Entretien avec ADNANE ADDIOUI: Comment réfléchir aux problématiques de manière alternative?
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Entretien avec ADNANE ADDIOUI: Comment réfléchir aux problématiques de manière alternative?

Comment définissez-vous l’innovation sociale ?

L’innovation sociale se rapporte à l’identification et au développement de solutions aux problématiques sociales de manière innovante : soit sous forme de process, de méthodologies différentes ou d’utilisation d’outils et/ou de technologies. L’idée, c’est que l’on puisse réfléchir aux problématiques de manière alternative et envisager différentes manières de les résoudre.

À partir de votre expérience sur le terrain, comment le concept est-il perçu par les acteurs socio-économiques ?

La compréhension et la perception de l’innovation sociale par les acteurs diffèrent selon le type d’acteurs, qu’ils soient au Maroc ou à l’étranger. Pour le Maroc, si nous parlons de la société civile et des acteurs internationaux, l’innovation sociale est une question très importante et prioritaire. D’ailleurs, beaucoup d’actions internationales supportent ce type d’initiatives et il y a un très grand besoin, ainsi qu’une forte demande, en termes de process innovants. Ceci s’explique par le fait que les problématiques sociales sont prépondérantes et qu’il est donc nécessaire de trouver des solutions alternatives. Par contre, cela ne semble pas préoccuper les acteurs économiques marocains… La compréhension est souvent mitigée et il y a parfois une certaineméfiance. Si on parle des acteurs publics, on remarque qu’il y a une très grande incompréhension concernant ce domaine. Nul intérêt donc à vouloir développer des solutions dans ce contexte.

Quels sont les enjeux prioritaires aujourd’hui pour l’IS au Maroc ?

Le Maroc a beaucoup de chemin à faire pour que ces concepts deviennent une norme. Nous en sommes très loin,même par rapport à des pays africains ou d’Asie, dont le niveau de développement est similaire au nôtre. Au Maroc, il y a très peu de ressources qui sont mises en place pour pouvoir développer l’innovation sociale, et encore moins pour créer des initiatives à échelle qui puissent créer de l’impact. Un des chantiers prioritaires qu’il faut mettre en place en termes d’innovations sociales est celui de l’éducation. Pas seulement l’éducation pour les jeunes (au vu de leur capacité à apprendre plus vite), mais aussi l’éducation des acteurs, notamment économiques et publics, pour qu’ils puissent reconnaître que l’innovation sociale est un vecteur important d’inclusion socio-économique permettant de trouver des solutions. D’autres chantiers sont aussi importants à prévoir en termes d’innovations sociales, notamment l’accompagnement et le financement des entrepreneurs sociaux, vu qu’il y a très peu d’intérêt local par rapport à ce type d’entrepreneuriat ; ce qui fait que les initiatives d’innovation sociale meurent très rapidement, encore plus rapidement que d’autres types d’innovations. Pourquoi ? Parce qu’elles ne sont pas considérées avecsérieux. C’estmalheureuxparcequesi on compare avec d’autres pays, la situation est plus oumoins inverse.

Quels sont les effets accélérateurs qui peuvent stimuler l’innovation sociale au Maroc ?

Pour accélérerl’innovationsociale, ilfaut que les acteurs locaux y accordent plus d’attention, qu’il y ait plus de financements disponibles pour encourager les initiatives d’innovation sociale et les projets de cette nature ; qu’il s’agisse de projets non-profit ou  for profit. Il s’agit de les développer et de les accompagner pour qu’ils « scalent » et puissent déboucher sur des solutions susceptibles de toucher plus de personnes et permettre une certaine forme d’autonomisation économique aux entrepreneurs sociaux.

L’innovation sociale peut-elle être un moteur réel de l’économie au Maroc ?

C’est une question rhétorique parce qu’il suffit de voir ce qui se passe ailleurs. L’innovation sociale (ou l’innovation tout court) n’est pas seulement un levier, une nécessité pour pouvoir répondre aux problématiques actuelles, que ce soit au niveau de l’éducation, de la santé, de l’accès à l’énergie, au transport, etc. Il faut ouvrir la voie à l’innovation pour pouvoir approcher et appréhender ces problématiques et trouver des solutions. Si nous pouvons développer des mécanismes permettant aux gens de créer de l’emploi à travers l’innovation et de proposer des produits et services accessibles, cela permettra d’accélérer le progrès socio-économique du pays. Il est important de réaliser que nous sommes dans un écosystème où les produits que les citoyens consomment sont, en général, de mauvaise qualité ; donc, si on pouvait avoir de l’innovation sociale appliquée à des produits de première nécessité, ça nous permettrait d’élever la qualité et aussi de redonner un peu confiance aux citoyens dans les produits locaux.

Est-ce un moteur alternatif ou une composante importante du nouveau modèle économique au Maroc ?

L’innovation sociale peut être une composante importante de ce nouveau business modèle ; alors que son absence risque de creuser davantage les disparités sociales. Actuellement, et contrairement à plusieurs pays, il n’existe pas d’initiatives gouvernementales pour soutenir les entrepreneurs sociaux et les organismes de soutien. Tout le monde veut des entrepreneurs et de l’accompagnement, mais personne ne veut payer. Au Maroc, la quasi-majorité des initiatives est financée par la Fondation OCP qui est la seule structure existante et qui permet de garantir la viabilité de l’écosystème aux  côtés de fondations internationales telle que la Fondation Open Society de Soros.