Le sens du travail

Le sens du travail

Auteur : Hubert Landier, Bernard Merck

Hubert Landier et Bernard Merck plaident contre une pensée de la relation travailleur-entreprise fondée sur le mode de la compensation et en proposent une approche beaucoup plus globale.

Le travail, c’est bien connu, est une torture, comme l’indiquent l’étymologie et l’histoire des revendications adressées à l’entreprise pour augmenter la rémunération des travailleurs et diminuer la durée légale. Dans cette même veine s’est inscrite, dès les années 1980, la notion de « bien-être au travail », qui a conduit, avec le « management humaniste », à revendiquer de meilleures conditions de travail, prévenir les risques psychosociaux et dénoncer les discriminations (raciales, de genre, contre les minorités sexuelles, etc.).

Mais, pour Hubert Landier et Bernard Merck, tous deux vice-présidents de l’Institut international de l’audit social, cette approche ne suffit plus aujourd’hui à fonder la politique sociale de l’entreprise. Car le monde a changé : finie l’avance technologique de l’Occident sur le reste du monde, fini « l’optimisme » hérité des Trente Glorieuses pour qui « la croissance économique […] et avec elle, l’augmentation régulière du pouvoir d’achat, constituait la mesure dominante du progrès social ».

Il est donc nécessaire de « repenser nos instruments de compréhension du monde » pour « proposer aux interlocuteurs sociaux des critères et une technique d’appréciation de la contribution de l’entreprise au mieux-vivre des salariés qu’elle emploie ». Les notions de développement humain et de mieux-vivre sont au cœur de leur réflexion.

Les auteurs s’en prennent en effet au fétichisme du PIB, construction statistique élaborée dans le contexte de l’après Seconde Guerre mondiale, qui aboutit à assimiler l’augmentation de la production marchande à un mieux-vivre de la population. D’où le « dérapage » faisant du taux de croissance « un objet d’espérance, un objectif à poursuivre, une « ardente obligation » et une mesure de l’efficacité de l’action menée par les pouvoirs publics. L’on n’est plus sur le registre du rationnel, mais sur celui du sacré. L’on pense à l’ancienne Chine où la prospérité était le signe que l’empereur avait la faveur du Ciel ».

Or ce taux ne mesure pas les externalités négatives : « une augmentation du pouvoir d’achat peut, dans la réalité, dissimuler une diminution des agréments de la vie et un taux de croissance, même élevé, peut dissimuler une baisse certaine des conditions de vie ». Les auteurs dénoncent cette « illusion économique » basée sur les « chiffres incantatoires dont use le marketing politique » et rappellent que « ce n’est pas la politique qui doit être au service de l’économie, mais bien l’économie qui doit servir la vision politique sur laquelle se fonde la recherche de l’intérêt général ». Ils s’inscrivent dans la lignée des travaux de Bertrand de Jouvenel, un des premiers à avoir « mis l’accent sur l’absence d’une prise en compte des dégâts causés à l’environnement », de l’économiste indien Amartya Sen qui a conçu l’indice de développement humain développé en 1990 par le PNUD, et de l’initiative du mieux-vivre de l’OCDE en 2011, qui a conduit à la création d’un Better Life Index. Pour eux, l’hédonisme situant le bonheur dans la consommation n’est qu’« une option morale parmi d’autres ». Du reste, il ne convient pas à l’entreprise puisqu’il vise le confort et non l’effort lié intrinsèquement au travail. Il faut donc accorder plus d’importance à trois autres axes : l’équilibre entre les activités humaines et le monde naturel, le respect des diversités, et l’autonomie de la personne.

 

Pour un leadership humaniste

Hubert Landier et Bernard Merck s’interrogent sur la contribution de l’entreprise à ce développement humain et à ce mieux-vivre et cherchent comment mesurer la performance pour que les indicateurs de développement humain servent à mettre en place une politique RH plus efficace. Il est délicat, en effet, de déterminer la « météorologie sociale ». Les sondages et les audits peuvent mesurer le degré de cohésion du corps social, la perception du comportement de l’encadrement, des méthodes de management, du comportement de la direction, des relations collectives de travail, de l’avenir et de l’environnement de l’entreprise. Mais il ne faut pas confondre bonheur et bien-être au travail. Les auteurs s’appuient sur l’analyse de Richard Layard, professeur au London School of Economics et auteur du Prix du bonheur (Armand Colin, 2007), qui identifie plusieurs dimensions contribuant à l’évaluation d’un « bonheur national brut » : la situation financière, les relations familiales, le travail, les groupes et les amis, la santé, la liberté individuelle et les valeurs personnelles. Mais dans l’entreprise, comment mesurer ces composantes ? La « comptabilité universelle » est pour eux une illusion dangereuse car « en élargissant la sphère économique à tous les aspects de la vie, en prétendant lui conférer un caractère universel, [elle] supprime l’autonomie de choix des individus, et donc leur liberté en imposant un système financier de valeur unique ». De plus, l’entreprise n’a pas à se substituer à l’Etat providence qui « n’est plus en mesure, financièrement, de tenir ses promesses ». Les évolutions du travail, dans un monde en réseau et de plus en plus immatériel, invitent par ailleurs à repenser « le contrat juridique et moral entre le travailleur et l’institution qui fait appel à ses services » : les auteurs n’excluent pas (sans d’ailleurs s’en émouvoir) que le contrat salaire versé pour une durée de travail convenue, assortie de garanties de conditions de travail et de prévoyance sociale et de sécurité de l’emploi évolue en s’inspirant « du droit commercial plus que du droit du travail. » Dans ces conditions, comment faire en sorte que les gratifications immatérielles à proposer correspondent aux attentes ? Et quelles en sont les limites ? « Est-ce à l’entreprise de mettre à disposition des salariés des conseillés matrimoniaux ? » Comment promouvoir des dimensions du bonheur aujourd’hui négligées et « comment, par une politique sociale unique, répondre à la diversité des préoccupations personnelles ? » Hubert Landier et Bernard Merck plaident pour une meilleure articulation avec les autres champs d’épanouissement personnel (santé, famille, sociabilité, valeurs). Pour réhabiliter le sens du travail. Stimulant.

 

Par : Kenza Sefrioui

 

Travail et développement humain : les indicateurs de développement humain appliqués à l’entreprise

Hubert Landier et Bernard Merck

Editions EMS, collection Questions de société, 138 p., 14,50 €


Réinventer le rapport pour dire « nous »

Réinventer le rapport pour dire « nous »

Auteur : Jean-Luc Nancy

Frédéric Neyrat, philosophe spécialiste de biopolitique, s’intéresse à la pensée politique de Jean-Luc Nancy, qui remet le commun au cœur de l’existant.

Lecteur de Derrida, Althusser ou encore Deleuze, le philosophe français Jean-Luc Nancy a construit, dans son œuvre prolixe, une pensée remettant en cause la systématicité moderne, notamment « la destruction du monde que génère l’économie du capital ». C’est cet aspect profondément politique qu’explique Frédéric Neyrat, qui, lui, s’intéresse à la biopolitique, c’est-à-dire à la manière dont le pouvoir façonne la vie des gens.

Dans ce petit livre, qui intéressera les passionnés de philosophie aguerris à une certaine aridité conceptuelle, la question de fond est « comment est-il encore possible de dire « nous » ? » Pour Jean-Luc Nancy, la solution est ce que Frédéric Neyrat appelle un « communisme existentiel » : il considère en effet le communisme comme la « « vérité » de la démocratie ». Il ne s’agit pas du communisme au sens politique, tel qu’expérimenté dans l’histoire, mais dans un sens ontologique. Jean-Luc Nancy a une conception inédite de l’existentialisme : un « existentialisme radicalisé ». Pour lui, il n’est pas de transcendance qui ne soit celle de « l’être-au-monde de tous les existants, la transcendance de l’exister lui-même ». Adhérant à la pensée de Lucrèce et à sa théorie du clinamen permettant la rencontre des atomes, le philosophe va plus loin. Il pense qu’« il n’y a pas d’abord un existant, puis des relations entre cet existant et les autres, il y a formation d’existence par et dans les relations avec les autres ». La communauté et le partage sont donc premiers. « Une pensée de l’existence, de l’ex et de l’ex-position, ne peut que refuser l’idée selon laquelle tout resterait à l’intérieur. Au contraire, tout commence par la position originaire d’un au-dehors ». Que l’être humain se croie intouchable et puisse « détruire un monde auquel, en définitive, il croit ne pas appartenir » est donc inadmissible. Ainsi, « les existences comme telles ne sont pas des atomes, des individus clos sur eux-mêmes, elles sont originairement en rapport », explique Frédéric Neyrat, qui se propose d’étudier « ce communisme en matière d’être, ses racines et ses implications politiques ».

 

Les dangers de l’archi-économie

Il s’agit en effet de repenser le lien social, pour « lutter contre tout individualisme, tout ce qui tend à fermer absolument les existences sur elles-mêmes ». Pour Jean-Luc Nancy, « l’interconnexion généralisée de tout avec tout peut conduire au pire, aux épidémies comme aux crises financières systémiques ». Sa préférence va au concept de « rapport », car ce qu’il refuse, c’est surtout l’équivalence de tout avec tout, « l’aplatissement de toutes les différences » dans une « struction » qui n’est qu’une juxtaposition dépourvue de sens. Or, explique Frédéric Neyrat, « collaborer à la juxtaposition, c’est considérer que tout ce qui est peut être défini sur un même plan, horizontalement, à la manière d’objets qu’on pourrait accumuler selon le modèle d’une liste : un ours blanc, une centrale nucléaire, un sans-papier, un téléphone portable… Dans une telle perspective, tout devient plat, objet, équivalent ». Il faut au contraire penser l’écart, laisser place au « jeu – dans tous les sens du terme » au cœur de ce qu’on croyait immuable et coupé de toute altérité. La pensée de Jean-Luc Nancy repose sur cette place accordée à l’hétérogène. Pour lui, « chaque être est « singulier pluriel », soi et plus que soi », car « toute existence est co-existence ». C’est cette pensée de l’hétérogénéité qui permet d’établir le rapport et qui rend possible la formulation d’un « nous » qui fasse droit aux singularités sans les rendre équivalentes.

En posant la question de l’être-en-commun, c’est en fin de compte au capitalisme que s’oppose Jean-Luc Nancy, plus précisément «  à l’équivalence des particularités que génère le capitalisme ». Car le capitalisme impose une « archi-économie », il repose sur « la valorisation de ce qui est déclaré substituable »Il « réduit la singularité à la particularité et la circulation ontologique de l’être et du sens aux transactions marchandes »Il constitue donc un danger, par la « diffusion totalitaire » dans tout le corps social de sa pensée faisant que « tout devenait économique ». Dans son essai sur L’équivalence des catastrophes (Après Fukushima) (éd. Galilée, 2012), Jean-Luc Nancy met à jour les dangers de cette archi-économie et approfondit la pensée de Marx : « Marx, en formalisant la question de l’équivalent monétaire, énonçait en fait « plus que le principe de l’échange marchand », il découvrait que la valeur de nos sociétés est l’équivalence », explique Frédéric Neyrat. Or, si tout est équivalent, la démocratie se réduit à « la gestion impuissante de la struction ».

Pour contrer cette équivalence, le philosophe rappelle la pensée humaniste d’Erasme, pour qui « L’homme ne naît pas homme, il le devient ». Il propose de « ne plus penser la liberté comme fondement de substitution » mais de « d’abord l’envisager comme un fait ». Jean-Luc Nancy cherche à revivifier le concept de démocratie en pensant une « « démocratie nietzschéenne » qui nous rendrait à nouveau capable de dire « nous » ». L’étape fondatrice, indispensable, pour ce faire est donc de repenser le rapport, en « laissant une place à l’inéquivalence ». L’objectif n’est pas de « refonder une hiérarchie, mais une égalité ouverte sur et par l’incommensurable », sur un « communisme de l’inéquivalence ». Pour Jean-Luc Nancy, « démocratie est le nom de ce qui nous oblige à penser ensemble le dis(sensus) et le con(sensus). Démocratie nous oblige à penser le dis – la distance, l’écart – de façon ontologique avant de le penser en terme politique ». Grand lecteur de Rousseau, pour lui, « le contrat social est anthropologique avant que d’être politique », il a en vue « bien plus une civilisation, une manière d’envisager l’homme en commun, qu’une politique ». Et c’est cette réflexion en profondeur qui permet de refonder une politique sans tomber dans le danger inverse que serait le fait de « mettre en forme une archi-politique de l’identité ».

 

Par : Kenza Sefrioui

 

Le communisme existentiel de Jean-Luc Nancy

Frédéric Neyrat

Éd. Lignes, collection Fins de la philosophie, 80 p., 13 €


Un livre qui évite « les questions délicates »

Un livre qui évite « les questions délicates »

Auteur : Philippe d’Iribarne

L’Islam est-il démocratique ? On ne cesse aujourd’hui de poser cette question en occident ? Philippe d’Iribarne tente maladroitement d’y répondre, sans avoir la maîtrise du sujet  et sans approfondir ses recherches.

L’Islam est-il compatible avec la démocratie ?  se demande l’auteur de ce livre qui part du postulat : L’Islam ne laisse pas de place à l’incertitude, au doute, c’est la religion de l’absolu ce qui semble freiner la mécanique démocratique.  Pour des raisons qu’on ignore, l’auteur adopte, une position extrémiste dès les premières pages pour définir l’Islam.  Voici ce qu’on peut y lire : « La seule attitude sensée est de se soumettre. Nul ne peut douter, poser des questions, s’il n’est de mauvaise foi. Ne peuvent résister que ceux qui sont orgueilleux, pervers, insensés, ennemis de la raison, sont animés de noirs sentiments…. ».  Ces mots, nous les entendons, certes, mais dans la bouche de fanatiques musulmans. Comment le sociologue peut-il baser son argumentaire sur ces aprioris pour avancer sa thèse ?  Sur quels exégètes s’est-il appuyé pour dire cela ? Celles Ibn Ishâq, d’Al-Tabarî ou encore d’Ibn Sa’d ? Aucun d’entre eux bien évidemment ! Et il ne cite pas de référence non plus. Ce sont ses propres conclusions !

Les références sont pourtant nombreuses et sans même aller chercher très loin dans l’histoire, on peut revenir sur les travaux de réformistes tels Taha Hussein, Mohamed Iqbal ,Mohamed Abdou ou plus récemment les Mahmoud Hussein. Le sociologue  évoque furtivement Mohamed Arkoun et survole ses recherches les sortant souvent de leur contexte.  

Un peu plus loin, il nous explique qu’« on n’observe pas de divergences entre sourates (en particulier entre celles de la Mecque et celles de Médine). Il n’est donc pas utile d’aborder la question délicate, et qui suscite des débats infinis des versets réputés abrogeants ou abrogés », affirme-t-il. En évitant ces interrogations justement, l’essayiste esquive la réelle question- qui d’ailleurs- met en danger sa thèse.

Les versets abrogés et abrogeants prouvent justement le caractère évolutif du Coran. En vingt ans de révélation, le Livre sacré s’était accommodé de changement de situations. Des versets entiers ont été abrogés et remplacés par d’autres. Cette « délicate question » prouve justement que la charia telle qu’on la conçoit aujourd’hui n’a pas lieu d’être parce que le monde a changé. Le coran peut donc évoluer selon le temps, le contexte et les situations que nous vivons et c’est une preuve que son message peut s’accommoder de  notre vie moderne et donc de la démocratie.

Et puis autre chose. Contrairement à ce qu’avance l’auteur, les versets dits mecquois et les versets médinois sont tout à fait différents. Les sourates mecquoises se rapportent toutes à la nature du divin  et à sa relation avec l’humain. C’est-à-dire, tout ce qui relève de la métaphysique. Et c’est cet aspect qui demeure immuable. En revanche, les versets médinois ont trait aux relations entre les hommes et régissent leurs rapports sociaux et toute cette partie peut évoluer. En clair, c’est là que la démocratie peut s’épanouir.

Il est regrettable qu’Iribarne n’ait pas creusé ces deux aspects qui sont, d’ailleurs le point de départ de tous les clivages. C’est de là qu’est née la problématique du coran créée ou incréée. Question cruciale qui a opposé les rationalistes (Mu’tazilites) aux traditionnalistes (Hanbalites).  Ces derniers sont décrits par l’auteur comme les victimes de Mu’tazilites, alors que nous sommes aujourd’hui les victimes d’Ibn Hanbal. N’est-ce pas sa thèse littéraliste qui a fermé toutes les issues de la rationalité au débat ? La thèse traditionnaliste qui réfute toute réflexion sinon l’application des préceptes sans aucune distinction a prévalu jusqu’à nos jours, grâce à ceux qui ont suivi sa route tels, Ibn Taymiyya  (XIVe siècle) ou encore au tristement célèbre Ahmad ibn ‘Abd al-Wahab (auquel on attribue la paternité du  whabisme). Pourquoi en citant Ibn Hanbal, l’auteur n’explique pas au lecteur sa doctrine ?

De toute évidence, le sujet mérite bien plus de réflexion, davantage de référence et de profondeur surtout dans le contexte actuel où tous les amalgames sont possibles.

Il y a souvent confusion entre Islam et interprétation de l’Islam. L’auteure évite de rentrer dans les divisions religieuses et pourtant, on ne peut comprendre la violence et l’absence de débat aujourd’hui sans se référer à l’histoire et sans parler des différents mouvements religieux.

 

Une thèse qui réfute le doute

Dans sa thèse sur l’Islam, c’est l’auteur qui, malheureusement, refuse d’intégrer le doute dans ses propos. Le texte coranique a traversé les siècles et a été l’objet de tant de réflexions, de méditations et de commentaires de tous genres, scientifiques tout autant que philosophiques ou théologiques, et on ne peut parler de l’Islam, aujourd’hui, sans traverser toutes ces étapes et sans s’y arrêter longuement pour essayer d’en déceler le sens. L’Islam devant la démocratie, est un  livre émaillé d’amalgames de propos hors contextes et d’omissions.

Dans son chapitre, Un monde de preuves, l’auteur dit que « le Coran est la manifestation éminente de cette Vérité venue de leur Seigneur »  et poursuit  « cette vérité est de l’ordre du démontable ». Le mot vérité à été traduit par Jacques Berque par  « le Vrai », chez les soufis ce mot est compris dans le sens du  « Juste ».

L’auteur s’arrête au sens littéral pour étayer sa thèse et s’embarque, du coup,  dans une argumentation erronée. Dans son dernier chapitre où il compare la religion chrétienne et la religion musulmane, il nous offre des  « morceaux choisis » de la tolérance chrétienne qu’il oppose à d’autres morceaux aussi bien choisis de l’intolérance musulmane. En évoquant le prophète Mohammed, il évite de parler, par exemple, du principe de la Choura en Islam. Cette forme de « démocratie » qui consiste à consulter ses compagnons avant de prendre des décisions…Tout cela est à méditer, bien sûr,  mais encore faut-il le vouloir…

 

 

Par : Amira Géhanne Khalfallah  

 

L’Islam devant la démocratie

Philippe d’Iribarne

183 pages

16,90 euros

 


 Le petit-bourgeois est l’homo oeconomicus capitalisticus

Le petit-bourgeois est l’homo oeconomicus capitalisticus

Auteur : Alain Accardo

Pour Alain Accardo, rompre avec le mode de vie petit-bourgeois est le seul moyen de combattre l’hégémonie du capitalisme.

Décidément, s’indigne le sociologue Alain Accardo, le « prolo » n’est plus ce qu’il était ! Fini « le temps des prolétaires « purs et durs » », l’heure est aux « prolétaires à temps partiel ». Car ce n’est plus le prolétariat qui doit être « le vecteur potentiel du changement social », mais la petite-bourgeoisie. Quand prime la logique économique, quand « la morale de la modernité est une éthique entrepreneuriale qui se résume à une triple règle aussi catégorique que l’impératif kantien ; quoi qu’on entreprenne il faut : a) réussir ; b) dans le plus court terme ; c) au moindre coût », il se produit une « moyennisation de la société » : l’influence des classes moyennes grandit et leur mode de vie consumériste devient la norme. Or, la soif de consommation du petit-bourgeois étant limitée par ses moyens, celui-ci n’est qu’« une caricature de bourgeois, condamnée à la simagrée et au simulacre perpétuels ». « Exister socialement, c’est être vu, ironise l’auteur. Nos classes moyennes se sont procuré des moyens nouveaux de se donner en spectacle et de s’imposer à l’attention d’autrui. Des moyens d’une telle puissance qu’en comparaison les gesticulations et les pitreries voyantes de Monsieur Jourdain et de ses moniteurs pourraient passer pour un modèle de discrétion et de retenue ». Cette « comédie de la grandeur » conditionne les classes moyennes à « confondre l’être avec l’apparence de l’avoir ». Leur éthique ? une « soif inextinguible de jouissance immédiate, sans fin et sans frein », une épargne, non pour les coups durs mais « pour s’enrichir », des « comportements du type après-moi-le-déluge » sous couvert de libertarisme et un activisme humanitaire pour compenser « l’abandon du projet politique de transformation des rapports sociaux ». Ces consommateurs infantilisés et aux liens de solidarité restreints sont, « pour le capitalisme, la meilleure population, la plus réceptive, la plus docile et la plus enthousiaste ».

 

Dialectique du dedans et du dehors

Alain Accardo s’interroge depuis longtemps sur l’échec de la lutte anticapitaliste. Celle-ci, postulant la séparation entre travailleurs et propriétaires des moyens de production, imputant l’indifférence des exploités à la « méconnaissance de leurs véritables intérêts de classe »,  et sans théorie de la subjectivité individuelle, a commis une « erreur objectiviste ». Les travaux de Pierre Bourdieu, notamment Les Héritiers et La Distinction, ont fait prendre conscience au sociologue militant qu’« un même univers social existe toujours sous deux formes conjointes », des « structures objectives de distribution de différentes espèces de capitaux » et des « structures subjectives de personnalité au-dedans », toutes deux homologues, car un système social « façonne les diverses variantes de celui qui peut contribuer à son fonctionnement et à sa reproduction. » Alain Accardo réalise donc que « le système objectif dans lequel nous vivions vivait aussi en nous, sous forme d’un homo oeconomicus capitalisticus toujours davantage enraciné dans toutes les dimensions de notre subjectivité ». Si le capitalisme a tant de succès, c’est qu’il repose sur une adhésion volontaire, sur le mode de « l’inconscient social ».

L’analyse d’Alain Accardo se double d’un violent réquisitoire contre les classes politiques des démocraties occidentales, surtout contre la gauche social-démocrate et réformiste, « convaincues que l’économie libérale est la source de la prospérité généralisée », « contresens fondamental » qui occulte l’histoire des résistances du capitalisme à une plus juste répartition des richesses. Il déplore la réduction à peau de chagrin de l’autonomie du champ politique : « Les étiquettes traditionnelles de « gauche » et « droite » ne servent plus qu’à désigner, sur l’échiquier politique, des différences dans l’évaluation et le rythme des concessions qu’il convient d’opérer, en matière de politique sociale, pour éviter que la contestation de l’ordre établi n’atteigne un seuil critique risquant de compromettre son bon fonctionnement et sa reproduction ». Or, « à quoi bon faire de la politique si la seule politique possible est de gérer l’ordre économique imposé par les puissances de l’argent ? » Alain Accardo dénonce la « propagande » du capitalisme, tolérant une certaine contestation qui « constitue la part fonctionnelle de dissensus dont le régime a besoin pour s’affirmer démocratique », tout en veillant à ce que ses fondements restent « hors du champ de la discussion légitime ». Il décrypte le rôle de l’école dans la reproduction de ce système : si un gouvernement ordonnait aux enseignants « de s’arranger pour que l’échec scolaire frappe massivement, tout au long du cursus, les enfants des classes populaires – de sorte qu’au niveau des formations et des filières les plus prestigieuses on ne trouve qu’un pourcentage infime de ces enfants, véritables miraculés de la sélection par l’échec –, ils crieraient au scandale, au crime contre l’esprit et s’insurgeraient contre de telles instructions. Et pourtant c’est exactement ce qui se passe dans la réalité ». Idem dans le domaine de l’information : « De nos jours, on ne traînerait probablement plus Galilée en justice. Mais on continue à instruire en toute occasion le procès truqué de tous ceux qui, de Marx à Bourdieu, ont dénoncé les mensonges et les illusions de nos sociétés de classes. » Et de dénoncer le fait que la majorité est reléguée dans un quasi analphabétisme en matière d’analyse historique et sociale et privée des instruments de pensée utiles à une démarche critique.

Ainsi, rompre avec le capitalisme ne saurait se faire sur le seul plan politique et collectif : cela passe aussi par une rupture individuelle avec le mode de vie petit-bourgeois. Seule cette « critique des mœurs » permettra au peuple de cesser de rêver au mode de vie de la middle class américaine, de recouvrer sa souveraineté et de renouer avec cette « pierre de touche de tout humanisme véritable » qu’est la lutte pour éradiquer les inégalités. Cela commence par un travail sur soi pour échapper à la « dictature du marché ». Et cela permettrait d’éviter d’attendre « on ne sait quel « Grand Soir » ».

 

Par : Kenza Sefrioui

 

Le petit-bourgeois gentilhomme, sur les prétentions hégémoniques des classes moyennes

Alain Accardo

Agone, Contre-feux, 160 p., 13 €


Lorsque l’économie deviendra collaborative

Lorsque l’économie deviendra collaborative

Auteur : Jeremy Rifkin

Wall Street s’effondre, les énergies fossiles s’épuisent, l’économie mondiale s’écroule… Allons-nous tout droit vers la catastrophe ?

Absolument pas si on veut bien écouter un économiste visionnaire qui s’appelle Jeremy Rifkin.

Il est grand temps, selon Jeremy Rifkin, économiste, Professeur à la Wharton school de Pennsylvanie, Conseiller des chefs d’Etat et de gouvernements, de passer à… la troisième révolution industrielle ! L’ère post carbone rend son dernier souffle, et toute l’industrie et les infrastructures qui vont avec vont disparaître. Les entreprises de la deuxième ère industrielle ont suivi le modèle centralisé et élitiste des énergies fossiles et c’est justement ce qui menace, également leur survie.

L’auteur de dix-huit best sellers, nous propose un livre optimiste tout en partant d’un bilan totalement catastrophique : Le chômage qui augmente dans le monde entier, les Etats, les entreprises et les individus surendettés et un système économique à perte de vitesse. Mais quelles solutions peut-on apporter dans un tel désastre ?

«Au cours de mes investigations, explique l’auteur, j’ai fini par  comprendre que les grandes révolutions économiques de l’histoire se produisent quand de nouvelles technologies des communications convergent avec des nouveaux systèmes d’énergie ». L’idée centrale de ce livre est que nous allons tous pouvoir produire de l’énergie verte, à partir de notre maison, de notre bureau et les partager à grande échelle sur un « Internet de l’énergie » exactement comme «nous créons et partageons aujourd’hui l’information en ligne » ! L’auteur annonce la venue d’une ère nouvelle : L’ère coopérative qui va remplacer l’ère industrielle que nous vivons. 

Ce nouveau système s’appuie sur les énergies renouvelables et se nourrit des éléments de la nature : « le soleil, le vent, l’hydro énergie, la chaleur géothermique, les vagues et les marées des océans ». Rifkin va encore plus loin et propose de stocker ces énergies en développant la technologie de l’hydrogène.

L’ère coopérative qui va chambouler nos vies devrait arriver à son point culminant en 2050. Nous dirons alors adieu à l’autorité hiérarchique, au diktat du capital financier, à la discipline et au travail acharné… Cela paraît impensable ! Mais l’ère coopérative « privilégie le jeu créatif, l’interactivité pair à pair, la capital social, la participation à des communaux ouverts et l’accès à des réseaux mondiaux ». Ainsi nous vivrons un temps où la technologie intelligente impactera l’économie mondiale.  Cela s’accompagnera dans un premier temps de perte massive d’emplois annonçant la fin du salariat de masse. « Le XXIème siècle sera celui des petites équipes ultraspécialisées et ultracompétentes qui  programment et surveillent des systèmes technologiques intelligents ».  

Il faudra donc d’ores et déjà se préparer à cette nouvelle économie , l’Allemagne en est déjà pionnière !

 

Une nouvelle ère d’emploi

Dans le monde du travail que nous connaissons aujourd’hui nous sommes assujettis à quatre sources génératrices d’emploi : Le marché, L’Etat, l’économie informelle et la société civile. (Par société civile il faut entendre : les associations à but non lucratif, les ONG…)

La nouvelle révolution industrielle va induire des sabrages dans les emplois comme cela s’est passé lorsque l’homme est passé du travail agricole au travail industriel. « La société civile va probablement  devenir une source d’emplois aussi importante que le marché au milieu du siècle. Pour une raison évidente : le capital social se crée par l’interactivité humaine, tandis que le capital du marché se créera de plus en plus par la technologie intelligente ».  

Cela paraît démentiel et pourtant pour peu que l’on se penche sur les chiffres nous décèlerons déjà les prémices de cette prophétie. Selon une étude menée en 2010* et qui concerne huit pays (Etats-Unis, France, Canada, Japon, Australie, République tchèque, Belgique, Nouvelle Zélande), on découvre une chose absolument bouleversante : La société civile ou le tiers secteur  représente en moyenne 5% du PIB. « Cela signifie qu’aujourd’hui, dans ces pays, le secteur à but non lucratif contribue davantage au PIB que les compagnies d’électricité, du gaz et de l’eau ! Qu’on le croit ou non, il contribue autant que le bâtiment (5,1%) et presque autant que les banques, compagnies d’assurances et services financiers (5,6%) ».

Des chiffres surprenants, qui nous invitent à considérer autrement ces emplois.

S’affranchir du pouvoir hiérarchique pour un système latéral et collaboratif est déjà en route. Les exemples se multiplient dans le monde. Nous vivons des initiatives aux quatre coins de la planète qui convergent grâce à la puissance Internet. Ce qui permet des partages à très grande échelle. C’est le cas de Wikipédia et  la communauté Linux pour ne citer que ceux là. Le système mis en place par Linux « se compose de milliers de programmateurs qui, en coopérant entre eux, consacrent leurs temps et leurs compétences à corriger et améliorer le code logiciel utilisé par des millions de personnes. Toutes les modifications, mises à jour et améliorations qu’ils apportent au code sont dans le domaine public, mises gratuitement à disposition de tous les participants au réseau Linux ».  Cette riche initiative a d’ailleurs attiré de nombreuses autres entreprises mondiales tels les géants Google, IBM et bien d’autres encore.

L’ère post Carbone  est bel et bien derrière nous. Nous allons produire tout ce dont nous aurons besoin à la maison !  L’imprimante 3D arrive à grands pas. Elle nous permettra de  créer chez nous, tous les objets dont nous avons besoin au lieu d’aller les acheter.  Non, ce n’est absolument pas de la science fiction mais la réalité de demain.

En tout cas, un livre passionnant, foisonnant d’idées dont il est difficile de rendre compte !

 

* Etude menée par le Johns Hopkins Center for civil Society Studies.

La troisième révolution industrielle.

Jeremy Rifkin.

Les liens qui libèrent / 413 pages. 280 DH

 

Par : Amira-Géhanne Khalfallah

 

Nahda 2.0

Nahda 2.0

Auteur : Yves Gonzalez-Quijano

En octobre 2012, Yves Gonzalez-Quijano s’interrogeait sur la portée de l’arabisation du Web et, au-delà des révolutions, sur le projet collectif des Arabes.

Non, le monde arabe n’était pas « un désert numérique ». Non, le Printemps arabe n’est pas le produit d’une génération spontanée. Traducteur, professeur de littérature arabe contemporaine et spécialiste du champ intellectuel en Egypte, Yves Gonzalez-Quijano rappelle combien les nouvelles technologies de l’information ont enthousiasmé cette jeunesse frustrée par « la médiocrité du destin qui l’attendait » et leur ont permis d’élaborer de nouvelles cultures et identités numériques. Il retrace l’historique du Web arabe depuis vingt ans, l’histoire d’une progression fulgurante, aboutissant à de nombreux prix, dont le Nobel de la Paix pour la journaliste yéménite Tawakkol Karman : la langue arabe est désormais à la 7e place mondiale, devant le français, après une explosion de son nombre d’usagers (2 500 % entre 2000 et 2011) ; croissance record sur les réseaux sociaux, avec 175 % par an sur Facebook (le double de la moyenne mondiale) et 200 % pour sa version arabisée (contre 45 % pour la version anglaise), créant une population de 15 millions d’« amis », soit un million de plus que le nombre total d’exemplaires vendus par l’ensemble des quotidiens arabes toutes langues confondues. Au Maroc, où la hausse est de 300 % sur les 3 dernières années, avec une personne inscrite sur dix, dont 40 % de femmes et 80 % de moins de 30 ans, Internet est la première distraction préférée de 95 % pour la jeunesse urbaine. Aujourd’hui, le Web 2.0 « n’est plus [l’expérience] d’une minorité privilégiée, à savoir les milieux occidentalisés les plus favorisés des grandes villes modernes, mais bien celle de la majorité ». Au point de devenir une cible très courtisée par les grandes sociétés du Web : l’arabisation des interfaces et des programmes, de plus en plus rapide, n’est plus le fait des seuls développeurs arabes. A l’enjeu économique s’ajoute l’enjeu politique : Facebook a veillé, en mars 2009, à lancer la version arabisée en même temps que la version hébraïsée, « pour ne pas être accusé de favoriser l’une ou l’autre langue ». Enfin, l’auteur relate le passage du monde arabe à la « cyberpolitique », avec l’appropriation du champ politique par les activistes du Web et l’évolution de la répression, passant de l’emprisonnement à la cyber-riposte, comme la tentative de piratage des comptes des Fassabika (Facebookers) tunisiens par les services de Ben Ali à la veille de sa chute – que l’avenir de la révolution du Jasmin ait dépendu d’une entreprise privée (qui de surcroît aurait dû sa réouverture en Tunisie à l’intervention personnelle du même dictateur) fait froid dans le dos.

Dans ce petit livre dense, qui raconte autant qu’il décrypte, au point qu’on y perd parfois le fil directeur, Yves Gonzalez-Quijano analyse les raisons de la longue cécité quant à un phénomène aussi important, évoque « les risques d’une « lecture « orientaliste » des soulèvements arabes » mettant en avant ces jeunes qui « se servent de « nos » logiciels, reprennent nos images et les codes de ces modes qui sont aussi les nôtres […], qui nous ressemblent. Quitte à les inventer s’ils n’existent pas ». Il fait état des arguments des cyberoptimistes et des cyberpessimistes, les premiers arguant des microsolidarités rendues possibles, les seconds s’inquiétant de la dépendance à quelques entreprises américaines, des possibilités d’ingérence voire de déstabilisation, etc. Mais la partie la plus intéressante du livre est celle où l’auteur commente la portée socioculturelle de cette « Wiki-révolution ».

 

Des mondes arabes en conversation

Fort d’une longue réflexion sur le champ de l’édition et des médias, notamment sur l’émergence de la presse en ligne, Yves Gonzalez-Quijano estime que ce Printemps réenclenche le processus de la Nahda. « L’apparition de ce qu’on appelle aujourd’hui le « monde arabe » et qu’aucun atlas n’avait jamais décrit sous ce terme avant cette époque […] n’aurait jamais pu acquérir une telle présence dans l’imaginaire de la région et marquer à ce point l’histoire moderne si elle n’avait pas redoublé, dans l’espace spécifique du politique, une mutation plus large et plus puissante, de l’ordre des transformations sociétales ». Il rappelle l’importance décisive de l’imprimerie à la fin du  XIXe siècle dans la modernisation des sociétés arabes et le développement d’une « manière inédite de se percevoir comme arabe, à la fois au niveau individuel et collectif ». Et de situer l’arabisation du Web et la numérisation du monde arabe en continuité symbolique de ces mutations historiques, même si leur portée n’a rien à voir : « Les acteurs de l’imprimé formaient une corporation de spécialistes peu étoffée, et leur public se limitait à un cercle restreint de lecteurs, alors que les flux numériques concernent de plus en plus aujourd’hui toutes les classes sociales, avec des mots de la langue de tous les jours qu’accompagnent le son et l’image ». Le Web est le dernier avatar permis par le développement socioéconomique, l’urbanisation et l’accès élargi à l’éducation, après l’essor d’une presse transnationale arabe dans les années 1980, des chaînes satellitaires dans les années 1990, puis des blogs et de la presse en ligne autour de l’an 2000, chaque support ayant généré ses formes d’écriture et modifié les rapports entre les membres de la communauté, pour aboutir à la mise en place d’une « société en conversation ». Cette « démocratie internet » est un « nouvel état d’esprit », avec sa culture. Englobant « tout le répertoire des pratiques symboliques, y compris ses formes légitimes traditionnelles » (poésie, littérature, etc.), celle-ci procède, comme au temps de la Nahda, par « revivification et emprunt (ihyâ’ et iqtibâs) ». La masse des usagers et « l’intelligence collective des réseaux » y imposent spontanément une parole vivante et opèrent une « révolution des signes » (les chiffres remplaçant les lettres inexistantes dans le clavier latin) qui n’est pas sans évoquer la Turquie kémaliste. D’où une remise en cause des parlers des classes dirigeantes, l’émergence des revendications d’autres langues, comme l’amazighe, et une interrogation sur les identités nationales. Au final, on parle moins de « monde musulman » ou de « Grand Moyen-Orient », et on dessine de nouveaux contours à un monde arabe qu’on veut plus ouvert, plus fluide, plus collaboratif et plus polyphonique, ouvert aux diasporas et ne s’arrêtant pas aux frontières nationales. En un mot, pluriel. De ce monde en puissance, il reste à en faire une réalité.

 

Par : Kenza Sefrioui

 

Arabités numériques, le printemps du Web arabe

Yves Gonzalez-Quijano

Actes Sud – Sindbad, 147 DH


Une cosmopolite en quête de liberté

Une cosmopolite en quête de liberté

Auteur : Esther Benbassa

Esther Benbassa, la Française, la Turque, l’Israélienne…livre son expérience de Cosmopolite, revient sur l’Histoire des Juifs, met en garde contre les dérives de l’extrémisme et du communautarisme.

C’est une leçon de vie et des leçons d’Histoire que nous exposent Esther Benbassa dans  « Egarements d’une Cosmopolite » dans lequel elle revient sur l’histoire des Juifs d’Europe. L’universitaire française d'origine turque, spécialiste de l’histoire du peuple juif et de l'histoire comparée des minorités est également, sénatrice d’Europe Ecologie et directrice du Centre Alberto-Benveniste. Et c’est de ses expériences, humaines et professionnelles que se nourrit ce livre qui puise sa sève dans les combats d’une femme. Esther Benbassa porte un regard lucide sur la communauté israélite dont elle fait partie et évite de tomber dans les dérives de l’extrémisme tout autant que les clichés. Elle milite pour la reconnaissance de l’histoire sans la figer et l’instrumentaliser. Egarements d’une Cosmopolite est un ouvrage qui raconte et qui dénonce à la fois une histoire souvent tronquée. Dans le chapitre intitulé « La Shoah comme religion », Benbassa met en garde contre la transformation de la Shoah « en un culte sacré avec ses cérémonies, ses monuments, ses grandes dates, ses temples que sont les musées qui lui sont dédiés, sans oublier ses grands prêtres. »Elle écrit à ce propos «  J’avais eu de surcroît l’imprudence de d’évoquer la question de l’unicité de la shoah, avançant qu’aucun génocide n’est unique puisque notre siècle en a connu un certain nombre avant celui-ci et aussi après ». Un livre courageux et des positions claires qui ont valu à l’auteure de vives critiques en France.  

Cet ouvrage est autant le résultat d’un parcours politique que d’un vécu personnel. Deux lignes narratives s’y croisent. Deux récits, l’un intime et l’autre détaché, l’un au présent et l’autre au passé , tentent de donner une explication à ce que  l’on appelle aujourd’hui l’antisémitisme et va au-delà d’une communauté pour parler du rejet de l’Autre et d’incompréhension. L’auteure porte un ensemble de réflexions forgées au fil des années.  Ces textes, articles et autres interventions publiques (publiés entre 2000 et 2012) ont été rassemblés dans cet ouvrage et livrent une analyse de l’évolution des mœurs et des peurs entretenues dans nos sociétés d’aujourd’hui. « Le cosmopolite préfère regarder le monde que le subir, voler de ses propres ailes que se cloîtrer dans une idéologie, être en équilibre qu'avoir des racines. Sa liberté dérange parce qu'elle met en question, déstabilise et appelle à une révision constante de ce que l'on croit acquis ». C’est ce ton de liberté qu’a choisi l’auteure. La cosmopolite se refuse d’être dans le consensus et le non dit. « C’est en France que j’ai découvert qu’on n’avait pas, en tant que juive, le droit de critiquer Israël, mais le devoir de le soutenir en toute circonstance, y compris  dans l’erreur », regrette l’auteur qui trouve en Israël un liberté d’expression qu’elle ne trouve pas en France. «Certains de mes amis intellectuels en Israël critiquent la politique du pays, soutiennent les Palestiniens, émettent des avis hautement subversifs dans les médias en prime time», raconte-elle.    

 

Une histoire figée et un traumatisme entretenu

Israélienne, Française, Turque, la trinationale refuse qu’on la cantonne dans une communauté,  une nationalité même si elle n’en renie aucune. Elle s’affranchit du carcan  de l’identité, traverse la géographie et l’histoire, atterrit dans un monde laïc qui se nourrit du respect de la différence et prône une citoyenneté sans origines. Et même si dans la France d’aujourd’hui on se targue à prôner la laïcité, selon l’auteur, cette notion semble avoir perdu toute sa substance. La France n’en a retenu, au final, que les formes. « La France, en période de crise, construit son identité dans l’opposition à l’Autre qui lui fait peur. AU XIX ème siècle, ce fut le cas avec les juifs. Actuellement, face à la globalisation, c’est l’Autre arabe ou noir qui effraie. Et surtout sa religion, transformée depuis le 11 septembre en objet de tous nos fantasmes (…) Les Musulmans ont remplacé les Juifs du XIXème  siècle et de l’entre deux guerres ».

La juive par héritage, la française par choix, la laïque par ses combats rêve d’une France où l’on regarderait les choses de plus près sans tomber dans le communautarisme.  A son sens, cela devrait commencer très tôt, c’est-à-dire à l’école. « Il ne s’agirait nullement de catéchèse, mais d’un enseignement envisagé sous un angle culturel, allant de la littérature à la musique. Puisque les signes et les manifestations religieuses dérangent, pourquoi ne pas contribuer à une dédramatisation et à une relativisation en organisant un tel enseignement, lequel enrichirait et diversifierait le contenu des disciplines existantes, valoriserait les cultures d’origine des élèves et établirait des points de rencontre entre les civilisations  ».

Esther Benbessa ne fait pas que rêver et formuler des vœux pieux. Elle fait de ses convictions un combat quotidien. Ses prises de paroles sont pour elle un devoir de mémoire. Mais elle sépare le dogme de l’histoire. Les différentes identités de l’auteur lui ont non seulement permis une ouverture sur le monde mais aussi appris à respecter chaque part de différence et  chaque parcelle d’histoire. « Seul le dur et exigeant combat contre la pauvreté, la relégation, la discrimination aurait le pouvoir d’enrayer les extrémismes avec lesquels on nous fait peur. À l’inverse, donner libre cours à une islamophobie feutrée sous couvert de laïcité nous mène à un nouvel obscurantisme clivant, et compromet les chances d’un avenir partagé », conclut-elle.

 

Par : Amira Géhanne Khalfallah

 

Esther Benbassa

Egarements d’une Cosmopolite. François Bourin Editeur.

387 pages. 24 euros.


Pour repenser l’égalité

Pour repenser l’égalité

Auteur : Pierre Rosanvallon

L’égalité est, pour Pierre Rosanvallon, la clef de la mise en œuvre d’une démocratie intégrale, et il est urgent d’en reformuler une définition convenant au contexte actuel.

Le dernier ouvrage de Pierre Rosanvallon (2011) est un manifeste tout autant qu’une magistrale leçon d’histoire, d’économie et de philosophie politique. Ecarts croissants des revenus, concentration accrue des patrimoines, montée des nationalismes, des protectionnismes et de la xénophobie, tolérance implicite face aux inégalités, etc., la crise actuelle de l’égalité éveille chez l’historien, Professeur au Collège de France et fondateur de La République des idées, une inquiétude citoyenne : « La démocratie affirme sa vitalité comme régime au moment où elle dépérit comme forme de société. […] Le temps est venu du combat pour une démocratie intégrale, résultant de l’interpénétration des idéaux longtemps séparés du socialisme et de la démocratie ». Dans ce projet à la fois politique, sociétal et philosophique, la notion d’égalité est centrale, comme lors des Révolutions française et américaine à la fin du XVIIIe siècle. Pierre Rosanvallon propose de repenser nos « représentations du juste et de l’injuste » au fil d’un passionnant récit des évolutions de la notion d’égalité du XVIIIe siècle à nos jours.

Il retrace d’abord l’invention de l’égalité, avec le rejet des privilèges et des formes d’esclavage, fondant la démocratie comme une « société de semblables », égaux en liberté. Elle allait de pair avec l’économie de marché, devant détruire la société d’ordres, et avec la citoyenneté. Elle s’est donc rapportée « à une qualité du lien social beaucoup plus qu’à la définition d’une norme de distribution des richesses ». Au XIXe siècle, la révolution industrielle et l’avènement du capitalisme constituent une rupture considérable dans son histoire. Le mode de production bouleverse le monde de la production et de l’échange. La société est désormais « coupée en deux », entre travail et capital. Pierre Rosanvallon identifie quatre « tentatives de requalification de l’idéal égalitaire, pour en conjurer la dynamique ou en réinterpréter le sens ». L’idéologie libérale-conservatrice dilate à l’extrême la notion de responsabilité individuelle pour « réduire à l’état de peau de chagrin la dimension proprement sociale des inégalités » ;elle oppose la liberté à une égalité taxée de « partialité ». Le communisme utopique, critiquant l’individualisme et la concurrence atomisant la société, aboutit à une extinction du politique, de l’économique et du psychologique : pas de place pour la démocratie. Le national-protectionnisme lie égalité et identité, tandis que le racisme constituant pense l’égalité comme « une homogénéité excluante ». Ces « négations et redéfinitions perverses » de l’égalité ont pris fin au XXe siècle, « siècle de la redistribution », de la réduction spectaculaire des inégalités et de la généralisation en Europe du suffrage universel. Trois réformes ont été décisives : l’institution de l’impôt progressif sur le revenu, prônant la solidarité entre catégories sociales ; la mise en place d’un « Etat instituteur du social » corrigeant les inégalités et protégeant les gens contre les risques de l’existence ; la reconnaissance des syndicats et la régulation collective du travail. Avec l’Etat-providence, égalité rime avec solidarité. Dans cette rupture intellectuelle et politique, les deux guerres mondiales ont imposé l’idée d’une « dette sociale » et renforcé « le projet d’une égalité-redistribution inclusive en tant qu’élément central de l’esprit démocratique ».

 

Plus d’échanges entre les citoyens

Pourtant, dès les années 1980, les mutations du capitalisme, l’effondrement du communisme et l’estompement de la mémoire des épreuves collectives ont permis le retour du « marché-roi », des « pathologies de l’identité et du lien social », l’évidemment des institutions de solidarité et l’explosion des inégalités. « Au-delà d’une forme de répétition de l’histoire, c’est le cœur même de la fabrique des sociétés démocratiques qui est menacé dans des termes inédits ». Aujourd’hui, précise Pierre Rosanvallon, « c’est une page séculaire qui est en train de se tourner : celle d’une conception de la justice sociale fondée sur des mécanismes redistributifs » : les évolutions de la société vers « l’âge de l’individu » imposent de repenser le projet démocratique dans ce nouveau cadre conceptuel.

Il consacre la dernière partie du livre à formuler les grandes lignes d’une « ébauche » de ce que serait la « société des égaux » qu’il appelle de ses vœux. Sa réflexion s’appuie sur trois piliers. Il s’agit d’abord de bâtir une « société des singularités », qui ne soit basée ni sur un « universalisme abstrait » ni sur un « communautarisme identitaire » mais sur « une construction et une reconnaissance dynamiques des particularités ». Dans cette « démocratie de reconnaissance », les politiques sociales sont appréhendées comme des dispositifs de constitution du sujet – ce qui suppose de renforcer la notion de « droit procédural qui raisonne en termes d’équité de traitement ». D’autre part, il s’agit de prôner comme étalon des relations sociales la « réciprocité d’implication », « principe d’équilibre », sur le modèle de l’amitié. Ainsi, droits et devoirs ne sont plus seulement des normes abstraites mais acquièrent « une fonction d’institution du social », dont l’Etat est garant et ordonnateur. Cela permet aussi de dépasser le seul traitement ciblé de la pauvreté et d’envisager les échanges de façon plus large, pour répondre au « malaise des classes moyennes ». Enfin, grâce à la notion de « communalité », il s’agit de repenser la manière d’être des concitoyens, à l’heure du repli sur des appariements sélectifs, et de produire du commun, que ce soit par un vécu partagé, par l’accès à des informations et une culture commune ou par la fréquentation des espaces publics par tous.

C’est en fait une refonte globale de la pensée du collectif et de l’échange que propose Pierre Rosanvallon, suggérant, dans une langue fluide et accessible à tous, de retourner la question : plutôt que chercher à établir l’égalité, ne faudrait-il pas proposer « une inégalité d’équilibre comme idéal social, aucun individu ne se trouvant en situation irréversible ou psychologiquement destructrice de cumul d’inégalité » ? Tout simplement remarquable.

 

Kenza Sefrioui

 

La Société des égaux

Pierre Rosanvallon

Seuil, collection Les livres du nouveau monde, 432 p., 22,50 €

 


La ville poreuse

La ville poreuse

Auteur : Bernardo Secchi ET Paola Viganò

Dans cet ouvrage, présenté en quatre parties, les deux chercheurs ont pris au mot le philosophe ; ils ont fait de la porosité un outil d’analyse et de projet qui « traverse l’épaisseur de l’agglomération parisienne et qui interroge son futur ». La ville poreuse est une image qui construit des échanges entres différentes disciplines, acteurs et individu. Il s’agit en même temps d’un concept précis qui évoque la possibilité du mouvement et des flux ainsi que celui d’une image qui peut traverser plusieurs langages et paradigmes gardant une clarté suffisante pour alimenter d’autres images et d’autres concepts.

 

1. La métropole du 21 ème siècle.

L’ouvrage commence par une réflexion sur les principales caractéristiques de « la nouvelle question urbaine » et de la spécificité de la métropole parisienne par rapport à d’autres métropoles. Partant des similitudes qui subsistent entre différentes agglomérations, les auteurs atterrissent sur les particularités qui caractérisent l’évolution de chacune, et qui font  la spécificité des solutions que devra apporter chaque métropole aux problèmes liés aux inégalités sociales, aux changements climatiques et aux problèmes de mobilités. Ils postulent ainsi que l’innovation et l’invention sur le terrain sont intrinsèques à la disposition de chaque métropole à réagir aux problèmes considérés prioritaires et à les mener de front.

 

2. La métropole des 21 ème siècles de l’après Kyoto : Scenarios.

La seconde partie de l’ouvrage est une illustration de quatre « scenarios » ou explorations dans un futur possible. Pour les auteurs, lorsqu’on agit dans  « l’incertitude », la meilleurs stratégie de construction de l’avenir est de partir de l’élaboration de différents scenarios qui ouvrent une perspective, interrogeant le futur et évaluant les conséquences des politiques, actions et projets possibles.  

Au préalable, le scenario 0 est constitué par les nombreux projets en cours et déjà engagés qui déterminent les trajectoires possibles et avec lesquelles toute idée doit cohabiter même si elle se révèle antagoniste

Les quatre autres scenarios étudient les possibilités d’atteindre dans la métropole Parisienne une situation 100% durable (scenario 1), les opportunités d’y vivre avec l’eau (scenario 2), d’y construire un système écologique fort à partir du dross[1] (scenario 3), d’y passer d’un système  de transport en commun vertical et hiérarchisé à un système isotrope[2] et horizontal (scenario 4).

Ces scenarios permettent d’interpréter la métropole existante et d’imaginer celle à venir. Le Grand Paris comme une ville poreuseperméable et isotrope, est une vision qui contraste fortement avec les processus en cour d’exclusion / inclusion  et de formation d’enclaves ; elle permet d’atteindre les objectifs fixés par le protocole de Kyoto et les différents Grenelle de l’environnement[3] .

 

3. Un projet de ville poreuse.

Cette partie est une exploration concrète de ce que peut être une ville poreuse : une ville dense en lieux significatifs, qui donne de l’espace à l’eau et aux échanges biotiques, où la biodiversité se diffuse par percolation et les parcs rapprochent au lieu de séparer et qui se transforme par stratification en accueillant différentes idiorythmies. En d’autres termes, l’hypothèse avancée est que les principaux problèmes auxquels toutes les métropoles du 21ème siècle devront se confronter seront ceux des inégalités sociales, de l’énergie, de la gestion des eaux, de l’utilisation des zones résiduelles que chaque génération a laissé en héritage et, in fine, le besoin d’un nouveau système de mobilité qui puisse désenclaver le territoire.

 

Une nouvelle structure spatiale.

La dernière partie avance l’hypothèse que la ville poreuse ne peut être atteinte par la structure spatiale actuelle de la métropole, responsable en grande partie de ses maux. Cette hypothèse est confrontée à la réalité par l’étude d’une liaison écologique et métropolitaine entre Sceaux et la Seine, qui traverse les sites d’Orly Rungis et Seine Amont démontrant comment ces stratégies peuvent opérer dans le « réel ». Une approche radicale se dessine donc à la hauteur du « pari du Grand Paris », un défi que devra affronter toute grande métropole à l’avenir.

La substance de ce livre se veut faite d’hypothèses plutôt que de certitudes, hypothèses guidant à la formulation des politiques et des projets pour une métropole du 21ème siècle où il sera possible de « vivre ensemble » , elle soulève des problèmes liés à la gouvernance et aux contraintes que rencontre toute formulation de projet, où concertation et gouvernance deviennent souvent des négociations de contingents.

Certes, la question de la transposition de cette étude sur des cas particuliers se pose, mais face à une globalisation qui pénètre tous les recoins des sociétés et des territoires actuels, peut-on encore se cantonner à une défense jalouse voire injustifiée de nos spécificités ? En somme, pour des questions d’ordre social, économique, environnemental et spatial, sommes-nous si différents que cela ?

 

Par : Chennaoui Med Mehdi (Architecte-enseignant d’E.A.C)

 

[1] Dross : Espaces résiduels (carrières, sites d’usine, vieillissantes…)

[2] Isotrope : L'isotropie caractérise l’invariance des propriétés physiques d’un milieu en fonction de la direction. Le contraire de l’isotropie est l’anisotropie.

[3] Le Grenelle de l’environnement désigne le processus de concertation lancé en 2007 dont le but était de réunir divers représentants (membres du gouvernement, des associations professionnelles et des ONG d’orientations politiques diverses) pour définir ensemble une politique environnementale et de développement durable en France..

 

Les vraies raisons de l’embauche

Les vraies raisons de l’embauche

Auteur : Jean-François Amadieu

Les pratiques de la fonction RH, son évolution, son utilité et ses dérives sont décortiquées dans ce livre aux traits très bien noirs!

Comment se décident les embauches ? De quoi dépendent réellement les salaires ? L’évaluation du personnel est-elle juste ? Pourquoi fait-on carrière ? Quelles sont les véritables raisons des réductions d’effectifs ?... C’est cette série de question qui ouvre le livre de Jean-François Amadieu, DRH, le livre noir. En y répondant, l’auteur spécialiste des relations sociales au travail, lève le voile sur des pratiques courantes discriminatoires qui passent souvent sous silence. « J’ai découvert une bizarrerie française, la question de la discrimination physique n’était pas prise au sérieux ».  Pourtant, et même si cela paraît grossier et inadmissible, en Europe l’aspect vestimentaire ou physique est le premier critère de recrutement !  Mais au-delà de cette ségrégation à l’embauche « le sentiment de discrimination à cause de l’apparence ne se limite pas à l’embauche : les déroulements de carrière, l’évaluation, la détermination des salaires ou le licenciement n’obéissent pas non plus à une simple logique de compétences et de performances », poursuit le directeur de l’Observatoire des discriminations.  

Alors que vous soyez noir ou blanc, gros ou mince, grand ou petit, vous n’aurez malheureusement pas les mêmes chances de trouver du travail à compétence égale. Le diktat du physique et l’éloge du jeunisme ont, d’ailleurs, donné lieu à de nouvelles pratiques : la chirurgie esthétique, le blanchiment de la peau, la lutte contre le vieillissement…et un nouveau business florissant. Quel est le prix de la beauté ?  Se demande d’ailleurs et à juste titre le sociologue. La conclusion est que chaque patron l’évalue selon ses propres critères.

Ce livre n’est pas seulement un lourd plaidoyer des techniques d’embauche mais il agit comme une boite noire, révélant les dessous et le fonctionnement interne et inaccessible de l’embauche et de l’évolution des carrières. Parmi ses démonstrations :  l’inefficacité des techniques de recrutement. Ce n’est qu’en 2000 avec l’arrivée du testing que l’on a pu démontrer  le manque d’objectivité des techniques de tri des candidats. « Personne ne sait en France si les tests sont biaisés au détriment de certaines origines nationales ou en faveur de certaines catégories de la population », explique l’auteur.

Autre facteur important à l’embauche, le relationnel. Aux Etats-Unis, on considère que 15% des écarts de salaires sont dus au réseau d’amis ou de famille. « Etre un « protégé » comme disent les Anglo-Saxons, procure des bénéfices tel meilleur salaire, un succès de carrière et une plus grande satisfaction au travail. Cela va du plus petit employé jusqu’au top management. En France, par exemple, les salaires des patrons dépendent aussi du réseau dont ils disposent au niveau du conseil d’administration.

La littérature du management est aussi riche d’expressions telles : promotion canapé ou encore harcèlement sexuel. Dans un cas comme dans l’autre, ces pratiques passent sous silence et sont bien plus courantes que ce que l’on pense. Selon les sondages 60% des femmes affirment avoir été victimes d’avances répétées malgré leurs refus et 12%  de ces avances sont suivies de chantage !

Le besoin d’un véritable code de déontologie se ressent aujourd’hui malgré tous les gardes-fous qu’on a essayé de mettre.

 

La religion, cet autre obstacle à l’embauche

Lorsqu’on s’appelle Khadidja mieux vaut de se présenter au Secours islamique qu’au  Secours catholique, car c’est Marie qui aura le poste. Ceci est le résultat d’un testing établi en France sur envoi de CV. La discrimination à l’embauche basée sur la logique d’appartenance religieuse est une pratique très ancienne qui n’a pas disparue et qui n’est pas prête de disparaître.

Jean-Jacques Hénaff Patron des célèbres Pâtés Hénaff témoigne : « Je suis de religion catholique, j’ai eu une formation dans une école catholique, j’ai fait partie longtemps des entrepreneurs et dirigeants chrétiens (EDC) et mon père était au Centre français du patronat chrétien (CFPC)…on arrive à connaître des personnes, dans le milieu professionnel, que l’on sait partager les mêmes valeurs ».

Tout cela pour répondre à cette question que nous nous posons tous les jours : Sommes-nous recrutés pour les bonnes raisons ?  Selon ce que nous avons à offrir en matière de compétences ?

Nous savons tous que le monde du travail est loin d’être juste. Il ne repose pas toujours sur les qualifications, en tout cas, pas seulement ou pas toujours.

Dans un tout autre chapitre intitulé ironiquement : " Les DRH font de la figuration, les financiers décident", Jean-François Amadieu arrive aux licenciements. Ce que dévoile une étude publiée par  Les Annales des mines  c’est la forte corrélation entre l’évolution du résultat et les réductions d’effectifs. « Les licenciements économiques ont lieu en certaines périodes de l’année : un pic est observable en juillet et un autre en janvier. Ces deux périodes correspondent en fait à la présentation des budgets en décembre et à leur révision en mi-année », conclut-il. Chaque décroissance induit une baisse des effectifs. Telle est la loi effective du marché du travail et non pas la compétence ou la productivité de l’employé.  

Autre chose prévient Amadieu :  les systèmes des évaluations demeurent flous. En 2011, ceux d’Airbus ont été jugés non conformes aux exigences légales.  Ils semblent, en effet, très ambiguës. « Le problème que posait cette grille d’évaluation est que le salarié qui est parfaitement performant en atteignant ses objectifs peut être évalué comme non performant ». Et le cas d’Airbus  n’est pas isolé.  Les employés sont souvent évalués selon des systèmes opaques.

Au final, a-t-on le salaire ou le poste que l’on mérite ? Rien n’est moins sûr !

On devrait se regarder longtemps devant un miroir, à questionner notre tenue vestimentaire, notre âge, notre religion, la couleur de notre peau avant d’évaluer….nos compétences.

 

Par : Amira Géhanne Khalfallah

 

Pages