Réformer la justice à l'aune du statut avancé

Réformer la justice à l'aune du statut avancé

Justice

Exposé des faits

La réforme globale du système de la justice inclut certainsengagements réformateurs du gouvernement marocaindans le cadre du Statut avancé. Celui-ci se veut l’aboutissement de plusieurs réformes sectorielles structurantes, faisant l’objet d’un « Document Conjoint »[1] (octobre 2008) et d’un « Plan d’action UE-Maroc» (juillet 2005). Quoique, cette réforme profonde n’a pas été déclenchée par l’engagement du Maroc auprès des instances européennes. Déjà en 1997, le ministère de la Justicea lancé un programme de réforme articulé autour de trois axes fondamentaux: la réhabilitation, la modernisation et la coopération internationale. Soutenu, par plusieurs partenaires internationaux[2], ce premier chantier, quoique initialement axé sur la gouvernance économique et administrative, sera ultérieurement rattaché à une vision globale incluant l’indépendance de la justice. Le tout sera consigné, à mi-chemin, dans un  document ministériel[3],présenté et non publié à la fin 2002, intitulé «La réforme de la justice 1997-2007 : le changement en marche». Aujourd’hui introuvable dans les archives du site ministériel[4], ce bilan d’étape aurait pu nous renseigner sur la vision initiale de ce grand chantier de réforme. D’autant qu’au bout de la décennie qu’il couvre (fin 2007), le rendu de ses différents chantiers ne s’avère pas pleinement satisfaisant, aux yeux des parties prenantes. Le ministre de la justice[5]a promis,cette fois-ci, unplan d’action pour une «réforme globale à court, moyen et long terme ». Il a, alors, mis en place une démarche participative (incluant les représentants de la société civile) pour faire émerger les axes prioritaires. Ce plan n’a finalement pas vu le jour, non plus.

Les réalisations ont connu un certain ralentissement entre 2008 et 2009, année à partir de laquelle le roi Mohammed VI a exprimé dans différents discours[6]la volonté d’approfondir les réformes en matière de justice. Six axes porteurs de ces chantiers ont été exposés solennellement par lui : consolidation des garanties de l’indépendance de la justice, modernisation de son cadre normatif, mise à niveau de ses structures et de ses ressources humaines, amélioration de l’efficience judiciaire, ancrage des règles de moralisation de la justice et la mise en œuvre optimale de ladite réforme.

En 2011, l’exposé du bilan des réalisations fait par le ministre de la justice devant la presse[7], combiné aux recherches sur le terrain ont permis de constater autant des avancées que des freins. Les avancées substantielles réussies sont aux niveaux strictement administratif et technique :

  • Projets relatifs à la mise à niveau des ressources humaines (augmentation des salaires, formations)
  • Projets relatifs à l’amélioration de l’efficience judiciaire et la bonne gouvernance (révisions des codes de Procédure Civile, de Procédure pénale, de la famille et la réalisation de la loi sur l’Organisation judiciaire).
  • Projets relatifs à la justice de proximité
  • Projets relatifs à l’amélioration de la situation sociale du personnel judiciaire
  • Régularisation des avancements et l’amélioration de la condition matérielle des juges ;
  • Organisation de l’accueil et de l’information dans les tribunaux ;
  • La liquidation des retards enregistrés dans l’exécution des sentences,

En revanche, des réalisations lentes et partielles persistent au niveau normatif et institutionnel :

  • Réformes réalisées mais non achevées relatifs à la consolidation des garanties de l’indépendance,  à la consolidation des garanties du procès équitable, …etc. (dans le sens où les textes de lois sont produits mais ces derniers ne sont pas encore promulgués).

Par delà l’effort réformateur, le périmètre de la réforme de la justice reste toujours non précisé et «épars ». Les documents du ministère de tutelle ne présentent que les réalisations[8]comme réponse aux six axes de la réforme sans répondre totalement aux exigences et aux besoins de chaque axe en profondeur. Par ailleurs, les actions encore à entreprendre ne sont pas précisées en termes de contenu, de délais et de parties prenantes.

Parallèlement, du côté des processus du Statut avancé, le « Document Conjoint», le « Plan d’Action » ou encore le «Rapport Pays»[9] (dans ses différentes occurrences depuis 2009) n’énoncent que génériquement les chantiers de la réforme et ne présentent aucune référence opérationnelle pour la conduite de ces chantiers.

Les chantiers de réforme sont nombreux, de natures différentes et imbriqués les uns dans les autres. Ils ne peuvent être menés à bien sans une vision fédératrice, des stratégies intégrées et des plans d’actions coordonnées. La grille de lecture suivante permet de sonder les dysfonctionnements de ce triptyque.  

Grille de lecture

Lancée en 1997, la première vague de réforme (nous intéressant à ce propos), n’a été formalisée en ce qui peut s’apparenter à une vision consolidée par un plan stratégique qu’en 2003, sous le nom : «La réforme de la justice 1997-2007 : le changement en marche». Ce décalage dans la temporalité du processusrenseigne sur le « manque originel » de vision qui va accompagner cette réforme jusqu’à aujourd’hui. Car une vision non communiquée aux parties prenantes demeure « inexistante ».

Cette défaillance n’a pas manqué de mettre à mal en amont tout le chantier de la réforme. D’ailleurs, dix associations de la société civile[10]ont réalisé durant cette phase d’inertie un mémorandum sur la réforme de la justice au Maroc (avril 2009) affirmant que « la réforme de la justice est une question nationale qui ne saurait se traiter sans les efforts solidaires et conjugués du corps de la justice, magistrats et avocats en tête, encadrés par la philosophie et la culture de la participation et de la citoyenneté »[11]. Enaoût 2009,intervient lediscours royal voulant donner un nouveau souffle au chantier des réformes. Ce discours est souvent présenté comme « La vision » tant attendue par les différents acteurs en la matière, sauf qu’il ne comporte qu’une énumération générique de nouveaux axes venant se substituer au plan promis (fin 2007 par le ministre de la justice et début 2008 par le premier ministre) et à tout effort de mise en stratégie intégrée des objectifs de la réforme.

En effet, les axes énoncés dans ce discours ne peuvent tenir lieu d’une vision pour un changement aussi profond que celui du système de la justice.Tout au plus ils sont à considérer comme « Principes Directeurs »[12] pour la réforme. En effet, la vision correspondà un processus cognitif d’un futur souhaité engageant une action commune au travers de valeurs qui suscitent l’adhésion de tous les acteurs concernés. Les « principes directeurs » font partie des dimensions d’une vision cohérente, et ils sont un produit de règles édictées qui ne mobilisent pas systématiquement l’adhésion collective et l’engagement dans l’action, ni ce que l’on voudrait être et faire (futur souhaité et stimulant). Cette nuance épistémologique objective la thèse de ce papier et positionne ainsi l’analyse.

Le principe directeur, ainsi énoncé par le haut,tient lieude« visiondescendante »[13], par opposition à la « vision partagée » qui est co-construite par toutes les parties prenantes à un projet de changement. L’avantage de cette dernière est d’être co-portée par les acteurs et destinataires du changement.La vision ainsi partagée devrait s’inscrire dans un processus communicationnel grand public et de sensibilisation auprès des acteurs concernés, facilitant par la suite sa mise en stratégie, la bonne conduite de ses chantiers de réalisation et son application effective. Or, comme précisé ci-haut, les concertations pouvant aboutir à une vision partagée, se trouvent à chaque fois mis à l’écart, et remplacées par des directives qui tiennent lieude vision sans prise en compte dans le processus des remontées du terrain. 

La vision descendante(top down)implique, selon les approches de « conduite de changement »[14], des risques de non adhésion et de résistancedes parties prenantes à cause de la complexité, de l’étendue des domaines impactés, mais essentiellement si elle n’est pas suivie de la mise en place d’une stratégie claire qui consignerait les prérogatives et les actions échelonnées dans un temps imparti.

Cela est d’autant plus parlant dans le domaine de la justice, qu’il n’existe pas de document public faisant office de feuille de route pour la réforme du systèmeclaire et formalisée, attribuant les rôles et prérogatives de chaque acteur, leurs coordinations, les délais de leurs rendus, la communication qui doit en être faite, les rapports intermédiaires à produire et leur séquentialité, etc. Il est également à relever l’absence d’une stratégie nationale en matière de réforme de la justice[15].En revanche, dans la pratique,il faut noterl’existence d’une programmation d’actions futures[16], dans un document non diffusé[17].Or, cette programmation ne peut tenir lieu d’une stratégie.

Un autre dysfonctionnement au niveau communicationnel conforte cette impression de non visibilité sur les actions futures.Leministre de la justice, après avoir présenté les actions entreprises, est demeuré vague sur ses engagements[18]. D’autant plus que certaines avancées communiquées en matière de production législative sont encore non promulguées, ou ne concernent qu'un aspect périphérique d'une réforme d'une telle importance.Ainsi,les nominations internes, par exemple, ne peuvent garantir systématiquement l'indépendance de la justice.

L’Union Européenne n’a pas manqué de préciser qu’elle va appuyer et financer ces réformes dans le cadre de la Politique Européenne de Voisinage (PEV) «dès qu’une stratégie claire»[19]et échelonnée dans le temps sera énoncée par le gouvernement marocain.

Conclusion

En gros, une bonne avancée des travaux administratifs et techniques, et un effort de communication sur les réalisations sont à saluer, mais ceci ne dissipe pas l’hypothèse d’un manque de stratégie gérant au mieux le contenu, les ressources et les jalons de ces réformes spécifiques.Un couple Vision-stratégie mal défini ne peut avoir en effet qu’une faible projection opérationnelle. Ce qui expliquel’écart que présentent les résultats atteints en matière dela réforme par rapport aux engagements.

Droits de l’homme

Exposé des faits

«Après l'application de la majorité des recommandations[20] de l'Instance Equité et Réconciliation (IER), le Conseil a planché sur une nouvelle mission, basée sur la promotion des droits économiques, sociaux, culturels et la consécration de la culture des droits humains[21] ». Ainsi parlait M. Ahmed Herzenni, l’ex-président du Conseil Consultatif des Droits de l’homme en décembre 2010, trois mois avant la nomination du CNDH, avec une nouvelle équipe de pilotage.A noter que contrairement à ce qu’affirme l’ex-président du défunt CCDH, les recommandations de l’IER –devant être constitutionnalisées sans réserves[22] - restent toujours en suspens etla réforme globale dans ce domaine n’est toujours pas mise en œuvre[23].

En effet, la réforme des droits de l’homme s’articule autour de trois grands processus : un premier consiste dans la fermeture de la page des années de plomb en s’inscrivant dans une logique de la « Justice Transitionnelle » (application des recommandations de l’IER). Le deuxième consiste en une réforme normative profonde pour la protection et la promotion des droits humains selon les recommandations de la « Déclaration Et Programme D’action De Vienne » (Vienne 1993 et Convention du Maroc avec l’Union Européenne, le 24 avril 2008)[24]. Le dernier étant celui de la réforme  institutionnelle consistant en la création d’une « institution nationale pour la  protection et la promotion des droits de l'homme », suivant  le standard mondial en la matière qui n’est autre que les Principes de Paris[25].

Que constatons-nous dans les faits ? Le contenu de la cible visée par cette réforme reste, comme celui de la réforme de la justice, non publié et/ou non mis en œuvre. La mise en place de l’IER a certes permis de mener à bien le processus de réconciliation, débouchant sur des actions fortes[26] concernant l’archivage des faits[27] et l’indemnisation des victimes, sanspour autant désigner les responsabilités liées aux violations graves des droits de l’homme. Mais les recommandations de l’IER (décembre 2005) demeurent des « Principes directeurs » et ne sont pas encore mises en projet pour être appliquées.

Concernant la réforme normative prenant en charge « la promotion et la protection des droits de l’homme », le lancement en 2008 du PANDDH, pour appliquer l’article 70 de la « Déclaration et programme d’action de Vienne »[28] est venu conforter l’engagement réformateur lancé dès le début des années 2000. Par ailleurs, le «Plan d’Action Maroc de la PEV» stipule déjà en juillet 2005 la nécessité de « finaliser le plan d’action national en matière de droits de l’homme et apporter un appui à sa mise en œuvre».D’ailleurs, le « Document conjoint » (octobre 2008) est venupréciser le produit de ce plan comme étant la « Stratégie nationale en matière des droits de l’homme ». Or, le plan(PANDDH[29]), qui a été le résultatd’un processusde dialogue et de concertation entre le gouvernement, les institutions nationales, les institutions de recherche, les différentes composantes de la société civile ainsi que des experts en droits de l’Homme, a été produit par les parties prenantes sans être mis en œuvre. Or, il devait être produit entre 2008 et 2011 pour que lui et son produit (la stratégie nationale) entrent en application entre 2011 et 2016.

Sur le papier, cette dernière apour objectifs:

  • L’accompagnement du gouvernement, des organisations et membres de la société civile dans leurs actions visant le respect, la promotion et la protection des droits de l’homme et promouvoir la coopération ;
  • Le renforcement des institutions nationales travaillant dans le domaine des droits de l’Homme ;
  • La poursuite de la ratification des conventions internationales, permettre le suivi par l’Etat de ses engagements internationaux en matière des droits de l’Homme et la promotion de la conformité de la législation nationale avec les standards internationaux ;
  • La vulgarisation des standards et mécanismes des droits de l’Homme, particulièrement dans les milieux des organes chargés de l’application de la loi et des travailleurs sociaux ;
  • Le développement des programmes spécifiques visant à améliorer la situation des groupes vulnérables au sein du pays ;
  • L’accroissement durôle des droits de l’Homme dans le développement national.

Atteindre ces objectifs devait positionner la promotion et la protection des droits de l’Homme au cœur des politiques publiques. Or, la mise en œuvre de cette stratégie reste toujours en suspens. Le frein qu’a connu ce dernier processus a été occulté par la création du CNDH[30] suivant les principes de Paris[31], qui ne prennent en charge que le fonctionnement et le statut de l’institution nationale en charge des droits de l’homme. En effet, le CNDH est venu combler un vide institutionnel sans pour autant pouvoir remplir la vacance en matière normative et de stratégie relative à « la promotion et la protection des droits de l’homme », pourtant élaborée par le PANDDH en référence à la Convention de Vienne.

Grille de lecture

Au fond, la réforme des droits de l’homme est encadrée par deux référentiels. L’un, national, le Rapport Final de l’IER avec ses recommandations. Le second, international, est composé de la convention de Vienne (1993) et des Principes de Paris (1994) représentant ensemble un composant central du référentiel universel en matière de droits humains.

En concordance avec le principe mis en valeur dans ce papier du couplage homogène de la vision et de la stratégie, nous pourrions être amenés à croire que ce double référentiel produit deux visions distinctes,ce qui fragiliserait les processus opérationnels de la réforme. Ce risque a été paré, dans un premier temps,à traversles recommandations de l’IER qui reconnaissent et rappellent« la consolidation des garanties constitutionnelles des droits humains, notamment par l’inscription des principes de primauté du droit international des droits de l’homme sur le droit interne »[32].

En revanche, ce risque d’incohérence n’a pas été évité dans la nouvelle Constitution de 2011. En effet, l’article 161 relatif à la bonne gouvernance[33], stipule que « la défense et la protection des droits de l’Homme et des libertés [doit être faite] dans le strict respect des référentiels nationaux et universels en la matière ». L’expression vague de « référentiels nationaux » autorise des interprétations pouvant aller à l’encontre des acquis de l’IER. D’autant que le « Plan d’Action National en matière de Démocratie et Droits de l’Homme » (2011-2016), unique document officiel s’adossant à la Convention de Vienne et précisant la primauté des valeurs universelles sur les « référentiels nationaux », demeure non diffusé et l’intégralité de son contenunon connu du grand public à ce jour.

Toujours, dans la logiquede la « vision descendante », déjà mise en relief dans la réforme du système de la justice, la nomination du « Conseil National des Droits de l’Homme » (CNDH) comme institution héritière du CCDH,est venueébranler au moins deux despiliers sur lesquelles devrait reposer une vision politique cohérente : « la confiance » et « la culture du changement continu ».Que ce soit  par rapport aux parties prenantes qui ont élaboré, sans discrimination, le PANDDH ou par rapport aux rédacteurs du rapport final de l’IER ou encore les acteurs du CCDH devant appliquer ses recommandations, la « confiance » a été rompue et « la culture du changement continu » interrompue.

En effet,ce conseil nommé[34]par le Roi Mohammed VIen mars 2011 est venu répondre aux « Principes de Paris »[35] concernant seulement le statut et le fonctionnement des institutions nationales pour la protection et la promotion des droits de l'homme, sansêtre investi de la mission de l’application de la« stratégie nationale des droits de l’Homme », fruit de tout le processus décrit ci-dessus.

Conclusion

Il est clair que le domaine des droits de l’homme a bénéficié d’une approche opérationnelle concertée débouchant sur la production d’un plan national (le PANDDH) et d’une stratégie qui en découle. Ceci aurait pu représenter une grande avancée dans la mesure où ce plan constitue un support fondamental pour mener à bien cette réforme. Il est à noter également que l’Instance nationale (CNDH), récemment activé, investi de compétences de protection et de promotion des droits de l’homme, est censé rendre les principes et valeurs opérationnels et effectifs. Mais le fait le document consignant le PANDDH n’a pas été rendu public et l’activation de ses processus bloquée, dépourvoit le CNDH d’une structure juridico-politique d’appoint. Ainsi, alors que la réforme d’appareil a enregistré une certaine avancée, la réforme normative reste au point mort.

Ce qui prouve que la gouvernance de la réforme des droits de l’homme est aléatoire, car non maîtrisée ni par une vision partagée ni par une stratégie cohérente.

Climat des affaires

Exposé de faits 

Depuis le début des années 1990, le Maroc s’est engagé dans plusieurs réformes législatives liées à la conduite des affaires (nouvelle loi sur la SA, nouvelle loi comptable, la charte des investissements…). Les nouvelles vagues de réformes nées dans le milieu des années 2000 ont consolidé la volonté réformatrice dans un sens plus large. Aussi, l’USAID par exemple a produit un plan d’action roulant[36] qui vise l’amélioration du climat des affaires pour la période 2005-2007, où il est fait part de recommandations de mise en œuvre spécifiques visant à accompagner le Maroc dans ce sens.

Ce vaste projet de réformes se précise également avec l’avènement du Statut avancé, qui se veut un accélérateur du processus. Le Maroc s’y engage à rapprocher progressivement son cadre législatif et son environnement économique de l’acquis communautaire[37]. Dans ce sens, le CNEA (Comité National de l’Environnement des Affaires) se donne comme objectif pour 2010 la transparence des procédures administratives, la modernisation du droit des affaires, l’amélioration de la résolution des litiges commerciaux et l’amélioration de la concertation et de la communication sur les réformes, en concordance avec la PEV[38].

En effet, la création dès 2009 du CNEA, instance qui a pour principale mission le support et la mise en œuvre de ces réformes à travers une coordination interministérielle[39] et un renforcement du dialogue public-privé, contribue à soutenir la réforme dans ce domaine. Cet acteur devant jouer un rôle centralisateur a décliné les quatre objectifs[40]précités en douze actions stratégiques (cf. annexes). Cet effort de structuration a été évoqué par l’ « Organisation de Coopération et de Développement Economiques » (OCDE) dans son rapport de juin 2011[41]. L’objectif de l’étude initiée en 2009, à travers l’outil « Stratégie de Développement du Climat des Affaires » (SDCA), est double. D’une part soutenir le gouvernement dans ses choix et réformes en évaluant l’existant et d’autre part identifier, prioriser et mettre en œuvre les réformes ou actions politiques afférentes.

Il en ressort que l’effort de réforme du climat des affaires a eu « un impact notable dans bien des domaines, mais [reste] encore insuffisant »[42]. Cette évolution, quoique à parfaire, setraduit par un gain de 21 places dans le récent classement de « Doing Business[43] », ce qui place le Maroc au 94ème rang mondial sur les 183 pays recensés.Au fait, l’analyse des différents résultats du rapport[44]Doing Business, montre que le Maroc reste toujours en dessous de la moyenne régionale et que sur 10 « thèmes de classification » (« topicrankings ») le pays a avancé sur quatre seulement dont deux d’une manière significative : «protection des investisseurs » (+56 rangs) et « paiement des taxes » (plus 36 rangs), les deux autres étant la « gestion des permis de construction » (+1 rang) et « commerce extérieur » (+5 rang). Sur les six autres « thèmes de classification » le Maroc a régressé(Démarrage d’une affaire, Accès à l’électricité, Enregistrement de propriété, Accès au crédit, Exécution des contrats, Résolution des cas d’insolvabilité).

Grille de lecture 

Si le pays a bénéficié du statut de meilleur réformateur global au vu de ce dernier classement, il n’en demeure pas moins que de nombreux praticiens (investisseurs) dénoncent l’opacité d’un système rigide. Au-delà des obstacles structurels qui entravent le climat des affaires, la question du pilotage des réformes jette un flou quant à sa mise en œuvre, notamment au niveau d’une coordination confuse. L’exemple le plus révélateur est celui du cas de la promotion des investissements, où la Commission des Investissements est sous la tutelle du Premier ministre, l’AMDI[45], qui elle-même est sous la tutelle du MCI[46],  alors que les CRI sont sous la tutelle du ministère de l’Intérieur. De plus, les services horizontaux sont disparates au niveau régional : la fonction du guichet unique pour les PME au sein des CRI n’est pas uniformisée selon les régions, tout comme les procédures, dans l’attente notamment de l’introduction d’un identifiant commun pour l’entreprise (une des actions fraîchement réalisée par le CNEA).

L’OCDE note que l’exécution des différents plans ambitieux – dont le Pacte National pour l’Emergence Industrielle– souffre du manque de cohérence entre les différents plans sectoriels, ce qui rend difficile leur évaluation. Par ailleurs, le Comité National de l’Environnement des Affaires (CNEA) a le pouvoir de réaliser des réformes urgentes, ce qui engendre une plus grande réactivité certes, mais encore une fois la SDCA note une vision trop court-termiste et de nature verticale. Autre lacune, celle du système institutionnel confus et peu adapté à la réglementation du monde des affaires, qui pêche par manque d’efficacité et de transparence, ainsi qu’une structure trop hiérarchique.

Par rapport aux réalisations effectives, seules six actions ont été menées à terme (publiées dans le B.O et non sur le site institutionnel du CNEA) : l’identifiant commun de l’entreprise, la révision de la loi sur la SARL et du décret sur les marchés publics, la mise en place d’un calendrier annuel pour la modernisation du droit des affaires, le développement et la promotion du recours à la médiation et à l’arbitrage, et le développement d’une stratégie de communication pour promouvoir les réformes liées à l’environnement du climat des affaires. Le plan d’action du CNEA 2011 n’est à ce jour pas encore rendu publique et plusieurs actions sont en cours ou non encore réalisées. En dépit de ces efforts, le CNEA pêche par le manque de visibilité à moyen terme et d’un manque de clarté sur ses délais de réalisations, mis à part l’axe de la modernisation du droit des affaires, où un calendrier annuel sera mis en place. Ceci conforte la thèse selon laquelle il demeure un dysfonctionnement du triptyque vision-stratégie-réalisations.

Conclusion

Les objectifs stratégiques du CNEA (2009) sont en cohérence avec les recommandations stratégiques du rapport de l’OCDE (2011), mais le CNEA n’est pas doté d’une stratégie encore moins d’une vision. Un écart important est relevé, celui de la formation juridique et la protection de la propriété foncière qui ne figurent pas dans le plan d’action du CNEA et qui constituent certainement des entraves critiques quant au développement du climat des affaires.

Le CNEA apparaît comme le pivot entre les institutions en termes de réformes liées au climat des affaires. Mais ses prérogatives actuelles semblent cependant limitées au rôle de la coordination. En effet, la définition des axes stratégiques de la réforme et des actions prioritaires qui en découlent restent partielle sans un véritable système de pilotage qui facilite la direction des différents processus de cette réforme. Le comité devrait alors remplir le rôle de pilote propriétaire du processus réformateur pour le climat des affaires. Parallèlement, ses attributions devraient être renforcées et élargies dans le sens d’une plus grande concertation entre les acteurs et d’une mutualisation des différentes stratégies.

Conclusion générale

L’existant à ce jour en termes de réformes réalisées et réussies pour les trois domaines étudiés, révèle que cette variabilité dans l’achèvement est due, selon le domaine, à l’absence de l’un des éléments du triptyque vision-stratégie-réalisations.

Pour les trois domaines, aux niveaux institutionnel et normatif, la nouvelle constitution est venue conforter la volonté et l’élan réformateur pour la justice, les droits de l’Homme et le climat des affaires. Néanmoins, nous pouvons nous interroger sur l’existence formelle d’une coordination pour l’ensemble des projets de réformes, et ce en concordance avec la feuille de route du statut avancé.

 
Réforme du système juridiqueRéforme du système juridique

Réforme du Climat des Affaires

Absence d’une vision fédératrice et d’une stratégie construite autour de cette dernière pour conduire les réformes à réaliser.

 

Réformes réalisées au niveau administratif et technique réussies, mais restant toujours en deçà de l’engagement réformateur du Maroc.

 

Les réformes au niveau normatif et institutionnel n’avancent pas ou sont réalisées mais non achevées (Cf. Fiche).

 

La communication autour du contenu et le mode de mise en œuvre des réformes qui restent à réaliser demeurent inexistantes.De la même manière la définition des rôles des acteurs et leur priorisations restent inconnues.

Nous avons noté des avancéescertaines (recommandations de l’IER et travaux du PANDDH) et une non stabilité de la cible visée par la réforme, ce  qui porte préjudice à un processus pionnier dans la région et hypothèque les réformes préconisées par le Statut avancé dans ce domaine.

Nous avons noté un effort communicationnel certain mais une absence de réalisation de réformes de fond comme précisé dans le plan d’action du CNEA pour 2010 et deux stratégies (celle du CNEA et celle la SDCA de l’OCDE)qui cohabitent sans être alignées les unes sur les autres et donc ne coopèrent pas.

 

 

Recommandations

 

La mise en place d’une  vision fédératrice et d’une « Stratégie nationale pour la réforme du système de la justice » est nécessaire pour éliminer les risques de résistance au changement et est susceptible de formaliser un référentiel central, à même de garantir la mise en œuvre des réformes et leur évaluation

La diffusion et la mise en œuvre du « Plan d’action National en matière de démocratie et droits de l’Homme au Maroc » (PANDDH) et la mise en œuvre de la « Stratégie nationale des droits de l’Homme » devient nécessaire pour rétablir la cohérence du plan de réforme.

La mise en place d’une feuille de route pour l’application de la SDCA en harmonie avec les plans d’action du CNEA s’impose pour la mettre en concordance avec les engagements de réforme dans le Statut avancé.

 

 

 

 

01 Seventh Meeting Of The EU-Morocco Association Council (Luxembourg, 13 October 2008)

02La France, l’USAID, Espagne, le Danemark, PNUD, Banque Mondiale et l’UE

03Cela correspond à la fin du mandat d’Omar Azziman

04Ni sur le portail Adala Maroc Portail juridique et judiciaire du Ministère de la justice au Maroc ni auprès des services du même ministère

05 Discours devant le parlement de M. Radi Ministre de la justice en 2007

06 Discours du 20 août 2009, du 08 octobre 2010 et celui du 09 mars 2011 introduisant La Régionalisation et le Projet de la nouvelle constitution

07Conférence de presse du ministre de la justice du 24 août 2011 (Cf. fiche en annexe et encadré)

08  « Réalisation au titre du processus de la réforme globale et profonde du système de la justice » Bilan Concis des domaines à priorité.  Fiche/Plaquette présentée par le ministre de la justice le mercredi 24 août 2011. Reprise comme annexe de ce document.

09 Mise en œuvre de la politique européenne de voisinage en 2010, Rapport pays : Maroc {COM(2011)303}, Bruxelles, le 25.05.2011. p.4

10L'Association des Barreaux, la Ligue marocaine de défense des droits de l'Homme, l'Association marocaine des droits humains, l'Organisation marocaine des droits de l'Homme, l'Association marocaine de lutte contre la corruption, le Forum marocain pour la vérité et la justice, l'Association Adala, l'Association marocaine pour la défense de l'indépendance de la justice, Amnesty International- Maroc et l'Observatoire marocain des prisons.

11www.justicemaroc.org

12Les dimensions d’une vision sont, entre autres :« Les Valeurs et Principes Directeurs », « L’implicationEngagement»,  «Le Leadership », « l’Alignement Systémique »,« l’Empowerment Organisationnel », « La  Confiance », « La Culture du Changement Continu » : MCGIVERN M.H., TVORIK S.J. (1998), « Vision drivenorganizations : measurement techniques for group classification », Management Decision, vol. 36, n°4, pp 241-264

13MINTZBERG H., B. AHLSTRAND & J. LAMPEL (1998) “ Strategic Safari ” Harper Rows, traduction française “ Safari en pays Stratégie ”, Village Mondial (1998)

14L’un des facteurs d’échec dans les projets d’envergure est de « concevoir le changement comme un exercice d’Etat major, maîtrisé de bout en bout en comité restreint »

15 Le document Conjoint, Le Plan d’Action du statut avancé ainsi que les différents discours du roi Mohammed VI ne comportent que des directives ou Principes directeurs.

16 Les responsables du ministère de la justice affirment l’existence d’une programmation stratégique quinquennale.

17D’après un entretien avec les responsables du ministère

18http://www.lesechosquotidien.ma/evenements/13884-reforme-de-la-justice-pas-de-repit-pour-naciri.html

19 «La réforme de la justice marocaine vue par l'ambassadeur de l'UE » Inteview donné par M. EnekoLandaburu, Ambassadeur de l’UE au Maroc le 21 octobre 2009 http://www.yabiladi.com/article-politique-1845.html

20http://www.ier.ma/article.php3?id_article=1433

21Dans un entretien accordé à la MAP, à l'occasion de la célébration de la Journée mondiale des droits de l'homme, le 9 décembre 2010.

22Discours royal du 9 mars :«(…) Cela devrait se faire notamment à travers la constitutionnalisation des recommandations judicieuses de l’Instance Equité et Réconciliation (IER), ainsi que des engagements internationaux du Maroc en la matière. »

23Cf. Discours du roi du 9 mars 2011, Constitution du 1er juillet 2011 et le « Document Conjoint » du Statut avancé.

24CONFERENCE MONDIALE SUR LES DROITS DE L’HOMME, Vienne, 14-25 juin 199

25Recommandations approuvées par la Commission des droits de l'homme en mars 1992, résolution 1992/54) et par l'Assemblée générale de l’ONU (résolution A/RES/48/134 du 20 décembre 1993)http://www.unhchr.ch/huridocda/huridoca.nsf/(Symbol)/A.RES.48.134.Fr?OpenDocument

26L’indemnisation des victimes de la disparition forcée et de la détention arbitraire et de leurs ayants droit. L’émission d’une série de recommandations (2005) « afin de garantir la non répétition des violations graves des droits de l’homme et de consolider le processus de réformes dans lequel le pays s’est engagé ».

27« LA MÉMOIRE ET LES ARCHIVES DANS LE PROGRAMME DE RÉPARATION COMMUNAUTAIRE » : Bulletin Officiel n° 5588 du Jeudi 20 Décembre 2007 Dahir n° 1-07-167 du 19 kaada 1428 (30 novembre 2007) portant promulgation de la loi n° 69-99 relative aux archives.

28« La Conférence mondiale sur les droits de l’homme recommande que chaque Etat examine s’il est souhaitable d’élaborer un plan d’action national prévoyant des mesures par lesquelles il améliorerait la promotion et la protection des droits de l’homme. »

29http://www.cdifdh.org.ma/article.php3?id_article=292

30Dans le préambule de son Dahir de création, le point 7 de l’ « exposé des raisons motivantes », il est précisé que cette création est faite dans le cadre du référentiel onusien en la matière « en rappelant les principes organisant les institutions nationales de promotion et de protection des droits de l’homme, connus sous le nom des « Principes de Paris » approuvés par l’Assemblée Générale des Nations Unies dans sa résolution numéro 134/48 du 20 décembre 1993 »

31Dahir de création du CNDH, publié au B.O n°5922 du 3 mars 2011

32Les Recommandations de l’IER : http://www.ier.ma/article.php3?id_article=1433

33Titre XII de la Constitution, 2011

34Dahir n° 1-11-19 du 25 rabii I 1432 (1er mars 2011) portant création du Conseil National des droits de l'Homme

35Les principes de Paris ont été rédigés lors des premières rencontres internationales des Institutions nationales des droits de l’Homme à Paris en 1991. Ils ont été adoptés par l’Assemblée générale des Nations unies en 1993.

36http://pdf.usaid.gov/pdf_docs/PDACM776.pdf

37Document conjoint UE-Maroc sur le renforcement des relations bilatérales / Statut avancé

38PEV, Rapport de suivi, 2009-Maroc (Memo/10/181), Bruxelles, 12 mai 2010

39http://climatdesaffaires.ma/fr/organe/presentation

40http://climatdesaffaires.ma/fr/plans-dactions: Dans le Plan d’action 2010 les objectifs stratégiques sont en nombre de 4 : 1- Simplifier et renforcer la transparence des procédures administratives 2- Moderniser le droit des affaires 3- Améliorer la résolution des litiges commerciaux 4- Améliorer la concertation et la communication sur les réformes

41http://www.oecdbookshop.org/oecd/display.asp?lang=EN&sf1=identifiers&st1=252010062p1

42Compétitivité et développement du secteur privé Maroc, Stratégie de développement du climat des affaires, OCDE, 24 mai 2011

43http://www.doingbusiness.org/reports/global-reports/doing-business-2012

44http://www.doingbusiness.org/data/exploreeconomies/morocco

45Agence Marocaine de Développement des Investissements

46 Le Ministère du Commerce et de l’Industrie