Pour un développemnt durable équitable"

Pour un développemnt durable équitable"

Le site Marayana.com annonce la rencontre du 25 octobre organisée par Economia, HEM Research Center et la Fondation Friedrich Ebert en partenariat avec l'association les Citoyens sous le thème " Pour un développemnt durable équitable" 

 

 

 

 


Sens et valeurs du travail chez les salariés marocains

Sens et valeurs du travail chez les salariés marocains

Auteur : Economia-HEM

Economia présente les résultats d’une enquête qualitative majeure dans le monde du travail 

« Sens et valeur du travail  chez les salariés marocains »

 Economia, le centre de recherche de HEM, a mené  durant les trois dernières années une recherche sur le sens et la valeur du travail . Ses résultats furent présentés  pour la première fois à Casablanca le 4 octobre 2018 lors d’une conférence à l’Agora.  Les recherches autant que les débats  sur la valeur du travail dans les économies modernes, ne manquent pas au niveau international et ce,depuis la révolution industrielle. Mais au Maroc elles sont encore très rares.

Quant aux  études sur le sens du travail au niveau international, elles sont plutôt récentes ; on évoque aujourd’hui de plus en plus le fait que les individus demandent à comprendre le contexte des décisions qui les affectent, une demande traduite par la « recherche de sens ». Chez nous par contre, ces recherches   sont quasiment inexistantes.

Le travail accompli par l’équipe d’Economia par sa thématique et ses enseignements est une première, il devrait concerner toutes les parties impliquées dans le monde du travail et ses organisations. Les managers, toutes les catégories des  professionnels, les syndicalistes, les décideurs des politiques publiques en matière économique et de travail, les chercheurs, tous sont interpellés, autant par la recherche dans ce domaine que  par les premiers résultats dégagés de cette étude.

D’abord des concepts précis

Que procure le fait de donner du sens à son travail? Et qu’est ce qui fait qu’on a le sentiment que notre vie a du sens grâce au travail? A travers ces interrogations l’équipe de recherche a adopté les concepts qui devraient régir sa démarche dans cette enquête .Le sens du travail s’avère ainsi d’ores et déjà une construction collective dynamique et cyclique, reposant sur des dimensions subjectives, émotionnelles et éthiques, il s’agit d’un  phénomène intersubjectif où le sens se crée dans l’action et à travers les interactions. Ses sources se situent  souvent dans la culture, la stratégie d’entreprise, et les structures formelles et informelles.

L’individu considère donc , que son travail a du sens  lorsqu’il y a alignement entre son identité, son travail, et son milieu de travail .En outre l’analyse permet de répartir les dimensions du sens en deux composantes. Le premier  sens du travail est constitué de l’utilité du travail ; de l’autonomie qu’il assure, et de l’apprentissage et la formation qu’il exige ; ensuite  le sens au travail est formé de la rectitude morale et de la relation avec les collègues et le management .Cela permet de dégager trois définitions pour celui ci, l’une relative à la signification ,la seconde à l’orientation et enfin la dernière basée sur la cohérence du sujet et du travail qu’il fait.

L’examen ouvre la voie à plusieurs modèles, on citera à ce propos une  pyramide de Maslow partant de la base  d’un gain matériel satisfaisant les besoins fondamentaux (nourriture), la sécurité , passant à une reconnaissance de l’effort fourni,  s’exprimant par le sens d’appartenance et l’ estime de soi , avant de culminer vers l’accomplissement de soi .On citera également ce que l’étude a qualifié de modèle Job carrière vocation pour lequel le travail serait en premier ,un moyen de gagner sa vie  ou un mal nécessaire pour accéder à des espaces hors domicile familial , en un second niveau il serait le moyen d’atteindre des objectifs professionnels , et enfin un moyen de s’accomplir et de contribuer à la communauté.

Une méthodologie qui privilégie la multidisciplinarité

Ces concepts relevant d’une approche multidisciplinaire, furent  retenus pour l’élaboration minutieuse d’un guide d’entretien synthétisant les paramètres qui guident  la recherche   qualitative de terrain. 82 entretiens semi-directifs furent ainsi conduits auprès d’un échantillon réparti entre trois sites Tanger, Rabat, Casablanca. L’échantillon repose  sur une diversité des âges, une variété des degrés d’ancienneté dans l’activité professionnelle, un équilibre entre différents niveaux de responsabilité et une quête de la parité genre.

 

 

 

Le guide devait recueillir les avis de ces professionnels  sur la signification du travail ,ses valeurs, ses motivations, les enjeux et profils de leurs  besoins et les représentations. Le guide exigeait aussi de recueillir les appréciations  des interrogé(e)s  sur le contenu du travail, les relations au travail, les rapports au management, les conditions du travail, et les équilibres entre vie privée et vie publique.

Parmi les hypothèses retenues pour vérification par cette enquête l’importance majeure du sens du travail: -  au niveau individuel : le besoin de sens est fondamental. Le sens est source de santé mentale, de bien-être au travail, d’épanouissement et de réalisation de soi ;

-  au  niveau  organisationnel : le sens s’exprime par la loyauté, l’implication, la motivation, la satisfaction, l’engagement et la performance des collaborateurs.

Une autre hypothèse à vérifier  est qu’il existe une crise de sens du travail qui se manifeste : -  pour l’individu : par différentes formes de mal-être et, à l’extrême, de souffrance (le stress, le burnout, les troubles psychologiques) ; -  pour l’entreprise : par la démotivation et le désengagement des individus ; -  pour la société : par la disparition de la valeur travail et une crise de sens au niveau sociétal.

De même, l’étude retient  un rapport de dépendance entre l’orientation donnée au travail (job, carrière ou vocation) et le  niveau de saturation des besoins des individus (du degré d’indépendance économique). Le positionnement sur la pyramide des besoins influence le sens donné au travail et conditionne le niveau d’engagement des individus.

En fait,la construction de sens est une quête de cohérence : c’est-à-dire la recherche d’un équilibre entre l’identité de l’individu (Qui suis-je ?), ce que cherche l’individu au travail (enjeux : pourquoi je travaille ?) et sa perception de son expérience du travail à la fois en termes de contenu de son travail (Qu’est-ce que je fais ?) et de son milieu de travail (À quel lieu/groupe j’appartiens ?).

Des résultats qui

 

D’après les   résultats de l’enquête, le travail par sa portée instrumentale  est fortement lié à la sécurité ; il est aussi objectivé par le miroir social, même s’il  est vécu péniblement. Citons quelques exemples des conclusions dégagées qui interpellent dès à présent tous les individus et collectifs au Maroc :

Un travail sans contenu ?

Les entretiens débouchent ainsi sur un constat : le contenu du travail, le rapport au métier et le travail comme vocation demeurent périphériques pour les salariés marocains . Il existe une crise de sens du travail qui se manifeste :

• Pour l’individu : par différentes formes de mal-être et, à l’extrême, de souffrance (le stress, les troubles psychologiques).

• Pour l’entreprise : par la démotivation et le désengagement des individus.

• Pour la société : par la disparition de la valeur travail et une crise de sens au niveau sociétal

 

L’enquête révèle  clairement un déficit d’espaces d’échange et d’écoute permettant de favoriser la co-création de sens au travail.

-Les salariés qui considèrent le travail comme une carrière sont demandeurs de plus d’apprentissages et de challenges, autant d’éléments projectifs pour progresser dans l’entreprise ou dans la carrière. Ces derniers ont généralement saturé les premiers besoins et leur niveau d’engagement augmente.

Les différents niveaux d’incohérence renseignent aussi sur l’effort à fournir en ce sens par les entreprises au niveau des politiques de rémunération, de la gestion des équipes et la mise en place de mécanismes transversaux et motivants.

L’étude  ne s’est pas limitée à un diagnostic , elle s’est proposée de rechercher aussi  un modèle de création de sens dans les organisation à travers le  schéma ci-dessous ;

 

 

 

 Être : le collaborateur « est » dans une logique de « job » ; le point central dans la relation est la rémunération.

Mieux être : le collaborateur est dans une logique de « carrière » ;le point central de la relation est la reconnaissance dans un contexte de valorisation dans une technicité et/ou un métier.

« Bien-être ensemble » : le collaborateur est dans une logique de « carrière » ; le point central de la relation est la prise de responsabilité dans un contexte de dialogue managérial, d’implication et d’accompagnement du collaborateur.

« Devenir ensemble » : c’est la rencontre des deux ambitions qui se potentialisent : celle du collaborateur et celle de l’organisation.

L’entreprise devra  changer de paradigme

L’étude présente en guise de conclusion quelques repères pour l’action .Ainsi, les organisations, opérant dans le contexte socio-économique marocain  devraient :

1. Changer de paradigme, dans les contextes où cela se justifie, en passant d’une organisation rigide et/ou verticale à une organisation ouverte, plus horizontale, où l’humain est la principale source de richesse, et où le sens qu’il octroie à son travail, son activité, son métier, participe à l’émanciper et enrichir l’organisation.

2. S’éloigner et abandonner le prisme négatif et coercitif, car « le travail n’est pas naturel », mais en lien avec le contexte de production et d’action, des cadres et contextes professionnels.

3. Ne pas figer les hommes dans les structures et les silos, mais créer les conditions du mouvement par la mise en place de systèmes sociotechniques formels ou informels centrés sur le travail et l’échange, pour tendre vers la constitution de groupes cohésifs.

4. Mettre l’intentionnalité du manager/manager de proximité au service de l’animation des communautés de pratiques et de construction et l’appropriation progressive d’un projet commun. Dans cette démarche, le principe d’exemplarité émanant de l’encadrement est primordial dans les critères définissant la performance, l’implication, le travail bien fait, le respect des règles, la responsabilité.

L’étude propose aux académiciens aussi des pistes de recherches à venir parmi lesquelles,

• des études quantitatives permettant de dégager des tendances chiffrées dans le prolongement de l’étude exploratoire. Notamment  quelques questions importantes liées au sens et à la valeur du travail dans des secteurs et des segments de populations particuliers, à des fins de comparaison.

• Qu’apporte tel métier à la personne ? Quelles relations entretient le travailleur marocain à son métier ?

• Une recherche action sur les liens entre le sens et la reconnaissance dans les organisations, et le sens et l’engagement, demeure une perspective majeure pour améliorer les méthodes managériales.

En tout cas à l’issue de ce travail important, les chercheurs d’Economia  espèrent qu’il puisse contribuer à  :

• Élaborer des études de cas pour apprécier plus en profondeur le lien entre la structure d’une entreprise en particulier et le sens au travail en son sein ;

• Accompagner le management d’entreprises déjà installées ou en phase d’installation dans le développement de pratiques vertueuses adaptées ;

• Enclencher un débat sociétal, ouvert et constructif, entre syndicats et patronats, sur le lien win-win à construire entre travailleurs épanouis et organisations performantes ;

• Aider à refaçonner en partie les enseignements en management pour les rendre plus réceptifs au besoin d’insuffler du vivant et de l’imprévisible dans la conception et l’animation de la vie des entreprises.

Vaste programme qui traduit une déclinaison concrète du débat national en cours sur le modèle de développement et les chances de l’émergence au Maroc.

 

Synthèse  par Bachir Znagui

 

 

 

 


Sens et valeurs de travail chez les salariés marocains

Sens et valeurs de travail chez les salariés marocains

Initiée depuis deux ans et demi, cette étude de recherche a mobilisé une équipe pluridisciplinaire dans le but de sonder les représentations du travail par des salarié(e)s de toutes échelles (ouvriers, cadres, managers) au sein d’entreprises, d’industries et des services opérant au Maroc. Au-delà du sens qu’ils/elles donnent comme individus à leur activité,  nous avons cherché à comprendre comment cela s’articule ou pas avec leur environnement immédiat (le collectif, l’organisation…).


Pour une vraie écriture de l’histoire

Auteur : Ivan Jablonka

L’historien et romancier Ivan Jablonka plaide pour la réconciliation entre histoire, sciences sociales et littérature, entre recherche et création.

« Sans écriture, le savoir est incomplet ; il est orphelin de sa forme », martèle Ivan Jablonka. Pour l’historien et romancier, il est urgent de moderniser les sciences sociales en cessant de les séparer de la littérature. C’est un enjeu à la fois scientifique et démocratique. « Ma position ne consiste pas à abaisser les exigences pour les sciences sociales, mais au contraire à les relever, en rendant l’enquête plus transparente, la démarche plus honnête, la recherche plus audacieuse, les mots plus justes, ce qui a pour effet d’approfondir le débat critique. En passant du discours au texte, on peut faire en sorte que l’écriture soit un gain épistémologique net. » L’histoire est une littérature contemporaine (Seuil, 2014, récemment paru en poche) est le fondement théorique de la démarche littéraire d’Ivan Jablonka, auteur entre autre d’Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus (prix du livre d’histoire du Sénat 2012) et de Laëtitia ou la fin des hommes (prix Médicis 2016). Il s’insurge contre une séparation « piège »qui rend incompatible démarches scientifique et littéraire. « L’écriture de l’histoire n’est pas simplement une technique (annonce de plan, citations, notes en bas de page), mais un choix. Le chercheur est placé devant une possibilité d’écriture. Réciproquement, une possibilité de connaissance s’offre à l’écrivain : la littérature est douée d’une aptitude historique, sociologique, anthropologique. » Dans cet ouvrage érudit et animé d’une conviction passionnée, Ivan Jablonka analyse l’histoire des représentations et propose une réflexion sur la méthode pour renouveler l’écriture de l’histoire et des sciences sociales et repenser l’écriture du monde et la littérature du réel.

Épistémologie dans l’écriture

Sans vouloir brouiller littérature et sciences sociales, Ivan Jablonka interroge la notion de genre et les lignes de démarcations qui pourraient se transformer en « front pionnier ».Il rappelle d’abord que c’est depuis l’Antiquité que se pose la question de distinguer l’histoire de ses « bordures « littéraires » » : le style, le rapport à l’émotion suscitée ou au pouvoir étaient déjà vivement débattues. Ce n’est qu’au XIXème siècle, avec la montée en puissance du roman, que la littérature se pose en « ontologie esthétique », tandis que l’histoire « n’a rien d’un absolu littéraire : sa vocation est précisément de rendre compte d’un hors-texte », tout en étant pas reconnue comme légitime parmi les sciences exactes, jusqu’à la fin du XIXème siècle, avec son renouvellement par l’érudition, son exigence méthodologique et son souci de vérité. L’histoire alors rompt avec la subjectivité du je, adopte un recul qui se pose en point de vue universel, se veut limpide… « Cet adieu à la création est le prix à payer pour entrer dans le temple du savoir et conquérir l’autonomie professionnelle au sein d’un système de disciplines spécialisées. L’histoire-science s’oppose désormais à la littérature-art. » D’où des « non-textes » corsetés de notes de bas de page, de bibliographies, de citations, une « non-écriture » qui renonce au « plaisir du lecteur ». Mais dans les années 1980, les travaux de Georges Duby, Robert Darnton, Natalie Zemon Davis sont le « retour du refoulé » : c’est l’époque des grands récits et biographies, même si le linguistic turn a eu un apport ambigu : s’il « a obligé les historiens à affûter leur argumentaire méthodologique », il excluait l’écriture « perçue comme le cheval de Troie de la rhétorique et de la fiction ». Or le renoncement à la littérature, « boîte à outils cognitifs », est une « automutilation ».

Après avoir retracé l’histoire de la constitution de l’histoire en science séparée de la littérature, Ivan Jablonka revient sur ce qui fonde cette discipline. Vérité, besoin de comprendre…, il souligne l’importance du raisonnement historique, « le cœur de l’histoire ». « En tant qu’elle est un raisonnement, l’histoire met en œuvre des opérations universelles : chercher, comprendre, démontrer. Elle appartient à tous et tout humain y est apte. […] Un écrivain, un journaliste, un muckraker, un détective, un juge, un conservateur de musée, un conmmissaire d’exposition, un documentariste, un citoyen, un petit-fils, s’ils acceptent de mettre en œuvre un raisonnement, participent à la démocratie historienne. » L’histoire est donc moins un contenu qu’une démarche, animée d’un esprit militant, un « rationalisme critique qui consiste à répondre aux questions que l’on se pose » en s’appuyant sur l’enquête, en s’interrogeant sur sa distance au sujet, en recoupant les sources, afin de trouver la preuve. « Dès lors, l’histoire est l’absolue liberté d’un moi dans les limites absolues que lui fixe la documentation. » Ivan Jablonka propose donc le concept de fiction de méthode pour interroger le rapport de la fiction au monde, l’arracher à la seule mimesis pour en faire une « opération cognitive », « un raisonnement capable d’établir des faits. » « Constitutives du raisonnement, les fictions de méthode sont à la fois plus fictionnelles, plus conceptuelles et plus indispensables que l’imagination. » Et leur objectif est moins le plaisir que la vérité.

La dernière partie du livre cherche à rapprocher littérature et sciences sociales grâce à de nouvelles formes littéraires. « Quelle écriture pour quelle connaissance ? » Ivan Jablonka rappelle que tous les discours ne se valent pas mais qu’il y a des zones d’interpénétration qui ouvrent des espaces plastiques : l’inventaire de soi, la radiographie sociale, l’anthropologie de la vie quotidienne, le journalisme, le récit de voyage… Cette littérature du réel, héritière du roman réaliste, invoque le témoignage et s’illustre dans la creative non fiction, le nouveau journalisme, le nonfiction novel. « L’enquête s’oppose à la fois au fictionnel et au factuel parce que ceux-ci délivrent du plein. L’histoire, elle, sertit le vide. Elle écoute un silence, elle rumine une disparition, elle cherche ce qui fait défaut, traque ce blanc qui entaille nos vies. » Ivan Jablonka suggère de dépasser la dichotomie entre fiction et factuel qui fonde l’opposition entre ce qui est et n’est pas littérature. Or « l’histoire est une possibilité d’expérimentation littéraire », dont l’incarnation du raisonnement historique, dont la créativité même (collage, histoire visuelle, transdisciplinarité…) est délimitée par les contraintes de vérité. « Si la fiction est un texte sans conditions, la littérature-science sociale peut se définir comme un texte sous conditions, conscient des règles qui le façonnent et l’affranchissent. »Si la littérature, c’est la forme et le plaisir, c’est aussi la recherche.

 

Par : Kenza Sefrioui

L’histoire est une littérature contemporaine

Ivan Jablonka

Points Histoire, 360 p., 130 DH


Les ambivalences de la démocratie numérique

Les ambivalences de la démocratie numérique

Auteur : Francis Brochet

L’essai de l’éditorialiste Francis Brochet débat du rôle du smartphone dans les transformations de la politique.

C’est l’emblème de la révolution numérique. En moins d’une décennie, le smartphone et sa galaxie d’applications sont devenus des objets incontournables, qui ont suscité de nouveaux types d’attitudes, de comportements et d’addictions, comme la nomophobie, ou « no mobile phobia ».Dans ce livre abondamment illustré par la vie politique française, italienne et américaine, l’éditorialiste français Francis Brochet se penche sur la façon dont cet objet a transformé le fonctionnement du champ politique. « L’impact de la révolution numérique sur la vie politique a commencé d’apparaître au grand jour après la première victoire présidentielle de BarackObama, en 2008. » Une campagne hors normes, avec un site, mybarackobama.com (MyBO), une équipe de supporters et une masse de dons. En 2012, BarackObama avait initié un dialogue direct avec ses électeurs sur Facebook et Twitter, hors médias classiques. Et l’utilisation des mégadonnées lui avait permis de cibler son action. Pour Francis Brochet, il est faux de penser qu’Internet n’est qu’un outil, incapable de forger les valeurs sociales et politiques. Il est nécessaire d’aborder la question « en partant du bas, depuis la multitude des internautes et de leurs smartphones », pour  comprendre ce « tournant anthropologique » comparable à la sédentarisation, à l’urbanisation, à l’invention de l’imprimerie, etc. C’est en effet le rapport de l’individu à la société qui est transformé en profondeur, avec l’augmentation de la capacité d’agir du premier et la suppression des intermédiaires.

La « démocratie smartphone » est selon Francis Brochet un phénomène ambivalent. Il relève « le populisme de la multitude », tout en se gardant d’employer le terme dans le sens péjoratif qu’il a habituellement, préférant la définition qu’en donne l’historien Pascal Ory : « critique des corps intermédiaires (partis, parlements, élites…) au nom d’un lien direct du peuple à un type de dirigeants charismatiques, le tout porté par un discours de rupture. » La dimension de peer to peer et l’horizontalité sont en effet inhérentes au réseau et contournent les institutions, qu’il s’agisse des médias classiques dans le cas des campagnes électorales, ou de l’État, « institution ultime », dans le cas de la monnaie virtuelle, le bitcoin. « Le principe de la « représentation » est radicalement contraire aux attentes nouvelles des internautes », remarque Francis Brochet. La demande de démocratie directe a réactivé le recours à la pétition, type par excellence d’expression des non représentés.

Liberté vs égalité

Par ailleurs, le numérique encourage des liens sociaux plus liquides, ainsi que la culture participative du do ityourself, dépassant la consommation passive. Francis Brochet note la demande d’une offre politique plus ouverte et moins verrouillée par la hiérarchie des partis. L’exemple du site LaPrimaire.org, chargé de faire émerger un candidat, a montré le hiatus entre la logique partisane et institutionnelle et la logique participative, puisque la personne désignée par près de 130 000 internautes n’a pas passé l’étape des parrainages, n’en recueillant que 135 sur 500. Dans cette redéfinition du rapport entre parti et opinion, émerge le rejet de se positionner dans l’axe gauche-droite, la volonté d’affirmer une position transversale : c’est l’âge du mouvement, de la plateforme, capable de rassembler largement mais seulement pour un temps, car l’éparpillement des tribus les rend éphémères. « Les structures d’hier se soudaient sur des projets de long terme ; les réseaux se constituent autour de bulles d’indignations ». Le défi de la démocratie smartphone est alors de « construire au-delà de l’ici et maintenant des tribus postmodernes ».

Francis Brochet souligne aussi la prégnance de l’idéologie libertarienne sur le monde numérique, notamment son refus de l’État, et de toute forme de régulation. Le mythe de la start-up et l’économie de la notoriété induisent un infléchissement du discours politique, insistant sur la notion de liberté beaucoup plus que sur celle d’égalité. Au nom de l’égalité des chances, « les inégalités ne font plus système ; elles sont individualisées» et l’État-providence est en proie à toutes les attaques. L’invasion du champ politique par le marché qui le vide de ses symboles conduit, en réaction, à l’émergence du populisme, qui lui, propose « des symboliques de substitution ».

« Internet construit un espace public fragmenté, « polarisé » », note Francis Brochet : ses algorithmes divisent autant l’espace d’information que l’électorat. Cela rend l’espace politique binaire et radicalise le débat dans des réseaux sociaux où les opinions s’expriment de façon désinhibée, sans modération. Une « normalisation de la violence », où la rumeur et les fake news l’emportent souvent sur l’information. Francis Brochet s’inquiète aussi de la pression de l’immédiateté et de la culture de la gratuité qui transforment la notion de progrès en une nécessité de s’adapter en permanence aux évolutions du monde, quelles qu’elles soient. Il pointe le gouvernement de l’émotion, déjà bien connu du marketing, la surexposition « pornographique », c’est-à-dire sans place pour le secret, des acteurs politiques, ainsi que le « zapping des valeurs ».

De là à conclure à la démocratie permanente et inclusive qu’induit le numérique, il y a donc du chemin. Mais Francis Brochet n’est pas pessimiste : « La révolution numérique n’entraîne pas mécaniquement une révolution démocratique mais elle en crée l’attente. » À nous d’en prendre la responsabilité.

 

Par Kenza Sefrioui

 

Démocratie smartphone, le populisme numérique de Trump à Macron

Francis Brochet

Éd. François Bourin, 216 p., 230 DH


Comment élaborer une stratégie ?

Comment élaborer une stratégie ?

Auteur : Les processus stratégiques, comment les organisations élaborent leurs stratégies Coordonné par Thomas Durand et Sakura Shimada

Le collectif coordonné par Thomas Durand et Sakura Shimada invite à considérer les stratégies d’entreprise comme des processus complexes et dynamiques.

Accord vs Airbnb dans le monde du hospitality business, création du groupe Safran à partir de la fusion entre Snecma et Sagem, joint-ventures, évolutions technologiques, etc. Autant de configurations dans lesquelles des sociétés sont amenées à élaborer des réponses stratégiques. Le collectif coordonné par Thomas Durand, spécialiste de management stratégique au Conservatoire nationale des arts et métiers (CNAM) et SakuraShimada, spécialiste de sciences de gestion au CNAM, envisage la question d’un point de vue pratique. « Il est classique de distinguer deux approches de la stratégie d’entreprise, celle relative aux contenus de la stratégie et celle consacrée aux processus stratégiques », explique Thomas Durand. « Les contenus de la stratégie disent la stratégie adoptée. C’est le royaume de l’analyse stratégique, avec sa batterie de concepts, de cadres d’analyse et d’outils : la segmentation stratégique, les facteurs clés de succès, les barrières à l’entrée, les stratégies génériques, les stratégies de portefeuille, les manœuvres stratégiques… » Les processus stratégiques se situent en amont, au niveau structurel : comment une organisation génère sa stratégie, qu’est-ce qu’elle identifie comme stratégique, comment elle fait remonter les signaux, décide et apprend de son action. Les dix-huit contributeurs de cet ouvrage prennent leurs distances par rapport à une représentation linéaire de la séquence du processus stratégique (un avant, un pendant et un après la décision). Ils mettent en avant les « multiples boucles de rétroaction et les itérations » et rappellent que « la théorie de la décision a depuis longtemps montré qu’il n’y a pas, à proprement parler, un moment de la prise de décision, mais qu’il s’agit plutôt d’un processus qui peut s’étaler dans le temps ». Un processus dans le processus, en quelque sorte, doublé de la complexité des écosystèmes où se prend la décision.

En resituant la stratégie dans sa boucle de construction, ils font apparaître sa dimension de « cadre de cohérence, avec la définition d’un cadre pour le futur », malgré les difficultés, mais aussi son caractère dynamique, lié à l’action, à l’acquisition de connaissances et de compétences nouvelles, à la construction de « représentations stratégiques » qui font à leur tour évoluer le cadre de cohérence. Ils situent également leur réflexion dans « un cadre conceptuel structuré autour de deux pôles en tension : l’inertie endogène et la proactivité endogène des organisations », et s’appuient sur les théories de la compétence organisationnelle (réception des données, information, connaissance et expertise), de la structuration (travaux de Giddens sur la dialectique signification/domination/légitimation), et de l’autopoïèse (travaux de Maturana et Varela sur l’organisme vivant capable de s’autorégénérer de l’intérieur et sur l’auto-organisation). En combinant ces outils d’analyse, ils font émerger plusieurs notions clef : compétences organisationnelles, répertoires, représentations stratégiques, conversations stratégiques, contraintes, zone de confort, inertie endogène, capacité de prises d’initiatives, etproactivité endogène.

Approche pluridisciplinaire

Le livre s’organise en trois parties. La première traite de l’inertie endogène. Philippe Very, professeur à l’EDHEC, souligne les enjeux post-fusion entre entreprises, avec le choc des répertoires organisationnels, les réflexes construits par l’expérience, et plaide pour une organisation apprenante. Hadrien Coutant, chercheur associé au Centre de sociologie des organisations de Sciences Po, insiste sur l’aspect sociologique et idéologique de l’intégration d’un groupe, à partir de l’exemple de la fusion Snecma-Sagem pour créer Safran, en mobilisant une culture d’ingénieurs. Thomas Durand s’intéresse aux questions soulevées par les projets de joint-ventures au niveau du business model, du business plan, et de la place des subjectivités et des intérêts. Le journaliste Olivier Cachin aborde le problème des évolutions technologiques à travers la révolution digitale dans le domaine de la musique, passé de la cassette au streaming.Alain Bauer, professeur de criminologie au CNAM, s’intéresse, face à la problématique du terrorisme internationale, à la mue des services de renseignement. Quant à Frédéric Garcias, spécialiste de stratégie, il rappelle, exemple du nucléaire à l’appui, que les organisations oublient et que les répertoires peuvent se détériorer.

La seconde partie est consacrée à la proactivité endogène. Georges Blanc, d’HEC, souligne l’agilité acquise par une organisation qui se reconfigure en permanence et où l’initiative peut naître d’un alignement stratégique entre structure, environnement, systèmes de management, stratégie et culture. Thibaud Brière, spécialiste des organisationspost-managériales, s’intéresse à un groupe décentralisé, fonctionnant avec un réseau auto-organisé et solidaire, considéré comme une équipe d’intrapreneurs, pour penser le concept de discernement (éthique, managérial et stratégique). Olivier Basso, du CNAM, se penche sur le rôle du dirigeant qui propose un cadre et un cap et permet l’expression des possibles. Lucie Puech, spécialiste de gouvernance et de contrôle organisationnel, s’intéresse à la manière dont l’initiative stratégique desintrapreneursse construit en fonction de la ressource temps. Brice Dattée, spécialiste de management stratégique, évoque la mobilisation de partenaires extérieurs par des intrapreneurs pour convaincre leur propre management en créant un écosystème d’innovation, avec une vision simultanée. Raphaël Maucuer, de l’ESSCA, étudie le partenariat entre multinationale et ONG, et la réinvention du business model qui s’ensuit. Fabien Gargam, spécialiste de management, se penche sur le dévoiement de la proactivité endogène, à travers le cas du dopage, pour montrer comment on peut chercher des avantages concurrentiels par tous les moyens, y compris déloyaux ou criminels.

La dernière partie propose des mises en perspectives. Hervé Laroche, de l’ESCP, interroge les pathologies de la décision stratégique, soit en les faisant dévier, soit en les paralysant, soit au contraire par la démesure ou le suivisme. Christelle Théron, spécialiste de stratégie, rappelle l’importance des managers de proximité, attentifs aux ressources et capables de routiniser la stratégie. SakyraShimada, elle, analyse la transmission intergénérationnelle comme moyen de stabiliser et de renouveler les répertoires. Enfin Benjamin Taupin, du CNAM, rappelle, à l’aune descritical management studies, les ressorts de la domination, l’asymétrie de pouvoir et la hiérarchie dans la façon de normer les processus, et pointe autant les dangers de l’hypercentralisation, que ceux du data drivenmanagement et du « management par le fun ».

Un ouvrage aux articles cours et très précis, avec une abondante bibliographie, qui passionnera un public averti.

 

Par Kenza Sefrioui

Les processus stratégiques, comment les organisations élaborent leurs stratégies

Coordonné par Thomas Durand et Sakura Shimada

Éditions EMS, Regards sur la pratique, 208 p., 280 DH


Penser la « conduite des conduites »

Penser la « conduite des conduites »

Auteur : Christian Laval

Le sociologue français Christian Laval revient sur les travaux de Foucault et Bourdieu pour repenser, à partir de leurs écrits sur le néolibéralisme, la manière de construire un objet de recherche.

Ils ont tous deux marqué la deuxième moitié du XXème siècle. Michel Foucault (1926-1984) et Pierre Bourdieu (1930-2002) ont l’un et l’autre travaillé, à quelques années d’écart, sur le concept de néolibéralisme, sans presque jamais se citer. Le sociologue Christian Laval, professeur à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense, ancien membre du conseil scientifique d’ATTAC, est l’auteur d’ouvrages remarqués sur la généalogie de la représentation néolibérale (L’homme économique, essai sur les racines du néolibéralisme, Gallimard, 2007 puis La nouvelle raison du monde, essai sur la société néolibérale, avec Pierre Dardot, La Découverte, 2009). Il se penche dans son dernier livre sur les démarches parallèles du philosophe et du sociologue, pour éclairer la genèse du néolibéralisme comme objet de recherche et point de départ d’une théorie politique. Dans le contexte actuel en effet, explique l’auteur, comparer les travaux de Foucault et de Bourdieu « n’est pas une entreprise dénuée d’intentions politiques » : face au caractère dominant de cette idéologie, il est nécessaire de penser une nouvelle politique.

Christian Laval balaie d’emblée l’idée que Foucault et Bourdieu s’opposeraient quant au néolibéralisme – l’un étant perçu comme  son « apologiste » tandis que l’autre incarne « la figure de l’intellectuel antinéolibéral ». Plus que des désaccords, son livre, exigeant et précis, retrace les nuances de deux pensées non contemporaines face au « surgissement historique de l’événement néolibéral », avec leurs dispositifs explicatifs, leur méthodologie et leurs résistances. Ni match, ni rencontre, encore moins « dialogue fictif qui n’a pas eu lieu », c’est le mouvement de deux pensées et de deux recherches nées de deux immenses intellectuels presque contemporains que retrace Christian Laval. Un mouvement caractérisé pour l’un et l’autre par l’inachèvement.

Un même objet, deux moments

En se demandant « comment ils en ont fait un objet de recherche, comment ils l’ont pensé sous des angles particuliers, à des moments différents, selon une méthode, dans des contextes et avec des outils théoriques spécifiques », il souligne une même démarche : comprendre le fait politique, les types de pouvoir et de domination. Le livre est construit en deux parties, qui se répondent, l’une consacrée à Foucault et la seconde à Bourdieu. Dans chacune, Christian Laval met à jour l’arsenal conceptuel déployé, insiste sur le contexte et la réception du phénomène néolibéral et montre qu’« une théorie, c’est tout à la fois une hypothèse, une polémique, une méthode, une investigation dont il vaut mieux connaître la logique avant usage ».

La principale différence entre les approches de Foucault et de Bourdieu tient au fait qu’elles se situent à une décennie d’écart. Foucault y travaille de 1975 à 1980, Bourdieu de 1980 à 2002 : « Une décennie cruciale sur le plan historique, puisque c’est alors que s’est consolidée et universalisée la norme néolibérale qui continue de régir les pratiques managériales des entreprises comme les politiques publiques. » Malgré leurs parcours parallèles (École normale supérieure, agrégation de philosophie, Collège de France, leur « double rapport complexe à Sartre et au structuralisme » et à la tradition épistémologique), leur engagement critique du Parti communisme, leur esprit rebelle et leur exigence intellectuelle joignant, dans l’un et dans l’autre « le chercheur et l’acteur politique, l’homme de réflexion et l’homme en colère », leurs démarches ne se recouvraient pas : si Foucault étendait le champ de la philosophie, Bourdieu s’en était éloigner pour consolider celui de la sociologie. « L’un est l’homme des circulations de savoirs, des « branchements extérieurs » contre le monopole des sciences officielles, l’autre celui d’un champs scientifique toujours menacé qu’il faut défendre contre les hétéronomies. »Pour Foucault, primait la notion de relationde pouvoir, avec ses mouvements stratégiques et ses opérations tactiques ; pour Bourdieu celle de rapport de domination,  prenant la mesure « des pesanteurs des structures objectives et subjectives. » Christian Laval souligne la créativité de la pensée de Foucault, face à la stabilité théorique et conceptuelle de Bourdieu, et leurs différences épistémologiques sur la vérité du phénomène (vérité d’un moment historique pour Foucault, vs « erreur théorique logée au cœur de la science économique, reposant sur une abstraction mal fondée et qui s’est transformée finalement en un projet politique de domination mondiale des oligarchies économiques et politiques » pour Bourdieu).

Or le néolibéralisme, qui est « à la fois type de gouvernementalité et mode de domination », a incité l’un et l’autre à le penser à la fois sur l’échelle micro et sur l’échelle macro, comme une « conduite des conduites ». Si Foucault y voyait un « jeu de « l’action sur l’action » » et pensait la marge de liberté dans toute relation de pouvoir pour orienter la conduite de l’autre ou résister à la conduite des conduites qu’on veut lui imposer, Bourdieu s’est vivement opposé à cette « nouvelle période de la domination sociale des classes supérieures » qui ne se réduisait pas seulement à une « extension de la marchandisation » ni à un retrait de l’État, mais à un nouveau mode de façonnage des subjectivités et du rôle de l’État.Si Bourdieu pense à une époque où les sciences sociales ont pris le pas sur la philosophie, tous deux se rejoignent sur la question de « l’historicité de l’homme économique » : le néolibéralisme est « une accélération de la construction politique des hommes économiques ». Ils insistent tous deux sur la nécessité de repenser la critique de l’ordre existant : pour Bourdieu, il faut créer des lieux critiques, pour Foucault, inventer des « pratiques utopiques ».

S’il regrette qu’aujourd’hui « leurs analyses sont insuffisantes » et sont isolées des autres formes de critique sociale et politique, Christian Laval salue dans Foucault comme dans Bourdieu deux figures de « l’intellectuel critique transversal dont le travail savant spécialisé doit permettre de dégager les règles générales d’une société à travers des études localisées dans le temps historique et l’espace social. »

 

Par : Kenza Sefrioui

 

Foucault, Bourdieu et la question néolibérale

Christian Laval

La Découverte, 270 p., 270 DH


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Pour une automatisation au service de l’humain

Pour une automatisation au service de l’humain

Auteur : Nicholas Carr, traduit de l’anglais (États-Unis) par Édouard Jacquemont

Nicholas Carr tire la sonnette d’alarme sur les transformations du travail et de la société induites par une automatisation grandissante.

Il est loin, l’automate qui amusait par sa capacité à résoudre de basiques problèmes mathématiques. Pas d’inquiétude alors, à l’humain, les tâches intellectuelles complexes, et à la machine les tâches répétitives. L’essor des algorithmes a bouleversé la situation. Aujourd’hui, les programmes automatisés sont capables d’effectuer des opérations d’une grande complexité. Le rapport entre l’humain et la machine en est profondément transformé et, avec lui, se posent de nouvelles questions sur le monde du travail et sur les rapports sociaux. Nicholas Carr, éditorialiste américain et spécialiste des technologies, mène depuis plusieurs années une réflexion sur ce sujet. Son précédent ouvrage, The Shallows : What the Internet is Doing to Our Brains (traduit en français sous le titre d’Internet rend-il bête ? Réapprendre à lire et à penser dans un monde fragmenté, chez Robert Laffont, 2011), lui a valu d’être finaliste du prix Pulitzer 2011 dans la catégorie Essais. Dans Remplacer l’humain, critique de l’automatisation de la société, il se penche sur le prix social et humain de notre dépendance accrue aux systèmes automatisés.Ce « remplacement de l’humain » renvoie moins au fantasme d’envahissement par les machines et à la peur du chômage de masse – qui est rapidement évoqué. Comme l’indique le titre original de l’ouvrage, The Glass Cage : Automation and Us, le sujet central du livre est l’abrutissement par algorithme, l’amoindrissement des compétences humaines face à leur puissance, l’enfermement dans une prison invisible et consentie.

Un faux sentiment de liberté

C’est en effet à un renversement considérable qu’on assiste. La machine était jusqu’alors censée assister l’humain dans des travaux déterminés, le soulager de tâches pénibles ou répétitives. L’essor de la robotique et de l’informatique a imposé des systèmes automatisés dans tous les domaines et pour des usages permanents, autant professionnels que privés : objets connectés, drones, GPS, applications diverses et variées.Face à cette généralisation censée nous faciliter la vie, Nicholas Carr cite l’historien des technologies George Dyson, qui s’inquiétait déjà en 2008 :« Et si le prix à payer des machines qui pensent était des gens qui ne pensent pas ? » Sans remettre en cause la nécessité de créer de nouveaux outils pour améliorer la vie, ni être un nostalgique des lavoirs et des moissons à la faux, Nicholas Carr estime que ces progrès n’en sont que si leurs conséquences sont bien comprises et maîtrisées. Or justement, la multiplication des systèmes automatisés est selon lui insuffisamment questionnée sous l’angle du besoin réel que ceux-ci viennent satisfaire. Il s’inquiète du « faux sentiment de liberté » qu’ils procurent et d’un aspect pernicieux qui, sous couvert de facilitation, nous prive d’une expérience nécessaire au développement et au maintien de nos capacités.

Nicholas Carr s’appuie sur de nombreux exemples : conduite routière, aviation. Dans ces domaines où l’enjeu majeur est la sécurité, plusieurs accidents graves auraient pu être évités si l’on ne s’en était pas autant remis aux systèmes de pilotage automatique. En 2013, l’Agence fédérale de l’aviation américaine donne pour consigne aux pilotes de « passer en mode manuel si la situation de vol le permet » : « Après avoir réuni de nombreux éléments émanant d’enquêtes sur des catastrophes aériennes, de rapports d’incidents et d’études menées à l’intérieur des cockpits, l’agence en avait tiré la conclusion que les pilotes étaient devenus trop dépendants à l’égard du système de pilotage automatique qui équipe les avions. » Une dépendance qui devient rapidement synonyme de désapprentissage faute de pratique suffisante. En droit, en finances, en médecine, en architecture, dans l’enseignement…, le risque est de trop se reposer sur la machine, donc de relâcher ses capacités de concentration et de coordination. En médecine, où la relation humaine est centrale, le médecin, occupé à renseigner son programme informatique, passe moins de temps à parler au patient et à l’ausculter de façon empirique. Sans parler des surcoûts induits par des fonctions d’aide à la décision qui suggèrent des actes complémentaires et les facturent.

Nicholas Carr n’aborde pas tant ici la question essentielle de la collecte des données et de la dépendance aux fabricants de ces systèmes – même s’il évoque les risques liés à la surveillance et à la manipulation, ainsi que la marchandisation des relations humaines –, que la perte de compétence pour l’humain. Son argument central est qu’on ne peut dissocier le travail manuel du travail intellectuel. « Tout travail est par nature intellectuel », explique-t-il : la notion de cognition incarnée permet de comprendre « l’importance de notre rapport au monde sensible » : « En phase avec l’espace environnant, le corps et le cerveau sont capables d’intégrer rapidement des artefacts aux processus de réflexion, c’est-à-dire de les traiter comme faisant partie de nous d’un point de vue neurologique. » On apprend en faisant, en développant et en entretenant nos capacités psychomotrices. Or « l’automatisation de nos fonctions cognitives (comme la résolution d’un problème) empêche notre esprit de transformer une information en connaissance puis en savoir-faire », s’inquiète-t-il. « Loin de nous avoir ouvert de nouvelles perspectives, l’informatique a fortement réduit notre capacité d’action et de réflexion en nous imposant des tâches routinières et monotones ». Une cage de verre qui vide le travail de son sens et de son intérêt, limite nos horizons et nos choix personnels, reconfigure l’ensemble des relations humaines et sociales. « Des services publics aux liens amicaux et familiaux, la société se reconfigure pour s’adapter à la nouvelle infrastructure numérique. »Une infrastructure qui est le reflet de l’hégémonie du modèle marchand, entendant appliquer ses normes de productivité standardisées à tous les domaines, en gommant les points d’achoppement qui fondent justement l’humain, sous couvert qu’il serait dépassé. Or, conclut Nicholas Carr, « aboutir aux mêmes résultats que le cerveau humain n’a rien à voir avec l’acte de penser ». Il existe des systèmes automatisés qui augmentent notre compréhension du monde. Il est grand temps de s’y intéresser.

 

Par Kenza Sefrioui

 

Remplacer l’humain, critique de l’automatisation de la société

Nicholas Carr, traduit de l’anglais (États-Unis) par Édouard Jacquemont

Éditions L’Échappée, 272 p., 19 € / 250 DH


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