Le développement de plateformes de financement participatif (crowdfunding) constitue un marché potentiel estimé en milliards de dollars et peut déboucher sur un nouveau contrat social.

Le développement de plateformes de financement participatif (crowdfunding) constitue un marché potentiel estimé en milliards de dollars et peut déboucher sur un nouveau contrat social.

Auteur : Vincent Ricordeau

Kiva, Sellaband, Lending, Indiegogo, Kickstarter, Kisskissbankbank, Hellomerci… Tous ces sites sont des plateformes où des créateurs font appel aux internautes pour financer leurs projets. Vincent Ricordeau, cofondateur des deux dernières, y voit la 3e révolution industrielle. Le phénomène du crowdfunding n’est pas nouveau : de 1875 à 1880, des souscripteurs privés avaient contribué au financement de la statue de la Liberté new-yorkaise. Aujourd’hui, il a explosé grâce à l’apparition du web 2.0, après la création de Wikipedia (2001) et Facebook (2004), d’où un « changement d’échelle » dès 2005. Estimé en 2009 à quelques dizaines de millions de dollars, les perspectives de développement de ce marché mondial sont exponentielles : 2,7 milliards de dollars collecté en 2012 selon le centre de ressources crowdsourcing.org : 5,1 milliards de dollars prévus en 2013, soit un taux de croissance de 88 % et, selon le magazine Forbes, 1000 milliards de dollars à l’horizon 2020.

Vincent Ricordeau décrit d’abord les différentes formes de plateformes : les non spéculatives et les spéculatives. Les premières fonctionnent sur le modèle du don. 62 % des projets financés en 2012 sont des dons sans contreparties, pour des initiatives sociales portées par des ONG, avec un montant moyen de 1 400 dollars. Les secteurs culturels et artistiques et les opérations de prévente fonctionnent par des dons moyennant des contreparties en nature : c’est le modèle le mieux relayé dans les médias, qui a levé 383,2 millions de dollars en 2012 pour un montant moyen de 2 300 dollars. Il y a enfin le prêt solidaire entre pairs, pour résoudre des problèmes de trésorerie. Côté plateformes spéculatives – où apparaissent les contraintes réglementaires et juridiques – il y a celles qui versent des royalties et utilisent donc le retour sur investissement comme argument commercial. C’est le cas des « labels ou éditeurs participatifs », comme le français MyMajorCompany, actif dans des domaines artistiques. Le prêt entre particuliers avec taux d’intérêt représentait 600 millions de dollars en 2012, soit 22 % de la totalité des collectes, avec un montant moyen de 4 700 dollars et était évalué pour 2013 à plus d’un milliard de dollars. Dans ce cas, en France, un agrément des  établissements de crédit délivré par l’Autorité de contrôle prudentiel est nécessaire. Enfin, l’investissement contre prise de participation (crowdinvesting) est le secteur le plus réglementé, ne mobilisant qu’1 % des projets en 2012, avec des collectes moyennes de 190 000 dollars.

Ces plateformes, qui doivent « viraliser » les projets sur le Web tout en préservant intacte la propriété intellectuelle des crétaeurs, vivent de la multiplication de projets à petits budgets. Elles se financent en prélevant un pourcentage de la collecte de fond, sur le principe du tout ou rien, c’est-à-dire « sous condition que celle-ci atteigne le montant initialement fixé », facturent des frais pour couvrir les transactions bancaires sécurisées et établissent des partenariats commerciaux avec des marques ou des médias. Vincent Ricordeau met en garde contre celles qui versent les dons collectés même quand le but n’est pas atteint, cherchant « à sécuriser leurs propres revenus en oubliant une des valeurs principales du crowdfunding : la confiance mutuelle ». Il émet aussi des réserves sur certaines dérives : manque de transparence dans les comptes fournis aux internautes et le calcul des royalties ; tendances à confisquer une partie de la propriété intellectuelle chez les labels participatifs « en se conformant aux vieux réflexes de l’industrie du disque » alors qu’ils n’assument plus les risques financiers ; usage du crowdfunding par des instituts de microfinance de pays pauvres qui « se refinancent eux-mêmes grâce à l’argent crowdfundé dans les pays riches » tout en facturant des taux d’intérêt très élevés aux emprunteurs locaux, etc.

 

Défis à la finance traditionnelle

Le crowdfunding constitue cependant une nouvelle économie collaborative, «  circuit court de financement, créé en dehors de la sphère traditionnelle de la finance, par le grand public et pour le grand public », encourageant les initiatives de proximité, sans « risque de dérive spéculative » puisque l’argent collecté va à l’économie réelle, ouvert autant aux professionnels qu’aux amateurs. C’est une véritable « démocratie participative » liée à une société devenue « fluide », où triomphe le « love money », les financements donnés par les cercles les plus proches du créateur (jusqu’à 70 % des projets). Le phénomène, en rupture avec l’hyperconsommation du XXe siècle, est lié à la crise et au fait que la finance traditionnelle s’est « détournée de son rôle d’argentier du tissu économique et social ». Faut-il y voir une « menace pour l’économie de marché basée sur la finance spéculative, ou bien une évolution de nos sociétés marchandes, la préfiguration d’une nouvelle ère économique ? » Les deux systèmes ne sont pas étanches, puisque les plateformes sont souvent renforcées par des fonds d’investissements traditionnels qui couvrent les coûts de développement informatique, l’achat de licence pour les solutions de transaction bancaire et autres agréments. Vincent Ricordeau remarque un développement parallèle du crowdfunding solidaire, sans concurrence à la finance traditionnelle, et relève que le crowdinvesting répond à l’envie des particuliers de « disposer de choix pour leur épargne ». Il souligne l’intérêt des géants du Web pour ces structures, puisque Google vient d’investir 125 millions de dollars dans Lending Club, leader américain du prêt de pair à pair, et commente : « si les mastodontes du web commencent à vouloir devenir les banques de demain, alors les rapports de force vont changer ».

Pour l’instant, le marché du crowdfunding est essentiellement américain (72 %) et européen (26 %), le reste du monde se partageant les 2 % restants. La raison en est certainement les dispositifs de défiscalisation des contributions et surtout une confiance dans les transactions en ligne et les éventuels recours judiciaires. Mais cela annonce un « nouveau type de contrat social » inhérent à la génération Y, qui préfère « développer l’optimisation de l’usage au détriment de la possession » car pour elle « l’accès vaut mieux que la propriété ». Une redéfinition des valeurs, remettant au centre l’importance de la communauté et les préoccupations plus sociétales et environnementales, bouleversant les modèles de consommation.

 

Par : Kenza Sefrioui

 

Crowdfunding, le financement participatif bouscule l’économie ! Pour libérer la créativité

Vincent Ricordeau

Editions FYP, collection Stimulo, 96 p., 9,90 €