Une leçon de management venue du Sud : Cas de l’OCP

Une leçon de management venue du Sud : Cas de l’OCP

Auteur : Pascal Croset

Tout concorde pour confirmer aujourd’hui la bonne santé de l’OCP et ce, malgré la conjoncture internationale difficile. Cela n’était paradoxalement pas le cas moins d’une décennie auparavant malgré une situation internationale favorable. De 1976 à 2006, il y avait des hauts et des bas, mais surtout un endettement chronique et l’absence d’une visibilité pour l’activité de la plus grande entreprise marocaine. Comment une telle mutation a été possible ?

 

Quelques Chiffres clés 2011 pour le Groupe OCP :

« L’ambition au cœur de la transformation, une leçon  de management venue du Sud », est l’ouvrage de Pascal Croset, édité chez Dunod, qui présente les raisons de ce succès au niveau du management. L’auteur est titulaire d’un doctorat en gestion de l’École polytechnique ; après avoir dirigé le service de l’analyse stratégique au sein de la direction générale du CNRS français‚ son parcours professionnel se situe exclusivement dans le monde du conseil en stratégie et management. En 2006‚ Pascal Croset  crée sa propre structure‚ PRAXEO Conseil, spécialisée dans  la conduite du changement et de la transformation des organisations.

 Sur son profil Viadeo  Croset se décrit lui-même ainsi :   « j'aime profondément mon métier de consultant, que je pratique dans le domaine du management de l'innovation, de la recherche et de la stratégie. Je crois à ce métier, s'il est pratiqué avec exigence, le souci de le réinventer et de s'y améliorer. »

En tout cas son profil semble avoir séduit le patron de l’OCP. M .Mostafa Terrab, PDG de cette grande entreprise publique marocaine, qui l’a convié à prendre connaissance de ce parcours de redressement réalisé de 2006 à 2010. Dans la préface succincte portant la signature du PDG de l’OCP celui-ci  explique  qu’ «  en donnant  un accès privilégié à l’auteur…nous nous sommes donné le moyen d’apprendre sur nous-mêmes … ».

L’avant propos  de Michel Berry, spécialiste des mines et  de la gestion apporte un éclairage sur le travail de Croset. Cet  Ingénieur général des Mines‚ directeur de recherche au CNRS ; directeur du CRG (centre de recherche en gestion de l’École polytechnique) de 1974 à 1991 ; est  actuellement responsable de la série Gérer & Comprendre des Annales des Mines‚ animateur de l'École de Paris du management et rédacteur en chef de La Gazette de la Société et des Techniques. Il a participé indirectement à l’aventure de cet ouvrage.

M Berry relève que les réponses aux problèmes de management sont toujours  singulières car elles doivent tenir compte des contextes locaux ; lesquels  dépendent souvent d’aspects techniques, institutionnels, culturels et individuels particuliers. Les questions par contre sont les mêmes partout, puisque il faut équilibrer les comptes, trouver des financements, nouer des collaborations, bref rendre ou bâtir  la prospérité et la compétitivité d’une entreprise.

Croset estime que les leçons de l’OCP ont un intérêt managérial pour tous ceux des dirigeants qui cherchent à opérer des transformations radicales dans leurs entreprises.

Cet office créé en 1920 pour exploiter les mines de phosphate par les autorités du protectorat représente aujourd’hui 3% du PIB marocain et 20 % des exportations marocaines en valeur. Mais  cette  structure mastodonte du secteur public  marocain  était surendettée aux débuts des années 2000, très bureaucratique et sans visibilité ; elle a amorcé ses changements avec l’arrivée d’un nouveau PDG en 2006 .A la fin des  quatre années  suivantes, le redressement a pu avoir lieu. On pouvait dire que le groupe est sorti durablement de l’impasse. Comment cela a pu avoir lieu ? C’est ce que raconte Croset en un récit passionnant sous l’angle du management  des transformations de l’OCP.

 

Les comptes financiers de l’OCP

En 2006 les blocages étaient nombreux à l’OCP, blocages structurels, internes, externes etc.… L’audit financière annonçait que l’OCP était dans l’impossibilité d’établir des comptes consolidés à cause du défaut d’information financière et l’absence  de l’harmonisation comptable entre les sociétés du groupe. Après un travail colossal des auditeurs, le rapport concluait que les capitaux propres étaient négatifs à hauteur de 15,9 milliards de Dirhams, les pertes de l’exercice  se montaient à 12,2 milliards de DH pour un chiffre d’affaires global de 23,5 milliards de DH. On notera ainsi  parmi les premiers acquis de la nouvelle direction, la présentation dès 2007d’un bilan consolidé du groupe dont les données étaient pour la première fois  publiques !

 

Le gouffre de la CIR

L’un des boulets qui plombaient la santé financière de  l’OCP était la caisse interne des retraites CIR. Certes, à partir de 2001, toute nouvelle recrue de l’OCP était affiliée automatiquement à la RCAR, mais la caisse continuait à gérer la retraite des salariés embauchés avant cette date. La nouvelle direction a réussi l’exploit de la signature le 19 juillet 2007 d’un accord entre l’Etat, le groupe et la CDG. Il  stipulait l’externalisation de la caisse de retraite OCP vers la RCAR avec un montage où la CDG paierait  33milliards de DH à la RCAR  mais deviendrait par la même occasion actionnaire au capital de L’OCP. Cette solution ne s’est pas concrétisée finalement car une envolée des cours du phosphate a permis à l’OCP de réaliser l’opération en 2008 sans soutien externe. Le groupe a réussi ainsi à retrouver une marge de manœuvre financière moins restrictive dès ce moment.

 

Changement de statut et d’organisation :

Une  stratégie du groupe a été globalement établie dès  2007. L’un de ses  premiers outils fut le  changement du statut, d’un office régi par une loi qui remonte à l’époque du protectorat, OCP est passé ainsi en 2008 au statut de société anonyme détenue par l’Etat.

Dès 2006, OCP a procédé à la mise à jour du niveau de complexité du système productif, à l’identification des opportunités d’accroissement de la marge par l’optimisation du système et la recherche d’un modèle des couts, d’où  la possibilité dès la fin de cette année d’une visibilité couplant les possibilités des produits des différents sites miniers, avec les outils de transformation disponibles (Chimie et engrais) vis-à-vis du marché international.

L’OCP avait également le problème de sa propre dimension  géographique, mais a pu mettre  en confiance les sites locaux pour trouver l’équilibre idoine entre pouvoirs du centre et de la périphérie, notamment grâce à l’importance consacrée par la direction à la question de la production.

Les transformations apportées au  volet organisationnel, ont concrétisé  une décentralisation rapide, la mise en place d’un pole commercial inexistant jusqu’alors et la création d’un pole industriel unique où sont réunies les mines et la Chimie lesquels étaient séparés.

 

Une nouvelle approche commerciale

La mission du nouveau pole commercial a prouvé son importance dès 2007 lors des négociations avec les grands clients internationaux du groupe ; notamment avec l’Inde. Il était question pour la première fois d’améliorer les marges et non pas seulement d’augmenter les volumes .Les succès engrangés par cette démarche ont permis  l’émergence de départements tel que celui du marketing, ainsi que des unités de veille, d’analyse stratégique et de planification.

 

La performance du volet industriel au cœur de toutes les transformations

OCP a défini sa stratégie  optant dès  2007  pour l’augmentation de la capacité de production du phosphate brute à hauteur de 70 %, la réduction des coûts de production de 30 à 40%, et la construction sur le sol marocain de la plus grande plateforme mondiale de production des engrais à l’horizon des dix prochaines années. Une ambition dont la nouvelle société OCP a bien les moyens  et fait d’elle désormais un élément puissant sur le marché international.

Au cœur des transformations le volet industriel avec une progression substantielle des investissements ayant pour objectifs :le développement des capacités de production ,le renouvellement des équipements devenus vétustes, mais aussi , l’installation de pipelines pour réduire les coûts de transport, un programme d’optimisation global et une gestion durable des gisements.

Sur la période examinée Croset évoque la période du « shut down », moment très dangereux de la fin 2008 et début 2009, avec l’effondrement des cours au niveau du marché international .Il décrit à ce propos  comment tous les outils de l’OCP et de sa nouvelle stratégie ont été alors soumis à l’épreuve et démontré leur efficience .En matière  de gestion de la production aussi bien que de la gestion des fluctuations des cours  la flexibilité des outils fut confirmée.

La nécessité de redéfinir ses métiers de base et sa stratégie commerciale ont été couplées avec une certaine régénération de ses ressources humaines. L’OCP qui a renouvelé ses équipes dirigeantes à travers un choix minutieux des profils et une capacité d’écoute au sein de la structure même. Le groupe a cherché à stimuler et synchroniser  toutes les énergies faisant converger  les compétences,  engageant  tous au même enthousiasme, leur faisant porter un rêve durable partagé par tous, de la tête de la hiérarchie à sa base.OCP  est passé de 2006 avec 17000 salariés à 19000 en 2010. En termes de management, il s’agissait de valoriser les talents qui sont au sein de l’entreprise et la recherche de profils adaptés aux nouveaux besoins de l’OCP même à l’extérieur ; en matière de   revenus pour les agents et cadres, cela correspondait à une amélioration salariale de + de 30% sur la même période rompant ainsi avec plus d’une décennie de restrictions.

La recherche-développement est un volet de la nouvelle stratégie OCP, même si ses contours ne se sont clarifiés qu’à partir de 2010.Elle a été examinée  progressivement depuis 2007,et une perspective a été définie au niveau de ses objectifs et les moyens mis à sa disposition ;L’OCP se dit prêt à engager 3 à 5% de son chiffre d’affaires dans ce secteur ; à l’échelle interne cette dimension fut unifié en direction  intégrée au pole industriel, actuellement treize plateformes expérimentales sur les sites de production et un réseau international de recherche(Recherchephos) sont déjà opérationnels.

 

Schéma inséré en page 165 du livre de Pascal Croset

Pascal Croset  décrypte les aspects concrets du management à l’OCP ayant accouché finalement des transformations recherchées. Comment un patron fraichement nommé à la tête d’une entreprise publique sclérosée - ayant ses fortes pesanteurs –est- il  parvenu à prendre celle-ci en main ? Puis,  comme la situation n’était pas  confortable, comment  il a réussi à déstabiliser sans démotiver les forces vives de l’organisation de cette entreprise? Puis  sur deux aspects différents et importants  l’auteur décrit la démarche de la nouvelle direction, le premier concerne le besoin pressent de l’expertise dans plusieurs domaines .Aussi en vue de sortir de l’impasse, l’OCP a fait appel à des bureaux de conseil et des consultants, le management de ceux-ci et la gestion de la tension entre expertise et management dans le contexte réel  , sont des éléments mis en évidence par  l’auteur comme étant un processus réussi et fécond. Le second aspect  concerne la cohésion de l’organisation entre anciennes et nouvelles  générations des dirigeants  de l’OCP, puisqu’on pouvait craindre la confrontation, il en fut autrement, l’intégration des nouvelles équipes a été progressive, constituant ainsi un autre exemple réussi du management  des ruptures.

Il fallait une dose d’incertitude ou de chaos, la nouvelle direction  a supporté et toléré sciemment cela, en prévision de l’ordre nouveau devant succéder aux transformations radicales. L’auteur met en relief l’attitude  de M .Terrab en tant que spécialiste de la théorie des systèmes, celui-ci  réalisait mieux la nécessité de se fixer des repères différents par rapport à ceux des temps plus calmes.

En 2010 OCP était en mesure d’extraire et de traiter  30 millions de tonnes de phosphate brut, de fabriquer 3 millions de tonnes d’acide phosphorique et 4 millions de tonnes d’engrais.

D’ici 2020, OCP vise à doubler les capacités de la mine et à tripler celles de la chimie. 115 milliards de MAD d’investissements seront consacrés à ce programme de développement. C’est cette leçon là, venue du Sud que Croset propose aux managers de partout, y compris ceux du Nord.

 

Par : Bachir Znagui