CGEM : On ne se bouscule pas aux portes de la RSE

CGEM : On ne se bouscule pas aux portes de la RSE

Les labels RSE se suivent et se ressemblent. Celui de la Confédération Générale des Entreprises du Maroc (CGEM) est presque à l’identique de ceux adoptés par les pays européens.1

La charte RSE de la CGEM a cependant une architecture intelligente. Malgré les termes solennels utilisés, certaines dispositions ne sont que de simples engagements au respect de la loi, laquelle est une obligation et n’a rien d’un choix délibéré ! Par exemple : « Assurer à tous les collaborateurs des conditions d’hygiène et de sécurité au moins conformes à la législation en vigueur et, dans tous les cas, des infrastructures sanitaires décentes », ou encore : « Respecter strictement la législation sur les accidents du travail et les maladies professionnelles ».

La réalité de la RSE au Maroc renvoie surtout à l’image que certaines entreprises voudraient offrir d’elles-mêmes aux parties prenantes. D’ailleurs, on ne voit chez nous de RSE que sur les lignes de liaison entre le marché national et international. Dans le même ordre d’idée, l’argumentaire de la CGEM dévoile surtout une aspiration légitime à l’intégration dans le marché mondial par la tentative de s’aligner sur les standards de l’OCDE et de l’Union européenne d’où un lien appuyé entre la RSE version CGEM et les liens réels ou potentiels des entreprises installées au Maroc avec les exigences du marché, y compris en matière de compétitivité sur le marché international.

Lors des tables rondes des deuxièmes Assises de la RSE en mai 2013, cela a été un point sur lequel les discours des responsables, des conférenciers et les témoignages des labellisés s’accordaient tous2.

Comment la RSE a-t-elle atterri chez nous ?

Tout a commencé quand Vigeo est arrivé au Maroc en éclaireur à partir de 2003. En tant qu’agence de notation des volets sociaux et environnementaux, elle en a conseillé certains en vue de l’acquisition du label ISO 26000. Grâce à son assistance, le label CGEM a pu voir le jour.

La RSE est arrivée également avec les discussions sur la gouvernance, la transparence, les normes et certifications. Ces débats n’étaient pas fortuits puisque, à leur aboutissement, une commission RSE a été mise en place en septembre 2006. La Charte de Responsabilité Sociale de la CGEM fut adoptée au mois de décembre suivant. Celle-ci sert depuis de référentiel pour l’octroi du label RSE de la CGEM ; une dénomination attribuée pour une durée de trois ans aux entreprises basées au Maroc, membres de la Confédération, remplissant les critères requis, sans discrimination de taille, de secteur, de produits ou de services.

Vigeo effectue des analyses ISR (Investissement socialement responsable), des ratings d’entreprises et des benchmarks qui constituent des outils d’aide à la décision pour les investisseurs et les gestionnaires d’actifs. Le cabinet effectue aussi des audits en responsabilité sociale pour les entreprises et les collectivités territoriales en tant qu’outils d’aide au pilotage stratégique.

Le capital en actions de cette agence, aujourd’hui leader européen de la notation extra -financière, est détenu par des financiers et fonds de pension tels que Dexia AM, des organisations syndicales telles que la CFDT française, des entreprises telles que TOTAL et EADS… C’est un cocktail inhabituel où le capital de multinationales françaises stratégiques se trouve en bonne cohabitation avec des fonds de syndicats ouvriers et de retraites !

Son conseil d’administration est présidé par Nicole Notat, ex-secrétaire générale du syndicat CFDT(1992 à 2002), laquelle fut la première femme à diriger une confédération syndicale en France. La succursale marocaine de Vigeo ne manque pas de caractère non plus. Elle est gérée par Fouad Benseddik qui n’est autre que le neveu de feu Mahjoub Benseddik, l’un des plus grands piliers du syndicalisme marocain. Ex-syndicaliste UMT et expert en matière sociale, il a été cadre à la CNSS pendant un certain temps et se trouve être actuellement le directeur des Méthodes et des Relations Institutionnelles de Vigeo.

Quelles entreprises sont-elles éligibles à la RSE ?

En 2010, le nombre d’entreprises (actives) soumises à l’IS (Impôt sur les Sociétés) est passé à 169 555. La répartition des contribuables montre une prédominance des TPE en matière d’IS (78%)3. Il resterait hors de ces TPE quelque 37 000 entreprises actives entre PME et grandes firmes constituant le socle le plus important du tissu entrepreneurial du pays.

Par ailleurs, selon la Direction des impôts au Maroc, 82% des recettes de l’IS proviennent de la performance de 2% des sociétés assujetties, soit environ 3 380 entreprises. Plus de 50% des entreprises assujetties déclarent des bilans constamment déficitaires. Finalement, la catégorie potentielle qui pourrait réunir les conditions et les critères nécessaires à l’acquisition du label CGEM serait de quelques milliers d’entreprises (quatre à cinq mille entreprises) dont la moitié n’est pas encore membre de la Confédération et qui baignent dans un environnement marqué par les fraudes, les évasions fiscales et les fausses déclarations ! Les Assises nationales de la fiscalité à la fin du mois d’avril l’ont largement souligné.

Quel bilan pour les labellisés ?

La deuxième édition des Assises de la RSE, organisée par la CGEM) tenue le 29 mai 2013 à Casablanca, a annoncé que 27 entreprises ont reçu le label RSE de la CGEM, soit pour une attribution, soit pour un renouvellement4.

Avec cette dernière liste, on aura 55 sociétés labellisées RSE au Maroc sous l’égide de la CGEM, et ce, depuis 2007, date de l’entrée en vigueur de cette norme privée nationale. Sur six ans d’existence, et sur les milliers d’entreprises marocaines existantes, le label CGEM en matière de RSE n’a réussi ainsi à drainer que 9 entreprises en moyenne par an.

Le bilan est maigre, y compris dans les rangs de la CGEM. Pourquoi ? Est-ce une affaire de coût ? À titre indicatif, pour une entreprise monosite employant 20 salariés, le coût de l’évaluation pour la candidature à ce label est de l’ordre de 25 000 Dhs. Pour une entreprise monosite employant entre 100 et 200 salariés, il est de l’ordre de 60 000 Dhs. Il s’agit d’un coût parfaitement accessible.

Par ailleurs, le label RSE de la CGEM bénéficie du soutien du programme Moussanada de l’ANPME (Agence Nationale pour la Promotion de la Petite et Moyenne Entreprise) au travers d’un financement, à hauteur de 60% du montant de l’audit pour les PME éligibles, et dont le chiffre d’affaires annuel hors taxe est inférieur ou égal à 175 millions de dirhams (www.anpme.ma). En outre, l’obtention du label facilite à l’entreprise l’octroi de crédits de fonctionnement, d’investissement ainsi que des crédits accordés aux employés et ceci à des taux préférentiels ainsi que des exonérations diverses sur de nombreuses opérations bancaires de la part de certaines banques marocaines. Tout cela ne semble pourtant pas avoir un effet sur les candidats potentiels.

Comment les entrepreneurs marocains perçoivent-ils la RSE ?

On doit la première étude du tissu économique marocain en relation avec la RSE à Rachid Filali Maknassi, expert et ex-président de Transparency Maroc. En 2009, soit deux ans seulement après la création du label CGEM, les principales priorités de la RSE, selon les entreprises marocaines, devaient concerner en premier lieu la promotion de la bonne gouvernance, l’éradication de la corruption et le respect de la législation. Elles étaient suivies par l’amélioration de la fonction des ressources humaines et la responsabilité fiscale. Quant au respect de l’environnement, les aides sociales, le besoin de reporting et la communication, ils étaient placés dans les trois dernières positions. La même enquête soulignait que l’entreprise marocaine privilégie une RSE interne, concrétisée par de bons rapports avec l’État et le personnel. L’environnement et les parties prenantes externes viennent en deuxième lieu.

Telle fut la situation en 2010, date de présentation des résultats de cette étude. Depuis, les choses ont-elles vraiment beaucoup changé ?

Les handicaps de la RSE au Maroc

En faisant, même partiellement et lapidairement, la revue des engagements RSE, on comprend combien il est difficile d’y souscrire au Maroc.

Corruption d’abord

Dans quelle mesure une entreprise opérant au Maroc pourrait se soustraire au système de la corruption qui domine sans porter préjudice à ses intérêts ? L’indice de perception de la corruption élaboré par Transparency International classe le Maroc au 88e rang sur les 180 États du monde. Ce phénomène affecte les relations administratives et réglementaires des entreprises avec les différents appareils de l’État et des institutions communautaires territoriales ainsi que leurs relations professionnelles, notamment dans le cadre des marchés publics.

Le rapport annuel 2013 « Doing business » a classé le Maroc 97e sur l’échelle de la facilité de faire des affaires. Les critères de la Banque mondiale pour ce classement sont fondés sur deux catégories d’indicateurs. La première se rapporte au cadre juridique et réglementaire régissant l’accès au crédit, la protection des investisseurs, l’exécution des contrats et le règlement de l’insolvabilité. Ceux de la deuxième catégorie concernent le coût et l’efficacité des processus réglementaires relatifs à la création d’entreprise, à l’obtention des permis de construire, au raccordement à l’électricité, au transfert de propriété, au paiement des taxes et impôts, et au commerce transfrontalier. Ce rapport découle d’enquêtes directes auprès des opérateurs marocains et étrangers.

Affiliation à la CNSS : on triche

Selon la loi, l’affiliation des entreprises et la déclaration de leurs salariés sont obligatoires, et d’après le HCP (année 2011), cette situation devrait concerner 10,4 millions de personnes environ.

Concrètement, il y aurait eu en 2012 près de 130 000 entreprises affiliées pour près de 2,54 millions des salariés qui apparaissent dans les registres de la CNSS. 50% d’entre eux ne totalisent pas 12 mois de déclaration. Le salaire moyen mensuel déclaré à la CNSS est encore aux alentours de 4 500 Dhs, mais la moitié des déclarés sont au SMIG !

Si on laisse de côté les travailleurs du monde agricole (4 millions), il reste plus de trois millions de personnes non déclarées, réparties entre le secteur informel et les non-déclarés de ces mêmes entreprises affiliées.

Discrimination entre femmes et hommes

Selon le HCP, le taux de participation des femmes sur le marché du travail au Maroc a chuté de 30% en 1999, à 25% en 2012. À titre comparatif, la moyenne mondiale de l’activité féminine est de 51% et, dans l’Afrique subsaharienne, le taux de participation des femmes dépasse les 60%.

Les femmes marocaines à la recherche d’emplois chôment à 75% plus de 12 mois contre 60% pour les hommes5. Concernant les salaires, à postes égaux, les femmes urbaines touchent, selon les estimations des Cahiers du Plan, 27% moins que leurs homologues masculins. Parmi les secteurs les plus visibles de l’exploitation des femmes, on évoque très souvent le textile et la confection6.

En janvier 2012, une ONG espagnole, Setem, avait dénoncé les conditions de travail des ouvrières employées dans la région de Tanger par Mango et par le groupe Inditex, dont les marques en vente au Maroc sont : Zara, Oysho, Massimo Dutti, Bershka, Stradivarius… Un tiers des femmes interrogées travaillaient plus de 55 heures par semaine. Certaines travaillaient jusqu’à 65 heures hebdomadaires. Selon la même enquête, de nombreuses travailleuses mineures n’avaient pas de contrats et n’étaient payées environ que 1 100 dirhams par mois.

Les handicapés et le droit au travail digne

Estimés à plus de 1,6 million selon l’enquête nationale réalisée par le ministère chargé de la Famille, de l’Enfance et des Personnes handicapées, seulement 10% sont des actifs, soit 160 000. Dans les tranches d’âge de 15 à 60 ans, ce taux peut atteindre les 12%. Une loi (la loi 7/92 relative à la protection sociale des personnes handicapées) oblige le secteur public et semi public à les recruter. Un quota de 7% des effectifs est fixé par voie réglementaire. Peu de choses ont été faites dans ce sens. Le privé n’est soumis à aucune obligation. Il a été question d’un quota de 5% qui n’a jamais eu lieu. Rares sont les entreprises privées qui recrutent parmi cette catégorie.

Droits syndicaux malmenés

Au niveau national, le taux de syndication de la population active reste faible. Il est estimé à 6%. Les registres de l’OIT gardent les traces des rapports présentés par les centrales syndicales marocaines rapportant quelques éléments de la situation. Un document rapporte que « les principales centrales dont les trois organisations affiliées de la CSI (Confédération Syndicale Internationale) ont, à de multiples reprises, dénoncé les violations de la liberté syndicale comme à l’Agence Nationale de Réglementation des Télécommunications (ANRT), à Maroc Telecom, à Royal Air Maroc, aux Domaines agricoles, à Autoroutes du Maroc, pour ne citer que quelques entreprises. Le phénomène est généralisé dans tous les secteurs d’activité »7.

Concernant le droit de grève, la plupart des mouvements dans le secteur privé ont pour cause l’irrespect de la législation du travail : le salaire (20%), le licenciement (12,47%), la durée du travail (8,05%), la protection sociale (9,98%), les conflits relatifs à l’action syndicale et à la négociation collective syndicale (10,7%).

Protection de l’environnement

D’après des rapports du ministère de l’Environnement, les industries qui contribuent le plus à la pollution sont les installations énergétiques (centrales thermiques et raffineries de pétrole), les industries chimiques, le textile, l’agro-alimentaire, les industries électriques et électroniques, métalliques et métallurgiques.

Des mesures des taux d’ozone, de monoxyde de carbone, de dioxyde de soufre et de dioxyde d’azote en milieu urbain, dans la zone industrielle de Casablanca, révèlent qu’ils sont supérieurs aux normes tolérées. Cette pollution est responsable d’une augmentation significative des infections respiratoires, des crises d’asthme, des bronchites (de + 9 à + 38%), de même que de l’augmentation de l’incidence des conjonctivites (+43%).

La RSE : une version encore introuvable

Aujourd’hui, malgré certains efforts, peu d’entreprises ont jusqu’ici formalisé des engagements ou mis en place des dispositifs pour s’assurer de l’intégration effective des principes d’une responsabilité sociale à leur stratégie et à leurs opérations.

Le plafond effectif des ambitions marocaines en matière de RSE ne correspond pas tout à fait à la définition de l’OIT8. Au Maroc, pour toute entreprise, toutes tailles confondues, respecter la loi est déjà, de toute évidence, un exploit difficile à atteindre

Ainsi, faut-il reconnaître, indépendamment des faiblesses structurelles de la CGEM, que son offre du label RSE/CGEM semble être prématurée au regard de l’état réel de l’économie marocaine. Servira-t-elle de locomotive à terme ? Peu probable, au vu du bilan actuel.

 

  1. (http://www.cgem.ma/bodydec. php?rub=13&art=63)
  2. http://www.cgem.ma/accueil/pdf/Discours%20assises%20RSE%2029%20mai.pdf.
  3. L’Opinion (édition du 26 décembre 2012).
  4. http://www.cgem.ma/upload/label/liste_des_entreprises_labellisees.pdf.
  5. Voir sur www.economia.ma la publication Égalité économique entre hommes et femmes ? de Aicha Belarbi.
  6. http://www.setem.org/site/es/federacion.
  7. http://www.ituc-csi.org/.
  8. « La RSE est une initiative volontaire dont les entreprises sont le moteur et se rapporte à des activités dont on considère qu’elles vont plus loin que le simple respect de la loi » (OIT).
  9. La Vie éco sur www.lavieeco.com (28 juin 2011) Mohamed Moujahid.
  10.