Pause_R : Quel Islam dans un monde liquide ?

Asma Lamrabet, médecin et essayiste, et l'anthropologue Farid El Asri, de l'UIR, ont travaillé sur les réalités du fiqh. Au micro de Murtada Calamy, ils évoquent quelques unes des pratiques ou problématique de cette théologie jurisprudentielle de l'islam, dans les sociétés européennes et marocaines contemporaines.

Pause_R est le podcast mensuel de mise à disposition des savoirs de Economia, le centre de recherche HEM, TelQuel et l’Agence universitaire de francophonie (AUF).

Souk R'jal / Souk E'nsa : Féminités, masculinités et rapports de genre dans le Maroc contemporain

Souk R'jal / Souk E'nsa : Féminités, masculinités et rapports de genre dans le Maroc contemporain

L’idée de faire un atelier d’écritures sur les féminités, masculinités et rapports de genres dans le Maroc contemporain3 est née suite à l’intérêt suscité parmi les participants et les membres de la chaire Fatéma Mernissi par le Café littéraire organisé en avril 2021 sous le thème « les masculinités en question ماشي رجولة - أشنو هي الرجولة , avec Soufiane Hennani comme invité en tant que Co-fondateur et coordinateur de Elille, Concepteur des Podcast « Machi Rojola ».


PODCAST DYAL FATEMA MERNISSI 'KAYNA' EPISODE 3 : LE HAREM DE L'OCCIDENT

PODCAST DYAL FATEMA MERNISSI 'KAYNA' est conçu et lancé par la chaire Fatéma Mernissi, en partenariat avec l'association des Amis de Fatéma Mernissi pour l'animation culturelle et avec le soutien de la fondation Heinrich Bőll. Dans le 3éme épisode de Kayna, Sophia Hadi lit un extrait du livre "Le harem européen".

PAUSE_R : QUEL ACCUEIL POUR LA MIGRATION

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PODCAST DYAL FATEMA MERNISSI 'KAYNA' EPISODE 2 : PARCOURS D'UNE FEMINISTE

PODCAST DYAL FATEMA MERNISSI 'KAYNA' est conçu et lancé par la chaire Fatéma Mernissi, en partenariat avec l'association des Amis de Fatéma Mernissi pour l'animation culturelle et avec le soutien de la fondation Heinrich Bőll.

Ceci n’est pas un atlas : la cartographie comme outil de luttes

Auteur : Kollektiv Orangotango+, ss. dir. Nepthys Zwer,

Pour « mettre la main à la carte »

Contre les discours dominants, des initiatives citoyennes réinventent une cartographie critique, collaborative et open source pour lutter contre les invisibilisations.

Ce n’est pas une sage image. « La carte est un récit », martèle l’éditeur Benjamin Roux. Un récit loin d’être neutre, car il reflète un réseau de pouvoir et ses intentions. Ceci n’est pas une carte est parti de la réflexion, en multiples endroits du globe, sur les enjeux politiques et sociaux liés à la cartographie. Depuis 2008, le collectif Orangotango (orang-outan en portugais) réunit des géographes critiques qui mettent les outils de la science, de l’art et de la cartographie pour résister à l’invisibilisation des populations marginalisées. Éducation populaire, ateliers, actions de mobilisation… ils présentent ici leurs travaux sur l’espace et sur leur discipline qu’ils perçoivent comme un « outil de luttes ». L’ouvrage, d’abord paru en anglais en 2018 et coordonné par l’historienne Nepthys Zwer, spécialiste de « cartographie radicale », rassemble 21 exemples d’initiatives pour révéler, refléter, outiller et plaider – 4 termes qui structurent le livre en 4 parties, même si chaque chapitre pourrait figurer dans l’une ou l’autre… Du fait de sa portée imaginaire et de son « pouvoir performatif », la carte se fait critique du capitalisme dominant, du néocolonialisme et du patriarcat.

Cette initiative s’inscrit dans une tradition déjà ancienne de « contre-cartographie », dont un des initiateurs, mais pas le seul, fut le sociologue et militant des droits civiques américain W.E.B. Du Bois en 1900. Il s’agit ici de rompre avec les regards surplombants pour « cartographier les systèmes d’oppression et non les personnes opprimées » et, plutôt qu’une démarche à sens unique, de privilégier les processus collaboratifs et de laisser libre cours à la créativité de toutes et tous – et on est sensible à l’incroyable diversité des illustrations. L’enjeu est de faire reculer les outils de contrôle et les arguments d’autorité pour proposer des solutions pratiques, concrètes et pensées par les intéressés. Si les auteurs sont lucides sur le fait que les contre-cartographies ne se suffisent pas à elles-mêmes car contribuer à la transformation sociale est un « travail lent, cumulatif et constant à travers de nombreuses échelles d’action », ils font très clairement progresser la démocratie participative.

Un outil d’appropriation

Le geste premier de tous les collectifs actifs du Canada aux Philippines et d’Égypte en Argentine est de recenser et de nommer ce qui ne l’est pas par la cartographie officielle : les sans-abris au Royaume-Uni, les exclus des politiques d’aménagement à San Francisco, les ravages de l’agrobusiness dans les Andes, les quartiers informels en Inde, la représentation des femmes dans l’espace public en Autriche… La contre-cartographie a ainsi à voir avec les impensés, voire avec ce que les dominants souhaitent occulter – comme le grignotage progressif des espaces publics aéroports européens par des espaces commerciaux, ou comme la volonté de contrôle, du colon puis des États qui en reproduisent les méthodes sur les populations autochtones, ou encore celle de Google.

Un des enjeux est d’abord le choix des mots : s’agit-il de cartographie sociale, culturelle ou participative ?, s’interroge Projeto Nova Cartografia Social da Amazônia au Brésil. Autre enjeu majeur : faire en sorte que ce soient les personnes concernées qui fournissent les données et leur donnent sens, en prenant la décision de les inclure ou pas. « Comment parcourir a posteriori un chemin traumatique qui ne semble pas avoir de fin et qui reste trop présent, pour quoi faire, pour partager quelles expériences, pour transformer quels moments ? », s’interrogent Anne-Laure Amilhat Szary et Sarah Mekdjian à propos des « chemins traumatiques » de l’exil d’Afghanistan en France ? Les dynamiques de crowdsourcing visent à rendre plus démocratique la planification urbaine et la pédagogie et la prise en compte des relations sociales est essentielle.

L’ouverture de ces travaux à des non-spécialistes, accompagnés de chercheurs militants et d’artistes, permet une grande créativité dans le choix de la forme utilisée. À Sidi Youssef Ben Ali, près de Marrakech, les femmes du quartier ont brodé, cousu, coupé des tissus pour figurer leurs espaces vécus et ressentis. La géographe canadienne Élise Olmedo qui leur a proposé cet atelier de « géographie sensible » explique l’importance de réintroduire « le geste du toucher dans la connaissance, tant pour les personnes produisant la carte en conscientisant et formalisant leur vécu, que pour les destinataires qui s’impliqueront dans une lecture corporelle de ce vécu, cette cartographie replace le savoir dans le sensible. » Avec des fils, des cartes postales et des photos issus des « sources primaires de l’histoire au lieu de leur interprétation par les historien.nes », Nermine Elsherif réinvente à Port-Saïd une carte à multiples lectures, qui est aussi celle des mémoires et des silences.

Plusieurs contributions insistent sur le statut très inégalitaire de l’accès au savoir. Au Bangladesh, il s’agit de rompre avec une logique comptable : « C’est la leçon radicale de notre carte “Surcharge informationnelle” : arrêter de compter ; commencez à parler avec les habitant.es d’un lieu. Faites-le à l’excès. Et tout en cherchant des mots pour nommer ce qui résonne dans vos oreilles, ce que vous avez devant les yeux et ce que votre mémoire et votre corps n’oublieront jamais, vous remarquerez que le lieu vous parle déjà avec sa propre voix », insistent la sociologue Elisa T. Bertuzzo et le spécialiste des stratégies spatiales Günter Nest. Mark Graham, Stefano De Sabbata, Ralph Strauman et Sanna Ojanperaa soulignent la disparité des géographies numériques : « Nous sommes dans une situation où le Nord global a tendance à être un producteur de connaissances et le Sud global un consommateur. » Brevets, logiciels, publications académiques… sont très concentrés dans certains pays et, malgré le fait qu’Internet permette potentiellement à 4 milliards de personnes de contribuer à la richesse des informations, « le problème est qu’elles ne le font pas ». Or « ces couches d’informations aident à comprendre et à définir un lieu : il est donc important de comprendre d’où elles viennent, mais aussi ce qu’elles représentent ».

La carte est « une contribution au débat politique » par les débats qu’elle ouvre et se doit d’être accessible aux non spécialistes. Au Kenya, la visibilisation est une « protection ». À New York, l’inventaire des terrains publics vacants par le collectif 596 Acres permet de faire du « droit à la ville » une réalité effective et de contrer la spéculation. En Méditerranée, Alarmphone.org cartographie les passages sûrs et soutient les personnes « qui revendiquent leur droit à la liberté de mouvement » – laquelle « n’est pas un crime ». En Égypte, l’équipe de HarassMap a cartographié le harcèlement sexuel, construit un outil de signalement, et fournit des informations sur l’accès à une aide juridique et psychologique : depuis 2010, cela a créé le débat sur ce fléau et contribué à remettre en question les stéréotypes.

Le livre, qui célèbre clairement l’intelligence collective, se clôt sur un fanzine (téléchargeable gratuitement ici) qui rassemble des conseils du collectif pour organiser un atelier, définir l’objectif et l’usage de la carte, choisir son support (il y en a qui choisissent le tricot !), sa diffusion… L’essentiel : « Respectez la parole et le droit d’autrui ! Montrez un monde différent ! Créer des communs ! ».

Ceci n’est pas un atlas : la cartographie comme outil de luttes

Kollektiv Orangotango+, ss. dir. Nepthys Zwer,

Éditions du commun, 240 p. + livret de 32 pages, 25 € / 320 DH


La main visible des marchés, une histoire critique du marketing

Auteur : Thibault Le Texier

Pour comprendre le marketing

Le marketing est au cœur du capitalisme, via son influence sans coercition. Décryptage de ce levier central et de sa rationalité.

Le consommateur est peut-être roi, mais « un roi sous influence » : sous l’influence d’une discipline, le marketing, qui est, comme chacun sait, « le mal absolu », un outil de manipulation, d’abrutissement, d’asservissement au marché, ironise dès les premières lignes le sociologue français Thibault Le Texier. Après Le maniement des hommes : essai sur la rationalité managériale (La Découverte, 2016), le chercheur associé au Centre européen de sociologie et de science politique de la Sorbonne livre une somme aussi érudite qu’agréablement écrite sur cette discipline méprisée et à la marge de la hiérarchie des savoirs. De son émergence au XIXème siècle jusqu’à aujourd’hui, il retrace l’histoire et la cartographie de ce champ.

L’auteur, spécialiste d’épistémologie historique des sciences sociales et d’histoire de la gouvernance, fait apparaître les ressorts inhérents au succès du marketing comme les facteurs de son discrédit. Sa méthode pour appréhender ce domaine immense ? S’appuyer sur « la rationalité marketing », c’est-à-dire les discours suscités et les savoirs prescriptifs mis en œuvre à tous les niveaux. Le marketing, rappelle-t-il, est d’abord « une discipline fondamentalement appliquée » : « loin d’imiter la mathématisation de l’économie, les spécialistes du marketing se veulent plutôt des “créatifs” pratiquant leur “art” dans un esprit de raison, certes, mais sans rigueur épistémologique ». Ni science, ni idéologie, ni utopie, le marketing n’est apprécié que s’il est efficace, donc sur sa capacité à convaincre, à exercer un « empire ». Le fait que « la connaissance n’y est pas une fin en soi mais un outil commercial » est une entrave à sa légitimation scientifique, malgré les emprunts qu’y font les sciences humaines (dont il n’est pas reconnu comme une branche). L’auteur consacre des pages très intéressantes au parallèle avec l’économie, considérée au départ comme la discipline mère : l’économie s’intéresse en effet plus à la production qu’à la consommation, aux phénomènes globaux, tandis que le marketing prend en compte les choix individuels et « encastre le marché dans la société » en ne le considérant pas comme un cadre mais comme l’ensemble même des transactions. Bref, le marketing serait donc moins une science qu’un « lieu d’observation ».

Une liberté relative

Depuis le XIXème siècle, le marketing est d’abord l’histoire d’une dépossession : celle des ménagères en charge d’acheter au marché. « Branche de l’art culinaire », c’est un « art de l’observation ». Mais l’essor de la société de consommation, l’accès des femmes au monde du travail et la multiplication des jauges et des emballages en font un « instrument de vente au service des distributeurs » : « c’est désormais un art masculin de gouverner des consommateurs qui restent en grande majorité des consommatrices ». Il devient « une science de l’entreprise », opérant du point de vue du vendeur, et qui « neutralise les savoirs vernaculaires sur l’achat » pour prôner des « comportements de consommation que l’on peut connaître et modeler » – y compris dans des domaines « étrangers au commerce »  (marketing politique, marketing à but non lucratif (dans le domaine de l’éducation par exemple) et même marketing de soi).

La première partie analyse, au niveau des consommateurs, la puissance ambiguë et conditionnelle de ce « pouvoir sans coercition ». « À la différence de la loi, à vocation universelle, le marketing se veut adapté, ciblé, personnalisé et même ergonomique dans sa volonté d’accommoder les particularités de ses sujets. » Le fantasme est ici celui de la « démocratie des consommateurs ». L’auteur passe revue les études de marché, la réflexion sur la constitution de segments, parallèle à l’émergence de revendications communautaires, la question de l’uniformisation de la consommation, les méthodes de ciblage. La seconde partie porte sur les produits, de leur catégorisation donc de leur standardisation, supposant une « évaluation institutionnelle […] sur la base de critères se voulant objectifs ». L’auteur retrace l’apparition de l’emballage, se substituant progressivement au vendeur en tant que point de repère, celle de la marque, de plus en plus chargée de valeur, ainsi que des techniques de promotion. Il analyse la notion de prix, central chez les économistes et relatif chez les marketeurs. Par la suite, Thibault Le Texier se penche sur les canaux inhérents au marketing : le transport, le stockage, les besoins en financement, l’apparition de la vente en gros et au détail avec l’éloignement grandissant entre producteur et consommateur, et le rapport de force entre les maillons de cette chaîne. Il interroge aussi le rôle de l’État dans la constitution d’un environnement favorable, l’action publique nationale et internationale et la production de statistiques.

Quel consentement ?

Thibault Le Texier estime à juste titre que son étude porte « une réflexion sur le pouvoir », sur l’influence : « pouvoir serviteur », le marketing oriente en même temps qu’il sert, non seulement au sein de l’entreprise où il est central, mais dans l’ensemble de la société. En effet, « les marchés sont des univers relationnels » : produits, consommateurs, canaux sont ainsi liés de façon mouvante dans « un jeu structural de ressemblances et de distinctions où la position des uns dépend de celle des autres ». Dans une société capitaliste, « les consommateurs sont rois s’ils en ont les moyens : la démocratie de marché est une ploutocratie où certains travaillent peu et consomment beaucoup et où d’autres travaillent beaucoup et consomment peu », même si ce système concerne une majorité. De plus, dans une démocratie libérale, le « système marketing » induit un mode particulier de gouvernance, fait non pas de domination verticale, ni de tromperie, mais plutôt de négociations, d’interdépendances, de choix fondés sur l’opinion, le libre-arbitre et le consentement. Dans le dernier chapitre, Thibault Le Texier note que certaines critiques faites au marketing et à la consommation relèvent, sous couvert de déplorer l’uniformisation, la massification et la lobotomisation des consommateurs d’« une critique de la démocratie » qui ne dit pas son nom, tout en appelant chacun à adopter une attitude responsable. Et de conclure : « N’était l’apocalypse qu’annonce le changement climatique, le triptyque consommateurs-produits-canaux semblerait promis à l’éternité. »

 

La main visible des marchés, une histoire critique du marketing

Thibault Le Texier

La Découverte, 658 p., 26 €


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