Les lois de la contagion, fake news, virus, tendances…

Les lois de la contagion, fake news, virus, tendances…

Auteur : Adam Kucharski

Le théorème du moustique et autres idées sur la transmission

Spécialiste de modèles mathématiques et statistiques, l’épidémiologiste britannique Adam Kucharski cherche à décrypter le phénomène de la viralité.

Épidémies, crises financières, rumeurs, virus informatiques, voire défis en ligne… Ces éléments hétérogènes ont pour point commun leur capacité à se répandre à toute vitesse et à s’éteindre aussi vite qu’ils étaient apparus. Pour comprendre ces phénomènes, Adam Kucharski mobilise les modèles mathématiques et statistiques. Professeur associé à la London School of Hygiene and Tropical Medecine à Londres, il s’intéresse en effet à la manière dont ces modèles influencent les comportements sociaux et permettent le contrôle des épidémies. Cet ouvrage, sorti en anglais en février 2020, est très précis et truffé d’histoires pour faire comprendre des lois mathématiques. Son éditeur le présente comme « un guide essentiel de la vie moderne ». L’épidémiologiste britannique y donne des clefs pour « éviter les analyses simplistes et les solutions inefficaces ». Pour dépasser les préjugés et les savoirs par ouï-dire, la question du pourquoi de la viralité et de la contagion est au cœur de sa démonstration.

Un monde hyperconnecté

« Au Moyen Âge, on attribuait le retour régulier des épidémies à des influences astrologiques », constate l’auteur, tout en soulignant le fait que ce type d’idées reçues ne se limite pas à des siècles abusivement devenus le symbole de l’obscurantisme. Son livre retrace l’histoire des recherches en matière de transmission épidémique, qu’il s’agisse de maladies ou de phénomènes malheureux comme la « crise de la tulipe » en 1636, jusqu’à celle des subprimes en 2008. Au début du XXème siècle, Ronald Ross obtenait en 1902 le prix Nobel de médecine pour ses travaux sur le paludisme et son « théorème du moustique » : il rompait avec une approche descriptive, fonctionnant à rebours à partir des données pour « identifier des schémas prédictifs » et optait pour une approche mécaniste, mettant en relief les processus de transmission pour définir « des modèles probables d’épidémie ». Quelques années plus tard, le médecin Anderson McKendric et le chimiste William Kermack se demandent ce « qui fait que les épidémies cessent » et développent un modèle mathématique de la contagion distinguant des personnes saines, infectées et rétablies (SIR) et tracent la courbe épidémiologique. Le statisticien Major Greenwood, à la même époque, avance le concept d’immunité collective.

Adam Kucharski raconte le rôle des ordinateurs dans la diffusion d’une approche mathématique de la théorie des épidémies. Les réflexions du mathématicien Paul Erdös sur la notion de réseaux et son étude des réseaux connectés et déconnectés ont permis d’éclairer la diffusion du sida ou autres MST. À travers des exemples pris à de nombreux champs – MST, krash boursier, violences urbaines, voire obésité…, il identifie les lois communes à toutes sortes de phénomènes : un élément perturbateur est inactif dans un domaine, jusqu’à ce qu’une opportunité l’en fasse sortir, pour causer le début de l’épidémie. Il rappelle quels sont les facteurs décisifs de la propagation : la durée de vie de l’élément perturbateur, la probabilité qu’un contact aboutisse à une transmission, selon le degré de sensibilité et d’immunité de la population réceptrice. Il décrit la courbe et ses phases : démarrage, contagiosité, croissance, pic, déclin, contrôle. Son livre est ponctué de graphiques et d’intérêt pour de sérieuses réflexions aux noms farfelus, comme le « diagramme du pingouin » théorisé par le physicien américain Feynmann. Mais, insiste-t-il, « la contagion est souvent un processus social ».

Les travaux impliquent en effet à la fois des notions mathématiques, mais aussi sociales et psychologiques. Ainsi, au XVIIIème siècle, la « bulle des mers du Sud » a permis de formuler la « théorie du plus grand fou », ou « théorie du survivant », valable quand on sait qu’il est « imprudent d’acheter quelque chose de cher » mais qu’on le fait avec la certitude que « quelqu’un sera encore plus fou que nous, à qui nous pourrons le revendre à un prix encore plus élevé ».De fait, l’objet même d’étude de la transmission épidémiologique porte sur des faits sociaux, comme la vie sexuelle, les bâillements, le tabagisme, la criminalité, les rumeurs…Adam Kucharski revient sur la notion de patient zérodu sida, en fait patient O pour le sida, O pour « out of California » et questionne le besoin de connaître l’origine. Il interroge aussi la façon dont on pense le cloisonnement, dont on construit une base de données. Il remet le concept de super-contaminateurs dans son contexte social, nuancé par « la force des liens faibles » ou par « les contagions complexes », le paramètre « rapport dose-effet »… Les trolls, devenus incontournables sur les réseaux sociaux, l’amènent à étudier « l’effet de désinhibition ». Le parallèle entre l’épidémiologie et les stratégies de marketing est assez intéressant.

Adam Kucharski ne se contente pas d’énumérer des lois, de décrire des taux de reproduction ou d’intervalle entre deux générations, ni de théoriser sur la vitesse du phénomène, sur le caractère vertical ou horizontal de la transmission, et le temps d’incubation. Il s’interroge aussi sur son sens, notamment en ce qui concerne la propagation de l’information : il s’inquiète notamment de l’attention aux seules mesures de performance, comme le clic : « On se lance dans la course aux indicateurs plutôt que de s’intéresser à la qualité sous-jacente de ce que l’on tente d’évaluer. » Il souligne aussi le risque inhérent à un monde hyper connecté : « dans l’univers des épidémies, toute nouvelle connexion est potentiellement un nouveau chemin de contagion. » Cet ouvrage à la fois érudit et d’une lecture agréable grâce aux nombreux récits – même s’il reste adressé à un public motivé – se clôt sur une note d’humilité : «  En analyse épidémique, les moments les plus importants ne sont pas ceux où nous avons raison. Ce sont ceux où nous comprenons que nous nous sommes trompés. Quand quelque chose ne sonne pas jute : une tendance qui retient notre attention, une exception qui vient contredire ce que nous prenions pour une règle. » Bref, un éloge de la recherche, et de ce qui fait l’humain, non enfermable dans des prédictions mathématiques…


Kenza Sefrioui

 

Les lois de la contagion, fake news, virus, tendances…

Adam Kucharski

Dunod, 344 p., 24,90 € / 320 DH