Une alternative aux plans d’austérité
Auteur : Gaël Giraud
Gaël Giraud décrypte pour le grand public les rouages du système bancaire et ses dérives qui ont conduit à la crise actuelle, et plaide pour une transition écologique.
« La « mondialisation financière » est parfaitement réversible si nous en avons la volonté politique », affirme l’économiste Gaël Giraud. Directeur de recherche au CNRS et membre de Finance Watch (Observatoire européen de la finance), l’auteur de 20 propositions pour réformer le capitalisme (Flammarion, 2012) est aussi jésuite et sa critique des dérives de la finance dérégulée est fortement marquée par ses références religieuses. S’il critique la démesure et la cupidité de ce système, il en donne surtout une excellente explication, très pédagogique. Il commence par revenir sur les faits et décortique les mécanismes aux origines du krach financier de 2007. D’abord la « pyramide de Ponzi » des crédits subprimes, liés à l’utopied’une « société de propriétaires », qui ont contribué à la formation la bulle du marché immobilier américain en rémunérant les investissements des clients par les fonds procurés par les nouveaux entrants (un « commerce des promesses »). Ensuite, la titrisation, transformant les créances en actifs financiers échangeables sur les marchés mondiaux, d’où l’effet domino de la crise américaine. L’auteur ne manque pas de souligner la responsabilité des agences de notation : « en accordant des AAA sans sourciller à ces produits pourtant fort suspects, elles ont largement contribué à anesthésier la vigilance des opérateurs financiers ». Il y a aussi le tranching ouCollateralizedDebt Obligation (CDO), un « procédé du mille feuille » en usage dès les années 1990, mettant en avant les créances les plus sûres, pour dissimuler les créances douteuses et rendant impossible « d’évaluer la corrélation entre le risque de défaut du bas du mille-feuille et du haut du mille-feuille ». Ces procédés aboutissent à transformer « le crédit, et la confiance qui l’accompagne, en une marchandise », donc à déresponsabiliser les institutions de crédit. Enfin, le Credit Default Swap (CDS) ou couverture de défaillance, des « actifs financiers qui servent de contrats d’assurance sur le risque de crédit », mais échangeables sur des marchés de gré à gré et échappant au droit des assurances, sont responsables du glissement de ce krach des crédits subprime à la crise des dettes souveraines européennes. Pour Gaël Giraud, en effet, « la crise européenne n’est pas, d’abord, une crise des finances publiques, mais une crise de la finance dérégulée ». Les CDS, quiavaient servi à maquiller les comptes publics grecs, ont provoqué l’assèchement du marché interbancaire suite à la faillite en 2008 de LehmanBrothers (une des cinq plus grande banques du monde, dont la dette avait été assurée 50 fois par CDS) qui a obligé les banques centrales d’Europe, des Etats-Unis, d’Angleterre, etc. à injecter massivement de l’argent pour sauver les secteurs bancaires. C’est ce sauvetage qui est à l’origine du problème de la dette publique européenne. Témoin, l’Espagne. Or, rappelle Gaël Giraud, en Europe, le privé « est bien plus lourdement endetté que le public : 140 % du PIB européen, contre 88 % pour la dette publique en 2011 ». C’est donc par là qu’il faut commencer pour résoudre le problème.Gaël Giraud dénonce la financiarisation de l’économie, qui met en péril la démocratie, et pointe l’absence d’utilité sociale de l’innovation financière.
Vers une société de biens communs
La deuxième partie de son livre propose de recadrer le débat en tenant compte des contraintes énergétiques et climatiques qui deviennent de plus en plus impérieuses et conditionne toute prospérité durable. Si l’on reste dans le schéma éco-énergétique hérité de la seconde révolution industrielle, le rythme de croissance ne dépassera pas 1 % par an, ce qui ne permettra pas de sortir du cercle infernal de l’endettement et mènera droit à un « désastre humanitaire dès la fin de ce siècle ». Une transition écologique allant vers « une économie de moins en moins énergivore et polluante », et entamée dès aujourd’hui, coûterait « moins cher que le sauvetage inachevé du secteur bancaire ». Il s’agit donc deréduire la consommation d’énergie par le bâtiment, revaloriser le transport public, repenser l’urbanisme, transformer les modes de production de l’énergie et rerégionaliser le commerce international. En parallèle, il faut réviser le système bancaire, qui n’investit pas dans l’économie réelle. Il conteste l’indépendance des banques centrales vis-à-vis des pouvoirs politiques au nom d’unesoi-disant crédibilité : la Banque centrale européenne assume des responsabilités « en dehors de tout mandat démocratique », puisque le Parlement européen n’a pas de pouvoir exécutif et que la Commission n’est pas élue. D’où la possibilité de nommer à sa tête, sans trop de scandale, Mario Draghi, ancien cadre de Goldman Sachs à l’époque où elle aidait la Grèce à maquiller ses comptes… Il faut donc placer les banques centrales « sous une autorité politique démocratique qui aura des comptes à rendre auprès de ses citoyens ». L’idée la plus originale proposée par Gaël Giraud est celle d’une « société de biens communs », qui permettrait de sortir de la partition entre public et privé, pour gérer autrement les ressources communes. Il s’agit de considérer celles-ci moins comme des biens matériels que comme des « systèmes de règles régissant des actions collectives, des modes d’existence et d’activité de communautés ». Aux ressources environnementales, il ajoute la liquidité et le crédit. Enfin il propose plusieurs mesures pour financer cette transition écologique. Il plaide pour une « politique de régulation contracyclique » des marchés financiers, qui consisterait à « rendre plus difficile l’endettement en période haussière et faciliter le désendettement en période baissière ». Il insiste sur la nécessité de séparer les métiers bancaires et de dissocier les activités de crédit et de marché, afin d’assurer que « les dépôts des citoyens sont utilisés exclusivement pour le financement de l’économie réelle », mais aussi d’interdirele pantouflage de la haute fonction publique dans les banques privées pour éviter des conflits d’intérêt. Il réclame la réglementation du secteur financier européen et propose de revenir au monopole public de la création de monnaie. Un ouvrage limpide et fermement engagé.
Par : Kenza Sefrioui
Illusion financière
Gaël Giraud
Les Editions de l’Atelier, 184 p., 17 €