Un livre qui évite « les questions délicates »
Auteur : Philippe d’Iribarne
L’Islam est-il démocratique ? On ne cesse aujourd’hui de poser cette question en occident ? Philippe d’Iribarne tente maladroitement d’y répondre, sans avoir la maîtrise du sujet et sans approfondir ses recherches.
L’Islam est-il compatible avec la démocratie ? se demande l’auteur de ce livre qui part du postulat : L’Islam ne laisse pas de place à l’incertitude, au doute, c’est la religion de l’absolu ce qui semble freiner la mécanique démocratique. Pour des raisons qu’on ignore, l’auteur adopte, une position extrémiste dès les premières pages pour définir l’Islam. Voici ce qu’on peut y lire : « La seule attitude sensée est de se soumettre. Nul ne peut douter, poser des questions, s’il n’est de mauvaise foi. Ne peuvent résister que ceux qui sont orgueilleux, pervers, insensés, ennemis de la raison, sont animés de noirs sentiments…. ». Ces mots, nous les entendons, certes, mais dans la bouche de fanatiques musulmans. Comment le sociologue peut-il baser son argumentaire sur ces aprioris pour avancer sa thèse ? Sur quels exégètes s’est-il appuyé pour dire cela ? Celles Ibn Ishâq, d’Al-Tabarî ou encore d’Ibn Sa’d ? Aucun d’entre eux bien évidemment ! Et il ne cite pas de référence non plus. Ce sont ses propres conclusions !
Les références sont pourtant nombreuses et sans même aller chercher très loin dans l’histoire, on peut revenir sur les travaux de réformistes tels Taha Hussein, Mohamed Iqbal ,Mohamed Abdou ou plus récemment les Mahmoud Hussein. Le sociologue évoque furtivement Mohamed Arkoun et survole ses recherches les sortant souvent de leur contexte.
Un peu plus loin, il nous explique qu’« on n’observe pas de divergences entre sourates (en particulier entre celles de la Mecque et celles de Médine). Il n’est donc pas utile d’aborder la question délicate, et qui suscite des débats infinis des versets réputés abrogeants ou abrogés », affirme-t-il. En évitant ces interrogations justement, l’essayiste esquive la réelle question- qui d’ailleurs- met en danger sa thèse.
Les versets abrogés et abrogeants prouvent justement le caractère évolutif du Coran. En vingt ans de révélation, le Livre sacré s’était accommodé de changement de situations. Des versets entiers ont été abrogés et remplacés par d’autres. Cette « délicate question » prouve justement que la charia telle qu’on la conçoit aujourd’hui n’a pas lieu d’être parce que le monde a changé. Le coran peut donc évoluer selon le temps, le contexte et les situations que nous vivons et c’est une preuve que son message peut s’accommoder de notre vie moderne et donc de la démocratie.
Et puis autre chose. Contrairement à ce qu’avance l’auteur, les versets dits mecquois et les versets médinois sont tout à fait différents. Les sourates mecquoises se rapportent toutes à la nature du divin et à sa relation avec l’humain. C’est-à-dire, tout ce qui relève de la métaphysique. Et c’est cet aspect qui demeure immuable. En revanche, les versets médinois ont trait aux relations entre les hommes et régissent leurs rapports sociaux et toute cette partie peut évoluer. En clair, c’est là que la démocratie peut s’épanouir.
Il est regrettable qu’Iribarne n’ait pas creusé ces deux aspects qui sont, d’ailleurs le point de départ de tous les clivages. C’est de là qu’est née la problématique du coran créée ou incréée. Question cruciale qui a opposé les rationalistes (Mu’tazilites) aux traditionnalistes (Hanbalites). Ces derniers sont décrits par l’auteur comme les victimes de Mu’tazilites, alors que nous sommes aujourd’hui les victimes d’Ibn Hanbal. N’est-ce pas sa thèse littéraliste qui a fermé toutes les issues de la rationalité au débat ? La thèse traditionnaliste qui réfute toute réflexion sinon l’application des préceptes sans aucune distinction a prévalu jusqu’à nos jours, grâce à ceux qui ont suivi sa route tels, Ibn Taymiyya (XIVe siècle) ou encore au tristement célèbre Ahmad ibn ‘Abd al-Wahab (auquel on attribue la paternité du whabisme). Pourquoi en citant Ibn Hanbal, l’auteur n’explique pas au lecteur sa doctrine ?
De toute évidence, le sujet mérite bien plus de réflexion, davantage de référence et de profondeur surtout dans le contexte actuel où tous les amalgames sont possibles.
Il y a souvent confusion entre Islam et interprétation de l’Islam. L’auteure évite de rentrer dans les divisions religieuses et pourtant, on ne peut comprendre la violence et l’absence de débat aujourd’hui sans se référer à l’histoire et sans parler des différents mouvements religieux.
Une thèse qui réfute le doute
Dans sa thèse sur l’Islam, c’est l’auteur qui, malheureusement, refuse d’intégrer le doute dans ses propos. Le texte coranique a traversé les siècles et a été l’objet de tant de réflexions, de méditations et de commentaires de tous genres, scientifiques tout autant que philosophiques ou théologiques, et on ne peut parler de l’Islam, aujourd’hui, sans traverser toutes ces étapes et sans s’y arrêter longuement pour essayer d’en déceler le sens. L’Islam devant la démocratie, est un livre émaillé d’amalgames de propos hors contextes et d’omissions.
Dans son chapitre, Un monde de preuves, l’auteur dit que « le Coran est la manifestation éminente de cette Vérité venue de leur Seigneur » et poursuit « cette vérité est de l’ordre du démontable ». Le mot vérité à été traduit par Jacques Berque par « le Vrai », chez les soufis ce mot est compris dans le sens du « Juste ».
L’auteur s’arrête au sens littéral pour étayer sa thèse et s’embarque, du coup, dans une argumentation erronée. Dans son dernier chapitre où il compare la religion chrétienne et la religion musulmane, il nous offre des « morceaux choisis » de la tolérance chrétienne qu’il oppose à d’autres morceaux aussi bien choisis de l’intolérance musulmane. En évoquant le prophète Mohammed, il évite de parler, par exemple, du principe de la Choura en Islam. Cette forme de « démocratie » qui consiste à consulter ses compagnons avant de prendre des décisions…Tout cela est à méditer, bien sûr, mais encore faut-il le vouloir…
Par : Amira Géhanne Khalfallah
L’Islam devant la démocratie
Philippe d’Iribarne
183 pages
16,90 euros