Digressions sur la communication électorale
Ecrire, la veille du scrutin, sur des élections ne sert à rien. Les choix sont faits. Les têtes sont saturées. Les chemins sont pavés de feuilles volantes. Le ras-le-bol de tous ceux qui désespèrent est à son apogée. Et puis, ce n’est ni le temps des bilans ni même celui des pronostics. Personne n’a assez de données ni même de prévisions étayées pour s’y aventurer. Et pourtant, en suivant quelques tendances médiatiques, je me suis dit que cela valait le coup de les mettre côte à côte. Peut-être bien que, de la somme de ces digressions, se dégagerait des pistes de lecture possibles.Pourquoi les gens vont voter au Maroc ? Du brouhaha général, se dégagent deux formes de réponses répétées à satiété. Les plus réalistes disent : pour aider quelques notables locaux ou militants fiables à occuper des places de choix. Et les plus cyniques rétorquent : pour s’assurer que la fable démocratique ne va pas être rompue. Les médias mainstream choisissent souvent de parler des élections comme si c’était une opération rationnelle qui allait amener des entités structurées à gouverner. Il faut aller lire des blogs discrets ou des pages de réseaux sociaux d’acteurs avisés, pour comprendre que les élections au Maroc sont, en grande partie, un marché de dupes où des personnages séduisent le public pour les aider à s’approcher du pouvoir faute de pouvoir l’exercer, ou au mieux ouvrir des brèches pour mieux gouverner ultérieurement.Oui, mais là, demain, pourquoi les gens iraient voter ? Je ne parle pas là des fonds de militants acquis à la cause d’un parti ou aux intérêts d’un candidat, mais de la majorité de votants potentiels. Qu’est-ce qui les motiverait à aller donner leurs voix ? De ce que je lis et observe, trois formes de réponse sont avancées. La première appelle à voter contre l’existant, parce qu’il n’aurait pas été probant et pourrait s’avérer contre-productif. La seconde incite à entretenir le jeu tel qu’il se déroule en huilant la machine et en faisant tourner les effectifs, au profit de profils plus débridés. Et la troisième propose de favoriser des gens plus probes et moins corrompus dans l’espoir de dépolluer le cénacle politique et ouvrir une brèche d’espoir pour l’avenir.Et que gagneraient les gens en allant voter ? Plus de transparence ? Difficile de tabler dessus, dans l’immédiat. Moins de rentes ? L’espoir s’est déjà amenuisé. Une meilleure visibilité sur la répartition des richesses ? Difficile d’y croire. De meilleurs services publics ? Très peu l’ont évoqué comme chantier nécessaire. Une démocratisation de l’accès à la culture et au savoir ? Ceux qui en parlent le font à la marge de leurs discours. Que reste-t-il, alors, comme raisons satisfaisantes ? A l’analyse des discours, deux raisons sont avancées en filigrane. Elles sont toutes deux d’ordre communicationnel, moins pour le bien de la collectivité que pour l’image de ceux qui en tiennent les rênes. La première est de montrer que le Maroc continue de construire un modèle de cohabitation pacifique (sans blanc seing) avec les islamistes. Et la seconde est de montrer (aussi) que l’alternance par la voie des urnes dans un système semi-autocratique, pourrait être possible.Sinon, sur le terrain de la communication interpersonnelle hors-media, c’est un souk bigarré, où il serait difficile de distinguer le public des hooligans de football des chauffeurs de campagne. Au milieu de ce maëlstrom, il est clair que les bénévoles de gauche se distinguent ostensiblement. Mais sans école citoyenne et critique, sans médias public au service de la collectivité, et sans espaces culturels partout dans le pays qui ouvriraient des fenêtres dans les esprits, tout cela pour le moment ressemble à une grande scène de théâtre où seuls les figurants s’agitent et les vrais protagonistes observent le spectacle de loin, des coulisses.
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