La bienvenue et l’adieu

La bienvenue et l’adieu

Auteur : CCME

Emprunté au poème de Goethe, « La bienvenue et l’adieu » est une compilation d’actes issus du colloque « Migrations, identités et modernité au Maghreb » tenu du 17 au 20 Mars 2010 à Essaouira, qui retrace de manière poignante pour nous, les différentes vagues migratoires des juifs du Maghreb. Tantôt dictés par des contingences économiques, tantôt concrétisant un rêve religieux et mystique, tantôt obéissant à la pression du sionisme, ces flux migratoires ont été recontextualisés dans leur profondeur historique, leurs dimensions spécifiques et leurs enjeux politiques. Et comme pour toute migration décisive, qu’elle soit de gré ou de force, c’est un arrachement à un lieu, à des habitudes, à des traditions familiales où chaque membre de la communauté a besoin de se reconstruire pour reconstruire une autre vie. 

 

L’arrachement à la terre natale, rupture choisie ou forcée ?

Si les juifs algériens avaient délibérément choisi de se ranger du côté de l’Algérie française puis d’émigrer, pour la plupart en France, en tant que « pieds noirs », il n’en a pas été de même des juifs de Libye, alors sous occupation italienne alliée de l’Allemagne nazie. Certains ont subis le triste sort d’être déportés en Italie, où « la solution finale » était pratiquée par les nazis, d’autres seront tout bonnement envoyés à Auschwiltz, tandis que le reste s’est refugié en Tunisie attendant de pouvoir émigrer ailleurs… En Tunisie comme au Maroc, il y eu plusieurs vagues d’immigration vers la Terre sainte, l’Europe, le Canada et l’Amérique Latine. 

En dehors des motivations politiques et socio-économiques conjoncturelles, qui ont poussé, vers la fin du XX e siècle, les juifs du Maroc à émigrer en masse et disperser leurs communautés multiséculaires, le rêve du retour à Sion y a incontestablement joué un rôle important, donnant toute sa signification historique et culturelle à ces départs massifs et souvent précipités.

Certes l’alyah, - flux de migration vers la Terre sainte - n’était pas un phénomène nouveau. Pendant des générations, il y a eu des mouvements de pèlerinage, surtout des personnes âgées, dont certaines ont finit par s’y établirent pour des motivations mystiques. Le sionisme et le mouvement national juif en changeront le visage et les raisons, en exhortant les jeunes à venir y vivre et construire une société nationale nouvelle.    

    Cette 1ière alyah a cependant tourné à l’échec, suite à une grave crise économique ayant contraint la plupart des immigrants à retourner au Maroc. D’autres grandes vagues d’alyah se succéderont en 1947, 1954 et1961, essentiellement conduites par des institutions juives israéliennes.

Et parce que la migration est un arrachement à un paysage, à des habitudes et coutumes familiales, ces communautés qui ont quitté de gré ou de force leurs lieux de vie pour de nouveaux cieux, transporteront avec eux toute une communauté mentale dans leurs nouveaux lieux de vie, pour reconstruire a postériori leur ancienne vie familiale avec ce qu’elle comporte comme rituels liturgiques de leur judaïsme ancestral, comme musique et  cuisine judéo-marocaines, sources de plaisirs, où la mémoire gustative et olfactive joue un rôle essentiel.

 

Nécessaire travail de mémoire pour une reconstitution identitaire

Tout en partageant avec les communautés musulmanes certaines croyances populaires, comme les vertus de la magie, la vénération des saints et certains corpus oraux, poétiques et musicaux, les communautés juives du Maroc se sont construit une identité cocon pour sauvegarder leur foi et leurs coutumes de vie juive, notamment  vis-à-vis de la dhimma  - statut traditionnel des communautés juives en terre d’Islam.

De la même façon que ces communautés judéo-marocaines se sont forgés au Maroc une sorte de territoire symbolique, qu’il s’agissait de défendre et d’illustrer comme « la petite Jérusalem » que chacun porte en soi, de la même façon les juifs originaires du Maroc ont été amenés, depuis leur installation en Israël, à faire un travail de mémoire pour créer de nouveaux ancrages identitaires, devant servir de ponts de mémoire avec la culture israélienne, pour promouvoir une mémoire témoignage, fondée sur des souvenirs et des récits familiaux relatant les multiples fastes et facettes, les lueurs et les malheurs ayant forgé le judaïsme marocain et pour rester fidèles à eux-mêmes. Un devoir de mémoire qui est tout à la fois un devoir d’être, un devoir d’exister et un devoir de prospérer.

Comment alors imprimer un souffle constant à ce travail de mémoire qui incombe à ces communautés en tant que détentrices d’une certaine expérience, d’une certaine aventure humaine ? Comment interpeller les générations futures de leurs descendants ?

Comment canaliser et organiser ce travail de mémoire, qui est aussi un droit à la mémoire, en le rendant aussi attractif que pertinent pour les futures générations, dont le rapport à ce patrimoine est désormais indirect, médiatisé par de nouveaux savoirs et des nouvelles sensibilités ?

C’est que ces communautés ont besoin de s’organiser et se structurer pour perpétuer et transmettre les éléments les plus pertinents de leur patrimoine ancestral, de façon à assurer durablement un ancrage à leur identité. 

 

De nouveaux lieux de mémoire, pour un nouvel ancrage identitaire

Dans ce melting-pot israélien, les juifs d’origine marocaine ont appris que l’affirmation de leur mémoire identitaire n’est pas seulement une richesse humaine et un élément psychologique stabilisateur, mais aussi un enjeu sociopolitique et un projet politique mobilisateur. La rencontre entre une nouvelle identité israélienne dominatrice et la mémoire identitaire judéo-marocaine est aussi l’histoire d’une confrontation, d’une résistance et d’un redéploiement ayant forgé, 60 années plus tard, cette identité telle qu’elle se vit aujourd’hui.

C’est dans ce nouveau contexte que le ressaisissement identitaire des juifs marocains en Israël et ses prolongements dans le renouvellement de pratiques, de coutumes et de prises de conscience identitaires aura permis de sauvegarder, tout en le transformant, une certaine mémoire judéo-marocaine et son partage avec d’autres couches de la société israélienne. Ces nouveaux lieux de mémoire de la culture judéo-marocaine se sont illustrés à travers le développement sans précédent de la musique andalouse, le renforcement du culte des saints, les célébrations publiques de la Mimouna et les voyages de ressourcement au Maroc. Autant d’éléments qui jettent un pont entre leur ancienne vie communautaire, nourrie de cette terre formatrice et source d’inspiration et de nostalgie pour les centaines de milliers d'ascendance judéo-marocaine, dispersées de par le monde et son inscription dans la mémoire judéo-marocaine présente.

 

Par : Farida Lhassani- Ouazzani