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Adil El Ouazzani
Mohammed Adil El Ouazzani est professeur à HEM et chercheur à Economia, HEM Research Center. Il est titulaire d’un Doctorat en Sciences de Gestion de l’Université de Bordeaux. Ses travaux de recherche portent principalement sur la finance organisationnelle et la gouvernance d'e...
Voir l'auteur ...Entretien avec Khalid Baddou : Une marque Maroc existe-t-elle ?
Le national branding1 constitue une dimension importante du concept d’actif immatériel, en ce qu’elle comporte des composantes symboliques fortes comme l’image, la culture, la diplomatie et le rayonnement à l’international. Qu’en est-il de la marque Maroc ? Economia s’est adressé au Président de l’Association du marketing et des métiers de
la communication (AMMC), M. Khalid Baddou, pour saisir et mieux appréhender la question. Selon lui, celle-ci est en grande partie encore à construire, et ce, malgré des efforts de promotion et de communication disparates qui gagneraient à tendre vers plus de convergence.
La marque Maroc, une réalité multiple
Pour un pays comme le nôtre, qui ne s’inscrit pas encore dans une logique de réflexion poussée sur ce qu’est une marque pays, on peut dire que la marque Maroc peut être définie ainsi : il s’agit de toute la valeur du capital immatériel que le Maroc peut créer et valoriser. C’est notamment l’objet de l’étude et de l’évaluation de Bank al Maghrib et du CESE (Conseil économique social et environnemental) depuis un certain temps ; cet actif repose sur quatre principaux axes :
- les richesses tirées de la valeur du positionnement géographique du Maroc, en tant que porte de l’Afrique, à proximité de l’Europe, et ce, en termes d’attractivité des investissements et de potentiel d’exportations ;
- les traditions, la culture, les coutumes : le capital symbolique ;
- le soft power ou la valorisation des talents à l’instar des étudiants marocains qui brillent à l’étranger comme sur le sol marocain ;
- toute la richesse tirée de la diversité culturelle et ethnique marocaine, les régions et territoires, leurs produits…
Tout ce mix peut constituer ce qu’on peut appeler l’ADN de la marque Maroc.
L’approche prônée par les pays avancés en la matière débute généralement par un travail de compréhension appuyé par de nombreuses études. Comment, par exemple, le pays est-il perçu ? Il s’agit d’un véritable travail de marketing qui vise à donner des connaissances précises sur les perceptions liées à de nombreuses dimensions. Dans le cadre de l’Association du marketing et des
métiers de la communication (AMMC), nous avions réalisé une étude sur les perceptions de l’image du Maroc qui a permis de montrer que cette image n’est pas unique et unifiée. C’est une image qui est très sporadique et qui n’est pas figée sur deux ou trois éléments. Pour les pays du Maghreb par exemple, le Maroc est avant tout un pays touristique, et contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce n’est pas un pays aussi stabilisé qu’on le dit2. Au niveau de l’Afrique francophone, la perception est très positive, expliquée notamment par les visites de Sa Majesté le Roi. Les pays d’Afrique anglophone ont peu de connaissance sur le Maroc, mais n’en ont pas une appréhension négative.
Un effort d’uniformisation, est à entreprendre…
Aujourd’hui, la marque Maroc manque de cohérence. Nous avons autant de plans sectoriels que d’approches : chaque secteur travaille la marque Maroc de son côté. Le tourisme va faire la promotion du tourisme marocain, l’artisanat va valoriser les produits artisanaux et ainsi de suite. Le socle est globalement le même – ce qui est une chose positive –, mais les discours et les argumentaires peuvent différer à certains niveaux. Et cela se traduit dans la réalité : nous pouvons trouver par exemple dans un important salon à l’étranger deux pavillons du Maroc qui représentent le même pays de manière différente, comme nous pouvons trouver des opérateurs économiques à l’étranger qui ont des stands aux couleurs, visuels et discours différents, etc.
Ces difficultés traduisent un déficit de stratégie et de vision unifiée en la matière. Le principe des 3C n’est pas clairement appliqué. Déficit en termes de Convergence, de Cohérence et de Coordination entre les différents plans et acteurs qui doivent converger sur une image unique, et ce, malgré les investissements conséquents de promotion.
Les pays qui ont pris conscience de l’importance de la marque pays comme l’Afrique du Sud, la Turquie, l’Espagne ou le Luxembourg ont mis en place une instance spécialement dédiée à la création, au développement et à la coordination de toutes les initiatives promotionnelles. Et cette approche ne peut réussir sans une volonté au plus haut niveau de l’État.
Nécessité d’une vision commune pour des externalités positives certaines
Le Maroc gagnerait à consolider les études qui plaident en faveur de la création d’entité qui puisse coordonner et déployer le label Maroc. Les problèmes de budget, ainsi que de tutelle, doivent s’effacer au profit d’une vision commune. Cela suppose que les acteurs sectoriels acceptent de financer cette entité suprême pour l’intérêt général du pays. D’ailleurs, les retombées n’en seront que plus bénéfiques3. Ce travail de convergence, de cohérence et de coordination s’avère une nécessité stratégique non seulement pour faire éclore le label Maroc, mais également pour valoriser le made in Morocco, lui-même sujet à des divergences au niveau de sa définition. Est-il ou devrait-il être un made in industriel, agricole, touristique, des produits du terroir ? Le label Maroc devrait jouer un effet de levier pour toute la production marocaine. Dans les années 1990, les produits turcs étaient perçus comme des produits moyens de gamme, tandis qu’avec l’avènement de leur label, la perception a progressé de plus en plus positivement jusqu’à la qualité qui leur est connue actuellement. N’oublions pas que la marque pays profite non seulement au pays dans son ensemble, mais également aux entreprises locales et aux exportations.
Pour une meilleure structuration
La marque Maroc est une affaire de tous et doit être portée par tous les acteurs, à l’instar de la diplomatie économique qui fait un travail de fond remarquable sur le continent africain. Mais, il serait dommageable de ne pas capitaliser sur l’existant et sur les atouts du pays pour forger le label Maroc, et ce, malgré les problèmes structurels. Une meilleure communication, plus offensive et les leviers permis par le marketing (études de marché, promotion, réseaux sociaux, etc.) sont des axes sur lesquels il faut progresser, sur la base d’une réflexion commune et des 3C évoqués. Certes, la diplomatie marocaine qui intègre en son sein de bons communicants qui connaissent le marketing et la communication constitue un point très positif. Mais cela ne suffit plus ; davantage d’études et d’efforts marketing seraient bénéfiques sur les composantes du label Maroc, comme le font les Sud-Africains qui ont su mettre le doigt sur ce qui les rend fiers et qui rétablissent une identité nationale. Le travail, donc, ne s’arrête pas là ; encore faut-il développer des outils et des indicateurs de mesure pour le suivi de la marque Maroc. L’intérêt et l’urgence sont là, passons à l’action maintenant!
Notes
1. « Marque pays » en anglais.
2. Des facteurs d’ordre géopolitique portés par des stratégies de lobbying expliquent notamment ce résultat.
3. Ceci est valable également pour un meilleur positionnement du Maroc pour l’affaire du Sahara.