Logistique : histoire d’une quête de fluidité commerciale

Logistique : histoire d’une quête de fluidité commerciale

Lors d’une allocution, au mois de janvier 2012, le président américain Obama déclarait : « Assurer l’approvisionnement de l’ensemble de notre supply chain, tout en veillant sur son bon fonctionnement, est essentiel à notre sécurité nationale et à la prospérité économique des États-Unis. »1 De tels propos démontrent toute l’importance du rôle que joue la logistique dans le système économique et les relations internationales.

Singapour, cité-État, paraît aujourd’hui un exemple édifiant à ce propos. Depuis maintenant une dizaine d’années, ce pays trône à la tête de tous les indicateurs de performance et de qualité sur le plan économique. Mais qu’est-ce Singapour ? N’est-ce pas simplement une grande ville avec un gigantesque port ? Cette île, qui n’avait au départ que très peu d’atouts comparativement à ses voisins, fait de la logistique – depuis son indépendance de la colonisation britannique en 1965 – pour plus de 60% de son tissu économique, et à son avantage ; elle l’a fait si bien au point d’avoir assuré sa prospérité économique et la stabilité de son modèle social ! Singapour constitue ainsi depuis presque une décennie une « success story », un modèle de référence pour ceux qui nourrissent des ambitions d’émergence.

Activités et métiers pour accompagner tout projet de développement

L’évolution des activités logistiques est donc une donnée stratégique pour l’avenir économique d’un pays comme le Maroc. Celles-ci représentent progressivement, même chez nous, une activité à part entière, génératrice de valeur ajoutée. Leur maîtrise pourrait, par ailleurs, résoudre positivement les questions de gouvernance et des politiques territoriales encore en crise.

Historiquement, les origines de la logistique en tant que discipline se trouvent liées à trois affluents distincts : les sciences mathématiques, les échanges commerciaux et les activités militaires. Les premières expressions de la logistique étaient concentrées sur les stocks, l’approvisionnement, les convois et transports des troupes et des matériels, l’entretien des infrastructures.

Sa conception, sa définition et son étendue ont connu une grande évolution. En tant que discipline, elle aborde aujourd’hui dans leur globalité ou sur le terrain les problématiques liées à l’acte d’achat et au sourcing, les grandes tendances du management et toutes les grandes questions relatives au supply chain. Elle intègre des approches fondées sur le low cost country sourcing, le supplier relationship management, les flux logistiques, la volatilité des matières premières et des devises.

On entend par logistique – un terme encore d’origine grecque ! Le mot « logistique » provenant de logistikos qui signifie « relatif au calcul », « qui concerne le raisonnement »2 –, l’activité qui couvre l’ensemble des opérations matérielles visant à assurer des conditions optimales à la circulation des marchandises, interne à l’entreprise, ou lors des opérations de distribution physique entre les fournisseurs et leurs clients. En particulier, la logistique est axée sur la rationalisation des opérations liées au déplacement des marchandises : emballage, conditionnement, étiquetage, stockage, transport, manutention, déclaration en douane…

La logistique de l’entreprise recouvre les actions d’organisation des flux internes et celles des flux externes aussi bien en amont qu’en aval. Pour ce qui est des flux internes, en fonction des besoins manifestés, des contraintes des fournisseurs et des moyens dont dispose l’entreprise (ressources humaines et moyens matériels), la logistique s’occupe de l’organisation des flux entre ses différents sites et intègre l’achat, le stockage, la production, la distribution, le transport et la commercialisation. La gestion des flux externes concerne l’organisation des flux entre l’entreprise, ses fournisseurs et ses clients. On parle de plus en plus de la gestion de la chaîne logistique, ou Supply Chain Management (SCM).

Autrement dit, la logistique recouvre la gestion de l’ensemble des flux physiques et des flux d’information associés, des approvisionnements à la distribution des produits finis, y compris la gestion des retours de quelque nature qu’ils soient.

On réalise ainsi que tout produit ou tout service offert comporte forcément une partie relative aux coûts logistiques de sa production ou sa prestation. Les experts estiment que selon les secteurs d’activité, les coûts logistiques (dans un périmètre fixe) représentent entre 8 et 15% du CA des entreprises. Un point de gagné sur ces coûts représente le quart, voire le tiers de marge supplémentaire pour une entreprise. La composition de ces coûts est approximativement connue pour chaque entreprise. Généralement, les transports représentent la moitié des coûts, l’entreposage un quart du total. En temps de crise et de très forte concurrence, la maîtrise de ces coûts est un aspect vital pour la survie et le développement des entreprises. L’optimisation logistique constitue, pour beaucoup de pays, le moyen de préparer le terrain à une relance économique durable.

En somme, l’expertise logistique est devenue un levier incontournable pour faire des économies, améliorer la compétitivité et avoir de la visibilité à moyen et long termes. Aujourd’hui, les entreprises qui possèdent un «supply chain» structurée, de l’approvisionnement jusqu’à la livraison du produit final, sont capables de livrer le produit fini au bon endroit, le plus vite possible et à moindre coût.

La mondialisation exige une qualification logistique !

Les prestations logistiques dans une entreprise sont désormais évaluées dans le contexte d’une économie mondialisée, certaines de leurs composantes sont maintenues dans la sphère des activités de l’entreprise elle-même, d’autres sont externalisées pour permettre une meilleure efficience et assurer le recentrage de celle-ci sur ses métiers de base. On assiste ainsi à une diversification et une extension des métiers de la logistique et à une spécialisation en interne ou en externe de plus en plus poussée.

L’intérêt porté par les entrepreneurs et les États à la logistique s’est renforcé avec la mondialisation. Citons le cas de Zara en Europe, entreprise espagnole du secteur de la mode. Grâce au concept de « mode éclair », celle-ci a rapidement gagné des parts de marché. Il faut deux semaines entre le stade où une jupe se trouve aux mains de l’équipe des designers en Espagne et celui où elle est livrée dans un magasin Zara presque partout dans le monde. Les vêtements sont principalement fabriqués en Espagne et au Portugal, à des coûts de production plus élevés que ceux des concurrents fabriqués en Chine, en Inde ou dans d’autres pays à bas salaires. Selon l’entreprise, les coûts élevés de main-d’œuvre sont plus que compensés par une meilleure productivité et des coûts de distribution plus faibles.

Pour les États, les enjeux sont aussi importants. En 2006, la Banque mondiale avait publié une étude sur les effets de la logistique sur les échanges internationaux de marchandises. Celle-ci se basait sur les résultats d’une enquête auprès des transitaires de 140 pays. Les questions portaient sur les délais et les coûts de transport du départ usine jusqu’au chargement de la marchandise sur navire, y compris les procédures administratives telle la délivrance d’une licence d’exportation ou d’importation, le passage en douane, l’inspection de la marchandise et plusieurs autres indicateurs.

À l’époque, pour les délais d’exportation et d’importation par régions ou par États, les résultats étaient les suivants :

La performance logistique selon plusieurs indicateurs

Un autre critère est souvent utilisé pour évaluer les coûts de la logistique des pays en les comparant avec le PIB. Les estimations du ministère marocain de l’Équipement et du Transport, à titre d’exemple, rapportent que les coûts totaux de la logistique au Maroc s’élevaient à environ 20% du PIB en 2006. Ce ratio est supérieur à celui des pays de l’Union européenne y compris ceux qui l’ont intégrée en 2004 dont le ratio se situe entre 10 et 16%. Des grands pays émergents comme le Mexique, le Brésil et la Chine ont, quant à eux, des coûts logistiques de l’ordre de 15 à 17% du PIB.

De son côté, le rapport du forum économique mondial sur la logistique et le Supply Chain Management 2011-20123 indique que les exportations mondiales prises globalement comportent en moyenne 30% de ses intrants importés d’ailleurs ! Ce phénomène récent d’internationalisation de la production fait que la moitié des exportations mondiales comportent des exportations de pays dont les inputs viennent partiellement d’ailleurs ! Pour les auteurs de ce rapport, « cette fragmentation géographique de la production », qui fait que chaque pays est spécialisé dans une étape particulière de la production, a été un des principaux moteurs de la croissance du volume des échanges mondiaux au cours des dernières décennies. Cette croissance a été soutenue notamment par un processus de libéralisation continu du commerce dans beaucoup de pays (notamment les réductions des droits de douane).

Selon le même rapport, la capacité d’un pays à participer aux chaînes d’approvisionnement est liée à l’efficacité de sa facilitation du commerce local et ses services logistiques. Chaque jour supplémentaire qu’il faut pour obtenir un envoi à sa destination en Afrique est équivalent à une taxe supplémentaire de 1,5% du coût du produit. Même si les droits de douane sur les marchés d’exportation sont nuls, les entreprises d’un pays qui font face à des coûts élevés et de la logistique inefficaces n’auront aucune chance de rivaliser avec des entreprises bénéficiant d’une logistique efficace.

Enfin, la Banque mondiale a également ses propres critères évaluant la composante logistique. Elle vient de publier la troisième édition (rapport 2012) du Logistics Performance Index (LPI)4.

L’indicateur de performance logistique englobe les activités de transport, les technologies de l´information, l´entreposage, la massification des flux, la distribution, le paiement, les procédures de douane. Cet index apprécie aussi la ponctualité et la sécurité des expéditions ainsi que la qualité des agents publics et privés travaillant dans ces secteurs. Un accent particulier est mis sur le rapport coût/délai des acheminements, la fluidité des procédures administratives (douanes, normes sanitaires, phytosanitaires) et l´efficacité des services portuaires et aéroportuaires.

Selon la Banque mondiale, à revenu par tête égal, les pays qui affichent les meilleures performances logistiques enregistrent des points de croissance supplémentaires, jusqu’à 1% sur le PIB et 2% de commerce supplémentaire. L’indice de performance logistique de la Banque mondiale 2012 place le Maroc au 50e rang sur les 155 pays qui ont été soumis à cet examen. Un classement qui reconnait une certaine évolution positive de la logistique au Maroc, car le premier rapport en 2007 classait le pays au 94e rang. Il est cependant précédé par plusieurs pays du Moyen-Orient et du Maghreb, les Émirats arabes unis arrivent en premier à la 17e place, la Turquie à la 27e, le Qatar 33e, l’Arabie saoudite 37e, la Tunisie 41e, le Bahreïn 48e. Nos voisins et partenaires immédiats sont également devant nous (France, Espagne, Italie, Portugal…).

Un avenir très « logistique »

En clair, la logistique en tant qu’activités, nouveaux métiers et nouvelles missions est là, bien installée et promise à de nouveaux bonds qualitatifs au niveau mondial. Pour confirmer cette tendance, La 17e étude annuelle sur la logistique externalisée (« 3PL » pour Third Party Logistics) (2012) révèle que malgré la conjoncture internationale difficile, le chiffre d’affaires mondial du secteur 3PL continue d’augmenter dans la mesure où les fournisseurs de services logistiques continuent d’asseoir leur présence sur le marché et de créer de la valeur pour leurs clients. 65% des transporteurs ayant répondu à l’enquête ont en effet indiqué une augmentation de leur recours aux services 3PL.

Face à une concurrence accrue, les transporteurs se tournent de plus en plus vers les fournisseurs de services logistiques, qui sont un moteur majeur pour innover et limiter le risque en supply chain. La relation entre 3PL et transporteurs continue d’évoluer, avec des transporteurs cherchant à dégager une valeur réelle et à se différencier de la concurrence à travers leurs choix de fournisseurs de services 3PL7.

De même, selon une étude du cabinet américain Gartner pour l’année en cours, le marché mondial des logiciels de Supply Chain Management connaît pour la deuxième année consécutive une croissance à deux chiffres. Malgré la réduction des budgets informatiques et l’incertitude économique ambiante, il aurait progressé de 12,3% à 7,7 milliards de dollars américains en 2011. Représentant près de 79% du marché, l’Amérique du Nord et l’Europe de l’Ouest restent les premiers utilisateurs de solutions SCM8.

Les activités et les métiers logistiques resteront ainsi un facteur primordial pour la croissance et le développement des entreprises et des États dans les prochaines années. De nombreux facteurs vont par ailleurs impacter fortement les organisations logistiques, en particulier l’intégration incontournable et progressive du développement durable dans la stratégie des entreprises ainsi que la nécessité de mieux maîtriser les domaines sûreté/sécurité (traçabilité, sécurisation des flux…)

 

  1. http://www.whitehouse.gov/the-press-office/2012/01/25/fact-sheet-national-strategy-global-supply-chain-security.
  2. Dictionnaire, le Robert, 2000.
  3. Newsletter de Supply Chain Magazine du 18/05/2012
  4. http://www.capgemini-consulting.com/ebook/2013-Third-Party-Logistics-Study/index.html#/18/zoomed
  5. Un indice qui repose sur l’examen de six critères :

1. L’efficacité des procédures douanières et des mesures de sûreté

2. La qualité des infrastructures de transport et de communication

3. La disponibilité de services d’expéditions internationales à des prix compétitifs

4. La compétence des prestataires de services logistiques et la qualité de leurs services

5. Le repérage et le suivi des expéditions.

6. Le respect des délais de livraison (la ponctualité)

L’indice est obtenu pour 155 pays en évaluant chacun de ces critères à l’aide d’un questionnaire envoyé à près de mille gestionnaires et spécialistes.