Une stratégie nationale volontariste... mais inappliquée

Une stratégie nationale volontariste... mais inappliquée

En 2010, le Maroc a doté son secteur logistique d’une stratégie nationale qui en est aujourd’hui à mi-parcours. L’heure est aux premiers bilans.

La « stratégie nationale de développement de la compétitivité logistique » a été arrêtée en avril 2010 dans le cadre d’un partenariat public-privé. Prenant la forme d’un contrat-programme pour la période 2010-2015, elle a été établie entre l’État et la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM). Impulsée par un rapport réalisé conjointement par la Banque mondiale et par le ministère de l’Équipement et du Transport en 2006, cette stratégie a été adoptée suite à une étude menée en 2008 par le cabinet Mc Kinsey. Pour l’organisme bancaire international, il s’agissait d’offrir au Maroc « un plan d’action ambitieux » au double objectif stratégique : améliorer le commerce extérieur du Maroc avec l’Union européenne et favoriser l’émergence d’un secteur logistique marocain.

Une suite logique

Cette stratégie s’inscrit donc parfaitement dans le processus de libéralisation de l’économie nationale entamé depuis près de trente ans. Sans surprise, elle n’apporte aucun changement fondamental à l’économie marocaine, mais renforce les dynamiques préexistantes. C’est ainsi qu’elle fait la part belle aux échanges internationaux et vient parfaire les efforts publics réalisés dans les années 2000 en matière d’infrastructures et de libéralisation des transports et des douanes.

Son élaboration se présente aussi comme une suite logique au développement sectoriel de l’économie marocaine. Le secteur de la logistique est transversal et, s’il est performant, permet aux autres secteurs d’optimiser leur propre compétitivité. Après l’adoption des divers plans sectoriels de l’économie marocaine (Plan Maroc Vert, Halieutis, Plan Energie, etc.), une stratégie pour la logistique s’imposait donc au nom de la compétitivité nationale.

Soutenir la compétitivité nationale

Le contrat-programme prévoit des objectifs précis pour l’horizon 2015. Les coûts logistiques rapportés au produit intérieur brut (PIB) passeront à 15% (au lieu de 20% en 2010) et le PIB augmentera de 3 à 5 points. La stratégie contribuera également au développement durable du pays en réduisant les nuisances induites par le transport de marchandises (émissions de CO2, décongestion du trafic, etc.). Articulée autour de cinq axes, elle entend exploiter le « fort potentiel de développement » du secteur en répondant à ses besoins en infrastructures, en gestion, en professionnalisation et en formation. Elle prévoit ainsi la mobilisation de 3300 hectares, la création de 70 plateformes logistiques, des investissements à hauteur de 63 milliards de dirhams et la formation de 61 600 personnes. La mesure de ce contrat-programme phare est l’aménagement d’un réseau national intégré de zones logistiques multi-flux (ZLMF) afin d’optimiser les échanges internationaux. Il s’agit globalement d’accompagner la croissance des exportations agricoles, textiles et industrielles et d’optimiser les importations céréalières et énergétiques et leur distribution. Le marché intérieur a une place circonscrite à l’aménagement de plateformes pour la distribution nationale, les échanges agricoles domestiques et les matériaux de construction. Décrit comme « fragmenté », « granulaire » ou au secteur informel important, il semble opposer des résistances à l’approche industrielle de la stratégie.

« Sur le papier, ce contrat-programme est ambitieux et répond à de réels besoins », affirme Abdelkhalek Lahyani, secrétaire général de l’Association marocaine de la logistique (Amlog), qui plaide en faveur de la professionnalisation du secteur depuis 2001. Mais près de trois ans après la signature du contrat-programme, on ne peut que constater le retard pris dans son application. Ce dernier est dû à la mise en marche tardive de la pierre angulaire de l’exécution de la stratégie.

L’Agence marocaine de développement de la logistique (AMDL), « bras armé du gouvernement (…) pour la mise en œuvre de la stratégie logistique du Royaume » selon l’axe du contrat-programme consacré à la gouvernance, n’a tenu son premier Conseil d’administration que le 19 novembre dernier. Son rôle est d’assurer l’élaboration du schéma national intégré des zones logistiques ainsi que la mise en œuvre de 10 contrats d’application et de 36 mesures. Pour mesurer la performance du secteur, le texte prévoit également la création d’un Observatoire Marocain de la Compétitivité Logistique, qui n’a pas encore vu le jour.

Malgré ces retards, selon la presse et certains opérateurs, 3 contrats d’application auraient été mis en œuvre. Celui de la région du Grand Casablanca a même été signé en avril 2010, au même moment que le contrat-programme. 

Un mauvais départ

Le retard pris dans la création de l’AMDL est d’abord dû à la rudesse des débats parlementaires sur ses missions. C’est du moins ce qu’en dit Abdelkhalek Lahyani, parlementaire lors du vote de la loi de création de l’Agence en juillet 2011. Le texte de loi permettra finalement à l’AMDL d’acquérir des biens immobiliers et de développer et gérer des zones d’activités logistiques. Ce que ne prévoyait pas le contrat-programme. « Au lieu de n’être qu’un arbitre, l’Agence peut aujourd’hui devenir opérateur et la présence de représentants des professionnels dans son Conseil d’administration ne fait qu’ajouter à la confusion », déplore le secrétaire général de l’Amlog. Pour lui, ce vote n’augure rien de bon pour la situation de la concurrence du secteur logistique marocain. « C’est en complète contradiction avec la stratégie qui s’inscrit dans une logique de passage d’un système de rente à une économie de marché », ajoute-t-il.

Le développement de la plus grande zone logistique du Maroc à Zenata, prévue dans le contrat d’application du Grand Casablanca, a elle aussi suscité des polémiques du même ordre. La Société nationale des transports et de la logistique (SNTL), société privée de l’État, s’y est implantée en janvier 2011 sur 28 hectares pour y aménager un centre logistique de composants automobiles et électroniques, de produits textiles et de grande distribution. Ce qui a provoqué l’indignation de nombreux opérateurs du secteur privé, qui ont dénoncé par voie de presse une distorsion manifeste de la concurrence. Selon eux, la SNTL a profité de son statut pour accéder à une réserve foncière publique à des prix très avantageux. À l’Amlog, Abdelkhalek Lahyani va plus loin en dénonçant la joint-venture que la société nationale a formé avec Damco, filiale du leader mondial du transport logistique maritime Maersk, pour son centre de Zenata. « Ce n’est pas en laissant un géant international s’implanter sur du foncier acquis aussi facilement que l’on va permettre aux opérateurs nationaux de se professionnaliser et de se développer », déplore-t-il encore.

Malgré ce constat amer, le secrétaire général de l’Amlog reste positif. Il est convaincu de l’importance de la stratégie et pense que la toute nouvelle nomination du directeur général de l’AMDL, ancien directeur de la stratégie au ministère, va enfin permettre de débloquer la dynamique.

Si la nomination de Younès Tazi à la tête de l’AMDL n’a eu lieu qu’en novembre 2012, c’est « parce qu’il y a des luttes de pouvoir », nous explique le directeur logistique d’un grand opérateur français du secteur qui refuse de nous en dire plus. « Mais tout le monde attend que l’Agence soit opérationnelle pour se mettre au travail », ajoute-t-il.

Le Maroc, bon élève de la Banque mondiale

Aujourd’hui, seul le Logistics Performance Index (LPI) de la Banque mondiale nous permet d’avoir quelques éléments d’analyse chiffrée sur la compétitivité logistique au Maroc. Lors du dernier rapport, publié en mai 2012, il est passé à la 50e position sur 155 pays évalués alors qu’il occupait la 94e place en 2007. Ce « bond », comme le qualifient les rédacteurs du rapport, est assez remarquable pour que le Maroc soit cité à plusieurs reprises comme une référence dans sa catégorie. Le pays est même après l’Inde la deuxième nation à revenu moyen inférieur à avoir fait la progression la plus forte. Il rentre ainsi dans le club des pays à performance constante, jugés comme fiables pour les opérateurs et les investisseurs logistiques, aux côtés de pays comme le Brésil, l’Égypte, l’Inde et la Tunisie.

Plus en détail, l’observation des résultats des différents indicateurs montre que ce sont les infrastructures de commerce et de transport qui sont le véritable point fort du Maroc. De la 92e position en 2007, le Maroc est passé à la 39e position en 2012 pour la qualité de ses infrastructures de commerce et de transport. Il semble évident que les 1416 kilomètres d’autoroutes, les 700 kilomètres de voies express, les ports Tanger Med, ainsi que les chantiers entrepris dans le transport ferroviaire, ont permis d’optimiser les échanges internationaux. Le rapport cite d’ailleurs les ports de Tanger Med à trois reprises, notamment pour illustrer l’impact positif des grands chantiers sur la compétitivité. Le classement de la Banque mondiale montre également que le Maroc a nettement progressé sur les autres indicateurs comme ceux des douanes, de la qualité des services logistiques ou de la traçabilité. Pour les rédacteurs du rapport, cette progression générale est le résultat de la stratégie nationale du développement de la logistique. Ils saisissent l’occasion pour exhorter les pays qui ne l’ont pas encore fait à suivre l’exemple de pays comme le Maroc, le Canada ou la Chine, dont le volontarisme a porté ses fruits. L’établissement de l’AMDL en 2011 est même cité pour montrer comment certains pays émergents mobilisent leurs efforts pour se positionner en véritables hubs régionaux.

Si le rapport de la Banque mondiale est très enthousiaste sur l’impact de la stratégie, il semble plus probable que la cause de la progression des indicateurs se situe ailleurs. Pour Younès Tazi, le nouveau directeur général de l’AMDL, ces bons résultats sont la conséquence directe des réformes de libéralisation des transports. C’est du moins ce qu’il a expliqué il y a quelques semaines lors d’une présentation réalisée devant des professionnels du transport et de la logistique. Toujours est-il que le contrat-programme du secteur logistique n’est toujours pas entré dans sa phase d’application et que les véritables gains de compétitivité imputables directement à la stratégie ne seront mesurables que dans quelques années. Aujourd’hui, l’AMDL doit non seulement rattraper le retard cumulé, mais elle doit surtout dégager l’assiette foncière nécessaire à l’aménagement des infrastructures prévues. Chez les professionnels du secteur, l’enjeu foncier reste « le nerf de la guerre » et c’est sur ce terrain qu’ils attendent la jeune Agence .