Inégalités industrielles nord-sud

Inégalités industrielles nord-sud

Dans cet article, nous nous penchons sur l’analyse de la thèse de l’industrialisation des pays du Sud comme issue au problème des inégalités Nord-Sud. Nous présentons, dans un premier temps, les principaux critères de classification des pays du monde. Ensuite, nous revenons sur les inégalités majeures entre les pays du Nord et ceux du Sud. Dans un troisième temps, nous présentons la thèse de l’industrialisation comme issue aux inégalités Nord-Sud. Enfin, nous abordons les principales critiques émises à son encontre.

Les principaux critères de classifications des pays du monde

Les classifications des pays du monde se font souvent en fonction de variables économiques et sociales (produit intérieur brut (PIB), indicateur de développement humain (IDH), indice de pauvreté humaine (IPH), indicateurs de liberté, indices de gouvernance, etc.). La combinaison de ces variables a permis à travers le temps d’avoir plusieurs classifications.

La première classification des États-Nations a eu lieu au début des années 50, dans un contexte de Guerre froide. Cette classification distingue trois mondes : le premier monde (l’Ouest : États-Unis et leurs alliés) ; le second monde (l’Est : l’Union soviétique et la Chine) ; le Tiers monde (regroupant l’ensemble des pays non développés). Cette dernière expression, utilisée pour la première fois par Alfred Sauvy, faisait allusion, selon les mots de l’auteur, à une partie du monde « ignoré, exploité, méprisé ». Elle regroupe des pays pauvres et appauvris, en mal de développement, présentant des réalités économiques, politiques et sociales complexes.

Une trentaine d’années plus tard, dans les années 80, certains pays du deuxième monde se sont développés. Ils ont rejoint le premier monde ; d’autres ont rejoint le Tiers monde. Une nouvelle classification est devenue donc nécessaire. Elle a conduit à une catégorisation du monde en deux blocs : un Nord développé et un Sud en développement. Cette division n’est pas faite dans un sens géographique, même si la plupart des États du Nord se situent dans l’hémisphère nord et ceux du Sud dans l’hémisphère sud. Cette classification a été faite sur la base des niveaux d’industrialisation, du progrès économique, de la science et la technologie, du niveau de vie et du pouvoir politico-économique dans l’arène mondiale.

Cette vision binaire du monde ne fait pas consensus dans les écrits scientifiques. Plusieurs critiques lui ont été émises. Nous en citions ici les deux principales. D’une part, la corrélation systématique qu’elle met en avant entre richesse et développement n’est pas toujours valide. D’autre part, cette division du monde en deux blocs ne permet pas de classer les pays émergents. Ces pays qui ont tendance à rattraper les pays du Nord et les dépassent parfois par rapport à certains aspects économiques. Mais, malgré ces critiques, nous retenons cette classification qui reste plutôt réaliste quant à la représentation de la dynamique économique et sociale des États-Nations.

Les inégalités au cœur de  la classification Nord-Sud

Sur une période de quatre décennies (1980-2010), les pays du Nord comptant en moyenne près de 20% de la population mondiale ont continué à contrôler près de 80% des revenus dans le monde. Dans ces pays, les populations ont un niveau de vie relativement élevé, un niveau d’alphabétisation important, une meilleure protection sociale. Leurs économies sont souvent en croissance avec une capacité de production importante, des industries compétitives, des compétences technologiques distinctives. Les États ont une politique stable et une capacité d’influence élevée au niveau international.

Les pays du Sud, comptant en moyenne près de 80% de la population mondiale, ont continué à contrôler, quant à eux, près de 20% du revenu mondial. Ces pays sont faibles. Ils ont des caractéristiques à l’opposé des pays du Nord. La majorité de leur population vit en dessous du seuil de pauvreté. Leur économie dépend principalement de produits agricoles primaires. Au niveau politique, ils se caractérisent par une instabilité politique, une faiblesse des institutions et une dépendance élevée aux pays du Nord et des organisations internationales.

Cette réalité conduit à une conclusion alarmante. Le Monde est bel et bien divisé en deux blocs : un Nord fort qui défend ses propres intérêts nationaux et commerciaux, et qui continue à développer et à consolider ses intérêts capitalistes ; un Sud faible et dépendant qui n’arrive pas à se développer, et qui ne parvient pas à défendre ses intérêts économique et social. Ce constat a amené plusieurs chercheurs à repenser le modèle économique mondial afin de réduire la fracture Nord-Sud.

La thèse de l’industrialisation du Sud comme issue au problème des inégalités

Plusieurs thèses défendaient l’idée de la disparition de la fracture Nord-Sud. Un des précurseurs de cette thèse est Nigel Harris (1986). Dans un ouvrage intitulé La fin du tiers Monde, l’auteur prétendait que les inégalités Nord-Sud diminueront significativement suite aux processus de dispersion de la capacité de production, et donc d’industrialisation des pays du Sud. À cette condition près que le monde deviendrait, selon lui, un « système rationnellement ordonné ».

L’arrivé des pays émergents a solidement validé cette thèse. La Chine, l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud, entre autres, ont gagné le pari de l’industrialisation. Ils sont devenus des pays économiquement forts, avec une classe moyenne importante, des entreprises compétitives. Ils ont réussi à investir et acquérir des actifs dans d’autres pays du Nord et du Sud. Ces pays semblent aujourd’hui en mesure de rattraper le Nord. Toutefois, aux regards des inégalités, ces pays peinent à rattraper le Nord, principalement sur des aspects sociaux et sociétaux. Une des explications de cette double trajectoire, économiquement saine et socialement malsaine, c’est que ces pays, ceux de l’Asie de l’Est plus précisément, sont devenus obsédés par la seule croissance économique. Ils ont en contrepartie sacrifié les droits de l’homme, l’environnement et la justice sociale.

Si la thèse défendue par Harris se confirme en partie dans le cas des pays émergents, elle peut être remise en cause dans la majeure partie des pays du Sud.

La nature complexe des inégalités Nord-Sud

Plusieurs études empiriques ont critiqués la thèse de l’industrialisation des pays du Sud comme issue au problème des inégalités Nord-Sud.

L’analyse d’Arrighiet al. (2003), à titre d’exemple, a montré que la convergence du degré d’industrialisation entre les pays du Sud et ceux du Nord n’a pas été associée à la convergence des niveaux de revenus dont bénéficient en moyenne les résidents de ces deux groupes de pays. Les auteurs soulignent en effet que, malgré une industrialisation rapide de certains pays du Sud, ces derniers n’ont pas pu se développer considérablement. Ils n’ont pas pu non plus s’enrichir, comme c’est le cas d’un certain nombre de pays du Nord. Les auteurs soulignent en effet qu’il existe une fausse identification entre « industrialisation » et « développement » et entre « industrialisés » et « riches ». Cette corrélation parfois négative, entre industrialisation et enrichissement s’explique par la stabilité de la hiérarchie des capitaux. En effet, les systèmes et les institutions de gouvernance économique et financière continuent d’être dominés par le Nord.

Hellieret al. (2012) montrent par ailleurs que dans les logiques d’industrialisation, les pays du Nord se spécialisent dans les produits à forte intensité de compétences alors que le Sud se tourne vers des secteurs intensifs non qualifiés. Les auteurs soulignent que l’écart de compétences entre le Sud et le Nord a toujours été important. Selon eux, la compétence n’est pas totalement mobile à causes des coûts de migration, des lacunes culturelles et des règles institutionnelles en place. Cela se répercute par la suite sur le niveau de vie des travailleurs. Ceux hautement qualifiés se localisent dans le Nord, ils sont mieux rémunérés. Le Sud regroupe plus de main-d’œuvre non qualifiée. Les salaires sont par conséquent plus faibles.

Ces deux résultats montrent en effet que les inégalités Nord-Sud ne sont pas un phénomène de surface qui peut disparaître par l’industrialisation des pays du Sud ou l’injection de capitaux. Les inégalités Nord-Sud sont beaucoup plus complexes. Elles sont, d’une part, le résultat d’un déséquilibre structurel de l’ordre économique international contemporain et, d’autre part, le résultat de l’exploitation dominante d’une classe par uneautre.

 

Bibliographie

  •   Sauvy, Alfred (1952, 14 août 1952). L’Observateur, n°118, page 14.
  •  Arrighi, Giovanni, Silver, Beverly J. and Brewer, Benjamin, (2003). Industrial Convergence and the Persistence of the North-South Divide. Studies in Comparative International Development, 38(1): 3–31.
  •  Nigel, Harris (1986). The End of the Third World. Newly Industrializing Countries and the Decline of an Ideology. Harmondsworth, Middlesex: Penguin Books.
  • Hellier, J. and Chusseau N. (2012). Growing Income Inequalities. Economic Analyses. Palgrave Macmillan.