
Kenza Sefrioui est docteur en littérature comparée, de l'Université Paris IV-...
Voir l'auteur ... [3]Alors que la Banque mondiale et le FMI viennent de tenir leur assemblée à Marrakech sans avancée pour l’Afrique, il est utile de relire le manifeste pour une finance éthique des frères Bocquet.
Ils ont remporté en janvier 2018 le prix éthique décerné par Anticor, association française de lutte contre la corruption, pour leur « combat pour l’égalité des citoyens devant l’impôt ». Éric et Alain Bocquet sont frères, ont été élus du parti communiste français et travaillent sur la question de la justice fiscale. Après Sans domicile fisc (Le Cherche midi, 2016), en collaboration avec le journaliste Pierre Gaumeton, ils font le bilan de l’ère post-covid dans Milliards en fuite, manifeste pour une finance éthique, paru en 2021.
La première partie de bilan sur les conséquences de la pandémie, qui a fait ruisseler l’argent vers le haut tandis que le prix le plus lourd, direct et indirect, a été payé par les plus fragiles. 3,9 millions de morts du coronavirus dans le monde, 183 millions de malades, 430 millions d’entreprises en danger dans le monde selon l’Organisation internationale du travail : un « potentiel tsunami de pauvreté », alertait l’expert du développement international Andy Summer, s’inquiétant d’une « crise dévastatrice et sans précédent ». D’autant que la pandémie a servi de prétexte à des licenciements, des mises au chômage partiel, des restructurations en vue de concentrer les profits des grands groupes mobilisant toutes les ressources de la finance afin de se soustraire à leurs obligations de redistribution, c’est-à-dire à l’impôt – y compris quand ils bénéficient de soutiens publics.
Or, clament les auteurs, « l’évasion fiscale est une délinquance délibérée. Elle totalise à son passif des millions de victimes. Délinquance délibérée, mais quand la justice intervient, pour éviter des procès coûteux et dévastateurs sur le plan de la renommée, les multinationales préfèrent passer par un arrangement préalable. Je négocie, s’il le faut, je signe un chèque, et basta, j’évite le coup de bambou d’une condamnation et du déshonneur. En définitive, je reste gagnant, et peu importe ce qu’il en coûte à la société. » Et de conclure : « Un sport de parasites ». Éric et Alain Bocquet appellent l’ampleur du phénomène : « L’ONG Tax Justice Network estimait en 2010 de 21 000 à 32 000 milliards de dollars la richesse privé e cachée ». Environ 8 % du PIB mondial, selon l’estimation de l’économiste français Gabriel Zucman. En cause, les « États parasites » qui abritent les paradis fiscaux. Les auteurs en appellent à une politique étatique volontaire pour garantir la solidarité, mettre fin à la marchandisation de la dette sur des marchés très opaques, repenser la notion de biens communs (comme les vaccins…). Et surtout pour refuser la naturalisation, notamment par les algorithmes, d’un mode de fonctionnement qui ne profite qu’à une oligarchie. « Nous refusons que les États se muent en vassaux de ces multinationales. […] Nous devons défendre notre libre arbitre et nos valeurs face à l’algorithme du libéralisme, destructeur d’humanité ; un libéralisme qui ne renvoie pas au concept de liberté universelle mais à la liberté de pouvoir d’une oligarchie et de ses vassaux. »
Responsabilité commune
Pour Éric et Alain Bocquet, il est essentiel que la finance et l’économie redeviennent l’affaire de tous pour qu’elles soient au service de tous. Tout le monde a ainsi la responsabilité de s’engager pour activer plusieurs leviers. Les auteurs en identifient dix.
Un livre plein d’optimisme.
Kenza Sefrioui
Milliards en fuite, manifeste pour une finance éthique
Éric et Alain Boquet et Pierre Gaumeton, préface d’Éric Vernier
Le Cherche midi, 224 p.,