Pour une responsabilité sociétale des universités

Pour une responsabilité sociétale des universités

La thématique de la gouvernance de l’université est une question d’actualité. Au Maroc comme dans le reste du monde, les instances officielles y travaillent en mettant à jour le dispositif de la « bonne gouvernance ». Elle a accompagné le processus de la réforme du système éducatif engagé depuis plus d’une décennie maintenant. Par ailleurs, le nombre important de rencontres scientifiques (colloques et séminaires), organisées notamment par les universités publiques et privées du royaume témoignent de l’adhésion des institutions de formation et de recherche aux principes majeurs de la gouvernance. N’est-il pas alors logique de se demander : quelle gouvernance de l’université pour quelle valeur ajoutée ? Ou encore, quelle gouvernance universitaire pour quel développement sociétal ?

Peut-on transposer la notion de « responsabilité sociale des entreprises » au monde universitaire ?

Dans sa Déclaration mondiale sur l’enseignement supérieur (1998), l’UNESCO énonce que « l’enseignement supérieur et la recherche sont désormais des composantes essentielles du développement culturel, socio-économique et écologiquement viable des individus, des communautés et des nations ». L’université n’est donc plus seulement perçue comme une organisation consommatrice de ressources mais, à l’instar de l’entreprise, comme une organisation créatrice de richesses sociétales.

À partir de là, dans quelle mesure serions-nous prêts à accepter d’assimiler l’université à une entreprise ? Et dans ce cas, peut-on transposer la notion de « responsabilité sociale des entreprises » au monde universitaire ?

Plusieurs universités internationales semblent être déjà engagées dans une telle démarche. En 2014, l’Université du Havre par exemple, formalise sa responsabilité sociale et diffuse son premier rapport de RSU (Responsabilité sociétale des universités) dans lequel elle utilise un vocabulaire réservé habituellement aux entreprises. En effet, elle cite la norme ISO 26000 (cadre de référence de la responsabilité sociétale des entreprises) qui préconise de définir le périmètre pertinent de sa responsabilité sociale, d’identifier ses parties prenantes, de mesurer les impacts de l’université, d’en rendre compte et d’engager un dialogue sur leurs attentes.

Les principes de cette responsabilité sociale reposent sur les concepts de « contrat social » entre l’université et la société, du rôle citoyen de l’université et de la diffusion de la culture de l’éthique à l’université. En vertu de ces principes structurants, l’université devrait inclure dans ses actions stratégiques l’intégration de toutes les préoccupations culturelles, sociales, économiques et environnementales à la fois au niveau de son fonctionnement interne et dans ses relations avec le monde du travail, les collectivités territoriales et les autres composantes de la société1.

Les universités qui communiquent sur leur responsabilité sociale ambitionnent d’adopter un management éco-responsable dynamisant les principes d’équité, de diversité, de santé et de bien-être au travail, de développement des compétences, de protection de l’environnement. Cette responsabilité mène à l’adoption d’un code de conduite transparent et éthique, au rejet de toutes les pratiques contraires à l’éthique (corruption, fraude, discriminations, exclusions…) et à l’engagement en faveur de la qualité, de la transparence, de l’auto-évaluation. Mieux encore, elle serait le garant de l’amélioration de la qualité de vie des campus, de l’accompagnement, de la réussite, du bien-être et de la mobilité nationale et internationale des étudiants.

Ces universités déclarent s’engager à intégrer les ingrédients du développement durable dans les enseignements, la recherche et dans les différentes activités économiques, sociales et culturelles. En somme, elles visent à participer au développement local, à rendre l’accès à la connaissance une réalité pour tous, à défendre les valeurs universelles et à promouvoir la culture du respect de l’environnement tout en suscitant l’engagement solidaire de la communauté universitaire, des étudiants et des personnels dans des actions citoyennes en faveur des territoires.

Un « contrat social » entre l’université et la société

Pour atteindre ces objectifs, les universités s’interrogent sur ce qu’elles font « en tant que sociétés » (vision interne) et sur ce qu’elles font « vis-à-vis de la société » (vision externe)2. La RSU serait donc un engagement fort des acteurs internes pour l’éthique et le développement durable. Elle prône, en parallèle, l’ouverture aux parties prenantes, notamment par l’adoption d’une gouvernance partenariale qui, non seulement œuvre à satisfaire les besoins des étudiants, des chercheurs, du personnel et de la société civile à travers les différentes activités formatives, scientifiques, culturelles, sociales et environnementales, mais crée également des canaux d’information, d’expression et de communication internes et externes. Elle ouvre ses instances de gouvernance et favorise la culture de débat, de la concertation et de la participation de toutes les parties prenantes à la gestion de l’établissement. 

A propos des rôles civiques et les responsabilités sociales de l’enseignement supérieur

La RSU serait donc un engagement qui ne se limite pas à ses principaux protagonistes, à savoir les étudiants et les personnels, mais s’étendrait à toutes les parties prenantes (ou stakeholders)3. En 2005, 29 présidents d’universités de 23 pays signent la Déclaration de Talloires sur les rôles civiques et les responsabilités sociales de l’enseignement supérieur selon laquelle « il est du devoir des universités de promouvoir dans les facultés, ainsi qu’auprès du personnel et des étudiants, un sens de responsabilité sociale et un engagement au bien dans la société, qui, pensons-nous, est incontournable pour le succès d’une société démocratique et juste. [...] Nos institutions reconnaissent que nous ne vivons pas en autarcie vis-à-vis ni de la société, ni des communautés dans lesquelles nous sommes localisés. Nous avons plutôt l’obligation absolue d’écouter, de comprendre et de contribuer à la transformation et au développement social »4.

Cette ouverture sur les parties prenantes n’est pas seulement souhaitable, mais rendue obligatoire en vertu de la loi 01-00 qui fait de l’université un établissement ouvert sur son environnement économique et social par le biais d’ancrage partenarial. L’université a pour missions de faire bénéficier la société des résultats de ses recherches, de son savoir-faire et de ses ressources, de pourvoir l’ensemble des secteurs en cadres qualifiés, compétents et aptes à participer au développement économique.

Pour cela, l’université est tenue de préparer les jeunes à la vie active et productive en leur faisant acquérir les compétences facilitant leur insertion dans le marché du travail. L’université est également tenue de mettre en œuvre un certain nombre d’actions visant à améliorer la pertinence et la valeur de sa formation à travers notamment : la restructuration de son offre de formation (développement des filières professionnalisantes et réduction des filières présentant peu de perspectives de débouchés) ; le suivi de l’insertion des diplômés ; la mise en place d’un observatoire de l’emploi pour anticiper les attentes du marché en qualification et analyser les tendances des besoins en formation tout en proposant des formations continues diplômantes et certifiantes.

Allant plus loin encore, la loi 01-00 dote l’université de la personnalité morale, lui accorde une grande autonomie (financière, administrative, pédagogique, culturelle et scientifique) et la transforme potentiellement d’une administration publique en « une entreprise publique responsable, comptable des deniers publics et avec des objectifs et des obligations de résultats »5. Ainsi, le périmètre des activités de l’université s’élargit au-delà de ses missions premières de formation, de recherche, de production et de diffusion du savoir. L’université peut assurer des prestations de service (expertises, formation continue…) à titre onéreux, créer des incubateurs d’entreprises innovantes, exploiter des brevets et licences et commercialiser les produits de leurs activités. Elle a également la possibilité de renforcer ses activités entrepreneuriales (par des prises de participations dans des entreprises publiques et privées ou par la création de filiales ayant pour objet la production, la valorisation et la commercialisation de biens ou services dans les domaines économique, scientifique, technologique et culturel). Sur toutes ces questions d’ailleurs, une évaluation scientifique reste à faire.

L’université comme source de valeur sociétale

Pour conclure, la responsabilité sociale de l’université n’est pas un but à atteindre mais un processus ouvert qui pousse l’université à s’interroger continuellement sur la manière d’établir le lien entre ses différentes activités, les besoins de ses parties prenantes et les impératifs du développement durable. Et c’est ce rôle qui permettrait à l’université de constituer une source de valeur sociétale. La question qui se pose maintenant est le passage de la théorie à la concrétisation de la RSU. Entre ce que la loi permet et l’usage qu’il en est fait par les acteurs universitaires, il existe un décalage. Entre ce que les acteurs désirent faire et ce qu’ils font réellement, il existe toujours une distance. Si l’université marocaine a tardé durant quinze ans à concrétiser les apports de la loi 01-00, comment peut-elle accélérer le pas pour devenir une institution à responsabilité sociale ? Dans quelle mesure la RSU, telle que présentée, peut-elle être consolidée par la révision engagée de ladite loi ? Quelles sont les mesures d’accompagnement et les mécanismes de contrôle et d’évaluation nécessaires à la mise en œuvre de la loi rénovée ?

 

 

1.     Voir la définition de l’Observatoire de la Responsabilité des Universités créé en France.

2.     Danis-Fatôme Anne (2014, sept.). La Responsabilité sociale de l’université (RSU). Université Paris Ouest, Nanterre La Défense. Rapport téléchargé sur la page : http://www.u-paris10.fr/l-universite/innovation-sociale-553004.kjsp

3.     Rappelons qu’une partie prenante est une personne ou une entité susceptible d’impacter ou d’être affectée par les politiques et les activités de l’organisation publique, ou qui considère être concernée par l’activité de l’organisation et le service public attendu (Guide du dialogue avec les parties prenantes). Il s’agit, pour les établissements d’enseignement supérieur, des ONG, des associations, des communes, des départements sectoriels, des autorités territoriales, des entreprises et leurs représentants (CGEM, fondations…).

4.http://talloiresnetwork.tufts.edu/wp-content/uploads/DeclarationinFrench20081120123625.pdf

5.     Kouhlani, B., Ennaji, M. (2012, nov.). Les réformes des systèmes de gouvernance dans l’enseignement supérieur au Maroc. Rapport UNESCO, IIEP/Prg.MM/SEM331.