Tanger MED, un modèle économique à revoir

Tanger MED, un modèle économique à revoir

Le port de Tanger Med est situé sur la seconde voie maritime la plus fréquentée au monde, le détroit de Gibraltar, avec près de 100 000 navires par an. Il est conçu comme un « projet intégré » comprenant, outre les ports de marchandises et passagers construits en eaux profondes sur le détroit de Gibraltar, des zones franches et d’activités ; le tout s’appuyant sur une solide infrastructure, incluant routes, autoroutes et voies ferrées.

L’idée initiale du port était de créer une plateforme portuaire moderne à même de faire entrer le Maroc dans les flux internationaux du commerce qui transitent par la Méditerranée. Il est destiné à recevoir des marchandises venues d’Afrique, d’Amérique ou d’Asie via des porte-conteneurs géants et les éclater à travers des feeders1 vers les ports de l’Europe, de l’Afrique du Nord ou de l’Ouest. Avec un investissement estimé officiellement à 7,5 milliards d’euros, la construction du port de Tanger Med est le plus grand chantier d’infrastructure du Maroc. En plus de l’investissement initial pour la construction des trois ports qui constituent l’ensemble, l’État a investi 20 milliards de dirhams pour le rattachement du port à son hinterland et pouvoir de la sorte viabiliser une zone d’activité de 5000 hectares autour du port. Le financement du port a été basé sur un engagement fort du budget public mais aussi sur un endettement massif. En 2011, la dette de Tanger Med Port Autority (TMPA), la structure porteuse d’actifs de Tanger Med Spécial Autority (TMSA), était de 6,1 milliards de dirhams et devrait atteindre à la fin de cette même année 9,1 milliards avec l’emprunt obligataire garanti par l’État de 1,5 milliard réalisé en mai 2012 et un autre, en principe attendu fin 2012, d’un montant équivalent et qui doit être cette fois porté par Tanger Med 2 SA, la structure porteuse d’actifs de TMPA pour le port Tanger Med 2.

Et l’enjeu est d’importance : il s’agit tout simplement d’amener des bateaux vers un port où personne ne venait encore et créer un centre d’activité là où il n’y en avait pas. Sachant que les escales d’un porte-conteneurs ne se justifient que si le port touché peut contribuer au chargement ou au déchargement du navire à hauteur de 10% à 25% de sa capacité totale, le port de Tanger Med se devait, pour être attractif, de proposer des prix et des services compétitifs et de développer l’activité économique de la zone franche pour qu’elle puisse réellement intéresser les armateurs. En l’absence de ces deux conditions, la seule solution qui restait était de confier le port à un gros armateur qui y ferait transiter son propre trafic pour commencer et qui attirerait d’autres armateurs quand le port gagnerait en crédibilité. C’est une solution classique qui a déjà fait ses preuves à Algesiras, Gioa Tauro, Damiette ou Malte. Partant ex nihilo, le port de Tanger a certes pu gagner sa place comme port régional en passant de 0 à 9% de parts de marché en Méditerranée en l’espace de cinq ans, entre son ouverture et 2011, mais les performances d’autres ports le surpassent parfois. C’est le cas de celui de Pirée en Grèce délégué presque à la même date que le début de l’activité de Tanger aux Chinois Cosco. Ce dernier a réalisé une croissance de 287% entre 2008 et 2011 contre 127% pour Tanger Med. Le taux de croissance affiché est loin donc de refléter les performances potentielles. D’ailleurs, pour l’année 2011, l’objectif visé était de 2,6 millions d’EVPor celui-ci sera de 2,093 millions. Officiellement, les principaux mis en cause : les mouvements sociaux. Car il faut savoir que ce sont les armateurs, très fortement organisés en alliances, qui font et défont un port, puisque ce sont eux qui boostent le trafic et l’activité. Un bateau paralysé au port pendant une journée coûte à l’armateur 80 000 euros. Il est de ce fait prévisible que la confiance des armateurs et des opérateurs internationaux se dégrade face à des mouvements de grève répétitifs.

Mais ce qu’il faut aussi retenir est que le prix du port demeure, selon beaucoup d’experts, élevé. En faisant appel à de grands opérateurs mondiaux, TMSA voulait jouer d’une pierre deux coups. D’une part, garantir un trafic (et donc des revenus) important en s’appuyant sur de grandes compagnies maritimes et d’autre part, créer une véritable plateforme industrielle et de services basée sur la logistique du port.

Le problème est que la négociation avec les sociétés délégataires du port a démarré en 2006, en pleine euphorie du maritime. Les perspectives étaient optimistes et TMSA a vite pris confiance dans les capacités du port puisque les demandes affluaient. Résultats : les conditions pour APM terminals et Eurogates sont draconiennes. Les deux délégataires doivent assurer un trafic d’au moins 750 000 EVP par an chacun pour lesquels ils payent des redevances fixes, en plus de payer des redevances variables pour le surplus de trafic généré par les opérateurs. TMPA se garantissait ainsi un chiffre d’affaires contractuel fixe théorique de 60 millions d’euros à même de payer les charges d’exploitation et une partie des charges financières. Jusqu’en 2008, ce modèle, cohérent, est une réussite. Seulement voilà, entre temps la crise des subprimes démarre en novembre 2008. Et le trafic mondial de conteneurs baisse de près du tiers en 2009. En réaction, pour maintenir leur compétitivité, les ports de la Méditerranée réagissent rapidement en baissant leurs prix. Que ce soit Valence, Port Saïd et surtout Algesiras, ils ont tous revu leur prix à la baisse. Tanger Med ne pouvait pas toucher à ses redevances car cela aurait impliqué la renégociation de contrats avantageux avec les opérateurs. Conséquence, le port n’est pas très compétitif et de grands opérateurs mondiaux l’ont retiré de leur circuit. Il s’agit notamment de la compagnie maritime allemande Hapag-Lloyd, après que Safmarine a fait de même en novembre 2011 ou encore celle plus discrète du japonais Mitsui OSK Lines (MOL) qui ont réorienté leurs trafics vers d’autres ports méditerranéens.

L’autre entrave au développement du port est l’agrandissement des capacités de transbordement des ports méditerranéens en cours (projet de Enfidha en Tunisie, agrandissement d’Algesiras, phase 2 de Tanger Med…). Les flux en Méditerranée tendront rapidement à croître ce qui, dans les cinq prochaines années, induira une pression sur les prix. Pire, avec la fonte de la calotte glaciaire, la voie maritime permanente près du détroit de Béring sera praticable dans les dix ans. Tokyo, qui se trouve à plus de 20 000 kilomètres de Tanger par le canal de Suez, tomberait à 15 000 kilomètres par la voie péri-polaire. Ajouter à cela que le canal de Panama est en train de s’élargir, rapprochant la côte est américaine des centres de production chinois. Cette nouvelle donnée relègue au deuxième rang la Méditerranée dans les voies navigables dans les trafics Est-Ouest.

Ainsi, la compétition sur les prix et les flux qui se profilent obligent la révision du modèle économique de Tanger Med et la viabilité de Tanger Med 2 qui, jusqu’à présent, n’est adossé à aucun transporteur ou grand opérateur mondial. On se souvient qu’en 2007, le lancement de la construction de ce nouveau port avait suscité l’intérêt de beaucoup d’opérateurs : Maersk voulait un deuxième terminal au sud de Gibraltar, le singapourien PSA voulait se positionner sur le Détroit après son échec au Portugal, CMA-CGM y avait fait une tentative, etc. Au final, en 2009, l’opérateur national Marsa Maroc se retrouve tout seul sur un quai dont il ne sait que faire. N’ayant pas d’expertise sur le transbordement ni d’association avec de grands armateurs, Marsa Maroc se trouve comme piégé dans Tanger Med 2. D’autant plus qu’avec les coûts supplémentaires engendrés par le port de Tanger Med dûs à l’approfondissement de son tirant d’eau3 de 16 à 18 m, le chantier de Tanger Med devient presque un gouffre financier pour l’opérateur national. L’avantage compétitif de Tanger est bien son emplacement qui lui permet d’être un port « zéro manœuvre » en Méditerranée mais sa structure financière plombée par une dette colossale ainsi que la nouvelle donne dans les routes maritimes et les ports méditerranéens poussent les autorités à réfléchir sérieusement à une meilleur stratégie pour permettre à Tanger Med de remplir pleinement sa vocation en Méditerranée : tirer vers le haut toute l’économie de la région. D’autant plus que le renforcement de Maersk du côté espagnol de Gibraltar n’augure rien de bon pour le Terminal 1 de Tanger Med car il pourra tout simplement devenir un garage pour les conteneurs vides du géant mondial.

Medhub spécialiste de la logistique

Depuis sa création, TMSA a agi en créant des filiales spécialisées. Logistique, ingénierie, Télécom, aménagements… Au fur et à mesure qu’apparaissaient de nouveaux besoins, une filiale y était dédiée. Modus Operandi : la filiale principale devient incubatrice d’autres, jusqu’à maturité de l’activité puis ce dernier est à son tour filialisé. En ce qui concerne la logistique, TMSA a créé Medhub SA.

 

Filiale à 100% de TMSA, Medhub bénéficie d’un statut de zone franche sur une superficie de 250 hectares. Reliée par une zone douanière unique avec le port, elle est exclusivement dédiée aux activités de logistique à valeur ajoutée (assemblage, emballage, mise en kit, etc.). Elle a pour mission principale l’aménagement, le développement, la gestion et la promotion de la zone franche logistique du port Tanger Med. Implantée à proximité immédiate du port à conteneurs, Medhub est la base arrière logistique du complexe portuaire de Tanger Med.

 

Elle constitue, grâce à son excellente connectivité aux réseaux de transport marocains et internationaux, la base arrière logistique du port Tanger Med et une plateforme pour l’implantation de bases logistiques destinées à couvrir l’Europe, la Méditerranée et l’Afrique. Medhub offre non seulement des avantages fiscaux et douaniers importants mais aussi des synergies avec le Port de Tanger Med relié à 120 ports à travers le monde grâce à des liaisons maritimes directes.

Tableau 1 : Part de marché des principaux ports de transbordement en Méditerranée en %

 

2005

2011

Tanger Med (Maroc)

 

0

 

9

 

Gioa Tauro (Italie)

 

20

 

10

 

Port Said (Égypte)

 

10

 

17

 

Algesiras (Espagne)

 

20

 

16

 

Tarente (Italie)

 

4

 

3

 

Damiette (Égypte)

 

8

 

3

 

Valencia (Espagne)

 

16

 

20

 

Malta (Malte)

 

8

 

11

 

Cagliari (Italie)

 

4

 

3

 

Pirée (Grèce)

 

9

 

8

 

Source : Centre de recherche italien pour le développement des territoires SRM (Studi e Ricerche per il Mezzogiorno, basé à Naples)

 

*L’auteur de l’article vient de publier une enquête sur le port Tanger Med en juillet 2012 dans le magazine Economie & Entreprises.

  1. feeder (navire nourricier, navire collecteur) : navire de petit tonnage permettant l’éclatement, sur différents ports, d’une cargaison apportée dans un port principal par un gros navire faisant peu d’escales, et inversement, la collecte de marchandises vers le port principal.
  2. Les porte-conteneurs utilisent des conteneurs EVP (Équivalent Vingt Pieds).
  3. Distance verticale entre la ligne de flottaison d’un navire et le bas de la quille.
  4.