Syrie : Les racines d’un mal profond
Auteur : Ziad Majed
Ziad Majed, Politologue libanais et professeur des études du Moyen-Orient à l’Université américaine de Paris décortique la guerre en Syrie, revient sur les débuts de la révolte, s’introduit dans ses ramifications et la dissèque.
A l’heure où Ziad Majed écrivait son livre : Syrie, la révolution orpheline, on comptait quelque 130 000 morts dont 11 000 enfants et 8 millions de déplacés. Depuis, ces chiffres ont bien évolués. La Syrie ne compte plus ses morts, ses villes détruites et ses sites archéologiques perdus à tout jamais.
S’il n’y a pas eu ce printemps tant attendu à Damas c’est que le régime Al Assad a mis en place un système quasi infaillible. Toutes les issues à un changement ont été verrouillées.
Pour être sûr de l’allégeance de son armée et de son soutien à toute épreuve, le père Al-Assad avait trouvé un plan machiavélique : Un officier de l’armée syrienne est d’abord un alaouite partisan du Baâth. Ainsi en une seule personne se résume l’appartenance religieuse, politique sous l’emblème des armes !
Le bâtisseur de la dictature syrienne a également encouragé l’exode rural. Ainsi les partisans du Baâth pour la plupart, fils de cultivateurs ruraux, pénétraient les villes et son tissu social. Hafez Al Assad a aussi « tissé des relations avec les commerçants et hommes d’affaires en favorisant leur prospérité en échange de leur allégeance et leur éloignement du domaine politique »
Pour générer de l’argent, la minorité alaouite a permis la corruption et l’a même encouragée. Et enfin un des éléments qui a servi le pouvoir de cette minorité régnante : l’instauration d’une violence sans limites (qui a a atteint son apogée dans les années 80 sous le régime du père). « La principale raison qui explique le succès du régime syrien dans la mise au pas de la vie publique, en tant que participation politique, action sociale et éthique citoyenne est sa capacité progressive à confisquer le domaine public, les espaces d’expression et tous les lieux de rassemblement et d’organisation, à travers soit la récupération, soit l’exclusion », explique le politologue.
Dans l’empire Al Assad, il y a eu tout de même un imprévu, la mort dans un accident de voiture du grand héritier de cette oligarchie, le fils ainé Bassel. C’est ainsi que Bechar qui était étudiant en ophtalmologie à Londres a été désigné successeur de son père.
Bechar que rien ne prédestinait à une carrière politique s’est tout de suite senti à l’aise au jeu du pouvoir. Il a pris deux dossiers en main (plutôt deux ennemis): Le Liban et les turco-kurdes.
Juste après la mort du père, le fils change la constitution et organise sa propre intronisation à l’âge de 34 ans. « Le royaume du silence » * est né.
Bachar a entretenu tout ce que son père a construit. « Les restrictions sont ainsi maintenues dans tout ce qui touche aux libertés publiques, tandis qu’un feu vert était donné aux membres de la famille et à ses proches pour monopoliser les nouveaux secteurs économiques- ou les entreprises privatisées- qu’il s’agisse des réseaux de téléphonie mobile, et de l’Internet, des services bancaires ou des cartes de crédit, des chaînes touristiques propriétaires de restaurant et de sociétés de transport ou encore de l’industrie de pétrole et du gaz et de l’agroalimentaire… ». Ainsi, tout le pays était sous contrôle d’Al-Assad.
Des djihadistes et des Chiites
Lorsque les premières manifestations s’installent dans la rue syrienne, elles sont vite réprimées par l’armée et Bachar sort sans attendre l’artillerie lourde. L’arrestation des jeunes tagueurs à Deraa n’a fait que mettre le feu aux poudres. La résistance commençait à s’organiser et … la répression aussi. Dans l’armée syrienne certains s’insurgent et rejoignent l’opposition. Mais très vite ces quelques dissidents se retrouvent sans ressource, tandis que les islamistes et les groupuscules d’obédience radicale sont soutenues par : La Turquie, Le Qatar et l’Arabie Saoudite.
De l’autre côté Al Assad fait appel à ses alliés qui s’avèreront fidèles à toute épreuve : La Russie, l’Iran et La Chine. C’est là que commence la guerre qu’on connaît.
Al Assad va également profiter de la présence de groupes djihadistes pour justifier la violence et l’extermination de son propre peuple. Les Iraniens interviendront hors de leur pays, en aidant à la logistique, au combat sous couverture de protection de sites chiites (l’un des plus emblématiques est celui de Sayyeda Zeineb). Au début de l’année 2013, ont voit se dessiner les prémices d’une guerre de fractions religieuses qui pourtant ne se justifie que par la présence des Iraniens en Syrie. « Mais les deux camps de cette guerre ne sont pas à responsabilité égale. Les djihadistes ne sont pas majoritairement syriens ou n’ont pas de références syriennes, et les islamistes syriens engagés dans la révolution ne cherchent pas querelle aux chiites et n’envoient pas leurs combattants en Irak ou au Liban pour y alimenter les conflits ».
Le 21 août 2013, l’armée syrienne attaque à l’arme chimique et tue des centaines de personnes au gaz sarin. La communauté internationale s’émeut… pendant deux semaines ! Poutine réussit un coup de maître et évite à son allier une intervention internationale en le convaincant de renoncer à son arsenal chimique.
L’abandon de la communauté internationale de la question syrienne a permis à Al Assad de continuer à massacrer sa population et à pilonner les villes qui lui résistaient, les assiéger et les tuer de faim.
« C’est ainsi qu’une révolution populaire et pacifique qui a revendiqué, la liberté, la justice et la fin de quatre décennies de tyrannie et de corruption, s’est transformée en une guerre sanglante sans issue prévisible entre un clan capable d’anéantir le pays pour se maintenir et des fractions armées à dominante islamiste ». La Syrie et toute la région du Levant semble bien partie dans un infernal cycle de violence dont on connaît bien les origines mais nullement la fin.
Par : Amira Géhanne Khalfallah
*Le royaume du silence : appellation consacrée par l’opposant au régime syrien, Riyad Al-Turk
Syrie la révolution orpheline
Ziad Majed
Sindbad. Actes Sud
L’Orient des livres
161 DH.