Les scénarii Afrique 2025

Les scénarii Afrique 2025

Auteur : Alioune Gueye

Le continent fait l’objet d’un sursaut d’intérêt teinté d’inquiétude sur son devenir. En 1999, l’Institut «Futurs africains», sous l’instigation du PNUD, a mené une réflexion sur l’avenir du continent.

L’objet de ce  travail, qui a impliqué plus d’un millier de personnes réparties dans 54 pays, était «d’identifier les logiques profondes gouvernant les comportements sociaux, politiques et économiques, qui donneront forme au futur». En somme, il s’agissait de faire de la prospective, c'est-à-dire de prévoir les futurs possibles, car l’avenir n’est pas le fruit du hasard ; il est aussi le résultat des hommes et des organisations.

La vision et la mobilisation des acteurs sont indissociables. «C’est par l’appropriation que passe la réussite des actions où l’anticipation éclaire les actions efficaces»1.

Cette véritable odyssée intellectuelle  visant à examiner les avenirs possibles a permis de construire quatre scénarii.

1- Les lions pris au piège

Ce scénario a été ainsi baptisé pour illustrer la difficulté des sociétés africaines à sortir d’une logique relationnelle de redistribution, qui ne permet pas de s’affranchir des inerties culturelles dans la quête du développement. Outre la logique relationnelle, les pouvoirs en place ne créent pas non plus les conditions favorables à l’émergence d’une classe d’entrepreneurs pour créer de la richesse et des emplois dont le continent a tant besoin.

Ce scénario est un scénario tendanciel car il est dans la continuité de ce que le continent  a connu ces dernières décennies. Toutefois, il n’est pas dit que le scénario «lions pris au piège» se réalisera. Et pour cause : les comportements évoluent qui pourraient renverser la logique relationnelle ; le changement peut venir de l’extérieur tant les dynamiques de la mondialisation peuvent bouleverser l’ordre établi.

Dans un tel scénario, les économies africaines en 2025 sont stagnantes, la productivité y est faible, le flux massif des populations rurales vers la ville n’a pas permis d’enclencher une dynamique d’industrialisation. Ce flux n’a pas permis que se développe une agriculture intensive à la périphérie des villes  pour nourrir une population principalement urbaine et évoluant dans le secteur informel. L’insertion de l’Afrique dans le commerce international ne s’est pas améliorée et son industrie manufacturière a été «balayée» par les produits asiatiques, principalement indiens et chinois, et l’Afrique reste en 2025 principalement exportatrice de matières premières. Les services publics restent très insuffisants, ne parviennent guère à faire face aux défis de l’éducation et de la santé, et vivent sous perfusion de l’aide internationale. Mais les citoyens, tout en se lamentant, se résignent à cet état de fait. En définitive, l’Afrique est marginalisée et ne compte pas sur l’échiquier international ; elle reste endettée, dominée, et largement tributaire de l’aide internationale. En deux mots, un scénario sans développement, mais également sans catastrophe.

2 - Les lions faméliques

Ce second scénario évoque «les Africains en proie à la violence sur des terres sans lois», en proie à la faim et au dénuement le plus complet.

Toutefois, à la différence du scénario précédent dans lequel l’hypothèse de travail était une société relativement stable, on s’appuie ici sur l’hypothèse des sociétés déstabilisées. Cette déstabilisation peut être due à des chocs exogènes, comme une baisse soudaine de l’aide extérieure, ou des cours des matières premières défavorables ; ou bien à des chocs endogènes, comme un conflit ethnique, ou des élections contestées.

L’évolution du scénario des «lions pris au piège» vers celui des «lions faméliques» est tout à fait probable. Même s’il n’affecte pas le continent dans son ensemble, il peut être localisé dans des régions africaines. Les exemples du Somaliland, du Libéria et de la Sierra Leone jusqu’à une date récente, avec tout ce qu’ils représentent de zones de non droit, de chefs locaux omnipotents, d’Etat fantôme,  illustrent bien ce scénario. La situation sanitaire y est catastrophique : l’exode des cerveaux -pour ceux qui le peuvent- est massif, tandis que le reste de la population se regroupe dans les camps de réfugiés et demeure dépendant de l’aide internationale (quand les jeunes n’ont d’autre perspective que l’enrôlement dans les milices armées).

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3 - Les lions sortent de leur tanière

Le nom donné à ce scénario illustre que les Africains sont débarrassés des inerties culturelles de leur héritage ancestral, ce qui facilite leur nouvelle insertion dans le commerce international.

Ce scénario s’appuie principalement sur trois hypothèses.

  • de plus en plus d’Africains privilégient une logique rationnelle plutôt que relationnelle,
  • l’avènement d’une nouvelle génération d’hommes politiques en rupture avec les habitudes et comportements de leurs aînés,
  • une culture hybride combinant respect des valeurs ancestrales et pragmatisme économique se fait jour.

Quelques conditions sous-jacentes doivent être prises en compte pour faciliter la réalisation de ce scénario. On peut les considérer comme des hypothèses complémentaires. D’abord, la généralisation de l’éducation et l’amélioration du niveau de la santé, mais aussi l’implication des communautés religieuses dont certaines valorisent le travail, l'effort et la recherche du gain. A cela s’ajoute l’accent mis sur le développement et la maintenance des infrastructures et un environnement international pas trop défavorable.

Le NEPAD 2 n’a pas concrétisé les espoirs placés en lui. Mais pour la première fois de l’histoire du continent, les Africains ont élaboré une vision du développement. Ceci constitue le point de départ d’une certaine renaissance africaine.

En 2025, l’Afrique connaît une croissance économique qui confirme le déclenchement d’un processus d’accumulation du capital productif, semblable à ce qui s’est passé quelques années auparavant en Asie. Une nouvelle génération d’entrepreneurs africains décomplexée traite d’égal à égal avec les entrepreneurs asiatiques et européens ; ce qui facilite l’établissement de partenariats, d’autant que le cadre juridique est plus stable et sécurisant et que la main d’œuvre qualifiée est plus nombreuse et mieux formée. Le continent fabrique alors des biens manufacturés, l’agriculture est plus productive, l’économie informelle se structure de plus en plus. L’Afrique n’est plus seulement exportatrice de matières peu ou non transformées, elle s’appuie en plus sur son marché intérieur pour produire les biens et services dont il a besoin, marquant ainsi la fin de l’économie rentière.

L’Afrique reste toutefois endettée ; mais à la différence de la période précédente, cet endettement sert à financer des investissements, notamment dans les infrastructures et l’énergie si indispensables au développement.

Les nouveaux entrepreneurs s’allient aux politiques, ce qui entraine des conflits d’intérêt et crée des problèmes sociaux, liés à la remise en cause des valeurs traditionnelles toujours très vivaces, mais surtout à la redistribution des succès hérités de la logique productiviste.

L’Afrique est sortie de la marginalisation, mais à quel prix ? Les lions sont sortis de leur tanière, mais la nostalgie de leurs terres ancestrales les saisit de temps à autre.

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4 - Les lions marquent leur territoire

Dans cet intitulé, le concept de territoire renvoie à la fois à la dimension matérielle, environnementale, culturelle, politique et spirituelle.

Deux hypothèses sont à la base de ce scénario, sans doute le plus optimiste.

D’abord, la greffe entre la rationalité des pratiques occidentales et les valeurs culturelles africaines a été féconde. Puis, l’alliance entre les pouvoirs politiques et symboliques (politique, religieuse) s’est réalisée.

Quelques conditions sont nécessaires pour l’éclosion d’un tel scénario. Rappelons-les. Il faut en premier lieu une vision d’avenir de l’Afrique. En second lieu, un tri doit être opéré entre les valeurs motrices et les valeurs limitatrices de la culture africaine. L’investissement dans la formation et l’information est une condition importante, gage d’une appropriation par tous les acteurs. Ces efforts seront d’autant plus efficaces qu’ils seront articulés entre niveau local, régional et continental, et qu'ils s'appuieront sur une culture assumée de l’intégration. Sans oublier l’émergence de nouvelles formes de développement en écho à l’article de J. Stiglitz : «Vers un nouveau paradigme pour le développement»3.

Dans ce scénario, l’économie informelle connaît une hausse de productivité spectaculaire, qui peut avoir pour conséquence l'alimentation du budget de l’Etat grâce au paiement de taxes selon une fiscalité «étudiée».

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On note également l’émergence d’entrepreneurs culturels dans des secteurs aussi variés que la peinture, la sculpture, la musique… où des marques africaines s’imposent sur le marché international à la recherche de produits spécifiques. Les pouvoirs publics sont plus efficaces et utilisent les outils de gestion modernes des entreprises privées. Une nouvelle citoyenneté émerge, porteuse d’une vision partagée et collective du développement qui permet à son tour à une démocratie tropicalisée de s’exprimer. L’Afrique n’est plus en marge de la mondialisation, elle est mondialisatrice à son tour. Les lions ont conservé le territoire  mais ils l’ont marqué de leur empreinte.

A quinze ans de cette échéance, il se trouve que les quatre scénarii se réalisent, mais dans des espaces différents du continent, confirmant ainsi l’hétérogénéité des pays et des parcours. L’enjeu reste toutefois la dynamique d’ensemble vers le développement, car aucun pays n’a intérêt à avoir la pauvreté à ses frontières. Et sur ce plan, il reste encore du chemin à parcourir.

1 «Manuel de Prospective stratégique : une indiscipline intellectuelle», Miche GODET, Ed Dunod, 2007.

2 New Economic Parternership for African Development

3 L’Economie politique n°5 (1er tr. 2000)

 

Par : Alioune Gueye