Les caisses de retraites, une faillite annoncée !
Auteur : Haut Commissariat au Plan
En prévision des débats sur la situation des Caisses des retraites au Maroc ; le HCP a réalisé une étude sur la soutenabilité de leurs systèmes dont le rapport final a été rendu en décembre 2012. L’objectif de cette étude était d’analyser l’impact macroéconomique du vieillissement de la population à l’horizon 2050 avec des niveaux de couverture et d’activité prolongeant les tendances actuelles.
Le cadre de cette étude, sur le plan méthodologique, impose des limites à son diagnostic et ses conclusions. Celle-ci a eu toutefois le mérite de bien illustrer et mettre en relief un aspect très important. Le système en cours n’est pas durable et court après une catastrophe quasi certaine. Le système de retraite marocain se compose actuellement de trois régimes publics obligatoires (CMR, CNSS et RCAR) et un régime facultatif (CIMR) géré par le secteur privé.
La population cotisante à ces régimes de retraite, s’élevait en 2009 à près de 2,7 millions de travailleurs avec un accroissement annuel moyen de 4,1%, contre un nombre de bénéficiaires avec un taux d’accroissement annuel moyen de 6,6%. Le rapport démographique global des caisses de retraite est passé de 15 actifs pour un retraité en 1980 à 3,9 actifs en 2009.
Ce déséquilibre croissant s’accompagne de la baisse du niveau des cotisations des différentes caisses depuis 2005 pour atteindre 3,2% du PIB en 2009, celui des dépenses n’a cessé de s’accroitre pour atteindre 2,9% du PIB en 2009. En conséquence, l’excédent financier de l’ensemble des caisses diminue, passant de 0,95% du PIB en 2005 à 0,33% en 2009.
L’implacable transition démographique
L’effectif des personnes âgées de 60 ans et plus passerait de 2,7 millions en 2010 à 10,1 millions en 2050, année où elle représenterait 24,5% de la population totale. Le nombre de personnes en âge d’activité par personne âgées de 60 ans et plus se situerait à 2,4 individus en 2050 au lieu de 7,7 en 2010.
Les quatre régimes à caractère général couvrent actuellement à peine 27% de la population active en 2009, niveau nettement plus faible comparativement à d’autre pays (60% dans les économies en transition et 80% dans les pays de l’OCDE)
La CNSS enregistre la progression annuelle la plus élevée de la population affiliée entre 2000 et 2009, soit de 5,1%, le rapport démographique pour la CNSS reste relativement élevé par rapport aux autres régimes de retraite. Il est aux alentours de 5,4 actifs pour un bénéficiaire, au lieu de 1,2 actif dans le RCAR, de 2,1 dans la CIMR et de 2,7 dans la CMR.
Au terme des quarante prochaines années, la population du Maroc passerait de 31,9 millions d’habitants en 2010 à 41,4 millions en 2050. L’évolution démographique est caractérisée par une baisse progressive des effectifs de la population jeune. La population âgée de 15 à 59 ans s’accroîtrait jusqu’en 2040, passant de 20,5 millions en 2010 à 24,9 millions en 2040, et baisserait progressivement pour atteindre un effectif de 24,1 millions en 2050.
Chômage et faiblesses de grilles de protection sociale
L’évolution du nombre de travailleurs et des cotisants dévoile deux problèmes importants qui pénalisent l’économie marocaine : le niveau faible du taux d’emploi, c’est-à-dire du ratio entre le nombre de travailleurs et la population en âge de travailler (15-64 ans), et du taux de couverture, c’est-à-dire du ratio entre le nombre de cotisants et le nombre total de travailleurs. Le taux d’emploi, à cause des taux d’activité faibles (notamment des femmes) et des taux de chômage élevés, est inférieur à 50% et le taux de couverture ne dépasse pas 31%. Afin de résoudre le problème du financement des retraites il serait indispensable d’agir sur le taux d’emploi et le taux de couverture.
Le ratio entre le nombre total de retraités et le nombre total de travailleurs couverts passerait entre 2010 et 2050, de 25% à 57,3%. La situation la plus alarmante concerne la CNSS dont les dépenses devraient atteindre 3,6 % du PIB en 2050, alors que pour la CMR la dépense des retraites serait de 2,8% du PIB. En particulier, la dépense totale devrait représenter 7,7% du PIB à l’horizon 2050, alors qu’en 2010 elle ne représente que 3% du PIB.
Le tournant dangereux de l’an 2023
L’écart croissant entre les dépenses et les recettes va générer des déficits considérables (5,1% du PIB en 2050), notamment à cause des déficits générés par la CNSS (2,7% du PIB en 2050). Le système de retraite actuel est par conséquent insoutenable.
Il est toutefois important de souligner que les déficits calculés ici sont des déficits techniques, c’est-à-dire calculés en tenant en considération uniquement les cotisations perçues et les retraites versées. En réalité, chaque caisse perçoit des recettes supplémentaires liées à la rémunération des réserves accumulées.
Le résultat du scénario de base de cette étude montre que les réserves deviendraient négatives en 2023 pour la CNSS, en 2029 pour la CMR et en 2050 pour le RCAR. Pour la CIMR, par contre, les réserves resteraient positives pour toute la période prise en considération. Les réserves totales deviendraient négatives à partir de l’année 2032.
Quelques pistes à explorer
A partir de ce constat alarmant, l’étude explore les pistes possibles d’équilibre ; elle suggère d’abord la fusion des régimes actuels à l’exception de la CIMR. Tous les individus appartenant au nouveau régime fusionné seront soumis aux mêmes règles concernant les cotisations versées et les retraites perçues. Avec un tel scénario la situation financière du nouveau régime serait améliorée. En 2050, le déficit de ce nouveau régime représenterait 3,1% du PIB et, en ajoutant le déficit de la CIMR, le déficit global représenterait 3,3% du PIB contre 5,1% prévu pour le système actuel. Mais ce régime nouveau aurait beaucoup d’inconvénients ; notamment une perte pour les retraités appartenant à des caisses qui garantissent un taux de remplacement supérieur à 60% (CMR et RCAR). De plus, le taux de cotisation étant fixé à 25% dans nos simulations, la fusion des caisses comporte une perte de pouvoir d’achat pour les travailleurs cotisants.
L’étude reconnait cependant que « les difficultés financières qui caractériseront le système de retraite marocain pourraient être allégées en agissant sur le taux d’emploi et le taux de couverture, qui apparaissent actuellement excessivement faibles ».Cela permettrait de réduire nettement le déficit total du système de retraite, même s’il resterait à des niveaux plutôt élevés pour l’économie (2,1% du PIB en 2050) affirment les auteurs de cette étude..
Une autre mesure est explorée en complément, celle d’augmenter l’âge légal de départ à la retraite avec l’hypothèse de la retraite à 62 ans contre 60 ans actuellement. Cependant, les avantages ne semblent pas suffisamment intéressants selon l’étude.
Bref le rapport du HCP estime que la réorganisation institutionnelle des caisses de retraite permettrait d’alléger les dépenses de l’État à long terme et de stabiliser le ratio des cotisations par rapport au PIB .De même au Maroc, où l’économie est caractérisée par un niveau très faible du taux de couverture et des taux d’activité, notamment des femmes, les opportunités d’intervention sont bien plus importantes à ce niveau .sans apporter de recettes précises il attire l’attention des responsables sur la nécessité d’ un cadre de cohérence globale, prenant en considération un souci d’équité et la réforme du marché de l’emploi. « Une réforme du système de retraite devrait être accompagnée par la mise en place d’autres mécanismes de solidarités alternatifs. » Affirme le rapport en conclusion !
Par : Bachir Znagui