Le Maroc : quelle stratégie vers le sud ?

Le Maroc : quelle stratégie vers le sud ?

La reprise de l’économie mondiale amorcée en 2010 aura été de courte durée. Les années suivantes ont replongé la zone euro dans la crise de la dette, entraînant un ralentissement persistant.

Le Maroc n’a échappé ni aux effets de ces turbulences, ni à la réduction des débouchés en Europe, son principal partenaire économique. Il a ainsi, en raison de la rétraction de la demande sur le Vieux Continent, déployé des efforts de promotion, qui lui ont permis de gagner des parts de marché en Amérique du Sud et en Asie. Outre cela, il a poursuivi et étendu son positionnement sur les marchés subsahariens où un important potentiel reste encore à exploiter.

Les accords de libre-échange...

Cette volonté de renforcer les liens économiques avec les pays du Sud et de créer de nouveaux flux régionaux s’est traduite dès les années 2000 par la conclusion d’accords de libre-échange (ALE) avec certains pays méditerranéens et du Golfe, en prenant appui sur les résultats de la politique de libéralisation économique initiée dans les années 80.

Les objectifs de ces accords étaient, pour le Royaume, la croissance des exportations par une meilleure intégration des filières de production ; accords dont la volonté était de renforcer les échanges Sud-Sud et de faciliter l’intégration régionale (Accord d’Agadir par exemple). Ces accords n’étaient pas une fin en soi car ils devaient être relayés par des flux d’investissement vers le Maroc.

En effet, à l’image des autres pays émergents et en développement, le Maroc s’est engagé, dès les années 80, dans un processus de libéralisation de son commerce extérieur, à travers l’adoption d’un certain nombre de mesures pour promouvoir les exportations et libéraliser les importations. Ainsi, les listes de produits interdits ou soumis à des restrictions quantitatives sont supprimées et les droits de douanes sont abaissés. Ainsi, et comparativement aux autres économies émergentes, l’économie marocaine a progressivement opéré son insertion à l’économie mondiale pour atteindre en 2006 un taux d’ouverture commerciale de 63%, soit un gain de 20 points par rapport au début de la décennie 1990. Cette réalisation est en ligne avec la moyenne des pays à revenu intermédiaire (62%) mais reste en deçà des performances de certains pays comme la Tunisie (87%).

L’analyse de la structure géographique des exportations marocaines entre 1998 et 2006 fait en outre ressortir l’émergence d’une redistribution des débouchés extérieurs, suite notamment aux accords de libre-échange conclus par le Maroc. La part de la France a diminué lors de cette période de 34,7% à 28%.

Fruit de cette volonté d’ouverture, le Maroc a ainsi signé une série d’accords de libre-échange avec l’UE (1996), la Zone arabe de libre-échange (1998), l’AELE (2000), l’Accord d’Agadir (2001), les Émirats arabes unis (2001), la Turquie (2004) et les États-Unis (2005).

Entré en vigueur en 2006, l’Accord avec la Turquie prévoit l’accès immédiat des produits industriels d’origine marocaine au marché turc, alors que les droits de douanes et taxes sur l’importation des produits turcs devaient être éliminés progressivement sur une période de dix ans. Le volume global du commerce bilatéral a augmenté de plus de 30% de 2010 à 2011. En matière d’investissements, et bien que le volume des IDE turcs reste limité en 2011 (autour de 100 millions de dirhams en 2011), les entreprises turques se sont montrées très dynamiques dans leur participation aux appels d’offres internationaux marocains, en particulier dans le secteur du bâtiment et travaux publics par exemple.

Avec les pays du Golfe, les échanges économiques ont connu une amélioration significative depuis le début des années 2000. Les IDE des pays du Golfe ont augmenté de 51% en 2011, pour atteindre 7 milliards de dirhams, contre moins de 250 millions en 2001.

L’Accord de libre-échange conclu avec les Émirats arabes unis en 2001, et entré en vigueur en 2003, a été un catalyseur aussi bien des échanges commerciaux que des investissements émiratis au Maroc. Les échanges commerciaux entre les deux pays ont ainsi progressé de plus de 41% en moyenne annuelle, pour représenter 0,6% du commerce extérieur marocain. Quant aux IDE, ils ont augmenté de 71,2% de 2010 à 2011. Les EAU se sont classés, en 2011, au 2e rang des investisseurs étrangers au Maroc, après la France.

Conclu entre le Maroc, la Tunisie, l’Égypte et la Jordanie pour promouvoir l’intégration économique Sud-Sud et le partenariat euro-méditerranéen, à travers la mise en place d’un espace régional de libre-échange, l’Accord d’Agadir est entré en vigueur en 2007. Il a contribué à dynamiser les échanges commerciaux entre les quatre pays. Concernant le Maroc, son commerce extérieur avec les pays signataires de l’Accord a augmenté de 14% de 2007 à 2011, pour représenter une part de 1,6% du total des échanges extérieurs du pays. Cependant, l’Accord d’Agadir ne semble pas encore profitable pour le Maroc, malgré la hausse enregistrée dans les exportations. La Tunisie et l’Égypte tirent davantage profit de cet accord, cette dernière détenant un avantage comparatif, grâce notamment à sa meilleure compétitivité énergétique. 

... et leurs effets

La politique d’ouverture commerciale mise en œuvre par le Maroc s’est accompagnée, à la faveur de la crise de 2008-2009, d’efforts de diversification des débouchés pour le commerce extérieur marocain. En effet, la crise de la zone euro et l’effondrement de la demande européenne ont accéléré la tendance de beaucoup de pays du Sud, dont le Maroc, à rechercher de nouveaux partenaires commerciaux, particulièrement au sud de l’hémisphère.

La dynamique économique Sud-Sud introduite par la conclusion d’ALE avec les pays méditerranéens et du Golfe, va ainsi être étoffée par l’esquisse d’une reconfiguration de la structure géographique des exportations marocaines.

La valeur des exportations en Asie a, à ce titre, augmenté en 2010 de plus de 58% (37% pour l’Inde et plus de 82% pour la Chine entre 2005 et 2010). Les exportations vers le Brésil ont, quant à elles, progressé de plus de 118% de 2005 à 2010.

Concernant le continent africain, conscient de l’importance du marché subsaharien en termes stratégique, économique et commercial, le Maroc a poursuivi le renforcement de ses relations avec les pays de cette région. La signature d’accords économiques, la mise en place d’un cadre juridique incitatif au commerce et à l’investissement ainsi que des actions de promotion pour faciliter l’accès du secteur privé marocain aux marchés africains (caravanes de l’export de 2009, 2010, 2011, 2013) sont autant d’actions qui ont été menées.

Les échanges commerciaux ont ainsi triplé en une décennie et le solde commercial du Maroc avec l’Afrique subsaharienne est passé d’un déficit de 7,2 milliards de dirhams en 2000 à un excédent de 3,8 milliards en 2011. En cette même année, cinq pays (Sénégal, Mauritanie, Ghana, Côte d’Ivoire et Mali) absorbaient 42% du total des exportations marocaines en Afrique.

Sur le plan institutionnel régional, le Maroc a également développé une politique de rapprochement avec l’UEMOA1 (Accord paraphé en 2008) et la CEMAC2 (Accord en cours d’étude). L’ouverture de lignes aériennes de la Royal Air Maroc, ainsi que l’implantation de filiales bancaires d’Attijariwafa bank, de la BMCE (Bank of Africa), Banque Populaire (Banque Atlantique), ont été des stimulants pour les opérateurs privés marocains dans cette région et financent souvent des entrepreneurs locaux (Sénégal, Côte d’Ivoire).

Cependant, et en dépit des progrès réalisés au cours des dernières années, la percée commerciale marocaine n’a pas permis d’améliorer sensiblement la part de marché du Maroc. La politique africaine devrait être renforcée, notamment à travers le ciblage des créneaux et partenaires prioritaires ainsi que l’amélioration du cadre juridique des accords en vigueur.

Les exportations marocaines pâtissent en outre de certains handicaps de plus en plus sensibles sur le marché africain, notamment en raison de la concurrence d’autres pays (Turquie, Liban, Afrique du Sud) : le manque de visibilité du label Maroc dans certaines zones (Afrique anglophone et lusophone), la nécessité d’adapter l’offre exportable marocaine à la demande africaine, la non-compétitivité d’un produit marocain sur le marché africain, la nécessaire restructuration et le renforcement de la chaîne de la promotion.

De même, la mutation de la structure des exportations et l’accroissement de leur volume, notamment vers l’Amérique du Sud ont été possibles grâce à la conjoncture qui a favorisé, selon le CNCE (Conseil national du commerce extérieur), les ventes de phosphates et dérivés.

La crise économique mondiale ainsi que celle de la zone euro a certes incité nombre de pays émergents et en développement à créer de nouveaux flux économiques et rechercher des débouchés alternatifs notamment dans une perspective Sud-Sud. Le Maroc a emprunté plusieurs voies dans cette perspective : l’optique d’une meilleure intégration régionale Sud-Sud (Accords de libre-échange), des efforts pour confirmer de nouveaux débouchés (Asie et Amérique du Sud), et enfin la consolidation d’un positionnement d’avant-garde (Afrique subsaharienne).

Il reste cependant difficile de conclure si ces différentes dynamiques obéissent au même souci de redéploiement du commerce extérieur marocain sur des zones géographiques, susceptibles de compenser la rétraction du marché européen. Cette difficulté s’explique, d’une part, par le constat de la fragilité structurelle des échanges commerciaux marocains et, d’autre part, par certaines faiblesses de l’offre exportable marocaine (marché subsaharien), ou tout simplement par une démarche empirique avérée et le manque d’une cohérence d’ensemble. Cette dernière aurait permis vis-à-vis de l’hémisphère sud de supposer l’existence d’une politique volontariste de redéploiement ou de reconfiguration du commerce extérieur d’une stratégie, et non un repli subi en raison de la crise de la zone euro.

 

1.     Union économique et monétaire ouest-africaine.

2.     Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale.