La fiction de Gutenberg à Zuckerberg

La fiction de Gutenberg à Zuckerberg

Auteur : Franc Rose

Frank Rose enquête dans l’industrie de la culture et souligne le déplacement des lignes de la narration. Le cinéma et les nouvelles technologies semblent avoir changé le cours… des histoires.

Nous n’avons rien vu venir mais les médias sociaux ont bouleversé profondément nos vies. C’est arrivé trop vite. Nous nous sommes retrouvé dedans sans avoir rien choisi, avant même d’avoir compris.

Et si nous marquions une halte ?

C’est ce que nous propose Frank Rose, journaliste au New York Times qui s’est arrêté sur l’apport des médias sociaux dans nos vies et plus exactement sur les nouveaux modes de narration.

Aujourd’hui nous pouvons dire qu’il y a eu un avant et un près Zuckerberg comme il y eut, un avant et un après Gutenberg.

Si l’imprimerie a donné naissance au roman, les médias sociaux ont donné vie à une nouvelle forme narrative. «Onze septembre 2001. Le monde entier est rivé à son poste de télévision. Les images apocalyptiques des tours en flammes nous parviennent à travers les yeux et les oreilles d’une poignée de professionnels des médias. Dix ans plus tard, la commémoration du dixième anniversaire du drame est toujours relayé par l’ensemble des médias de masse – journalistes, intellectuels et écrivains. Mais des millions d’autres voix les ont rejoints : Twitter, Facebook, sites et plates-formes fournissent une chambre d’écho infini à un désarroi qui désormais se partage et se réinvente collectivement ».

Aujourd’hui, chacun peut raconter une histoire, rapporter l’info mais aussi (et surtout) la partager. Nous sommes devenus tous acteurs de l’information. Avant seuls les médias de masse avaient cette capacité.  Avec facebook est née une autre façon d’informer, de nouvelles formes de récit.

Toutefois, le monde numérique n’a pas seulement modifié la réalité mais aussi la fiction. Aujourd’hui les deux s’interpénètrent et le cinéma en a été le déclencheur.

Un petit exemple s’impose. A la sortie de Batman en 2007, la réalité rejoint la fiction. Pour  faire la promo du film, des jeux à « réalités alternées » mêlant tour à tour réel et fictif ont été lancés.

Ceux qui ont participé au jeu se sont retrouvés dans la tourmente de l’histoire de Batman avant même la sortie du film. « L’opération gâteaux-téléphones a offert à des milliers de fans une plongée dans le récit bien avant la sortie du film ». C’est ainsi que le fan est devenu acteur, a tissé des liens avec les personnages avant même de les avoir vu au cinéma.

 

Plonger dans la fiction en utilisant la technologie

Nous sommes en train de vivre une véritable « révolution littéraire ».

Internet façonne notre langage, nos récits… et du coup notre façon de  voir, d’appréhender la réalité. Interactivité, détournement de la fiction au profit de la réalité (ou le contraire) sont autant  de nouvelles façons de raconter des histoires aujourd’hui. On est passé de la lecture et du simple spectateur à l’interactivité. Tout devient jeu avant même que l’histoire ne commence

Les personnages de fiction ont leur propre compte twitter, leurs pages facebook et communiquent. Ils peuvent nous parler sans quitter leur mystère et leur aura.  Nous avons franchi de nouvelles limites avec le fictif. « Nous ne consommons plus les histoires comme elles nous sont racontées ; nous les partageons les uns avec les autres”, précise Rose ce qui est tout à fait à l’air du collaboratif comme annoncé par l’économiste Jeremy Rifkin dans son livre : La troisième révolution industrielle.

Mais que recherchons-nous exactement ? De l’émotion bien sûr. Une émotion que nous sommes de plus en plus nombreux à vouloir fabriquer. A quoi tout cela sert-il ? se demande le célèbre auteur de science fiction  Philip K. Dick « dans ce que j’écris, je demande : qu’est-ce qui est réel ? Parce qu’on nous bombarde de pseudo réalités fabriquées par des gens au moyen de mécanismes électroniques très sophistiqués. Je ne me méfie pas de leurs motivations, je me méfie de leurs pouvoirs ». Le mot est lâché. Il s’agit bel et bien d’une prise de pouvoir !

Les fabricants des jeux vidéo l’ont bien compris. En très peu de temps, les produits de divertissement immersifs se sont transformés en addiction et en modes sophistiqués de stimulation d’émotion. Bien plus qu’à la lecture d’un livre, le monde de l’immersion interactive fabrique non seulement des histoires mais propose au joueur de faire partie de l’histoire.  

Des films comme Avatar de James Cameron, Lost de Carlton Cuse ou le nouveau Batman n’appartiennent plus à leurs créateurs mais aux fans. Le jeu est pervers et à double tranchant. La question est : comment maintenir le fan en haleine tout en lui donnant un rôle dans l’histoire ? Qui fabrique la fiction au final ? La narration est-elle si contrôlée que ça ? L’exemple de Lost est, à ce propos, édifiant.  Les spectateurs sont ambivalents concernant le rôle qu’ils souhaitent avoir. La question qui revient le plus souvent aux oreilles des producteurs est : « Dans quelle mesure tout cela a été prévu à l’avance ? » « les fans voudraient que nous ayons tout planifié, explique Lindorf (auteur de Lostmais ils veulent aussi avoir leur mot à dire. Ils ne peuvent pas avoir les deux ».

C’est désormais dans cette zone  d’ombre que se situe le spectateur : entre fiction et réalité. Les frontières sont de plus en plus minces. Vont-elles un jour disparaître ?

Le film de Christopher Nolan, Inception résume au mieux ce propos. Le héros, campé par Léonardo Di Caprio est averti par une toupie qui tourne qu’il est toujours dans le monde des rêves. « Aujourd’hui, il est encore impossible  de dire à quel point ces mondes-histoires que nous construisons –Avatar, tron, le holodeck- deviendront réellement immersifs. Mais si un jour nous perdons le fil, une toupie sera très utile » conclut l’auteur.

 

Par : Amira Géhanne Khalfallah

 

Frank Rose

Buzz

Avatar, Lost, GTA : Le monde de demain est déjà là !

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Antoine Monvoison,

348 pages, 20 €