Synthèse Rapport OXFAM : Un Maroc égalitaire, une taxation juste
Auteur : OXFAM
L’ONG internationale Oxfam qui fait régulièrement des rapports sur la question des inégalités à l’échelle mondiale, a saisi l’opportunité des assises nationales de la fiscalité, pour dresser un état des lieux des inégalités dans notre pays ; plus particulièrement à travers les pannes et les défaillances du système fiscal. Oxfam a formulé dans ce cadre des recommandations pour faire de la fiscalité un instrument de réduction des inégalités sociales et économiques.
La politique fiscale d’un pays est un des moyens dont dispose l’Etat pour favoriser telle ou telle catégorie de revenus, ou telle activité économique. Elle est employée pour réduire l'injustice sociale et assurer à tous citoyens un minimum de ressources. Fonction de redistribution des ressources et leur emploi dans un souci de justice et d’équité sociales, elle se trouve de plus en plus interpellée par les économies libérales des pays développés, désormais préoccupées par la tendance universelle du creusement des inégalités.Qu’en est-il du cas marocain ? Selon Oxfam « Un(e) Marocain(e) sur huit est en situation de vulnérabilité, et près d’un(e) sur cinq l’est en milieu rural ».
Le rapport d’Oxfam met en relief une situation plutôt chaotique. Il cite qu’en 2018, les trois milliardaires marocains les plus riches, détenaient à eux seuls 4,5 milliards de dollars, soit 44 milliards de dirhams. L’augmentation de leur fortune en un an correspondrait à la consommation de 375 000 Marocain(e) s parmi les plus pauvres sur la même période.
Aux niveaux de la disponibilité de l’information et de l’élaboration méthodologique des données, OXFAM reproche déjà aux statistiques nationales du HCP,leur « imprécision »,considérantque l’utilisation des critères de la consommation au détriment des revenus permet plus difficilement de capter les écarts de richesses.
Oxfam rappelle que la première cartographie de la pauvreté multidimensionnelle réalisée en 2014, avaitretenu que « les 10% les plus riches avaient un niveau de vie 11,8 fois supérieur à celui des 10% les plus pauvres ». Entre 1998 et 2016 les salaires en moyenne,ont représenté 30% de la valeur ajoutée, contre 60% pour les profits. A titre de comparaison, en Turquie la part des salaires s’établit à 48%, ou encore à 58% en France. Au total, le Maroc fait partie des pays les plus inégalitaires sur cette question.
Le rapport signale aussi qu’en 2017, le taux de chômage des jeunes (15-24 ans) urbains était de 42,8%, contre 14,7% pour la population urbaine. 29,3% des 15-24 ans sont considérés comme NEET (ni éducation, ni formation,ni emploi)soit environ 2 millions d’individus. Les écarts de rémunération sont frappants, alors que le SMIG est de 2 570 dirhams mensuels, « il faudrait 154 ans à une personne à ce niveau de salaire pour gagner l’équivalent de l’augmentation de la fortune dans une année de l’un des milliardaires du Maroc ».Près de la moitié (46%) de la population active ne bénéficie pas d’une couverture médicale.Ainsi, avec un système éducatif etun marché du travail défaillants les disparités dans le pays ne peuvent que se creuser .
Le rapport met en évidence les diverses expressions des inégalités, leurs manifestation territoriales, en matière de services publics, et par rapport au genre.La disparité territoriale est aussi manifeste en matière de pauvreté, celle-ci est sept fois plus importante dans le Drâa-Tafilalet (14,6%) que dans la région du Grand Casablanca (2%).La faiblesse de la mobilité intergénérationnellese trouve également parmiles manifestations de ces inégalités : seuls 3,1% des enfants d’agriculteurs accèdent à un poste de cadre moyen ou supérieur et 6,3% parmi les enfants des ouvriers.
La comparaison avec ce qui se passe ailleurs est très éloquente ; les dépenses de santé représentent 5,7% des dépenses totales, contre 15% dans les pays de l’OCDE. La part du PIB affectée aux dépenses publiques de santé est seulement de 1,4%, soit deux fois moins que dans le reste de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, et près de cinq fois moins que dans les pays de l’OCDE. Les Marocain(e) s pallient les insuffisances d’un État en retrait en finançant directement la majorité de leurs dépenses de santé (51%).
Au sein du ménage, les femmes marocaines consacrent en moyenne cinq heures par jour au travail domestique, contre 43 minutes pour les hommes. La contribution des femmes à l’économie est massive, au travers de leur travail non rémunéré, ellecorrespondrait à 15,1% du PIB marocain.
Les caractéristiques du système fiscal au Maroc
Les recettes fiscales du Royaume représentaient 26,4% du PIB en 2016 ;une proportion qui dénote par rapport aux pays de la région, beaucoup moins performants en matière de collecte d’impots.Maissur la dernière décennie c’est la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui représente environ 30% des recettes fiscales au Maroc. Or celle-ci, par sa nature, est un impôt fortement inégalitaire car, bien que les plus riches y contribuent plus en termes absolus, la part de cet impôt dans le budget des plus pauvres est trop importante.
De même l’impôt sur le revenu représente environ un cinquième des ressources fiscales du pays.Or, moins d’un actif rémunéré sur quatre paie l’impôt sur le revenu. Constat : L’IGR repose sur un nombre relativement réduit de la population et lamine principalement les ressources des classes moyennes.
Comment le système marocain traiteles ressources des nantis ?
Le Maroc dispose d’une taxe sur la détention du patrimoine immobilier dont les recettes représentent 0,7% du PIB, soit environ 7,4 milliards de dirhams, un chiffre dérisoire. Aux États-Unis ou au Royaume-Uni, les recettes de la taxation du patrimoine rapportaient 4,2% du PIB en 2017, soit respectivement 810 milliards de dollars et 85 milliards GBP.
En fait,il n’existe pas d’imposition sur la fortune, ni de droits sur les successions ou les donations et le reste de la taxation du patrimoine repose sur les opérations financières et sur les opérations en capital (1,3% du PIB, soit 1,3 milliard de dollars).Concrètement, selon OXFAM « 60% des entreprises marocaines se déclarent déficitaireset 8% en sont exonérées. 82% des recettes de l’impôt sur les sociétés proviennent de seulement 2% des sociétés ».
La politique fiscale en matière d’orientation économique est également montrée du doigts dans ce rapport. L’État a créé des zones franches et offshores, qui permettent aux entreprises de bénéficier d’une fiscalité nettement amoindrie et même privilégiée. Les entreprises y sont exemptées d’impôt sur les sociétés les cinq premières années d’exercice, et le taux n’est que de 8,75% les vingt années suivantes. Et même si La loi de finances 2019 a abrogé ce privilège, les entreprises installées avant 2019 continuent d’en bénéficier en raison de la non-rétroactivité de la loi. Conséquence : Des multinationales étrangères, bénéficient de cet avantage fiscal. La contrepartie demandée par l’État marocain est la création d’emplois, Renault en aurait créé environ 10 000, mais à quel prix ! L’État ne reçoit quasiment aucune entrée fiscale directe de ce secteur.
Le Maroc est sur la liste grise de l’Union européenne (UE) des paradis fiscaux. Des chercheurs du réseau Tax Justice Network (TJN) ont estimé à 24,5 milliards de dirhams par an les pertes fiscales subies par le Maroc du fait des pratiques d’évasion fiscale des multinationales.Cela représente 2,34% du PIB.Des chiffres proches de ceux du FMI (28,3 milliards de dirhams, soit 2,7% du PIB), lequel a mis en évidence que le transfert de bénéfices des multinationales affecte en premier lieu les pays en développement tel le Maroc.
Une des recommandations de ce rapport d’Oxfam est la lutte contre le phénomène de l’évasion fiscaleopérant à trois niveaux :le cadre législatif, l’administration, et la justice. Oxfam relève qu’à chacune de ces étapes plusieurs portes de sortie pour les fraudeurs conduisent de fait à l’impunité fiscale. Le Maroc fait par ailleurs preuve d’une certaine clémence vis-à-vis des infractions fiscales. En 2014 puis en 2018, le Parlement a voté des amnisties pour les contribuables, y compris étrangers, ayant « omis » de déclarer les avoirs qu’ils détiennent à l’étranger (revenus issus de la location d’un bien, plus-values de cessions immobilières, dividendes, intérêts, etc.), en échange d’une contribution libératoire de 10%.
De manière générale, les caractéristiques de la fiscalité marocaine sont inadaptées et insuffisantes pour réduire les inégalités :« Une assiette étroite et une progressivité limitée, combinées à des dépenses fiscales peu appropriées, de nombreuses exemptions et une fraude et évasion fiscales conduisent à amoindrir la force de la fiscalité dans son rôle redistributeur ».
Les questions de gouvernance privent également le Maroc d´importantes recettes fiscales. Le FMI évalue l’impact de la corruption à 2% du PIB (l’OCDE l’estime à 5%), soit, pour le Maroc, 20,7 milliards de dirhams en 2017. Transparency International Maroc avance une estimation bien supérieure, de l’ordre de 200 à 300 milliards de dirhams. Le Maroc occupe la 81ème place sur 180 dans le Baromètre de la perception de la corruption, indiquant une très forte prégnance du phénomène dans le pays.
Dans la pratique, la fiscalité est encore trop largement utilisée au service des intérêts de minorités, qu’il s’agisse des particuliers les plus aisés (faible taxation du capital, impôt très peu progressif), ou de grandes entreprises (exemptions et exonérations fiscales pour certains secteurs ou activités).
Bien entendu, la seule fiscalité ne saurait suffire à réduire durablement et drastiquement les écarts de richesses dans le pays. Les exemptions concernant l’agriculture ou l’immobilier, qui favorisent les grands propriétaires, incitent à la rente, elles doivent être amoindries ou supprimées
Parmi les recommandations du rapport on trouve l’appel à un plan national contre les inégalités, l’introduction d’une fiscalité plus progressive, notamment sur le patrimoine, avec l’amélioration du système de remboursement de la TVA et la lutte contre l’évasion et la fraude fiscalescomme priorité absolue.
Synthèse Par Bachir Znagui