de la disparition de l’animisme africain. Dans les années 50 l’Islam et le christianisme étaient des religions assez minoritaires dans la région. Mais des campagnes de prosélytismes soutenues ont laissé progresser des formes agressives des deux religions monothéistes donnant naissance à des mouvements radicaux comme le Boko Haram qui actuellement « possède ses bases vitales dans le Nord-Est du Nigéria, lesquels mordent sur le Cameroun voisin et sur le Tchad, zones qui permettent d’accéder à la route de pèlerinage, vers la Soudan d’abord, puis vers La Mecque ensuite » mais  les voies du Boko Haram restent, malheureusement, impénétrables…

 

Par : Amira Géhanne Khalfallah

Le califat du sang

Alexandre Adler

Grasset

125 pages . 176 DH 


2014 Connected World Technology Final Report

2014 Connected World Technology Final Report

Auteur : CISCO

2020 d’après  les plus connectés 

Quel avenir pour le travail humain ? Cisco Systems, leader mondial des réseaux est une entreprise informatique américaine spécialisée dans le matériel réseau et les serveurs. Avec un  résultat  net de 10 milliards $ (2013) elle fait partie des mastodontes étatsuniens de ce secteur. Elle répond à cette question par un rapport étoffé, issu d’une grande enquête. Le rapport 2014 sur l’avenir du  travail dans les pays « connectés »  rend compte des interactions  entre technologies d’information et travail  dans les 15 pays suivants : Les Etats Unis, le Canada, le Mexique, Le Brésil, la Grande Bretagne, la France, l’Allemagne, les Pays Bas, la Pologne, la Russie, l’Inde, la Chine, le Japon, la Corée Du Sud et l’Australie.

L’échantillon de cette enquête a porté sur plusieurs catégories de cadres ; la première catégorie (Gen X)  est composée de 1388 personnes âgées de 18 ans à 30 ans qui travaillent déjà. La deuxième catégorie  (Gen Y) de 1524 personnes travaillantes et âgées de 31 à 50 ans. La troisième catégorie (RH) concerne 827 personnes responsables des ressources humaines dans les entreprises. L’ensemble de l’échantillon a été interviewé entre le 22 janvier et le 17 mars 2014.

 

Que se passe t il chez les plus connectés ?         

Lapidairement, le premier  constat c’est que le smartphone  et les apps sont en train de se substituer à tous les autres équipements, y compris dans leur fonction de base. Le deuxième  constat se fait sentir au niveau des mentalités et des compétences. On se dirige vers un modèle de salariés  constamment « connectés »  et qui sont quelque part « surdoués » .On parle dans cette enquête de « supertaskers » avec  des personnes qui arrivent à accomplir simultanément de nombreuses tâches cognitives et peuvent utiliser plusieurs technologies pour gérer des activités simultanées. Troisième constat une tendance forte  vers le travail à distance et une flexibilité dans les horaires.  

Mais par-delà ces quelques aspects, l’enquête comporte de nombreux enseignements. Six personnes sur dix de l’ensemble de l’échantillon prennent toujours des notes sur papier  au cours de leur travail, 13% seulement le font à travers leur Smartphone. Mais la majorité estime que l’usage des Smartphones et des applications faciliterait mieux le travail et économiserait mieux celui-ci en comparaison avec les ordinateurs de bureaux, les bloc-notes et le reste.

La moitié presque de l’échantillon reconnait qu’elle traite des affaires de boulot alors qu’elle est au volant, l’usage du Smartphone pour communiquer est de plus en plus fréquent tant au niveau des contacts à partir du bureau qu’à l’extérieur. Le téléphone fixe du bureau est en perte de vitesse. La moitié  affirme aussi qu’elle règle  souvent des problèmes du bureau en parlant ou répondant  au téléphone en pleine circulation ! Les deux tiers de l’échantillon utilisent au moins 10 applications de leur Smartphone quotidiennement, la plupart des responsables des ressources humaines préfèrent l’usage du Facebook  mais  les russes  s’adonnent à Tumbir  et Snapchat ,  en Chine  ce dernier est très populaire. Les interrogés sont prêts à céder l’accès à leurs données privées si leur patron  acceptait de leur offrir gracieusement des Smartphones. Et qu’est ce qui serait dramatique pour notre échantillon ? Réponse : le vol de son Smartphone!

Environ 4 sur 10 professionnels croient que les portails  vont disparaître et seront  remplacés par les applications dans les prochaines années. Près de la moitié des interrogés regardent leurs Smartphone en premier à leur réveil  le matin au lit ! (L’échantillon japonais fait exception puisqu’il affirme regarder la télé en premier).Et le comble , l’échantillon se divise presque à égalité entre ceux qui devant  l’obligation de choisir  acceptent de sacrifier leur vie sexuelle pendant un mois au lieu de renoncer à leur Smartphone pendant la même période. Significativement, la plupart des pays asiatiques n’y trouve rien de surprenant, ils accepteraient  de sacrifier le sexe pendant un mois, notamment plus de 7 sur  10 professionnels au Japon choisiraient de maintenir leur Smartphone  et de renoncer  au sexe !

 

Le virtuel semble traduire fidèlement les relations humaines

Autre constat est la confiance totale dans  les avantages du virtuel. Six sur dix parmi les responsables des ressources humaines se disent, en effet, prêts à embaucher sans entretien direct, se suffisant de vidéo- conférences. 40% considèrent que les qualités personnelles des candidats comptent plus que les autres aspects dans le recrutement mais ces qualités seraient vérifiables par le biais des contacts virtuels. 

Un quart  des interrogés ont affirmé que leur compagnie les autorise à travailler chez soi. 40% en Inde et aux Pays bas sont autorisés à travailler à partir de leur domicile, alors que le tiers des interrogés ont déclaré préférer travailler à partir de chez eux et pensent mieux épargner leur  temps et autres coûts ainsi au lieu de les dilapider dans les transports.

Le rapport nous informe, par ailleurs, que le tiers de l’échantillon se déplace de chez lui au boulot à  travers des transports en commun. La plupart se considère joignable professionnellement 24 h sur 24 et 7 jours sur 7  même si ce n’est pas une norme établie ; au Brésil les interrogés ont affirmé être joignables aussi  par mail et par tel. Et tous évoquent un avenir où les salariés doivent l’être comme obligation.

 

Robots et planète mars se rapprochent de nous !

A propos du travail à distance l’enquête apporte aussi des réponses éclairantes. La majorité estime  qu’une  entreprise  qui adopte un modèle de travail flexible, mobile et à distance,  a un avantage concurrentiel sur une organisation qui exige de ses employés de  travailler pendant les horaires de travail à l’officine. La plupart des responsables des ressources humaines affirment que leurs employeurs sont déjà engagés pour parvenir à une flexibilité du travail de leurs employés. Le quart de tout l’échantillon croit que la moitié des entreprises auraient déjà pris en charge  le travail à domicile dès l’année 2020. Mais Les bureaux physiques vont continuer à exister, la moitié de l’échantillon indiquant qu'il y aura toujours un besoin de ceux-ci dans l'année 2020. Seulement, ils seront des locaux plus  petits. Ce sont, dans l’échantillon des interviewés, les chinois qui le disent en majorité ! Fini le temps des sièges fastes et imposants  que les décideurs Marocains continuent d’ériger encore aujourd’hui !

Environ 3 sur 10 professionnels pensent que les voitures seront autopilotés en l'an 2020, ce qui rendra leur trajet plus facile car les usagers seront en mesure de travailler dans les voitures comme cela se fait déjà dans les  trains ou les bus aujourd’hui. Au moins la moitié des professionnels en Inde et la Chine croient que les voitures seront  autopilotées dans un proche avenir. La plupart des professionnels croient que les travailleurs à revenu moyen auront dans le futur  des robots pour les aider (avec planification, coordination, gestion de projet, assistance technique, etc.); si  7 sur 10 pensent que 2020 sera encore tôt  pour cela  en  2030 la probabilité est plus forte selon les réponses d’y arriver.  ¼  des interrogés se dit prêt à partir vers une autre planète si la société où il travaille l’exige.

 

Par : Bachir Znagui


Pensée unique et totalitarisme du marché

Pensée unique et totalitarisme du marché

Auteur : Richard Brouillette

 

Tourné en 2008 et d’une totale actualité, le documentaire de Richard Brouillette démonte la préparation idéologique, par le néolibéralisme, au redéploiement de la concentration du capital et du colonialisme.

Une société privée, Channel One, fournit du matériel (ordinateurs, etc.) à des écoles américaines, ne demandant en contrepartie que la diffusion auprès des élèves d’émissions réalisées par elle – bien entendu entrecoupées de publicités. Sous couvert d’apprendre la nutrition, l’environnement, etc. (avec telle ou telle marque), des entreprises prennent les enfants pour une clientèle captive qu’elles livrent aux annonceurs. Cet exemple, un des nombreux évoqués dans L’encerclement, la démocratie dans les rets du néolibéralisme, est une illustration très claire du sens réel du néolibéralisme. Ce documentaire de Richard Brouillette interroge en effet les soubassements idéologiques de ce courant aujourd’hui hégémonique, qui est tout autant un programme économique et politique qu’un mouvement de pensée appuyé sur « un réseau planétaire de propagande ». Le réalisateur québécois confie avoir voulu faire un film « non pas sur la mondialisation de l’économie – comme il y en avait déjà plusieurs – mais plutôt sur la mondialisation d’un système de pensée ». Il lui a fallu douze ans de travail pour boucler cette fresque passionnante, racontée par treize chercheurs, journalistes et militants, parmi lesquels le linguiste américain Noam Chomsky, l’économiste français Bernard Maris, la cofondatrice d’ATTAC, Susan George, ou encore le sémiologue et éditorialiste Ignacio Ramonet. Ce dernier rappelle d’ailleurs la définition des régimes totalitaires, qui ont « vocation à régir tous les aspects d’une société » et remarque que la loi du marché, proposée comme solution unique à tout et qui s’est imposée comme pensée unique, relève de la même logique. Tous ces intervenants, qu’ils rappellent l’histoire de ce courant néolibéral dès les années 1920 – alors même que triomphaient, dans les démocraties comme dans les dictatures, les principes d’une économie planifiée –, qu’ils détaillent les points cruciaux de cette pensée ou se livrent à leur critique méthodique, se posent une même question : comment en est-on arrivé à cette hégémonie qui a conduit à une telle transformation du sens des activités humaines ?

 

« Socrate serait-il employable ? »

Sur ce sujet abondamment traité, l’apport le plus important du film (outre la clarté et l’efficacité de son récit) est la mise en lumière de la stratégie de prise de contrôle, par les tenants du néolibéralisme, des instances de formation de l’opinion. D’un côté l’école, dévoyée de système d’éducation en système de formation professionnelle. De l’autre les médias, imposant une « société où l’information était devenue reine, mais le développement de la connaissance révolu », remarque Richard Brouillette. Dans les années 1920, l’embryon néolibéral s’est formé autour d’une maison d’édition, la Librairie de Médicis, proche du patronat. Il y a eu ensuite, dans le sillage de la Société du Mont Pèlerin, les think tanks, dont la réussite a été de réunir à la fois des intellectuels, des patrons et des décideurs politiques. Think tanks qui rédigeaient programmes politiques, articles pour la presse, etc., jouissaient souvent du statut d’utilité publique permettant à leurs soutiens d’obtenir des abattements fiscaux, et qui, d’après la loi, n’avaient pas le droit d’exercer une action politique. Or, relève le réalisateur, aucun de ces groupes n’a jamais été ennuyé pour cette confusion… Leur efficacité a même influencé la réflexion d’Hitler sur la propagande.

En ce qui concerne l’école, elle est l’objet de toutes les attentions des néolibéraux depuis trente ans : marché rentable, elle permet de « s’emparer du cerveau des gens », insiste Normand Baillargeon, professeur en sciences de l’éducation à l’Université du Québec à Montréal. Plus question de former des citoyens capables de penser aux sujets politiques au-delà de leurs intérêts particuliers, en leur donnant une culture et un savoir : il s’agit de former des gens « employables » du point de vue des entreprises. Omar Aktouf, professeur de management à HEC Montréal, donne cette sombre explication du concept d’« employabilité » : « Au niveau supérieur, on forme des technocrates analysant des problèmes, à qui on fait croire qu’ils sont intelligents, alors que l’intelligence consiste à formuler des problèmes appelant des questions. On confond donc penser, et analyser et calculer sans états d’âme, donc sans ce qui fait l’humain. Au niveau intermédiaire, on forme des techniciens producteurs, serviteurs de machines automatisées, dépossédés de la supériorité de l’homme sur la machine. Et au niveau inférieur, on ne forme plus. 45 % de la main d’œuvre des multinationales est analphabète. Un employé sur 4 ne sait ni lire ni écrire, ne pense pas et défend le système qui les broie ». La notion même de « capital humain », s’inquiète Normand Baillargeon, permet d’appliquer les théories économiques à l’humain. Tous s’inquiètent de la perte de sens des activités intellectuelles et de la dictature de chiffres qui masquent autant qu’ils annoncent, par l’omission de données sociales, comme le seuil de pauvreté, l’accès aux soins, le niveau d’éducation, l’environnement…

Cette rhétorique a permis de propager la doctrine néolibérale et de la doter d’un « statut d’évidence ». Les médias la présentent comme un fait accompli, sans demander aux gens leur accord, comme quelque chose d’inéluctable. Naturalisation, donc dépolitisation qui « dissuade le citoyen de croire en son propre vote », s’indigne un chercheur. Le matraquage repose sur l’équivalence fallacieuse entre répétition et vérité, note Ignacio Ramonet, et produit une « anesthésie des consciences ».

Et les conséquences sont bien connues : le sapement de l’État social au profit du marché dans les démocraties occidentales, la violence néocoloniale ailleurs. L’enjeu du néolibéralisme est de permettre la concentration des richesses aux mains d’une minorité, par la persuasion, le jeu faussé des institutions internationales comme le FMI, la Banque mondiale, l’OMC et son Organisation de règlements des différents, ou par la force. En créant des « mosaïques de protectorats » où des banques centrales, comme en Bosnie Herzégovine, sont de simples bureaux d’émission sans possibilité de création monétaire et où les structures sont contrôlées par des étrangers. Donc au prix de la démocratie elle-même.

Le film, sorti en 2008, a reçu de nombreux prix, dont la mention spéciale du jury du Prix Amnesty International en 2009. Les récents développements, avec la crise en Europe et les révolutions arabes, montrent que sa démonstration, limpide et palpitante, est d’une brûlante actualité.

 

Par : Kenza Sefrioui

 

L’encerclement : la démocratie dans les rets du néolibéralisme

Documentaire de Richard Brouillette

160 min., 2008, http://encerclement.info

 

 


La nouvelle société du coût marginal zéro

La nouvelle société du coût marginal zéro

Auteur : Jeremy Rifkin

Le prosommateur : le consommateur-producteur est en marche

La nouvelle société du coût marginal zéro, le nouvel essai de l’Economiste Jeremy Rifkin ne manque pas de sous-titres : l’internet des objets, l’émergence des communaux collaboratifs, l’éclipse du Capitalisme... Avant même d’ouvrir le livre, d’entamer la lecture, la couverture nous donne le ton, les orientations de ce nouvel opus économique qui sonne le glas, une fois encore, du capitalisme.

Après, La troisième révolution industrielle, cet auteur revient pour appuyer ses lignes, étayer sa thèse par des exemples très concrets. Un livre catégorique mais nuancé où se côtoient sans difficulté théorie et pratique. Le présent et le passé se rencontrent aussi dans cet ouvrage. Des pratiques anciennes oubliées depuis longtemps, reviennent au goût du jour et Rifkin nous raconte leur histoire. 

A ce propos, il dédie tout un  chapitre aux communaux collaboratifs et nous emmène à la découverte de ce vieux mode de fonctionnement qui prend aujourd’hui de plus en plus d’ampleur. « Un nouveau système économique entre sur la scène mondiale : les communaux collaboratifs. C’est le premier paradigme  économique à prendre racine depuis l’avènement du capitalisme et du socialisme au début du XIXème siècle. Les communaux collaboratifs transforment notre façon d’organiser la vie économique : ils permettent de réduire considérablement l’écart des revenus, de démocratiser l’économie mondiale et de créer une société écologique durable ».

Car  qu’on le veuille ou pas, le  tandem charbon-pétrole est en décroissance et va vers une disparition totale. La mutation est déjà en marche même si certains refusent de la voir. Rifkin nous propose de retourner vers ce mode de fonctionnement ancien qui a été décriée par Les lumières et quelques économistes, « éclairés ». Il nous propose ainsi de revenir aux communaux d’avant le capitalisme. Lorsque le monde fonctionnait  selon un autre principe de gouvernance. « Il existe en dehors de la propriété purement privée et de la « propriété publique » contrôlée par l’Etat, une forme distincte de « propriété publique par essence » qui n’est pleinement contrôlée ni par l’Etat, ni par des agents privés. C’est une propriété « possédée » collectivement et gérée par la société en général, avec des droits d’une autre nature, et en fait plus forts, que ceux d’un quelconque administrateur de l’Etat »

En clair, entre le diktat de la propriété privée (le fait de placer les richesses entre les mains d’une personne ou d’un groupe de personnes), et celui d’un Etat qui contrôle tout, une brèche s’est ouverte à nouveau : celle d’une communauté de partage et le capitalisme va devoir s’en accommoder.

Mais ce n’est pas le seul changement qui s’opère dans la société, nous dit l’économiste.

Aujourd’hui, nous précise-t-il sans ambages, les écologistes et les hackers font cause commune.

Les biologistes sont, en effet, en train de collecter les données les plus gigantesques de l’histoire en matière de génome, s’appuyant sur l’informatique. Combiner biologie et informatique n’a rien de nouveau mais ce qui est révolutionnaire en revanche, c’est le fait de créer des environnements biologiques virtuels et des écosystèmes qui permettent de générer des molécules synthétiques en quelques clics. Des interactions entre les différentes particules s’opèrent en un temps record ! «L’usage du nouveau langage informatique pour restructurer  la société a réuni des intérêts variés, notamment les hackers de l’information, les hackers de la biologie, les hackers de la 3D et les hackers du web propre » !

D’ici dix ans, les imprimantes 3D vont se démocratiser. Nous allons construire nos propres voitures, nos propres objets du quotidien… Ces affirmations font toujours sourire. Mais cette « science-fiction » est en phase de devenir une proche réalité. La machine est déjà en marche et nous allons devenir tous….producteurs ! : De la production de masse à la production des masses, se réjouit l’auteur.

Notre société moderne et le capitalisme nous ont inculqué des valeurs d’exclusion.

Une des ses plus emblématiques expressions peut être incarnée par l’invention de l’automobile. Cette machine est devenue synonyme de liberté, le symbole de la réussite. Mais depuis quelques années, la donne est en train de changer. « En 2012, 800 000 personnes  aux Etats-Unis avaient souscrit à un service d’auto-partage. Au niveau mondial 1,7 million de personnes partagent des voitures dans 27 pays », « en 2009, chaque véhicule partagé remplaçait 15 voitures de particuliers », «Les revenus de partage de voitures  devraient croître encore plus vite en Amérique du Nord, où ils dépasseront les 3 milliards de dollars en 2016 », nous précise encore l’économiste.

Toutes ces statistiques et ces études convergent vers la même conclusion : l’économie de partage est déjà là et nous sommes en train de vivre les débuts du système économique hybride.  

Aujourd’hui la société s’organise, crée une dynamique économique interne, change progressivement les choses et déplace les curseurs. 40 % de l’humanité est connectée à internet. Elle sera portée quasiment à 100 % dans les deux décennies qui arrivent.  L’internet des objets sera accessible à tous. « Chacun d’entre nous pourra potentiellement devenir producteur d’information, de culture, d’objets… Chacun pourra devenir prosommateur, à la fois consommateur et producteur ».

Tout au long de ce livre, Rifkin semble nous dire une seule chose : l’économie n’est pas une simple théorie mais une pratique de tous les jours. Nous sommes tous acteurs et penseurs de ces changements et il est temps que chacun prenne l’économie en charge. Cette économie que nous produisons tous les jours !

 

Par : Amira-Géhanne Khalfallah

 

Jeremy Rifkin

La nouvelle société du coût marginal zéro

Les liens qui libèrent

509 pages

325 DH


Où est passé le droit du travail ?

Où est passé le droit du travail ?

Auteur : Rajae Mejjati Alami

 

L’étude de Rajaa Mejjati Alami sur le secteur informel met en lumière la régression du salariat et la montée de multiples formes d’emploi précaires.

C’est un tableau détaillé. La socio-économiste Rajaa Mejjati Alami, consultante en aide au développement, est l’auteure de nombreux travaux sur le marché du travail, les questions de genre, la pauvreté et le travail des enfants. Elle présente ici le fruit de vingt ans de travaux, une étude précise du secteur informel au Maroc. D’emblée, elle insiste sur la complexité du phénomène. Son premier chapitre est consacré aux définitions, tenant compte de la capacité du secteur informel à créer des emplois, des secteurs couverts, de son opposition au « secteur moderne », de ce qu’il représente comme « débrouillardise populaire » et comme solidarité, ainsi que de ses rapports à la légalité. Secteur en voie d’absorption ? Secteur palliant le sous-emploi et le chômage ? Secteur marginal ? Secteur de petite production soumis au secteur formel ? L’informel est tout cela à la fois. « Dans le sens commun, il est synonyme de pauvreté, d’activité de rue, d’absence de cadre réglementaire ». Le propos de Rajaa Mejjati Alami est surtout politique : « Le contexte d’aggravation des équilibres budgétaires et financiers de l’État, la montée de la pauvreté et de l’emploi indépendant, la hausse du chômage urbain au cours des deux dernières décennies réactualisent le débat et font une large place à la lutte contre l’informel. […] Les organismes internationaux et les pouvoirs publics […] redécouvrent ses vertus, le considérant comme la solution miracle à la crise de l’emploi et, de plus en plus, aux déséquilibres budgétaires. » Depuis les années 1980, les thuriféraires des politiques d’ajustement structurel ont applaudi la « flexibilité » du secteur informel, « notamment celle des rémunérations qui permet une baisse des salaires dans une conjoncture difficile, baisse d’autant plus réalisable qu’elle s’opère dans le cadre de rapports familiaux de travail et en l’absence de respect de la législation du travail ».

Rajaa Mejjati Alami rappelle les grandes tendances macro-économiques qui ont déterminé l’expansion du secteur informel : exode rural, « faiblesse de la salarisation » dans un secteur industriel trop peu employant, faiblesse de l’État-providence amenant les citoyens à subvenir par ce biais à leurs besoins sociaux, conséquences de l’ajustement structurel dans les années 1980, puis du post-ajustement et de la mondialisation. Au final, relève la chercheuse, « non seulement l’emploi recule, mais il se complexifie, générant des modes de réinsertion qui se manifestent par la simultanéité de l’emploi dans le secteur formel et dans le secteur informel ». Et de définir le secteur informel comme « une variable d’ajustement pour les travailleurs qui perdent leur emploi, au détriment des normes de travail décentes ». Elle insiste également sur le lien direct entre marché de l’emploi et santé des secteurs d’exportation, eux-mêmes liés aux aléas des marchés extérieurs. Elle souligne d’autre part la « formalisation incomplète de l’emploi déclaré » et le fait que la montée des services et du commerce procède moins d’une transformation de la structure productive que de l’élimination de travailleurs du secteur industriel. Éviction qui s’opère non « sous le même statut de salarié mais sus le statut de non-salarié (indépendant, petit associé ou aide familial) ». Sous la pression du chômage, ce sont donc des formes multiples et de plus en plus précaires de travail qui se banalisent. Et qui touchent d’abord les plus fragiles : les femmes et les enfants. Rajaa Mejjati Alami déplore que le système productif marocain ait pour principale caractéristique « d’entretenir la précarité de l’activité féminine ». De même, elle déplore que malgré une tendance à la régression et malgré le fait que la Maroc ait ratifié plusieurs conventions internationales et dispose d’une législation protectrice, le travail des enfants constitue encore une masse non négligeable.

 

Des normes multiples

Dans un second temps, l’auteure analyse les dynamiques endogènes du secteur informel : ses formes d’organisation, ses atouts, ses contraintes. Elle utilise les points de repère de la création d’une entreprise classique (création, développement), ainsi que ses critères d’évaluation (financement, processus de production, insertion sur le marché des biens, rapport à la concurrence, sous-traitance, etc.) Elle se penche surtout sur les relations de travail, qu’elle envisage à travers les filtres du nombre, de la qualification, des réseaux de recrutement et des statuts des travailleurs, concluant à « l’instabilité juridique » générée par des rémunérations irrégulières, dépendant de l’appréciation du patron et revêtant « l’aspect d’une récompense plutôt que d’un salaire ». Dispensées sous forme d’avances, elles ont pour but de « dissuader l’ouvrier de quitter l’unité [et de] contrecarrer l’indépendance financière ». Tout ceci va bien entendu à l’encontre du droit du travail… Lieu refuge face au chômage, le secteur informel est donc rarement un choix.

Rajaa Mejjati Alami fait ensuite un tour d’horizon des politiques étatiques et de l’environnement institutionnel (réglementaire, fiscal et social) face à l’informel, et remarque la marginalité du secteur dans les visions de développement. Le chapitre le plus intéressant du livre est celui sur les perspectives de politiques pour le secteur. La chercheuse appelle à des actions différenciées selon les situations, afin de permettre l’accès au crédit, de proposer une fiscalisation progressive, non forfaitaire mais tenant compte « des capacités de production réelles », de réglementer pour lutter contre les inégalités et permettre l’accès à la formation. S’il fallait retenir un mot de ce livre-inventaire, ce serait de renoncer aux approches globalisantes pour adopter une attitude pragmatique, tenant compte de la dimension culturelle du développement et replaçant institutions et valeurs démocratiques au cœur de la problématique.

 

Par : Kenza Sefrioui

 

Le secteur informel au Maroc

Rajaa Mejjati Alami

Les Presses économiques du Maroc, 172 p., 70 DH


Sans rupture de développement, le soulèvement dure

Sans rupture de développement, le soulèvement dure

Auteur : Gilbert Achkar

A travers son livre, Le peuple veut, Gilbert Achkar propose une exploration radicale du soulèvement arabe. Et par nombre d’aspects, elle l’est, car « le peuple Veut » constitue reconnaissons-le -un travail colossal, très bien documenté, de plus de 400 pages, sur la nature des sociétés, des économies et des Etats de la région.

Quelles sont les modalités particulières du développement du capitalisme dans la  région du Moyen orient et de l’Afrique du nord ? C’est à cela que Gilbert Lachkar  s’est attelé  en premier lieu à travers une analyse  exhaustive ; la dernière partie survient toutefois dans un contexte d’immédiateté où les événements sont toujours en cours de déroulement ce qui pourrait affaiblir l’approche méthodologique. Trait particulier aussi, Lachkar se réfère  constamment à l’analyse marxiste des forces et des rapports  de production. En effet  une panoplie de facteurs économiques et politiques ont accouché  d’après l’auteur d’une variante spécifique du mode de production capitaliste  installée dans ces pays, bloquant le développement de leur économie et celui de leurs populations.

Il retient de son approche marxiste la thèse du conflit entre le développement des forces productives et des rapports de production pour explorer ses expressions et ses effets dans la situation arabe. Il va jusqu’à recourir à Althusser et son concept de surdétermination pour y parvenir ; notamment dans le contexte des « printemps » où il montre les limites du “tsunami islamique” et aborde ces soulèvements comme le point de départ d’un processus révolutionnaire au long cours, non comme une éruption aboutie.

Crise de développement

Une analyse concrète des forces sociales en présence et un bilan d’étape, pays par pays, l’amène à son premier constat : la région Mena est celle qui connait la crise de développement la plus aigue ; avec un faible taux de croissance du PIB/habitant et une forte croissance démographique ; la situation sociale des populations de la région pourrait être résumée selon l’auteur en une triade : pauvreté-inégalités-précarité. Le Qatar, le pays le plus riche de la région en chiffres relatifs à la population n’échappe pas à cette règle, les inégalités de revenu au sein de chacun des pays arabes sont aussi les plus élevée du monde entier. Par des grilles variées allant du  poids du secteur informel, de la situation du chômage en général, celui des diplômés en particulier, le sous emploi des jeunes et des femmes… les critères qui illustrent les blocages socio économiques sont étalés.

Le poids des économies de rente dans le monde arabe est considérable ; la plupart des Etats tirent leurs principaux revenus des exportations de ressources extraites de leur sol (pétrole, minerais ….)ou d’autres biais ; les Etats acquièrent ainsi un degré maximal d’indépendance par rapport à leurs populations, de même la nature de leur pouvoir les placent tous ou presque sur une échelle qui les intègre dans les rangs des régimes « patrimoniaux » ou « néo patrimoniaux »,c'est-à-dire  de pouvoirs autocratiques, absolus et héréditaires .De même le capitalisme dominant dans la région est « aventurier, spéculatif et commercial »  politiquement déterminé par la nature et les structures du pouvoir .

Les particularités du développement socioéconomique de la région arabe seraient surtout le résultat d’une mutation enclenchée dans les années 1970 au sein du système régional formé au cours des deux décennies précédentes. Ce qui  amène notamment l'auteur à mettre l'accent sur les retombées des politiques néolibérales et du désengagement de l'Etat dans les pays arabes. Il insiste sur la faiblesse des investissements publics dans la région et sur le caractère moribond du secteur privé local.

Les facteurs non économiques

Gilbert Lachkar consacre des passages de son analyse à la stratégie des industries des armes dans les conflits  qui marquent la région. Il aborde aussi les politiques américaines et leurs jeux  complexes avec les frères musulmans, l’Arabie Saoudite, le Qatar …Il n’omet pas de mentionner aussi le rôle d’Al Jazira dans ses différents  soubassements  son impact dans le bouleversement du paysage médiatique de la région et son effet dans l’émergence relative d’une opinion publique autonome dans ces pays.  

A la veille du printemps dit arabe, Gilbert Lachkar note l’absence dans la région de forces politiques organisées porteuses de projets révolutionnaires Dans son analyse des nouveaux acteurs qui ont émergé, il a cherché les acteurs du changement  jusqu’aux  catégories des utilisateurs d’internet et des réseaux sociaux, les implications politiques  potentielles, l’inévitable question des « classes moyennes » etc..Ses conclusions découlent de la nature des Etats dont la plupart sont fondés sur des combinaisons du tribalisme, du confessionnalisme et du régionalisme. L’auteur a tenté une explication de la persistance de ces facteurs archaïques dans le contexte d’une intégration dans le système du capitalisme   mondial.

Dans son avant dernier chapitre intitulé « bilan d’étapes du soulèvement arabe »,il procède à une analyse transversale des six composantes majeures de celui-ci ; La Tunisie, l’Egypte, le Bahrein ,le Yémen, la Libye et la Syrie. A travers toutes les péripéties des événements, les implications internationales et toutes les contradictions, l’auteur constate que finalement le tsunami islamique a été d’une ampleur limitée. Il écrit « il faut filer la métaphore jusqu’au bout. Le Tsunami est un phénomène provisoire, il aboutit rarement à un engloutissement permanent. »

Perspectives politiques

Qu’en est-il de l’avenir ? Lachkar  opère d’abord une comparaison entre les frères musulmans égyptiens et des militants d’Annahda en Tunisie avec l’AKP en Turquie. Ce dernier est le résultat dit-il de la transformation néolibérale engagée par ce pays réalisant la convergence de son capitalisme  « périphérique » (la bourgeoisie pieuse) avec la majorité du grand capital turc avec des atouts économiques importants(marché intérieur, exportation,..).Les frères musulmans et Annahda sont loin de partager ces  composantes avec le modèle Erdogan. Les forces de l’islamisme dans le monde arabe partant de parcours différenciés et de conditions autres , demeurent des expressions de la crise qui persiste. Le soulèvement arabe est suspendu selon Gilbert Lachkar à l’émergence de forces politiques organisées en mesure de canaliser les aspirations des peuples de cette région à la liberté et au développement. « Pour le moment, la principale réalisation de ce soulèvement est que les peuples de cette région ont appris à vouloir, » et il conclut « le soulèvement arabe n’en est encore qu’à ses débuts, l’avenir dure longtemps, écrivait le General De Gaulle dans ses mémoires de guerre, une belle formule d’espoir » !

Ce livre, écrit avant l’accès du General Sissi au pouvoir et de la nouvelle constitution tunisienne a dessiné surtout les impasses qui prévalaient avant ces développements. Il a cependant noté à juste titre que si  les soulèvements ont abouti à un changement de régime en Tunisie ou en Egypte. Ceux-ci  demeurent  sous la forte influence des économies du Golfe. Les pouvoirs  ne proposent  toujours pas un modèle de développement économique cohérent en rupture  avec le passé.

Enfin, l’ouvrage en lui-même reprend une certaine tradition de la gauche marxiste arabe  dans le développement des analyses politiques sur la situation dans la région ; celles-ci se font de plus en plus rares depuis plus de deux décennies avec le recul de la présence des mouvements de gauche sur la scène politique arabe. De point de vue même de la diversité, où du fait avéré de la l’absence des productions  de ce genre  dans la bibliographie da la région, le travail de Lachkar mérite toute l’attention.

 

Par : Bachir Znagui, Journaliste-consultant, Cesem-HEM

 


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