Prix des carburants : Une réforme ou un nième report?
La hausse des prix des carburants décidée par le gouvernement Benkirane a été longuement commentée dans la presse et débattue au sein de l’enceinte parlementaire. Pour autant, deux aspects relatifs à ‘’l’économie politique’’ de cette mesure, annoncée comme une étape dans la réforme globale de la compensation, méritent quelques développements :
· le premier concerne les lacunes de l’analyse économique des effets des subventions,
· le second a trait au décodage du message politique énoncé à travers cette décision.
Une analyse économique ‘’défaillante’’
Toute analyse économique des mesures de subventions doit prendre en compte non seulement les effets sur les prix, mais aussi (et surtout dans le cas de mesures ayant duré sur une longue période), les effets sur les ‘’comportements’’ des agents. A travers ces effets, les subventions vont introduire des distorsions dans les choix technologiques ou dans les décisions de localisation et de spécialisation. A leur tour, ces décisions vont générer des situations de dépendance ‘’lourde’’, affectant non seulement les revenus mais aussi le patrimoine des ménages et la viabilité des entreprises.
Or, l’essentiel du discours relatif à l’impact des dernières hausses a porté sur les coûts de transport en Dhs/km. Pourtant, les économistes savent que cet effet est largement ‘’absorbable’’ par le marché sans trop de dégâts, en raison de la concurrence qui limite la capacité de transmission des hausses au consommateur et des possibilités de substitution (théorie de l’incidence fiscale). Et la preuve en a été donnée, puisque seuls certains secteurs non concurrentiels ont pu ‘’profiter’’ de cette hausse.
Par contre, les effets plus durables des subventions ont été peu, voire très peu, analysés. C’est le cas, par exemple, du développement du phénomène de l’étalement urbain (‘’urban sprawling’’), dont les modalités s’expliquent en grande partie par la subvention à la mobilité motorisée privée ou collective (taxis). Les étudiants en économie connaissent (ou devraient connaître) le modèle de Von Thünen qui relie les rentes au coût de transport entre la périphérie et le centre. Toute augmentation du coût dit ‘’généralisé’’ de transport a comme conséquences une réduction des rentes dans la périphérie et une prime au centre. L’enjeu de la décompensation des prix des carburants pour les familles ayant choisi d’investir dans la périphérie des villes est donc de taille et ne saurait être atténué par les mesures d’aides directes. Cet exemple montre bien que les mesures de ‘’soutien au revenu’’ annoncées ne sauraient suffire à faire face à tous les effets qu’une analyse économique correcte nous permettrait d’anticiper dès à présent.
Au-delà de cet exemple, il y a toute une série d’opérateurs qui sont devenus otages des subventions en raison des investissements passés, pour lesquels ce sont des mesures d’aides à la ‘’reconversion’’ qu’il faudrait envisager. La crédibilité du discours sur la réforme dépend donc d’une analyse économique autrement plus sérieuse que celle à laquelle nous avons eu droit, y compris de la part du chef de gouvernement.
Un message politique ‘’salutaire’’
Le discours porté par le nouveau gouvernement semble très favorable une réforme globale de la compensation, basée sur le couple ‘’libéralisation des prix/soutien direct aux familles à revenu modeste’’. Sauf que comme tout gouvernement ‘’comptable devant les électeurs’’, celui-ci en mesure parfaitement le coût politique et le risque de dérapages favorables à ses adversaires. En ce sens, la dernière mesure prise ne permet pas de voir clair quant à la suite des événements. Elle est restée juste au milieu du gué, ne laissant pas présager que des décisions ‘’irréversibles’’ auraient déjà été adoptées. En fait, tout se passe comme si le gouvernement avait ‘’misé’’ une part de son capital de confiance, pour voir la réaction des ‘’autres’’…. Le message politique adressé par l’équipe au gouvernement serait donc le suivant : ‘’Nous avons fait la preuve de la crédibilité de notre discours réformiste en prenant cette mesure impopulaire. Mais …nous ne sommes pas disposés à porter tous seuls le fardeau de la réforme globale de la compensation. Aux autres de dévoiler leurs cartes.’’
La dimension ‘’tactique politicienne’’ du message ne doit pas cacher que, sur le fond, la mesure prise a été salutaire à bien des égards. La réponse à l’appel du pied lancé aux acteurs politiques non gouvernementaux, y compris au chef de l’Etat, devrait donner des indications et des signaux crédibles quant à l’engagement réformateur des uns et des autres. La levée partielle des subventions sur certains produits aura servi de révélateur des distorsions engendrées sur longue période par la compensation, ainsi que des faiblesses du discours économique dominant, fondé uniquement sur une version ‘’simpliste et primaire’’ de théorie de la formation des prix.
En ce sens, le chantier des réformes économiques comporte des défis intellectuels et politiques majeurs, qui constituent autant de tests quant à la véritable capacité des institutions de ce pays à se moderniser au service de l’intérêt général.
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