Synthèse Rapport : Être jeune au Maroc de nos jours
Rapport national 2020 sur le développement humain au Maroc. Ce document fait partie des rapports riches en données que les institutions nationales commencent à fournir. D’un langage accessible et franc, il s’insère dans cette tendance à l’ouverture et la transparence. Rendu public à la fin de l’automne 2021, il a retenu l’attention des observateurs par le fait qu’il survenait après la publication du rapport de la CSMD et qu’il aborde une préoccupation marocaine majeure, celle de surmonter les pannes en matière de développement humain : son auteur, l’ONDH, y présentait ainsi son deuxième document de référence périodique.
Le rapport national du développement humain 2020 a la particularité d’avoir eu pour objet la jeunesse. « Être jeune au Maroc de nos jours » est l’intitulé de ce travail en 138 pages, six chapitres, et une série de recommandations. L’ONDH l’a réalisé dans le cadre d’un partenariat avec le PNUD, impliquant des chercheurs universitaires et experts de diverses structures spécialisées, publiques ou indépendantes. À noter qu’une équipe du centre de recherche Economia/HEM a participé à ce travail concomitamment à la publication de son propre Economia book sur les jeunes : https://www.economia.ma/fr/evenements/nouveau-1ere-edition-de-economia-book
Une clarification des termes
Développement humain et jeunesse sont des notions qui comportent certaines difficultés au niveau conceptuel ; le document apporte des précisions sur la méthodologie et les indicateurs admis relativement à ces deux notions. L’ONDH se fonde sur l’indicateur du développement humain national (IDHN), lequel a été forgé par les dimensions de l’IDH du PNUD, renforcées par l’introduction de trois autres domaines, à savoir le cadre de vie, la cohésion sociale et la sécurité humaine, ainsi que le bien-être subjectif. Comparé à l’IDH, l’IDHN a la propriété d’être plus corrélé à la perception, par la population, de la situation économique et sociale, de l’égalité des chances et de l’équité sociale.
Gâchis inadmissibles et enjeux décisifs
Le premier chapitre dresse un état des lieux de la dynamique du DH au MAROC ; on y apprend déjà que la pauvreté relative, les inégalités sociales et les disparités territoriales font perdre au pays près du quart de son développement humain cumulé. La nuisance du déficit en scolarisation aux niveaux moyens et supérieurs, et des difficultés d’insertion des jeunes dans la vie active, est flagrante relativement au développement humain.
Le second chapitre a été destiné à l’exploration des perspectives du développement humain, en termes de défis et d’opportunités ; les jeunes de « 15-29 ans » constituent un potentiel réel pour la progression du développement humain ; il s’agit d’un capital humain comparativement plus élevé que la moyenne prévalant dans les pays à développement humain élevé ; il correspond aussi 1,7 fois à la moyenne nationale de celui-ci. Mais c’est la précarité sociale qui constitue le frein le plus aggravant à son développement ; la pandémie du Covid 19 l’a encore mis en évidence avec des incidences sur les jeunes en fonction des caractéristiques territoriales, sociales et économiques.
Le déséquilibre en matière de DH est également visible à l’intérieur du pays ; la région de Casablanca-Settat et celles du Sud atteignent un IDH digne des pays à développement humain élevé. La région de Rabat-Salé-Kénitra tend, de son côté, à se hisser vers ce groupe de pays. Inversement, les régions les moins développées comme Beni Mellal-Khénifra et Marrakech-Safi sont encore en dessous de la moyenne nationale, respectivement de 7,2% et 5,6%.
L’inégalité entre les sexes demeure trop présente malheureusement ; non seulement élevée, mais elle résiste à la baisse dans chaque dimension du développement humain. Le rapport qualifie la situation marocaine d’aubaine, du point de vue de la démographie ; les jeunes de 15-29 ans, comptant près de 9 millions de personnes en 2019, représentent 25,3% de la population totale, une chance pour booster le développement du pays mais qui s’estompera aux abords de 2040, tournant à partir duquel les plus âgés vont devenir majoritaires.
Pour améliorer l’identification de ces jeunes, le 3ème chapitre tente une catégorisation de leur profil.
Les strates composant cette jeunesse sont les suivantes : « Jeunes en éducation/formation »,
« Jeunes actifs occupés », « Jeunes NEET purs » et « Jeunes femmes au foyer ». On notera que la strate des « Jeunes NEET purs » est plus prépondérante parmi les jeunes de sexe féminin. Son poids démographique dans la population jeune est assez élevé (oscillant entre 24% et 30%), quelles que soient les régions du Royaume.
De « vieux » jeunes !
Ce chapitre comporte un regard judicieux sur les addictions des jeunes aux drogues, tabac et alcools. Il rappelle notamment qu’en 2014, un lycéen sur 10 a touché au cannabis selon l’Observatoire National des Drogues et des addictions. Pour 64,1% des élèves ayant consommé des drogues, l’âge de la première utilisation se situait avant 14 ans (80,9% en milieu rural, contre 57,1% dans l’urbain). Le rapport estime que « des efforts sont nécessaires en matière de financement et de gouvernance pour réduire la prévalence des principaux comportements à risque », principalement le tabagisme et l’addiction aux drogues. La santé mentale restera un défi d’avenir qui mérite l’attention des pouvoirs publics.
Désormais, pour moult raisons, la jeunesse devient une période plus longue (études qui durent, chômage, mariages tardifs…) ; les jeunes restent donc plus longtemps dépendants de leurs parents, ce qui compromet beaucoup leur autonomie.
Le 4ème chapitre est consacré à la participation des jeunes à la production des richesses. On y relève une décélération du taux d’activité des jeunes au cours des dernières années. Ce phénomène s’explique par l’allongement de la scolarisation, le sentiment de découragement induit par le niveau élevé du chômage, l’éloignement – pour des raisons représentationnelles et culturelles des femmes – du marché du travail. Par ailleurs, les résultats des enquêtes de l’ONDH (2019) laissent entrevoir un chômage de longue durée des jeunes diplômés, estimé en moyenne à 26%.
Priorité à la « décence » !
Les politiques d’emploi au Maroc reposent sur trois composantes : l’appui pour l’accès à l’emploi salarié ; les contrats de formation/insertion ; la promotion de l’auto-emploi et de l’entreprenariat. Le rapport souligne la nécessité d’une dimension territoriale dans ce domaine. Sa principale recommandation est que l’emploi décent devrait figurer comme une priorité des stratégies sectorielles de développement, en lieu et place des performances en termes de volume de l’emploi.
Le rapport rappelle ainsi que l’enjeu ou le défi est d’adapter les services fournis aux besoins de chaque catégorie de cette jeunesse très hétérogène, allant de la formation au conseil, à l’intermédiation et au soutien en revenu. Aussi, les programmes devraient viser en premier lieu la réduction de la pauvreté des jeunes les plus vulnérables, c’est-à-dire les jeunes des zones rurales et ceux de faible niveau de formation (NEET, en particulier les femmes).
Dynamiques digitales et malaises locaux
Les perceptions des jeunes, traitées dans le 5ème chapitre, consacrent le numérique et le digital comme facteur dominant et diversifié dans la vie des jeunes marocains. Mais le chapitre survole aussi leur rapport à la politique, la religion et les diverses institutions de représentation. L’attrait des extrémismes est mentionné. Cependant, 86,8% des jeunes Marocains trouvent le terrorisme incompatible avec leur religion (Generation What70, 2019). Selon l’ONDH, en 2017, les jeunes Marocains accordent peu ou pas de confiance dans les institutions politiques tels que le gouvernement (72,2%), le parlement (73,6%) ou encore les partis politiques (78,3%). Le rapport cite également l’enquête Sahwa réalisée par Economia en 2016, où environ 80% des personnes interrogées déclarent ne faire confiance ni au parlement ni à l’administration en général.
L’autonomie des jeunes Marocains dans ce contexte devient un cheminement de longue durée, erratique, et toujours réversible. Même la crise du Covid-19 concourt aujourd’hui à les ramener plus que jamais dans le giron familial.
La jeunesse marocaine affiche fortement son projet de migration : 7 jeunes Marocains sur 10 sont tentés par cette aventure. L’optimisme qu’ils affichent quant au futur est probablement lié à cette perspective : en 2019, 68,2% de jeunes Marocains déclarent pouvoir être heureux hors du Maroc. La conjoncture de la pandémie met davantage en lumière ces enjeux prioritaires, non adressés ou devant l’être. En plus de remettre les questions d’éducation, d’emploi et de protection au cœur des besoins, elle révèle le lien entre précarité et non-émancipation des jeunes et, partant, la question centrale de l’égalité des chances.
Des politiques sans tableaux de bord
Le sixième chapitre, consacré aux politiques publiques relatives à la jeunesse, constate tout d’abord l’absence de document d’orientation générale servant de référentiel aux politiques publiques à l’adresse des jeunes. Il met en relief la faiblesse, et souvent l’inefficience des dispositifs d’intermédiation pour l’insertion mis en place par l’État. Les dispositifs sociaux historiques sont notoirement sous-financés et sous-dotés en ressources humaines, à la fois en quantité et en qualité. Autre déficit, celui des indicateurs permettant d’évaluer les résultats ou l’impact d’un programme ou d’une politique spécifique. Le ciblage des jeunes pauvres et vulnérables reste insuffisant et la plupart des politiques manquent d’ancrage local.
Enfin, le rapport considère qu’une politique publique à l’adresse de la jeunesse au Maroc se doit d’avoir pour base le triptyque protection, territorialisation et autonomisation. Il s’agit ainsi du besoin de repenser les programmes en cours pour améliorer l’accès des jeunes à une formation ou à un emploi, réduire les déperditions scolaires, améliorer le taux de couverture sanitaire, reconnaître et valoriser la participation citoyenne en encourageant l’engagement politique des jeunes et le soutien au développement d’une société civile organisée et autonome.
Synthése par : Bachir Znagui
Source : Rapport national sur le développement humain 2020: « être jeune au Maroc de nos jours » publié par PNUD en collaboration avec ONDH
Bachir Znagui
Journaliste et consultant de profession. Depuis 2012 il s'occupe également de l...
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