Pourquoi le monde arabe n’est pas libre ?

Pourquoi le monde arabe n’est pas libre ?

Auteur : Moustapha Safouan

Nécessaires réflexions sur le passé, le présent pour mieux  construire le futur 

Paru en 2008, l’ouvrage de Moustapha Safouan - dont la richesse et la pertinence  procèdent de sa capacité à avoir anticipé les mouvements du « Printemps arabe » - interroge les raisons profondes des blocages politiques affectant, depuis des siècles, l’ensemble du monde arabe.

Y aurait-il dans l’Islam, comme d’aucuns l’avancent, quelque chose de nature à maintenir les peuples sous la domination arbitraire et tyrannique d’un seul homme ? C’est à cette problématique que l’auteur répond en fin analyste et observateur des plus avertis du monde arabe.

 

LES TENDANCES LOURDES DU PASSE

Deux thèmes majeurs sont abordés :

La continuité du pouvoir despotique dans l’histoire du Moyen-Orient, où la structure de l’Etat, construite sur le modèle Sassanide, a toujours revêtu un caractère religieux, en plus d’être fondée sur une distinction infranchissable : le Un qui gouverne et ses sujets.

La disjonction entre la langue classique et les langues vernaculaires, l’une utilisée pour consolider le pouvoir en place, les autres dialectes, dévalorisés pour maintenir le peuple dans l’ignorance.

Confusion des pouvoirs politique et religieux

Pour ces régimes absolus, le pouvoir politique et religieux était concentré entre les mains d’un seul dirigeant et aucune autre voix ne pouvait s’exprimer, sous peine d’emprisonnement. C’est dire le lien très fort entre l’écriture et le pouvoir, auquel elle est subordonnée.

La colonisation viendra avec de nouvelles notions, comme «la démocratie et la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire », qui fondent tout Etat moderne. Ces trois pouvoirs demeureront en fait soumis au bon vouloir de l’émir, contrôlant l’ensemble de la vie publique.

Un pouvoir, qui se proclame détenteur unique d’une « Vérité » supérieure

Construit sur la proclamation que Dieu lui a, non seulement, délégué Son pouvoir mais aussi Son savoir de la « Vérité », l’émir revendique à son profit la croyance, selon laquelle le Prophète aurait détenu les pouvoirs, temporel et spirituel. Une dualité, qui ne se fonde ni dans l’autorité – distincte du pouvoir ou sulta - du Prophète sur son peuple, qui acceptait ses décisions du fait de sa relation unique à Dieu en tant que son messager, ni dans le Coran. Et si nous y trouvons un commandement d’obéissance à Dieu, à ses messagers et à « ceux qui parmi vous ont la charge de diriger ouli-l-amri minkum, il n’y a par contre aucune indication sur la manière dont cette charge leur est confiée.

Un pouvoir, qui puise sa légitimité dans l’imposture du Califat

Comment légitimer le concept de « Khalifa » de Dieu sur terre, alors que Mohammed était lui-même le dernier des Prophètes ?

Le pouvoir absolu au Moyen-Orient se fonde sur le Un qui gouverne et ses sujets. Une distinction, qui n’est pas de nature duelle en ce qu’elle transcende la réciprocité ou l’échange entre deux termes égaux. Le monarque est en dehors du champ des individus: il est celui envers lequel nous sommes responsables, à la fois en tant qu’individus et en tant qu’ego, tandis qu’il est lui-même « inquestionnable ».

Un pouvoir, qui s’identifie à l’image du père

Le monarque est comme le père, responsable de famille auquel aucun membre ne peut demander des comptes. Autrement dit, l’idée du monarque est liée à l’Unité que la communauté tire de son identification et de sa soumission à celui-ci et nul ne peut exprimer sa propre opinion.

Stratagèmes utilisés pour asservir son peuple

  • Isolement du peuple du champ de la pensée

En plus d’usurper cet attribut de Dieu, comme  « unique  détenteur de l’interprétation finale », le confinement de l’écriture à la langue classique, revient à interdire toute expression d’une opinion autre que la sienne    

  • Mystification de la langue et de l’écriture

La fonction du peuple n’étant pas de penser, les pouvoirs en place ont banni l’enseignement de la langue vernaculaire, langue du peuple au profit de la langue grammaticale, langue de l’élite avec pour objectif d’ériger un mur entre les écrits de l’élite et le peuple.

Une sacralisation de la langue classique, comme langue du Coran, qui revient à priver le peuple des richesses de sa langue afin qu’il n’accède pas au savoir au risque de prendre conscience de sa soumission et de sa liberté confisquée. Autrement dit, l’écriture est une censure massive, non déclarée, qui abolit toute pensée libre chez les sujets.

 

BLOCAGES OU OPPORTUNITES

Si le monde occidental est sortit du moyen-âge, c’est grâce à l’essor économique des villes et à l’émergence des Lumières ayant sonné le glas à l’absolutisme et au pouvoir de l’Eglise ; cela a donné naissance, à ce que l’auteur appelle le “multiple”, c’est-à-dire les bases profondes de la démocratie où l’esprit critique et les différences s’exprimaient librement.

Dans le monde arabe, des courants minoritaires apparaissent, qui remettent en question la Lettre du Coran sous haute surveillance des despotes, craignant que ceux-ci ne soient préjudiciables au pouvoir de l’Un !

 

CONCLUSION

Apports de la pensée de l’auteur

Dans cette investigation fouillée, ce brillant disciple de Lacan aborde, sans complexe, des sujets restés longtemps tabous, apportant son éclairage subtil à des problématiques aussi essentielles que « la relation entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel dans un Etat islamique ».

Son adaptation en anglais « Why the Arabs are not free? The politics of writing » s’attaque à un sujet brûlant, celui du terrorisme, dont les racines sont liées à la structure du pouvoir politique au Moyen-Orient".

Quelle place, dans le monde Arabe, à la réflexion d’une telle œuvre

En dévoilant les impostures qui fondent la légitimité des régimes arabes, cet ouvrage servira de plateforme de réflexion aux chercheurs et à l’élite intellectuelle. L’onde de choc liée à sa diffusion, finira par tordre le coup à bien des certitudes ! Le khalifa ne pourra plus prétendre être le seul habilité à interpréter le Coran, déniant à tout autre la faculté de rechercher la vérité par lui-même.  

Polémiques et Réflexions

Ne concourent-elles pas, les unes avec les autres, les unes contre les autres à enrichir le débat ? C’est le principe même de la démocratie, qui ne peut vivre que de la confrontation d’idées contradictoires.

La Nation est Une, ses composantes sont plurielles et doivent exprimer leurs différences dans le cadre d’un projet de société commun, au risque de perpétuer le pouvoir Un,  ou d’aboutir sur une guerre civile, car comme le dit Blaise Pascal « La multitude qui ne se résous pas à l’unité est confusion, l’unité qui n’est pas multitude est tyrannie »

C’est l’échec de l’Etat “Un” despotique, qui a conduit à la radicalisation religieuse de l’opposition, prônant le retour à la lettre de l’islam comme moyen de régénération du monde arabe. 

 

Farida Lhassani-Ouazzani