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Rachid Oumlil est Docteur en Management des Système d’information. Il est actuellement professeur HDR à ENCG-Agadir (Université Ibnou Zohr). Ses travaux de recherches portent sur le management numérique et l’open innovation. Il est auteur de plusieurs chapitres d’ouvrage...
Voir l'auteur ...L’émergence violente d’Internet, des réseaux sociaux et du mobile a donné naissance aux néologismes d’Ubérisation (se référant à Uber) et de Gafamisation (renvoyant à Google, Amazon, Facebook, Apple). Ces néologismes, accompagnés d’un usage ubiquitaire des Technologies de l’Information (TI), ont radicalement transformé le paysage de nos entreprises. Ils ont remodelé complètement tous leurs aspects et donnent lieu à une nouvelle révolution que l’on qualifie désormais de transformation numérique.
Appelée aussi transition digitale, la transformation numérique constitue une nouvelle phase d’une restructuration économique et sociale engagée depuis plusieurs années sous l’impact des TI (Lemoine, 2014). Elle est définie, selon Besson (2016), comme la combinaison de l’automatisation (qui concerne les facteurs de production pour un accroissement de performance), de la dématérialisation (conversion de support physique en numérique) et de la réorganisation des schémas d’intermédiation (qui concerne les effets de réorganisation de la chaîne de valeur).
La transformation numérique peut se référer aux mutations dues à la numérisation des aspects de la société humaine. L’essor des TI a amplement bouleversé ces aspects et les façons d’investir et de mener les affaires. C’est aussi le voyage des entreprises vers ce qu’elles souhaitent devenir numériquement. Autrement dit, c’est la vision menée par leurs dirigeants en tenant compte des opportunités et des menaces du numérique. Par ailleurs, la transformation numérique note une panoplie de caractéristiques non exhaustives qui varient entre1 :
La transformation numérique constitue donc un phénomène disruptif qui modifiera structurellement les modèles organisationnels, économiques et sociétaux des entreprises. Il s’agit d’une profonde mutation qui impacte non seulement les fonctions classiques de l’entreprise (marketing, production, ressources humaines), mais influence aussi ses niveaux hiérarchiques et restructure radicalement ses différents processus (fonctionnels ou métiers). De plus, elle repose sur l’appropriation de nouvelles pratiques adossées au contexte numérique, telle que l’intelligence collaborative : l’open innovation…
La transformation numérique n’est plus l’apanage des seules startups ou des géants de l’économie numérique. Elle concerne aussi bien les petites que les grandes entreprises de l’économie traditionnelle. Elle ne se limite pas à un investissement financier, organisationnel et technique. Elle est un véritable levier de création de valeur de ces entreprises. Cette valeur qui se matérialise par : (1) la génération de gains importants en termes de productivité, grâce à l’automatisation des tâches qui conduit à un gain de temps, à une amélioration des processus et à une réduction des coûts ; (2) la favorisation de la collaboration et du partage de l’information entre les diverses fonctions de l’entreprise et l’encouragement de la co-création avec les différentes communautés de l’entreprise ; (3) la modernisation de la vision de l’entreprise en obtenant le soutien de ses clients numériques. La transformation numérique est donc une véritable locomotive de croissance ; elle guidera l’innovation dans les décennies à venir.
Toute entreprise, en dépit de sa taille et de son domaine activité, est devant l’enjeu de numérisation. Ceci s’explique par deux constats : (1) la nature des consommateurs connectés et disposant des attentes alignées à un mode basé sur l’usage massif des TI (mobiles, objets connectés, etc.) ; (2) l’intensification de la concurrence due à la globalisation et à la digitalisation du territoire économique. La numérisation remet en question le mode de management, la structure et la culture de l’entreprise traditionnelle. Elle l’expose devant une multitude d’enjeux qui varient entre les difficultés organisationnelles, le déficit des compétences numériques, les marges financières très réduites et le manque de soutien et d’implication des dirigeants (McKinsey, 2014). De son côté, le Cigref (2015) a révélé des enjeux stratégiques et managériaux pour réussir une transformation numérique que nous résumons comme suit :
La réussite de la transformation numérique ne s’aborde pas uniquement sous un angle technologique. Elle suppose une évolution organisationnelle et culturelle. Elle implique l’instauration d’un état d’esprit transversal touchant aux diverses facettes de l’entreprise et de ses parties prenantes. Autrement dit, il convient de développer une culture d’entreprise qui met en exergue les traits de la culture nationale et l’évolution de ses systèmes d’information (Oumlil, 2016). L’absence d’une culture numérique peut être perçue comme le principal frein de cette transformation.
Tous les acteurs de l’entreprise, salariés, dirigeants ou management intermédiaire sont concernés par la transformation numérique, et sont appelés à faciliter l’émergence d’une organisation pluridisciplinaire et transversale. Cette facilitation passe d’abord par l’acceptation de cette transition. Une acceptation ne se limite pas à une simple sensibilisation des acteurs sur les nouveaux outils ou sur les nouveaux modes de travail, mais doit intégrer aussi bien les volets psychologique, organisationnel et culturel (Oumlil, 2016).
L’arrivée des objets connectés et intelligents, l’usage massif d’Internet et la prolifération des smartphones et des applications mobiles ont donné naissance à l’un des piliers de la transformation numérique. Ce pilier est derrière une avalanche de données souvent non structurées en vue d’extraire une masse considérable d’informations stratégiques pour les entreprises. Il s’agit du néologisme : Big Data
Le Big Data est perçu comme une évolution de la business intelligence (BI). Cette dernière se limitait aux données structurées en reposant sur les entrepôts de données (Datawarehouses). Alors que le Big Data fait référence à une gigantesque masse de données de l’écosystème de l’entreprise. Ces données, structurées et non structurées, concernent les avis des consommateurs sur des réseaux sociaux, les données extraites des services en ligne, les données internes de l’entreprise, voire même les données personnelles des clients.
Par ailleurs, la compréhension du Big Data requiert la connaissance de ses dimensions. Rampini (2014) a identifié cinq dimensions principales (Figure 1) : (1) le Volume, qui concerne la masse des données produites par des appareils connectés aux réseaux informatiques fixes et mobiles (smartphones, tablettes, ordinateurs et objets intelligents) ; (2) la Vélocité, qui fait référence à la vitesse de génération et de traitement de données en mobilisant des outils de calcul et d’analyse puissants et sur mesure ; (3) la Variété, qui montre que les données peuvent prendre des formes diverses qui varient entre le texte, la voix, les fichiers journaux, les données de géolocalisation, les images, les Web analytics… ; (4) la Valeur, qui correspond aux contributions et aux avantages de l’usage du Big Data pour l’entreprise ; et enfin (5) la Véracité, qui concerne la fiabilité et la crédibilité des données. Elle fait allusion à la qualité de ces données nécessaires pour un fonctionnement authentique du Big Data.
Le Big Data constitue un nouveau paradigme technologique qui offre une dimension récente aux dirigeants quant au pilotage de leurs entreprises en temps réel. C’est aussi un levier de croissance et de création de valeur qui s’installe durablement dans le paysage des entreprises de demain. Il porte en lui les germes d’une transformation numérique touchant la totalité des acteurs de la chaîne de valeur. De plus, il propose une démarche innovante quant à la collecte, au stockage et au traitement de toutes sortes de données.
Certes, les enjeux du Big Data sont considérables sur les plans épistémologique, économique, technologique et organisationnel. Au niveau épistémologique, l’avènement du Big Data soulève des questionnements quant au cadre conceptuel, à la méthode d’analyse et au mode d’interprétation. Des réponses à ces questionnements constitueront un socle pour générer des connaissances théoriques et managériales appropriées au phénomène. Quant au niveau économique, le Big Data induit une refonte radicale dans la chaîne de valeur de l’entreprise. Cette refonte concerne aussi bien les produits que les services fournis au client. Grâce au Big Data, l’entreprise pourra anticiper avec un grand degré de certitude le comportement de son client, lui proposer une offre affinée et personnalisée et, par conséquent, créer de la valeur économique et stratégique. Les enjeux techniques du Big Data sont essentiellement liés aux technologies de structuration des données. Cette structuration touche des facettes de valorisation et d’exploitation des données variant entre : la qualité de données, leur traitement et leur image. Quant à ses enjeux organisationnels, ils varient entre (1) l’élaboration d’une stratégie de bonne gouvernance de données et (2) la réussite de l’insertion d’une équipe spécialisée dans le traitement de données massives et variées. Il reste à souligner que le futur enjeu du Big Data sera dans la façon de transformer les informations extraites des données non structurées en actions effectives.
La transformation numérique et le Big Data ne sont que le début d’un continuum de mutations organisationnelles et managériales des entreprises de demain. Il sera crucial de bien appréhender leurs enjeux pour pouvoir bénéficier davantage de leurs atouts.
Note
1. Les quatre premières caractéristiques ont été inspirées de Forem-Office wallon de la formation professionnelle et de l’emploi (Mai 2016), Effets de la transition numérique sur la filière bois en termes d’activités, métiers et compétences.
Bibliographie
· Besson, M. (2016). Livre blanc, entreprise du futur : les enjeux de la transformation numérique. Institut Mines-Telecom. https://www.marsouin.org/IMG/pdf/imt_livreblanc.pdf
· Cifgref (2015). Entreprise 2020 : Enjeux et défis. http://www.cigref.fr/publications-numeriques/ebook-cigref-entreprise-2020-enjeux-defis/files/assets/basic-html/toc.html
· Lemoine, P. (2014, novembre). La nouvelle grammaire du succès : la transformation numérique de l’économie française. Rapport au gouvernement. 2014. http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/144000696.pdf
· McKinsey (2014). Accélérer la mutation numérique des entreprises : un gisement de croissance
· et de compétitivité pour la France. http://www.mckinsey.com/global-locations/europe-and-middleeast/france/fr/latest-thinking/accelerer-la-mutation-des-entreprises-en-france
· Oumlil, R. (2016). Impact de la culture nationale dans l’acceptation des systèmes d’information. Ouvrage collectif : Management interculturel : concepts, approches, problématiques et pratiques, ISBN: 978-9954-36-868-8
· Oumlil, R, E-health (2016). Adoption by Healthcare organizations in developing countries Case of Morocco. Encyclopedia of E-Health and Telemedicine. DOI: 10.4018/978-1-4666-9978-6.