Quelle politique « arabe » pour la France ?
Auteur : Hakim El Karoui
Un rapport volumineux, tel est le document intitulé « Nouveau monde arabe, nouvelle « politique arabe » pour la France », récent rapport de l’Institut Montaigne paru en Aout 2017 sur la politique arabe de la France . Le think tank français d’obédience libérale a réalisé ce travail grâce Hakim El Karoui, consultant français aux origines tunisiennes, connu pour avoir été l’auteur de plusieurs autres rapports importants, notamment la plus grande étude /enquête sur les musulmans de France, réalisée au cours de ces dernières années..
Hakim El Karoui est également l'auteur de « L'Avenir d'une exception, pourquoi le monde a encore besoin des Français » (Flammarion, 2006) où il soutient que seule la France parmi les pays occidentaux est porteuse de l'exigence d'égalité. On rappellera enfin qu’en 2013, Hakim El Karoui a sorti un autre livre intitulé « La Lutte des âges » lequel est une interprétation de la crise financière de 2008 à l'aune du conflit de générations.
L’auteur est ainsi un novateur qui emprunte beaucoup à la démarche d’Emanuel Todd .. Dans ce rapport, il se se veut à la fois rigoureux et critique. Le sujet est à la fois pertinent et inévitable pour le monde politique français, surtout depuis « le printemps » de 2011, les interminables polémiques sur « l’identité française », les controverses sur les politiques d’émigration, l’énergie, ainsi que sur les relations de voisinage avec des contrées en turbulence.
Le plus grand paradoxe de la région moyen orientale et nord africaine
Le premier paradoxe que le rapport relève réside dans le fait que le monde dit « arabe », s’avère être l’ensemble régional le moins intégré du monde en matière commerciale, il est pourtant le plus cohérent en matière culturelle, linguistique et religieuse !
Sur le plan méthodologique le rapport a choisi d’ajouter, la Turquie et l’Iran à cet espace régional, en plus d’Israël, « tant leur interaction avec le monde arabe est importante et structurante »affirme le rapport.
Six cent tableaux ont été réalisés à travers un travail d’analyse des flux et des stocks commerciaux, financiers, monétaires mais aussi humains (l’immigration), idéologique et culturel (les langues, la diffusion religieuse) et enfin sécuritaire et diplomatique et ce, sur 60 thématiques de cette interrelation entre la France, l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient.
Premier constat, des interrelations profondes, complexes et multifactorielles existent entre les deux parties. Quelques faits marquants : près de 1,2 million de Français, dont la plupart sont binationaux vivent dans cette aire géographique. Au total, près de 9 millions de personnes vivant en France ont un lien direct avec la région, soit un français sur sept. Les échanges avec la région Afrique du Nord et Moyen- Orient représentent environ un cinquième du commerce extérieur de la France hors UE.
Un sujet principalement franco-maghrébin
Déjà à ce stade de l’analyse, le Maghreb apparait comme un partenaire commercial nettement plus important que le Golfe. « C’est avec le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et la Libye que nous commerçons le plus : 27 milliards d’euros d’échanges en 2015 contre seulement 19,3 avec le Golfe », affirme le document. Le rapport note pourtant que Le soft power des autres puissances est en train de croitre dans la région aux dépens de la France, l’image globale de celle-ci se dégrade relativement, incapable de s’implanter dans les pays qui n’étaient pas précédemment sous sa tutelle et perdant d’influence politique sur ceux qu’elle dominait avant.
L’analyse touche également les musulmans de France, notamment la présence parmi eux d’un impact idéologique des grands courants musulmans présents dans le monde arabe, notamment des Frères musulmans et des Salafistes. Le rapport affirme : « C’est par l’islam que le monde arabe et turc influence la France beaucoup plus que par la langue.».
Autre fait, implacable celui ci, le terrorisme qui frappe la France provient presque exclusivement du monde arabe. Depuis 1987, les attentats commis en lien soit avec l’islamisme radical (EI ou al-Qaïda), soit avec un conflit en Afrique du Nord (guerre civile algérienne) ou au Moyen-Orient (Palestine, Iran) sont responsables de 91 % des victimes du terrorisme en France.
La grande transformation ou des pays sous haute tension
L’analyse estime que les pays de la région, vivent une « grande transformation » de leurs sociétés respectives, mettant à mal leurs équilibres traditionnels et leurs structures anthropologiques fondamentales. « La guerre des djihadistes, c’est d’abord et avant tout la guerre contre ces changements sociaux inexorables qui s’opèrent » rapporte-t- il .Le rapport examine l’avancement des transformations sociodémographiques de chaque pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient survenues sur les vingt dernières années, utilisant les indicateurs sociodémographiques, économiques et politiques et ce, pour affirmer que les pays où le risque d’instabilité est le plus fort ne sont ni les plus démocratiques –ni les plus autoritaires ,, mais ceux qui sont dans l’entre-deux, comme l’étaient la Tunisie et l’Égypte en 2011.
De cette analyse le rapport établit une classification affirmant que des pays tel Israël, Turquie, Iran ont achevé leur transition. Les autres, par contre, sont dans des situations diverses et contrastées. En tout cas, le monde arabo-musulman est dans une phase de transformation profonde des sociétés qui le composent, laquelle n’épargne presque aucun pays, et est synonyme d’incertitude durable.
C’est ainsi que la France a besoin aujourd’hui d’avoir une nouvelle stratégie tenant compte « des évolutions et des positionnements des autres grandes puissances – occidentales, non occidentales, arabes, turque et iranienne – dans la région ». Le monde arabe est un champ d’action pour beaucoup de monde dont les grandes puissances. Les USA y possèdent une stratégie fondée sur le soutien à Israël et le contrôle du Golfe. La Russie y opère un retour fondé sur des considérations stratégiques et sécuritaires, et où elle assume le primat de la lutte contre l’islamisme. L’Iran y applique une stratégie offensive basée sur la constitution de relais d’influence politico militaires. Quant à la Turquie, elle a mis à profit son dynamisme économique pour servir l’ambition d’un néo-ottomanisme que la situation en Syrie a mis en difficulté. La guerre en Syrie a eu des conséquences désastreuses pour la Turquie qui accueille sur son sol près de 2,7 millions de réfugiés et a subi de nombreux attentats terroristes revendiqués par l’EI en 2016.
Le rapport a ausculté la stratégie saoudienne avec le nouveau roi Salman fondée sur une attitude offensive en externe pour garantir la stabilité à l’intérieur. La Chine dont la stratégie est dictée par la relation énergétique, laquelle évacue pour le moment toute dimension politique. L’Allemagne qui entretient de bonnes relations avec l’ensemble des puissances locales (Turquie, pays du Golfe, Iran et Israël) et déploie une stratégie centrée sur l’économie.
Une défaillance française surtout
C’est ainsi qu’une des leçons des stratégies concurrentes dans la région, est partout l’existence de lignes de forces clairement formulées. Une situation que la France ne semble pas en avoir d’après le rapport qui relève aussi dans les politiques existantes un manque de cohérence dans l’espace et dans le temps. Enfin, cet examen met en lumière la nécessité d’une adéquation entre les moyens et
les fins, car souvent les discours des responsables affichent des ambitions que les moyens disponibles ne peuvent suivre.
Même après le « printemps » la France est restée au milieu du gué : faute de compréhension de la dynamique de transformation, faute de moyens aussi évidemment. C’est l’Iran régionalement, la Russie sur le plan politico-sécuritaire, la Chine sur le plan économique et l’Allemagne sur le plan du soft power, qui en ont tiré parti, chacun à leur manière.
Fondements d’une stratégie française pour le monde arabe
En premier lieu, sur le plan doctrinal les outils déployés par la France dans la région sont encore concentrés sur les relations interétatiques. Une approche qui méconnaît l’autonomisation de l’État des sphères intellectuelle et économique dans le monde arabe.
Secundo et A contrario, la France a insuffisamment développé ses partenariats avec l’Iran, la Turquie et Israël, qui sont les trois principales puissances de la région, les sociétés les plus avancées et les régimes les plus stables.
Troisièmement La France doit reconnaître son imbrication avec le monde arabe et définir pour objectif de réduire les risques majeurs induits en France par la transformation rapide de ces pays.
Elle doit aussi dimensionner sa politique et son discours à la mesure de ses moyens, réels et symboliques.
En outre La France doit se doter de deux grandes politiques transversales : une « politique de l’islam » et une politique migratoire adaptées aux nouveaux enjeux du siècle.
Le rapport dessine ainsi les traits d’une nouvelle stratégie dont l’une des premières et grandes propositions est que « la priorité géographique de la France devra âtre le Maghreb ».
Pour une politique ambitieuse en Méditerranée occidentale
Le rapport propose le « 5+5 » comme format intéressant. Il permettrait de dépasser l’histoire complexe des relations franco maghrébines, et de penser cette région sur le mode de l’égalité des intérêts et des conditions.
Si l’enjeu de sécurité est le plus immédiat, il doit être inscrit dans le champ plus large de la réduction des incertitudes, qui passe par une densification des échanges économiques au service de la prospérité commune, et des liens culturels qui permettront de faire pièce à l’islamisme au Maghreb et au racisme antimusulman en Europe.
Une stratégie d’intégration économique « Euro-Maghreb 2025 » doit être proposée.
Elle n’existe pas aujourd’hui, car toutes les stratégies sont pensées à l’échelle nationale.
« Notre proposition est au contraire de proposer une vision qui intègre l’ensemble de
la région, utilisant les avantages comparatifs des pays au service d’une logique de
Spécialisation régionale, pour structurer, secteur par secteur, une chaîne de valeur
en Méditerranée occidentale » explique le rapport.
Dans la foulée , une série d’autres d’idées sont proposées, la lecture solennelle d’un discours inaugural de la nouvelle stratégie française ,la demande d’un statut d’observateur pour la France à l’Organisation de la conférence islamique., un outil de pilotage institutionnel dédié, qui pourrait être un Secrétaire d’État chargé des affaires méditerranéennes placé auprès du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (et qui serait le pendant du Secrétaire d’État aux affaires européennes), disposant d’une task force légère ainsi qu’ un centre de recherches dédié au Maghreb qui pourrait être créé au sein du CNRS, en lien avec les IFRE existants, et une chaire ouverte au Collège de France.
Quelle nouvelle stratégie ?
Pour les autres sous régions, la France doit assumer la hiérarchisation de ses priorités stratégiques et se placer dans une position équilibrée entre les parties. L’endiguement de l’islamisme doit être une priorité absolue de la politique française. En outre, la France et l’UE doivent se donner les moyens de répondre dès à présent aux crises migratoires présentes et à venir, et intégrer cette dimension fondamentale dans la politique étrangère qu’elles développent avec les pays de la région.
Le rapport insiste ainsi sur une France devant adopter une politique étrangère équilibrée entre les monarchies du Golfe et l’Iran – en ne valorisant aucune puissance plus qu’une
autre – et jouant un rôle de médiateur dans le conflit opposant Riyad et Téhéran.
Autre conseil ou orientation du rapport : La France doit accroitre ses relations avec Israël ; participer à la reconfiguration territoriale et politique de la Syrie jouant le rôle de pont et de médiateur entre les différentes communautés..
Égypte, Turquie : que faire face au regain d’autoritarisme ?
Ils incarnent un regain d’autoritarisme dans des sociétés en pleine mutation. Mais les jeux d’équilibre prônées par ce rapport appellent à encourager le pouvoir égyptien à trouver un équilibre interne. Pour la Turquie, il appelle à travailler avec la société civile turque. « Ce qui n’empêche pas d’avoir un dialogue exigeant avec le régime turc, sur les droits de l’homme ».
Par Bachir Znagui
Rapport de l’institut Montaigne (août 2017) « Nouveau monde arabe, nouvelle « politique arabe » pour la France » par Hakim El Karoui