La chasse à l’Islam
Auteur : Sébastien Fontenelle
Sébastien Fontenelle décrypte la responsabilité des médias français dans la dangereuse banalisation des idées d’extrême droite.
C’est un florilège de tirades nauséabondes que recense le journaliste Sébastien Fontenelle (collaborateur du magazine Politis). Traitement du soulèvement des banlieues françaises en 2005, de l’affaire de la votation contre les minarets en Suisse, débat sur l’identité nationale… l’auteur fait l’inventaire. Un thème revient : la stigmatisation de l’Autre, en particulier des musulmans. Articles, dossiers, et publications s’additionnent, leur « attribuant collectivement des comportements négatifs jugés « caractéristiques » ». La véhémence de ces propos islamophobes « rappelle assez irrésistiblement celle de certains pamphlets racistes du début du XXe siècle ». « Le commentaire délirant du rapport de la religion musulmane aux valeurs – systématiquement présentées comme supérieures à celles des autres « civilisations » – de l’Occident devient une discipline discursive à part entière. » Une obsession, note Sébastien Fontenelle. Or ces propos ne sont plus tenus par la seule extrême droite, mais par des intellectuels et des journalistes parmi les plus en vue. Et la liste est longue : les écrivains Michel Houellebecq et Renaud Camus, les philosophes Alain Finkielkraut et Bernard-Henri Lévy, l’essayiste Pascal Bruckner, le polémiste Eric Zemmour, ainsi que des journalistes comme Alexis Lacroix et Ivan Rioufol du Figaro, Claude Imbert du Point, Christophe Barbier de L’Express…
Ils se présentent en vaillants chevaliers défiant une (imaginaire) « police de la pensée », brisant une supposée « omerta », bravant « le couvre-feu idéologique en vigueur » pour aller « droit au but » et briser des « tabous ». Si bris de tabou il y a, c’est celui de l’honnêteté intellectuelle, car leurs méthodes, qu’analyse infatigablement l’auteur, sont loin d’être respectables. La subversion du sens des mots : l’antiracisme, le « progressisme » et la « bien-pensance » sont présentés comme une nouvelle dictature, et les antiracistes, comme « des racistes », « sentinelles d’un véritable totalitarisme de type globalement stalinien et doté d’un système « policier » dédié à l’interdiction de la libre parole ». Sic. Il y a aussi l’occultation des réalités par la « psalmodiation de fausses évidences », l’omission et le tronquage. La journaliste italienne Oriana Fallaci, admiratrice du négationniste Robert Faurisson, le présente comme un historien… Sans oublier l’amalgame, le raccourci et la prétérition. Ces procédés visent à mettre en place, explique Sébastien Fontenelle, « un dispositif idéologique nouveau, où la stigmatisation de l’Autre devient tout à fait admissible » car relevant d’un « sain esprit de résistance au conformisme ». Fantasme délirant d’une substitution des populations, fustigation de la « tyrannie de la repentance », refus de condamner la xénophobie « pour ne pas faire le jeu des xénophobes » (« étonnante pédagogie », ironise l’auteur)… Tous ces procédés recyclent des thèmes anciens de l’extrême droite et en banalisent les phobies « au nom d’un « iconoclasme » de pacotille » et d’un soi-disant « réalisme ». Mais personne ne traite les tenants de ces discours de xénophobes.
A quoi jouent les médias ?
Au contraire, ils ont un accès quasi illimité aux médias dominants, dans lesquels ils ne cessent de se poser en victimes. Jamais pourtant leurs carrières n’ont été brisées, ni même freinées, et leurs livres sont publiés à un rythme soutenu, au point de former un « filon éditorial ». Et leur ton n’a pas changé avec l’arrivée de leurs idées au plus haut niveau de l’Etat français, avec l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007… Sébastien Fontenelle dénonce la complaisance des médias vis-à-vis de ces idées et pointe, dans de fines analyses, de nombreux manquements à la déontologie. Par exemple, l’exploitation des fantasmes liés à l’islam dans la mise en page de L’Express, qui « a sélectionné, pour illustrer sa couverture, une photo où un minaret domine le clocher d’une église et des titres où voisinent, dans un très petit périmètre, le mot « islam », le mot « terroriste » et le mot « fondamentalistes ». » L’auteur met aussi en cause des publications plus engagées, comme Marianne ou Charlie Hebdo, qui se livrent aux mêmes stigmatisations des musulmans, mais « sous l’abri de ce que le sociologue Jean Baubérot appelle une « laïcité falsifiée » (où des truqueurs font dire « à la loi de Séparation de 1905 », qui réglemente le droit pour chacun de vivre sa foi sans être constamment harassé, le « contraire de ce qu’elle a réellement dit »), et au prétexte aussi, de protéger une « liberté d’expression » que rien ne menace », donc « sont regardées avec bienveillance par nombre de progressistes, qui dans le fond ne s’offusquent guère d’y trouver des considérations déclinées de celles qui ne se trouvaient naguère qu’à la droite de la droite ». Pour Sébastien Fontenelle, « c’est de longue date que la droite « décomplexée » s’autorise à reprendre à son compte des « propos » pris dans la propagande de l’extrême-droite – et c’est précisément au nom du « lever des tabous », tels que l’ont aussi théorisé dans le champ médiatico-intellectuel des clercs réactionnaires, que cette libération s’est faite ».
Or cette « sémantique de guerre civile » omniprésente a encouragé des passages à l’acte. « L’islamophobie, relève Sébastien Fontenelle, ce ne sont plus seulement des mots. C’est, aussi, une incessante série d’exactions, perpétrées sous la protection d’une étonnante discrétion médiatique, puisque si la presse dominante fait parfois l’effort de les signaler, elle s’abstient par contre de les montrer dans leur continuité, et de trop mentionner que leur nombre est en constante augmentation. » Le Conseil français du culte musulman réclame en vain la mise en place d’une mission d’information sur les violences qui se multiplient, et sont reléguées à la page des faits divers. Lorsque les crimes d’Anders Behring Breivik endeuillent la Norvège, Libération ne s’attarde pas sur la piste de l’extrême droite, mais se focalise sur la piste jihadiste… Et la presse ne s’appesantit pas « sur les sources où il a puisé sa doctrine » : Oriana Fallaci et Alain Finkielkraut… Le constat est sans appel, et la sonnette d’alarme ne saurait être tirée plus nettement.
Par: Kenza Sefrioui
Les briseurs de tabous : intellectuels et journalistes « anticonformistes » au service de l’ordre dominant
La Découverte, 184 p., 14 €