Rendre sa juste valeur au travail des femmes

Rendre sa juste valeur au travail des femmes

Auteur : Rachel Silvera

Rachel Silvera propose de réviser les critères d’évaluation du travail afin de combattre les inégalités de salaire.

En France, les femmes gagnent 27 % de moins que les hommes. Elles occupent 80 % des emplois à temps partiels, pas toujours par choix. Elles subissent une double ségrégation, verticale, en occupant peu d’emplois qualifiés dans un même secteur, et horizontale, en étant concentrées dans peu de métiers et de secteurs : 50 % des femmes se retrouvent dans 12 familles professionnelles sur 87, alors que les 12 familles les plus masculinisées n’occupent que 35 % des hommes. Leurs métiers sont sous-évalués ne correspondent pas à leur niveau de formation, ce qui génère un phénomène de déclassement professionnel, qu’elles ont plus de mal à rattraper que les hommes. Elles peuvent passer des années à un échelon sans aucune promotion, ce qui a une incidence lourde sur leur niveau de retraite. Et pourtant, seules 3,3 % des saisines de la justice concernent les discriminations en raison du sexe. Pendant longtemps, les avocats ont plaidé la discrimination syndicale plutôt que la discrimination femmes-hommes. Pourtant, des plaignantes ont eu gain de cause etont reçu des sommes importantes en compensation. « Le risque pour les entreprises de se voir condamner est à présent bien réel. »Rachel Silvera, économiste et membre du réseau de recherche « Marché du travail et genre », a interviewées ces plaignantes. Ces « autobiographies de femmes au travail » lui permettent de poser le problème de l’égalité des salaires en des termes nouveaux. Comme le résume en préface l’historienne Michelle Perrot, « la question de la valeur, de l’évaluation, est centrale ».

La première partie du livre fait l’histoire decette discrimination ancienne.« Les femmes ont toujours travaillé et ont toujours été moins payées » à cause d’une idée selon laquelle « pour une femme, travailler en échange d’un salaire relève de l’accident de parcours » ; la normalité serait le mariage et l’entretien par le mari, en contrepartie d’un travail « caché, invisible, non rémunéré » : le travail domestique. Rachel Silverarappelle les résistances à l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail. Une histoire émaillée de clichés et de mauvaise foi : les femmes seraient incapables de s’assumer seules, elles seraient naturellement dociles et résignées, elles auraient moins de besoins que les hommes, leur arrivée dans un secteur nivellerait les salaires par le bas, elles feraient le jeu du patronat pour casser les revendications syndicales, n’auraient pas de conscience collective… La pierre angulaire de ce système était le salaire d’appoint, qui a imposé pendant des décennies un rabais, quelle que soit la situation personnelle des femmes et le travail réalisé. Bref, « logique patriarcale et logique patronale se confortent » et « il n’est pas question de penser le travail des femmes comme une nécessité vitale ou un droit, un moyen d’accéder à l’indépendance économique ». Si le salaire d’appoint a été supprimé en France dans les année 1950, son spectre plane toujours, avec le « relatif consensus autour de la féminisation du temps partiel », et le fait que les femmes soit très peu recensées parmi les « travailleurs pauvres »alors qu’elles « représentent une forte majorité des salariés à bas et très bas salaire »…

En 1950, la loi Croizat clamait « A travail égal, salaire égal ». La loi du 22 décembre 1972 affirme que « Tout employeur est tenu d’assurer, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes ». Mais la loi est en avance sur les pratiques. Rachel Silverafait l’inventaire des nouveaux avatars de la discrimination. Premier blocage : l’évolution. Aux femmes les « carrières d’appoint ». 30 % des femmes déclarent n’avoir jamais été augmentées, contre 24 % des hommes, et 34,6 % pensent n’avoir aucune perspective d’évolution, contre 21,8 % des hommes. Alors que grimper un échelon est perçu comme plus valorisantqu’une augmentation,leur« droit à la carrière »peine à être reconnu.A Maria, ouvrière modèle, « on a « oublié » de proposer la moindre promotion »… Il y a aussi la discrimination entre le « cœur de métier » vu comme « productif » et les emplois périphériques vus comme « improductifs ».Sans oublier les représentations sexistes : «Au nom de « qualités innées », si « naturelles » qu’il n’est besoin ni de les apprendre ni de les payer », on cantonne les femmes à des secteurs « qui correspondraient à leur soi-disant nature. » Des emplois moins bien couverts par les conventions collectives, moins bien définis dans les classifications et donc moins bien payés. Enfin, le « soupçon de maternité » impose aux femmes une discrimination statistique, celles qui n’ont pas l’intention d’interrompre leur carrière étant traitées comme si elles étaient « susceptibles de sortir du marché du travail pour raisons familiales ».

 

Pour en finir avec le spectre du « salaire d’appoint »

Pour Rachel Silvera, il est donc urgent de redéfinir la valeur véritable du travail des femmes, de revoir de façon positive les critères identifiant des emplois dits « féminins » et de « mieux reconnaître le travail souvent invisible».Loin d’être non-qualifiés, ces emplois mobilisent de vraies compétences. La notion de technicité doit englober des savoir-faire comme le relationnel, la gestion de tâches multidimensionnelles, lapolyvalence. Il faut reconnaître les critères de responsabilité et d’encadrement autant pour « la prise en compte des responsabilités sur des tiers (jeunes, malades, équipes, personnes âgées…), les responsabilités de communication, d’assistance ou de protection du caractère confidentiel des dossiers » que pour les responsabilités matérielles et budgétaires. Et bien sûr, « neutraliser réellement l’effet du congé maternité sur la carrière des femmes », comme le service militaire a été reconnu dans celle des hommes, et œuvrer à un meilleur partage des responsabilités familiales et professionnelles entre les deux sexes.

Pour beaucoup de femmes, la priorité est donnée au sens du travail et à sa reconnaissance comme tel, parfois plus qu’au salaire – ce qui contribue à sa sous-valorisation. Rachel Silvera propose d’« oser se comparer », de briser les tabous concernant les augmentations faites individuellement, d’améliorer la négociation de l’égalité en entreprise… Un défi pour les syndicats, pour l’Etat qui doit appliquer une action coercitive, mais aussi pour l’ensemble de la société. Car c’est une redéfinition globale de la hiérarchie des valeurs que cette revendication propose, en voulant « donner une véritable place dans la société aux emplois qui se consacrent au « souci des autres » ».

 

Par : Kenza Sefrioui

 

Pour aller plus loin : Un salaire égal, pour un travail de valeur égale. Guide pour une évaluation non discriminante des emplois à prédominance féminine.A télécharger sur : http://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/upload/guide-salaire-egal-travail-valeur-egale.pdf

 

Un quart en moins, des femmes se battent pour en finir avec les inégalités de salaires

Rachel Silvera

La Découverte, 240 p., 16 €