Jamal Khalil
Jamal KHALIL est professeur de sociologie à l’Université Hassan II Aïn Chock Casablanca. Depuis 1987, il enseigne et dirige des recherches en sociologie et en sciences sociales à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, Il est Docteur en Sociologie de l...
Voir l'auteur ...Associations et transit de l'argent social
Depuis quelques années, les associations reçoivent des fonds de diverses structures étatiques, sur une base relationnelle ou clientéliste. Le financement actuel des associations se fait en principe sur projet. Toutefois, toutes les associations n’étant pas qualifiées pour construire des projets, le renforcement des capacités et des compétences des acteurs locaux, surtout associatifs, est devenu urgent. Depuis l’INDH, dans la plupart des régions du Maroc, des formations destinées aux cadres associatifs ont vu le jour, des séminaires multiples ont été organisés. Le choix du type de formation s’est effectué sur la base de ce que faisaient les ONG internationales, au Maroc ou ailleurs, et sur la base de ce que faisaient certaines entreprises qui sont dans la formation continue depuis plus de quinze ans.
Les associations, au carrefour de l’argent du social
Dans le programme des séminaires dédiés aux associations, il existe des modules variés et aussi intéressants les uns que les autres, touchant au développement personnel ou professionnel, à la communication, à la gestion, aux AGR et surtout à la gestion de projets. Tous les cadres associatifs veulent faire de la gestion de projets, en faire et en refaire, c’est le Top Ten du moment. Cette attitude est particulière aux objectifs des associations. Elle n’en demeure pas moins significative. Les objectifs des associations à but social peuvent être formulés de diverses façons. En tout cas, ils tournent toujours autour de trois axes : amélioration de la qualité de vie, de la santé et du savoir des personnes qui peuvent être rattachées à l’un de ces besoins, que celui-ci soit exprimé ou pas.
La cible correspond donc aux populations à besoins spécifiques, liées directement ou indirectement, expressément ou non expressément, à l’un des trois axes précités. D’une part pour rester dans une logique de développement social, toute formation des acteurs associatifs devrait générer un impact positif sur les populations considérées. D’autre part les cadres associatifs, pour agir sur le terrain, ont pour objectif de se développer, de savoir mobiliser des fonds et d’apprendre à défendre leurs projets. Les deux objectifs peuvent se rejoindre, mais parfois, il est possible d’aboutir à des situations paradoxales : de jeunes agents associatifs qui délaissent les espaces et les lieux de rencontre régulière avec les populations cibles, pour se concentrer individuellement ou en petit groupes sur la construction de projets. Approche participative ou pas, l’essentiel est d’arriver à faire financer son projet.
Les associations rurales, urbaines ou périurbaines n’ayant pas été pas créées ex nihilo, tirent leurs origines d’un environnement particulier où préexiste un système de relation, d’alliance et de clientélisme. A un système de fonctionnement qui existe depuis fort longtemps, se superpose un nouveau système qui n’efface pas forcément le premier. Derrière l’INDH, les instances à vocation sociale, le tissu associatif, les populations démunies, il existe des hommes et des femmes qui ont des pratiques, des réflexes, des modes de fonctionnement qui changent à une vitesse inférieure de celle attendue par le nouveau système.
Nous avons donc considéré que les associations, objet de notre étude, peuvent constituer un élément important dans le suivi de l’argent du social. D’une part parce qu’elles sont intermédiaires, et d’autre part parce qu’elles ne restent pas toujours intermédiaires. Mesurer les structures associatives, leur mode de fonctionnement, les relations qu’elles ont avec leur environnement et les populations qu’elles sont censées toucher, constitue une sorte d’arrêt sur un carrefour où circulent des personnes et de l’argent du social. Comment est conçu ce carrefour, qui sont ces personnes et comment est-il géré ? Comment les personnes arrivent-elles à ce carrefour, quels profils ont ces gens qui distribuent l’argent du social?
Entre non-réponses et consensus
Le fait d’avoir ciblé 296 personnes, membres ou dirigeants d’association, et d’avoir recoupé les deux catégories, a permis de relever deux données majeures : un taux élevé de non-réponses et une grande propension au consensus. Ces deux variables permettent de s’interroger sur le degré de transparence des structures, sur la circulation de l’information en leur sein et sur la culture qui y prévaut.
Les enseignements tirés des non-réponses
Les questions qui donnent un taux supérieur à 10% de non-réponses semblent porter d’autres significations que de ne pas répondre. Elles permettent aussi de relativiser certaines réponses à d’autres questions ou les réponses sont trop consensuelles.
L’analyse de trois paramètres permet d’aller plus loin dans la compréhension du sens des non-réponses. Il s‘agit de comprendre leur sens par rapport à une question posée sur la profession que les interviewés avaient antérieurement, sur le profil de ceux qui ne connaissent pas le budget et sur leur connaissance ou leur méconnaissance des partenaires.
• La profession antérieure
A la question, quelle était votre profession antérieure ? Près des 4/5 des personnes interrogées n’y répondent pas. Ils ne peuvent pas ne pas savoir. Ils ont donc d’autres raisons de le faire. La première possibilité est que les non-répondants n’avaient pas de profession avant. La non-réponse équivaudrait alors à « sans profession ». La deuxième possibilité est que les personnes qui ont certaines professions actuellement ne veulent pas parler de ce qu’elles faisaient avant. Si on voit les pourcentages des non-réponses par métiers actuels, on remarque que ce sont majoritairement ceux qui disent avoir aujourd’hui comme profession «membres associatifs» qui ne donnent pas d’informations sur leur profession antérieure, on trouve ensuite les cadres et les fonctionnaires. Tout se passe comme si le passage par l’associatif est vécu comme une qualification que l’on a de la difficulté à exprimer.
• Le budget de l’association
A la question : quel est le budget de votre association ? Plus des trois quarts des interviewés ne répondent pas. A la question sur les salaires moyens des travailleurs associatifs, plus de la moitié des interviewés ne répondent pas. Les informations sur les finances des associations sont peu diffusées. Il est fort probable que les agents associatifs ne savent pas. Il est possible de cerner le profil de ceux qui ne répondent pas aux questions d’ordre budgétaire, en regardant de plus près ceux qui répondent le plus. Il s’agit de personnes qui ont entre 35/60 ans, qui sont plus cultivées, souvent des enseignants et des cadres, et qui sont surtout membres du bureau des associations. Ce profil étant réducteur, on trouve au sein de chaque association un petit sous-groupe configuré selon les critères précités, qui détient l’information sur l’état des finances de ces mêmes associations. Ceux qui ne correspondent pas à cette configuration ne détiennent pas d’informations sur le budget. Ne pas connaître le budget, c’est ne pas avoir le profil adéquat qui est une sorte de ticket d’entrée d’accès à un certain type d’informations.
• Les partenaires
Plus des deux tiers des interviewés ne connaissent pas leurs partenaires. Ceux qui les connaissent sont plus des hommes entre 35 et 60 ans, de formation supérieure, et sont dans l’association depuis plus de six ans. Ils sont enseignants, voire étudiants et toujours membres du bureau. Le profil cité auparavant s’agrandit. Il est difficile d’avoir des informations sur les partenaires, mais encore plus difficile d’en avoir sur le budget.
Au sein de l’ensemble des associations contactées, un groupe semble se détacher. Il est plus informé que les autres sur les questions financières et stratégiques. Sa configuration est la suivante : hommes, enseignants ou cadres, de 30 à 60 ans, de niveau supérieur et membres du bureau.
Aux informations moins stratégiques mais essentielles, un autre groupe vient s’ajouter au premier. Il s’agit des femmes de moins de 35 ans, des fonctionnaires, des adhérents et de ceux qui sont dans les associations depuis moins de trois ans. Ils connaissent un peu plus les réalisations de leur association, leurs partenaires nationaux, ils ont aussi des informations sur le nombre d’adhérents et sur les statuts. S’agissant des actions des associations, un autre groupe semble avoir un peu plus d’informations, celui des petits métiers. Par contre, les enseignants semblent être moins informés sur les actions actuelles de leur association.
Il existe plusieurs profils d’adhérents. Un premier profil qui détient tous les types d’informations sur leur association : réalisations, actions, informations stratégiques et personnes. Un deuxième profil qui est au courant des réalisations et un troisième des actions. L’analyse des non-réponses permet de mieux cerner ces profils, en précisant que différentes configurations d’adhérents ont des niveaux variables de connaissances des choses sur leur association. Et, à part le premier groupe, les informations sur une association sont distribuées aux adhérents de manière disparate et sélective.
Ces groupes ainsi définis vont permettre d’analyser les questions relatives à la structure de l’association, à ses relations avec l’environnement direct, à ses projets, à son mode de financement et à ses relations avec les bénéficiaires.
La structure associative et la part du consensus
Autant les non-réponses sont parlantes, par le choix des individus de ne pas dire des choses, autant les réponses sont assourdissantes par la volonté de ces mêmes individus de s’appliquer à dire la même chose.
La plupart des questions relatives à la structure de l’association ont tendance à livrer des réponses consensuelles. Les réponses se ressemblent, le fonctionnement interne se ferait selon le règlement interne, pour communiquer, l’expression de tous est prise en compte, la décision est collective, le système de gouvernance transparent, il existe des bulletins de liaison, des revues internes et des dossiers de presse. (Voir graphiques ci-dessous)
L’ensemble des affirmations des interviewés laisse à penser que les associations sont arrivées à un niveau d’organisation d’une efficacité certaine. Les réponses données montrent que, malgré les différences de profil des agents associatifs, il est des choses sur lesquelles il existerait une sorte de consensus, la structure et le fonctionnement de l’association notamment. Il est possible que certaines rares associations fonctionnent selon cette configuration, auquel cas toutes les questions relatives à l’argent du social transitant par les associations seraient résolues. Ce qui est le plus probable, c’est que la tendance au consensus dans les réponses a un sens. Lorsqu’il s’agit de concepts dont la traduction pratique est complexe, pour lesquels il faut un ensemble d’indices de mesure pour se les approprier, l’inclination à répondre selon un registre type langue de bois est forte. Il est plus attrayant de choisir parmi les réponses celle qui semble la plus valorisante pour l’association, et de surcroit pour l’individu, que de ne pas répondre. Etre dans une association, c’est aussi partager la responsabilité du discours sur cette même association.
Par contre, les réactions sont différentes lorsque les questions portent sur des choses qui correspondent à une réalité perceptible où l’aspect pratique est visible. Les réponses sont moins consensuelles, révélatrices d’opinions un peu plus personnelles. Il est plus aisé de savoir à quel type de réseau on a affaire: local ou national pour l’essentiel. Ou bien comment circule l’information : oralement pour plus des deux tiers.
Perception des partenariats et ressources humaines
Il y a, au sein des associations considérées, des ressources humaines qui sont de formation secondaire ou supérieure. Leur recrutement s’est effectué, pour plus de la moitié, de manière organisée et pour près de 40% de façon accidentelle. Il existe de bons rapports entre les anciens et les nouveaux et entre les salariés et les bénévoles. Le seul point particulier du tableau est qu’ils sont divisés quant au sens qu’ils donnent à leur motivation par l’intérêt général ou personnel. Le discours sur l’intérêt général étant le plus dominant, il est intéressant de noter que près de 20% des personnes interrogées parlent seulement de «l’intérêt personnel» et 35% du «personnel et général». Malgré tout une certaine forme d’expression autonome commence à percer au sein des membres des associations, ce qui permet d’énoncer que les associatifs ne jouent pas seulement un rôle d’intermédiation dans le développement des populations cibles. Ils sont aussi partie prenante de ce même développement, quand bien même ils l’annoncent timidement.
Lorsque l’on parle de partenariat, les langues se délient un peu plus, on n’hésite pas à parler de relations d’assistance ou de consommation, même si les pourcentages recueillis ne représentent pas la majorité. On n’hésite pas non plus à parler du besoin d’être protégé par une autorité, ou de rechercher une protection. Aussi le concept de lobbying est-il accepté, voire défini, au niveau local avant le national. Un certain pragmatisme transparaît.
Allocations et levées de fonds
Où va l’argent et où les associatifs voudraient-ils qu’il aille ? Et puis, en amont, comment est-il collecté ? Sur ces deux questions majeures, nous avons croisé plusieurs paramètres pour mieux appréhender la réalité du terrain et les perceptions.
Les fonds et les besoins en formation
L’activité phare au sein des associations s’avère être la formation, pour plus de la moitié. Une grande demande en formation existe partout. Par la suite, il y a une demande en études, il y a une volonté de combler des lacunes quant à l’approche de l’espace d’action. Les associatifs veulent d’abord se qualifier et ensuite comprendre leur environnement pour agir. Le transit des fonds par les associations signifie d’abord la transformation de ceux qui vont se trouver sur le terrain avant la transformation du terrain.
Bien que les personnes interrogées parlent pour plus de la moitié de projets d’ensemble, elles sont près du quart à reconnaître qu’au sein de chaque association, chacun porte un projet et que ces projets peuvent être remis en cause à près de 15%. Cela se passe comme si les associations tendaient à devenir des lieux de passage, de proposition et de réalisation de projets personnels. De plus, la gestion même des projets peut parfois être volontariste, pour le tiers des personnes interrogées, voire empirique pour près de 15%.
Il y a une volonté d’être actif au niveau national chez les associatifs. Bien que l’ancrage soit local, la qualification des associatifs à travers les formations les dirige progressivement vers une dimension nationale, voire internationale.
Levée de fonds ou assistance financière ?
La recherche de financement semble relever d’une approche traditionnelle : près de 60% comptent sur les donations. L’attente des bienfaiteurs est récurrente, ce qui explique l’ancrage local et la demande en formation surtout en gestion de projet et en plaidoyer. D’un côté, il y a une conscience du fait qu’on est encore à l’ère des donateurs et de l’autre, on souhaiterait s’en sortir en mobilisant d’autres ressources. Celles qui apparaissent accessibles sont les ressources institutionnelles.
Une fois les ressources mobilisées, leur gestion semble avoir recours à la comptabilité pour près de 50 % des associatifs. Toutefois, plus du quart considère que les choses fonctionnent par simple débit / crédit. Un autre quart a recours à la gestion prévisionnelle. La tendance des financeurs à opérer de plus en plus peut expliquer cela. Les financeurs sont parfois perçus comme rigides (20%), voire procéduriers (25%). Le financement des associations à travers des donations permet un fonctionnement en termes de débit/crédit, mais la tendance actuelle va vers l’émergence d’un système de financement de plus en plus exigeant. Ce système demande aussi un contrôle financier externe, ce qui correspond à une pratique encore faible dans les associations : 25%. La plupart ont recours à un contrôle interne : 75%.
Dans cet ensemble, seulement le quart des associatifs estime que les bénéficiaires ont une participation importante, 35% estiment qu’elle demeure faible.
La part des bénéficiaires
La répartition des bénéficiaires par sexe est de 95% pour les femmes et de 82% pour les hommes. Ceux qui sont en zone urbaine et périurbaine bénéficient plus de l’action associative, ainsi que les jeunes et les enfants. Les valides bénéficient aussi plus que les personnes à besoins spécifiques. Les rapports avec les bénéficiaires semblent être plus réguliers, le taux de reconnaissance est presque unanime.
Ce qui est intéressant à souligner est que les bénéficiaires sont plus intéressés par les projets que par les avantages matériels.
En discourant ainsi sur les bénéficiaires, les associatifs ont tendance à justifier leurs propres actions. Ce qui a été fait mérite d’être fait et il a été bien fait. Un discours différent remettrait en cause, à leurs propres yeux, la légitimité de leurs actions. Les quelques écarts par rapport au discours unanime méritent d’être analysés. Pour cela, un profilage des types d’associatifs est nécessaire.
De la stabilité de l’emploi comme variable discriminante
Si on regroupe les différents agents associatifs selon leur emploi ou métier, il est possible de les scinder en deux types : ceux qui ont un emploi stable (fonctionnaires, cadres, enseignants…) et ceux qui ont un emploi peu stable ou précaire ou sont sans emploi (petits métiers, étudiants…). Ce regroupement permet d’avoir plus de visibilité quant à leur attitude au sein des associations.
Si on choisit de croiser ces deux catégories avec leur perception des finances de leur association, on obtient les résultats suivants :
Quatre choix ont été proposés aux associatifs quant à la recherche de financement : donation, épargne, financement extérieur ou équilibré. Aussi bien chez les stables que chez les peu stables, la donation apparaît comme le moyen de financement le plus prisé, toutefois chez les (PST) «peu stables», on arrive à 55%, 45% chez les (ST) stables. Si on regarde le graphique précédent en terme de tendance, on remarque que sur 3 types de choix (donation, épargne, financement extérieur) les PST dépassent les ST. La seule situation où les ST ont un pourcentage supérieur, c’est à propos du financement équilibré : 18 ST ; 9 PST. Conclusion plausible, la recherche de financement est tributaire de la situation d’emploi des associatifs.
Mode de mobilisation des ressources
Trois choix ont été proposés quant au mode de mobilisation des ressources : clientéliste, institutionnel, personnel. Les deux catégories préfèrent mobiliser des ressources institutionnelles avec un taux de plus de 60% pour les ST et un peu plus de la moitié pour les PST. En terme de tendances, les PST choisissent le mode clientéliste et personnel et les ST le mode institutionnel. Les ST étant composés pour leur grande majorité de fonctionnaires et d‘enseignants se retrouvent mieux dans les institutions et les procédures administratives. Les PST faisant en grande majorité des petits métiers fonctionnent plus facilement dans le registre personnel et clientéliste, où il y a peu de procédures.
Méthode de gestion financière
Trois choix ont été proposés aux associatifs par rapport à la gestion financière : gestion prévisionnelle, comptabilité ou débit/crédit. Le choix optimal est celui de la comptabilité avec plus de la moitié pour les ST, et 43% pour les PST. Les ST préfèrent la gestion prévisionnelle et la comptabilité. Les PST fonctionnent sur le mode débit/crédit. Le statut professionnel explique le mode de gestion. Mais au vu des profils, il n’est pas encore dominant.
Structures de contrôle des ressources matérielles
Deux choix ont été proposés, s’agissant du contrôle des ressources matérielles : évaluation interne ou externe. Les deux catégories pratiquent plus le contrôle interne. Les tendances permettent d’expliquer les préférences : les ST à 68% et les PST à 62% préfèrent l’évaluation interne. Pour l’évaluation externe, le rapport s’inverse. Les ST choisissent l’évaluation interne, alors que les PST préfèrent l’évaluation externe. L’attitude des uns et des autres par rapport à l’évaluation est intéressante. Les ST préfèrent l’interne, ils pensent probablement avoir les compétences pour la faire ou interviennent de telle manière qu’ils préfèrent gérer leur mécanisme entre eux. Les PST, en donnant plus d’importance à l’évaluation externe que les ST, sous-entendent qu’ils n’ont pas les capacités de la faire, mais manifestent aussi une certaine suspicion vis-à-vis de ceux qui choisiraient de la faire en interne.
Transparence
Quatre choix ont été proposés s’agissant de la transparence : réelle avec contrôle, sans contrôle, de forme, superflue. Le choix optimal est celui de «réelle avec contrôle», avec près de 60% pour les ST et 40% pour PST. En terme de tendance, les ST sont majoritaires quant à une transparence réelle avec contrôle, alors que les PST le sont pour les trois autres items. Ce que l’on peut retenir de ces attitudes, c’est que d’un côté on estime qu’il existe un contrôle et de l’autre non. Si l’on considère que dans une même association coexistent ces deux tendances contradictoires, c’est qu’il n’y a pas réellement de transparence, seulement une perception différente de la transparence, selon le statut social des uns et des autres.
Participation des bénéficiaires
Trois choix ont été proposés aux cadres associatifs quant à la participation des bénéficiaires : importante, moyenne, faible. 45% des PST pensent qu’elle est moyenne. Les ST sont partagés : chaque tiers a une attitude différente. Cette configuration des postures est opaque. Il est possible de la traduire de la manière suivante en ajoutant un autre élément. Si l’on suppose que le choix moyen ne permet pas d’effectuer une mesure précise, on peut estimer que les PST sont près de la moitié à ne pas savoir et que les ST sont partagés en deux. En tout état de cause, la question sur la participation semble soulever d’autres questions sur la transparence et sur le mode d’évaluation des actions des associations.
Perception des financeurs
Quatre choix ont été proposés s’agissant de la perception des financeurs : justes, souples, procéduriers et rigides. Les attitudes et les tendances sont complètement contradictoires entre les ST et les PST. Les premiers estiment que les financeurs sont justes ou souples, les seconds qu’ils sont procéduriers et rigides. Les attitudes tranchées dans ce cas signifient que, dans un même espace associatif, la circulation de l’information demeure faible.
La stabilité ou l’instabilité professionnelle sont deux variables discriminantes quant aux attitudes des associatifs. Tout se passe comme si la position professionnelle déteignait sur la vie associative. Les ST agissant dans un milieu organisé, transposent ce même milieu dans l’espace associatif et y ont des représentations homothétiques. Les PST se trouvent professionnellement dans des environnements faiblement organisés et ont donc peu de possibilités de comparaison. Le statut personnel est discriminatoire, il est aussi discriminant dans la distribution des associatifs au sein des associations. En s’intégrant dans une association, tout individu va y jouer un rôle en fonction de celui qu’il joue dans la société. Ce sont ces rôles qui vont décider de l’orientation des associations et de leurs modes de gestion et par conséquent de l’impact sur les bénéficiaires, qu’il soit matériel ou autre. Le croisement du statut associatif avec plusieurs attitudes associatives peut être révélateur.
Le statut associatif : une projection du statut social
Les différents agents associatifs occupent plusieurs fonctions au sein de leurs associations : formateur, coordinateur, assistant, secrétaire, membre du bureau, chargé de mission… Ces différentes positions ne sont pas le fruit du hasard, elles sont prédéterminées par le statut social.
Il est possible de les regrouper en trois : les membres du bureau qui ont une responsabilité pour une durée précise et qui ne sont en principe pas rémunérés pour leurs fonctions. Ils peuvent être indemnisés. Les chargés de mission qui sont rémunérés pour un certain savoir-faire. Les adhérents qui représentent l’effectif le plus important, sauf dans les petites associations.
Si l’on croise le statut social avec le statut associatif, il est possible de remarquer que les stables représentent 30% des membres du bureau, 5% des chargés de mission et 15% des adhérents. Par contre les peu stables représentent 15% des membres du bureau, 10% des chargés de mission et 20% des adhérents. La probabilité d’être membre du bureau lorsqu’on est PST correspond à la moitié des ST. Par leur stabilité professionnelle, ces derniers sont plus outillés pour gérer et décider au sein des associations. Il n’empêche que les PST en se retrouvant, même minoritaires, au sein des conseils d’administration, peuvent intervenir dans certaines décisions, en mobilisant les autres PST. Dans ce jeu de croisement d’intérêts, les décisions finissent par être partagées au sein des associations, en fonction des statuts associatifs.
En observant certains croisements entre le statut associatif et différentes formes de pratiques, on peut relever quelques éléments significatifs.
• Système de gouvernance et statut associatif
L’ensemble des associatifs considère que le système de gouvernance est transparent : les membres du bureau 80% ; les chargés de mission plus de 80% et les adhérents 60%. Les taux relatifs à la non-transparence sont faibles. Toutefois, près du tiers des adhérents pensent que le système de gouvernance est en cours d’élaboration.
• Motivations et statut associatif
Les adhérents et les membres du bureau sont motivés par l’intérêt général : 48% pour les premiers et 52% pour les seconds. Les chargés de mission sont motivés par l’intérêt général et personnel. Cette catégorie est particulière. Elle a des fonctions rémunérées au sein de l’association. Le travail associatif représente pour elle une source de revenus. C’est un groupe en cours de développement. En répondant à un besoin, il arrive à monnayer son savoir-faire. Près de 20% des adhérents sont aussi motivés par leur intérêt personnel, alors que seulement 10% des membres du bureau le sont La lecture des activités développées au sein des associations permet de mieux comprendre ces motivations.
Les différents agents associatifs se répartissent d’une manière disparate par rapport à leurs activités. Chaque catégorie classe les activités à sa manière, ce qui dénote des priorités différentes.
Plusieurs propositions ont été faites aux enquêtés pour répondre à cette question sur les activités : la formation qui peut contribuer à la qualification personnelle des associatifs ; les études qui peuvent avoir une incidence sur les bénéficiaires ; les cérémonies qui peuvent représenter un moment de promotion, de contact des associations ou d’utilisation d’un budget ; les déplacements qui correspondent le plus souvent à un moyen de justification des salaires ; les salaires qui ont une incidence directe sur les associatifs et le fonctionnement qui peut révéler un niveau d’organisation des associations.
Pour toutes les catégories, salaires et déplacements représentent seulement 10% des activités. Tous donnent priorité à la formation, plus de 20%. Membres du bureau et adhérents classent en deuxième lieu les cérémonies, avec un pourcentage de 20% pour les adhérents et de 18% pour les membres du bureau. Le fonctionnement, par contre, est différemment considéré. Les chargés de mission le regardent comme une activité importante (20%) et les deux autres catégories le considèrent moins. Si l’on considère qu’une association qui veut s’organiser se doit d’avoir un budget de fonctionnement, ceux qui sont à même de défendre cette idée travaillent pour l’association, ce sont les chargés de mission. Ils opèrent une sorte de glissement des responsabilités avec les membres du bureau.
• Participation des bénéficiaires et statut associatif
Qu’en est-il des bénéficiaires ? La participation des bénéficiaires est considérée comme importante à près de 40% pour les chargés de mission et 35% pour les membres du bureau. Les premiers semblent être en relation avec les bénéficiaires et les seconds ont une obligation statutaire. Tout se passe comme si les membres du bureau déléguaient leurs rôles à des personnes qui auraient plus de technicité. Les adhérents considèrent cette participation comme moyenne à près de 50%, voire faible, à 28%. Deux explications à cela. D’abord ils peuvent ne pas savoir ce qui se passe, ensuite ils peuvent s’estimer des bénéficiaires potentiels et considérer qu’ils ne participent pas assez.
• Perception des financeurs et statut associatif
Comment sont perçus les financeurs? Ici les avis des trois catégories sont complètement divergents. 30% des membres du bureau estiment qu’ils sont justes, voire souples. 27% des adhérents estiment qu’ils sont rigides, voire procéduriers. Les membres du bureau sont plus souvent en contact direct et régulier avec les financeurs, les adhérents ne les connaissent pas souvent. Par contre, 38% des chargés de mission considèrent qu’ils sont justes. Un nouveau profil d’associatifs est en train de se positionner comme interface, de par son savoir-faire.
Une multiplication des agents associatifs, quelques profils.
L’analyse du découpage des associatifs en deux catégories, stables et peu stables, a permis de comprendre combien la variable statut professionnel peut se révéler déterminante, dans le déploiement des rôles au sein des associations, et combien les stables, en ayant une activité organisée, reproduisent un certain sens de cette organisation au sein de leurs associations. Leurs profils peuvent être bénéfiques aux associations, en les organisant mieux et en rationalisant les dépenses, ce qui peut avoir un impact certain sur les bénéficiaires. D’un autre côté, il y a des peu stables qui viennent d’un environnement faiblement organisé, mais qui, en transitant par les associations, peuvent apprendre à s’organiser et leur passage associatif peut être bénéfique pour l’amélioration de leur statut professionnel. Cependant, les peu stables se dirigent aussi vers les associations pour un bénéfice matériel rapide, au lieu de jouer un rôle d’interface et se transforment, alors, eux-mêmes en cible, ce qui contribue à rendre les rôles des associatifs de plus en plus opaques.
L’analyse des fonctions au sein des associations permet de dégager un nouveau profil d’associatif, celui du chargé de mission. Il se situe entre les membres associatifs et les adhérents. Il détient un savoir-faire qu’il est prêt à monnayer. Il peut être plus efficace dans la relation avec les bénéficiaires, mais il peut parfois détourner les objectifs des associations vers ses propres objectifs.
En tenant compte de tous ces éléments et en les croisant, il est possible d’identifier 4 types d’associatifs : les informés, les impliqués, les intéressés et les passagers. Leurs actions sur le terrain sont différentes, leurs attitudes sont disparates et les relations qu’ils ont avec les bénéficiaires sont variables. En partant de l’AFC ci-dessous, 4 groupes se distinguent avec des compositions différentes.
• Les informés
Ils constituent un groupe à part qui semble ne pas avoir de liaisons avec les autres. Il est composé de la manière suivante : des fonctionnaires, des cadres, des enseignants, des personnes qui sortent de l’enseignement supérieur et qui ont par conséquent un statut stable. Ils ont entre 35 et 60 ans, ils sont dans les associations depuis plus de six ans et sont souvent membres du bureau.
• Les impliqués
Ils constituent un groupe ayant des liens avec les autres, mais qui a ses propres spécificités. Il est composé de la manière suivante : des étudiants, des adhérents, des personnes qui ont le niveau secondaire, qui ont moins de 35 ans et qui sont dans les associations depuis plus de deux ans et moins de trois ans.
• Les intéressés
Ils ont un lien avec les impliqués mais ont leurs propres particularités. Ce groupe est composé de la manière suivante : des personnes qui font de petits métiers, qui sortent du primaire, ils ont parfois moins de 35 ans mais ils ont souvent plus de 60 ans. Ils sont peu stables.
• Les passagers
C’est un groupe de construction nouvelle. Il est composé essentiellement de membres associatifs et de chargés de mission. Ces composants sont souvent dans les associations depuis moins de deux ans. Ils ont moins de 35 ans. On y trouve parfois quelques employés. Ils sont souvent peu stables. Les associations organisées peuvent les stabiliser.
Conclusion :
Une organisation de fortune
Le développement des associations au Maroc est récent, l’intérêt que leur manifeste les pouvoirs publics l’est encore plus. L’extension des associations est inéluctable et la masse d’argent du social qui transite par elles va aller en augmentant. Elles peuvent constituer une interface efficace pour l’amélioration des conditions de vie des populations cibles qui sont dans le besoin. La volonté de compréhension de l’évolution du tissu associatif et de son fonctionnement doit donc se faire en parallèle avec son accroissement. Un système de benchmarking et de qualification doit être mis au point rapidement, pour que la structure transitoire qu’est l’association puisse jouer pleinement son rôle.
L’essor de l’action sociale, l’apport de l’INDH génèrent une nouvelle méthodologie du travail social, encore balbutiante. Une nouvelle façon de faire est en train de se mettre en place. Mais en installant un nouveau système, on ne désinstalle pas les anciens réflexes, ils sont là, latents, prêts à se réactiver. La multiplication des acteurs institutionnels du social a multiplié la demande sociale et opéré une reconfiguration des associations dédiées au social. Ces dernières se sont elles-mêmes démultipliées, générant des sous-systèmes de gestion du social, composés de personnes qui auront de la difficulté à devenir des professionnels de l’action sociale du jour au lendemain.
De plus, les systèmes qui ont présidé au renforcement du social ne sont pas composés de professionnels de ce domaine. Une nécessité historique et conjoncturelle a remis le social au premier plan, mobilisant les ressources humaines qu’il était possible de solliciter. La volonté politique de vouloir faire face rapidement aux perturbations sociales qui se profilaient a entraîné la création de structures, dédiées au social certes, mais peu organisées et encore phase de découverte. Ce qui s’est passé en haut de la pyramide de gestion du social s’est décliné en bas, dans les associations. Il y a eu transfert de configuration avec un certain degré d’opacité transversale. A un niveau élevé de décision, le politique se conjugue avec la carrière personnelle, de la même façon, à un niveau plus bas, le travail associatif sert l’évolution personnelle. Dans les deux cas, il y a des places à prendre ; seuls les chemins et les étapes sont différents.
La conscience que toute action entraîne des effets pervers et que la transformation des systèmes fabrique une entropie tendant à les faire revenir à leur état initial, devrait faire réfléchir les décideurs aux effets induits par leur action. L’accompagnement des associations doit s’opérer dans un esprit de respect de leur indépendance et de réel partenariat, sans chercher à les phagocyter ou à les manipuler ce qui rendrait le jeu associatif encore plus complexe et reproducteur de systèmes déjà existants. Toute tentative de manipulation des associations contribuerait au développement de ces deux groupes que sont les intéressés et les passagers. Une attitude de contrôle, voire d’audit permettrait de renforcer les deux autres groupes que sont les informés et les impliqués.