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Depuis la première édition de Lundvall (1992)1 et de Nelson (1993) de « Système national d’innovation » (SNI), cette notion a connu une diffusion rapide. Initialement utilisée par une poignée de chercheurs et de décideurs, la notion a ensuite été largement diffusée et employée au point de devenir incontournable vingt-cinq ans plus tard dans toutes les études portant sur l’innovation ou le progrès technologique.
L’un des objectifs de la littérature récente portant sur l’innovation est de relier l’innovation à la performance économique au niveau national. Les économistes qui analysent les systèmes d’innovation se distinguent selon leurs sources et leur vision initiale de l’innovation. Chez certains, le SNI n’est qu’un outil pour expliquer l’innovation. Chez d’autres, comme Freeman et Lundvall, on distingue une autre vision du système d’innovation, plus complète et dans laquelle le SNI est présenté comme un cadre d’analyse alternatif qui peut participer à l’explication de la compétitivité, de la croissance économique et du développement. D’autres auteurs ont tenté d’expliquer l’innovation en reliant les inputs, notamment l’investissement dans la R&D, aux outputs, c’est-à-dire les brevets ou les nouveaux produits2.
De plus en plus d’études portant sur l’innovation consacrent une attention particulière à la question de la construction de SNI dans les pays en voie de développement. Dans les pays arabes, cette question prend davantage d’ampleur et d’importance compte tenu de l’état médiocre dans lequel se trouve leur système d’innovation. Les défis que ces pays doivent relever dans le domaine de l’innovation sont complexes et difficiles. Une simple comparaison avec l’expérience d’autres pays récemment industrialisés comme la Corée du Sud et le Brésil et, notamment, la politique de ces pays dans le domaine de la science et de la technologie (S&T) fait ressortir la situation dramatique de l’innovation dans les pays arabes. La faiblesse de l’innovation dans les pays arabes n’est que le reflet de l’absence d’un SNI organisé, structuré et complet. C’est d’ailleurs ce qui explique que les activités liées à l’innovation, comme le secteur de R&D, montrent un retard significatif. Ce retard est un phénomène dominant dans la plupart des pays en voie de développement et, en particulier, dans les pays arabes. Selon Djeflat (2009)3, ce retard peut être expliqué par plusieurs raisons, parmi lesquelles :
La faiblesse ou l’absence d’activités liées à l’innovation remet en cause certaines idées fondamentales dans la théorie de développement, notamment l’approche dite de « rattrapage ». L’absence d’innovation organisée et structurée nie la possibilité que ces pays rattrapent leur retard dans le domaine de l’innovation. En effet, la situation encore embryonnaire de l’innovation dans la plupart de ces pays ne permet pas un rattrapage en matière d’innovation. En d’autres termes, cette situation favorise plutôt l’hypothèse de « décollage » de l’innovation que celle de « rattrapage » ( Djeflat, 2009).
En matière de la construction de SNI, il est évident que les termes « transfert », « exportation » et « importation » ne conviennent pas ; nous parlons plutôt d’un processus qui est susceptible de déboucher sur la construction d’un SNI approprié dans un pays concerné. Afin de bien comprendre ce processus, il est nécessaire de distinguer le noyau du système d’innovation du cadre plus large. Le noyau est constitué d’entreprises et d’infrastructures du savoir. Selon Lundvall (2007), nous incluons toutes les entreprises dans le noyau parce que chaque entreprise a un potentiel de développement lié à l’absorption ou à l’utilisation de nouvelles technologies. Par contre, le cadre plus large fait référence aux institutions qui contribuent au renforcement des compétences et des institutions qui encadrent l’interaction humaine par rapport à l’innovation.
La faiblesse des institutions formelles dans les PVD (pays en voie de développement) ne permet pas aux institutions de jouer un rôle majeur dans les processus d’innovation. Il est vrai que la plupart des pays arabes possèdent des structures institutionnelles plus ou moins complètes qui ont été établies après l’indépendance. Malgré toutes les critiques que nous pouvons leur adresser, personne ne peut négliger ou ignorer leur existence. La situation dans ces pays n’est pas tant caractérisée par l’absence d’institutions formelles et leur remplacement par des institutions informelles, que par le dysfonctionnement des institutions formelles qui est compensé par les services rendus par des institutions informelles4. Suivant ce constat et afin de résoudre les problèmes liés aux institutions dans les pays arabes, il suffit dans un premier temps de réactiver et de réglementer les institutions existantes afin qu’elles soient au service des citoyens et non pas au service du pouvoir. Une réforme institutionnelle approfondie est, par conséquent, impérieuse afin de débloquer et de résoudre le blocage institutionnel qui règne dans ces pays depuis plusieurs décennies.
Comme la plupart des pays en voie de développement, les pays arabes souffrent d’une faiblesse générale dans les activités liées à l’innovation. Il est ainsi difficile de présenter un panorama complet de la situation de l’innovation dans ces pays. Étant donné cette situation, nous allons chercher à détecter les aspects ou les composants qui sont susceptibles de contribuer à la construction d’un secteur d’innovation dans son ensemble. La plupart de ces aspects ou composants demeurent dans le cas des pays arabes au stade embryonnaire, et n’ont pas eu l’occasion d’éclore et de se développer dans un environnement qui servirait de terreau pour certaines activités organisées d’innovation. À notre avis, l’innovation peut émerger dans n’importe quel milieu, mais les activités organisées d’innovation requièrent un cadre institutionnel approprié. L’absence de ce cadre est le grand obstacle à la construction d’un SNI dans la région arabe.
Mesurer l’innovation n’est pas une tâche facile à réaliser en l’absence d’outils et d’indicateurs qui répondent à tous les critères nécessaires et englobent toutes les dimensions de ce phénomène. Parmi les indicateurs disponibles, nous utilisons le nombre de brevets pour avoir une idée générale de l’état de l’innovation dans les pays arabes. Le tableau ci-après illustre le nombre des brevets délivrés par les pays arabes annuellement de 1963 à 2010. À partir de ce tableau (voir Tableau 1), nous pouvons faire les remarques suivantes sur la situation actuelle de l’innovation dans les pays arabes :
Ce dernier constat confirme une nouvelle fois le retard des pays arabes en matière d’innovation. Ce retard empêche ces pays d’atteindre le niveau de développement économique où l’innovation constitue, aujourd’hui, le cœur de la plupart des actions liées directement ou indirectement. Au-delà du constat de la faiblesse notable des pays arabes en matière d’innovation, un travail de recherche comme le nôtre est censé creuser les racines et les causes de ce phénomène.
La région arabe semble afficher de grandes différences dans les composants de leur SNI ou dans les secteurs et les activités liés à l’innovation. Malgré l’absence totale de SNI et l’absence relative d’innovation, les pays arabes se distinguent sur cette question surtout en termes de politiques de l’innovation ; ces pays peuvent être classés en trois catégories :
Notes