Quelle gouvernance pour une éducation de qualité au Maroc ?

Quelle gouvernance pour une éducation de qualité au Maroc ?

La dépense éducative se situe à environ de 5,5% du PIB du Maroc et représente pratiquement 25% de la dépense publique totale. Cependant, malgré l’importance des ressources (financières et humaines), l’effort demeure insuffisant pour faire face au déficit que traduisent l’encombrement d’une proportion significative des classes et la pratique des classes multiples. En fait, le fonctionnement du système éducatif est marqué par une grande inefficacité, se manifestant notamment par : des déperditions scolaires précoces considérables, de faibles acquisitions scolaires, des dysfonctionnements sur le plan de la gestion matérielle et des ressources humaines et le développement de comportements déviants (triche, violence, cours de soutien en situation de conflit d’intérêt...). Faire ce constat quinze ans après le lancement de la Charte nationale de l’éducation, et suite à une série de bilans alarmants du Conseil supérieur de l’éducation (CSE) (2008 et 2014), c’est reconnaître qu’il y a de gros déficits persistants. C’est aussi s’interroger sur la réelle volonté politique de réforme, tout comme sur le degré de résistance des acteurs au changement.

Or, les performances de l’éducation sont le résultat des orientations et des choix effectués, de la formulation de la politique, des moyens financiers, pédagogiques et des ressources humaines formées et mobilisées. Elles dépendent également de la participation des acteurs, des mécanismes de suivi et d’évaluation et de redevabilité mis en place à tous les niveaux. D’où ce choix de nous focaliser, dans ce bilan, sur la question cruciale de la gouvernance et sur les perspectives qui s’en dégagent.

Précisions sur le concept de la gouvernance éducative

Dans son analyse de la gouvernance, la Banque mondiale identifie trois aspects distincts de la gouvernance : a) la forme du régime politique ; b) la manière dont l’autorité est exercée pour gérer les ressources nationales économiques et sociales consacrées au développement ; c) la capacité des gouvernements à concevoir, formuler et réaliser des actions et à s’acquitter de leurs fonctions. Le volet politique n’étant pas jugé du ressort de la Banque, c’est sur les deux autres aspects qu’elle met l’accent.

Pour le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), la gouvernance est l’exercice de l’autorité politique, économique et administrative en vue de gérer les affaires d’un pays à tous les niveaux. Pour sa part, l’UNESCO, dans son rapport de 2009 du suivi de l’éducation pour tous, précise : « En matière d’éducation, la bonne gouvernance n’est pas un concept abstrait. Il s’agit de faire en sorte que les enfants aient accès à des écoles convenablement financées qui soient capables de répondre aux besoins locaux et emploient des enseignants formés et motivés. La gouvernance concerne la répartition des pouvoirs de décision à tous les niveaux du système éducatif, du ministère à l’école et à la communauté » (EPT, 2009 : 28). Dans ce sens, la gouvernance adopte une gestion transparente et responsable des ressources nécessaires pour le fonctionnement effectif et efficace du système éducatif (du point de vue financier, matériel et humain). Ainsi, l’UNESCO considère qu’un système éducatif bien organisé, bien géré et transparent, est indispensable à la mise en œuvre d’un enseignement de qualité et équitable.

Dans les approches les plus récentes, deux notions fondamentales sont mises en valeur et connectées à la notion de gouvernance : la mise en œuvre de redevabilité sociale et l’inclusivité. De ces développements, il ressort que la gouvernance dans le secteur éducatif intègre la définition des objectifs, les choix et les orientations effectuées. Mais, elle englobe également l’affectation des ressources et la mise en œuvre et la gestion des moyens mobilisés pour concrétiser une politique éducative donnée.

Alertes sur des dysfonctionnements

En 2008, le rapport du Conseil supérieur de l’éducation a consacré une partie importante de son analyse à la question de la gouvernance. Il a relevé notamment l’inadéquation des structures du ministère de l’Éducation avec ses nouvelles attributions et les exigences de la décentralisation. D’où les rapports ambigus entre, d’une part, le service central et les entités éducatives déconcentrées et, d’autre part, entre ces dernières et les entités éducatives décentralisées. Il a fortement rappelé que « le Maroc doit poursuivre le processus de décentralisation jusqu’aux établissements scolaires » et formulé des recommandations visant la promotion de la redevabilité et de la reddition des comptes.

Dans son rapport de 2014, le CSE fait observer les progrès accomplis sur le plan de la déconcentration – notion confondue avec la décentralisation − des structures administratives de l’Éducation nationale. Mais, il fait remarquer aussi que, malgré l’adoption par le ministère de l’Éducation nationale (MEN) d’une politique active au niveau de son mode de travail, son organisation et son évaluation, il « n’a pas pu se débarrasser du cadre central ancien qui caractérise sa manière de travailler » (p. 138). Il pointe du doigt la situation des délégués provinciaux qui se muent en « chargés de mission », alors qu’on attend qu’ils réalisent de multiples fonctions dans le cadre de la réforme éducative (p. 139). Leur rôle est jugé non clair, et leur situation aggravée par l’absence d’une structure de coordination entre les directeurs d’académies et les délégués provinciaux.

Le CSE signale d’autres problèmes qui affectent la gouvernance éducative et la réussite de la décentralisation, parmi lesquels il cite les limitations qui affectent le financement des institutions scolaires, la réalisation de leur autonomie et du projet d’établissement. Les conseils de gestion sont jugés non fonctionnels et ne remplissant pas leur rôle dans la majorité des cas, ce que le rapport explique par une faible participation des acteurs. Par ailleurs, le CSE note un déficit majeur de la pratique de l’évaluation par le MEN. Ce constat est d’autant plus préoccupant qu’il s’applique également au CSE qui n’a réalisé qu’une seule évaluation, en 2008, alors que cette instance nationale est censée produire des évaluations régulières et les soumettre au débat public et à toutes les instances concernées.

Défaillances persistantes

Certaines améliorations ont été enregistrées entre 2008 et 2012. Ainsi, le taux d’achèvement est passé de 76% à 86,2% au primaire, de 52% à 65,3% au collège et de 26% à 37,5% au niveau du qualifiant. On a ainsi gagné, pour tous les niveaux, environ 10 points au cours de la période. Mais, ces pourcentages ne peuvent dissimuler le fait que le parcours scolaire est marqué par des pertes importantes et croissantes avec la progression dans les cycles scolaires. Les taux d’achèvement de 2012 montrent qu’au minimum 14% des enfants ne terminent pas le primaire, 35% ne terminent pas le collège et 62,5% ne terminent pas le lycée. Le taux de non-achèvement moyen serait de 37% pour tous les cycles confondus. Ce qui représente sur 6,4 millions d’enfants scolarisés environ 2,36 millions abandons.

Sur toute la période du Programme d’urgence, nous avons enregistré environ 1,5 millions d’abandons scolaires dont presque 500 000 au primaire et 644 000 au collège (la phase de la scolarité obligatoire). Les abandons annuels moyens sont de 378 000 élèves dont 124 500 au primaire et 160 000 au collège. Avec ce niveau d’abandons prématurés, on est loin des objectifs essentiels du Programme d’urgence et des engagements souscrits par le Maroc dans le cadre des Objectifs du millénaire. Ces abandons, outre le fait qu’ils entraînent une perte au niveau du capital humain, induisent une perte financière estimée à 10% du budget de fonctionnement (2011). La capacité d’accueil de ce qui est qualifié de l’école de la seconde chance demeure très faible. En 2012, à peine 10% du nombre cumulé d’enfants concernés ont intégré l’éducation non formelle. Et, selon les engagements de la Charte de l’éducation et de formation, sur la base des inscrits dans le système éducatif en 1999-2000, 90% des élèves de cette cohorte devaient atteindre la fin du primaire en 2005, 80% devaient terminer le collège en 2008, 60% finir le secondaire en 2011 et 40% étaient supposés obtenir le baccalauréat (voir Graphe 1). En fait, pour la cohorte 2002-2013 : 34% ont terminé le primaire (2007), 19% ont terminé le collège (2010), 7% le secondaire (2013) et à peine 4% ont obtenu le baccalauréat. La faible efficacité du système éducatif diagnostiquée, entre 2000 et 2008, persiste par ailleurs dans le cas des redoublements. En se basant sur les effectifs des redoublements enregistrés au cours de la période 2008-2012 et les coûts unitaires (élève/année en 2011), le coût total des redoublements est estimé à 15,33 milliards de dirhams : environ 7 milliards au primaire ; 4,6 dans le collège et 3,5 au secondaire. Le coût annuel moyen des redoublements est estimé à 3,8 milliards.

Le Maroc participe régulièrement à des études d’évaluation des acquisitions. Il a également effectué des évaluations nationales. Avant l’adoption du Programme d’urgence, les conclusions de ces études ont souligné, dans l’ensemble, la faiblesse des acquisitions scolaires des élèves marocains à différents paliers de leur scolarité et pour différentes matières (langues, sciences, mathématiques…). Selon les rédacteurs du Bilan du Programme d’urgence (décembre, 2013), la majorité des objectifs fixés ont été atteints. En revanche, ils reconnaissent et acceptent clairement que les études nationales et internationales d’évaluation des enseignements indiquent que le niveau des élèves de nos établissements scolaires demeure en-dessous de la moyenne, que ce soit en matière de performances linguistiques (arabe et français) qu’en mathématiques et en sciences. Ce constat indique que, ce qui a été éventuellement réalisé, ce sont des activités et la consommation de budgets sans progrès en matière d’amélioration des acquisitions.

Dysfonctionnements majeurs sur le plan de la gestion

La persistance des problèmes éducatifs et leur aggravation sont également dues à des déficits de gouvernance des biens matériels. C’est ce que nous révèlent les rapports d’audit de la Cour supérieure des comptes et du bureau d’études KPMG. Ils ont signalé de nombreuses anomalies sur le plan de la gestion et de l’approvisionnement des marchés publics de l’éducation ainsi que leur contrôle. L’étude de KPMG, par exemple, a constaté dans de nombreux cas étudiés : la gestion centralisée des marchés publics d’éducation ; l’absence du contrôle externe organisé et systématique des académies et des délégations ; l’absence de recensement du patrimoine et des biens immobiliers ; l’absence de coordination et de complémentarité entre les marchés des constructions scolaires et des équipements et l’existence de grands écarts des prix du matériel didactique entre académies de l’éducation, etc. Ce rapport a illustré de nombreux faits et signalé des dysfonctionnements, notamment au niveau de la gestion des constructions scolaires et les stocks qui ont un effet direct sur le fonctionnement et la qualité des services éducatifs. Il a suggéré que certains actes peuvent dissimuler des détournements et des comportements illicites. De son côté, la Cour supérieure des comptes a examiné sur plusieurs exercices la situation de nombreuses académies régionales de l’éducation et de formation et a formulé de nombreuses observations similaires. Il s’agit, en particulier, de retards accumulés dans les constructions scolaires ayant un impact négatif sur la rentrée scolaire ; de cas d’absence de la concurrence entre entreprises en compétition et la dégradation rapide des établissements réhabilités… Par ailleurs, on a aussi relevé que, depuis 2002, les inspections régionales qui s’occupent des questions matérielles et économiques n’ont pas été remplacées laissant un vide en ce qui concerne le contrôle a posteriori. Ces constats relevés dans le cadre d’audits épisodiques montrent que la fonction d’audit est peu dotée en ressources humaines, alors que les dysfonctionnements – probablement des détournements –, le manque de transparence (et de redevabilité) affectent l’efficacité de l’ensemble du système.

Par ailleurs, le ministère de l’Éducation fait le constat du caractère handicapant de la non-maîtrise de la gestion des ressources humaines et le non-fonctionnement de la décentralisation. Pour l’actuel ministre de l’Éducation, pour que la décentralisation puisse fonctionner, il faut réunir les conditions et en particulier le processus de maîtrise et de gestion des ressources humaines : « ... Il faut avant tout que ces académies recrutent des ressources humaines qui ne soient pas gérées par les règles de la fonction publique, c’est ça la vraie autonomie. Un directeur d’académie n’a aucun ascendant sur un fonctionnaire travaillant chez lui » (Vie Économique, p. 44, 2014). En l’absence de la maîtrise de la gestion des ressources humaines, les responsables se trouvent dans une situation d’impuissance. Ce qui est dit sur le directeur de l’académie s’applique également au directeur de l’établissement. On est dans une situation globale caractérisée par un déficit des liens entre les résultats, les rémunérations et la motivation des enseignants (voir schéma ci-dessous).

Autonomie et initiatives de l’école entravées 

L’organisation de focus groupes par notre groupe de travail avec des élèves, des directeurs d’établissements scolaires, des responsables des Conseils de gestion des établissements scolaires (COGES), des parents d’élèves, a donné la parole aux concernés et a permis d’identifier de nombreux problèmes éducatifs, d’infrastructure et d’environnement de l’école associés à des déficits de gouvernance.

Parole des élèves : des problèmes sans espaces d’expression

Les élèves consultés ont exprimé, en général, un point de vue critique sur la situation de leurs établissements. Cela concerne aussi bien des enseignants qui n’assurent pas correctement leur travail, que l’encombrement des classes, des problèmes de manque d’infrastructures et de moyens, un manque d’activités parascolaires, le développement des déviances… Les élèves disent : « On est quarante-cinq élèves par classe » ou « Nous étions quarante-sept élèves par classe. Le professeur s’énervait rapidement et refusait de terminer le cours. Il n’arrivait pas à contrôler la classe… ». Pour les élèves consultés, le rôle d’un professeur est d’expliquer le cours à l’ensemble des étudiants. Dans les faits, pour des raisons multiples (encombrement, niveau hétérogène), les professeurs se contentent de travailler avec une minorité. Le professeur a du mal à s’adapter à tous les niveaux. Parfois, tu comprends certaines choses mais tu es obligé d’attendre que le professeur l’explique aux autres. Ça nous fait perdre notre temps ». S’ajoute à cela le comportement de certains professeurs qui « obligent des étudiants à prendre des cours avec eux. Parfois, ils forcent la main même à des élèves qui n’ont pas besoin de soutien ». Sans oublier les effets pervers d’une violence ordinaire, banalisée. Dans certains cas, des élèves apportent de la drogue, un couteau, un sabre... ils menacent des enseignants, ce qui pousse ces derniers à quitter la salle de cours : « Un élève peut s’absenter un mois. Le surveillant général lui donne un billet d’entrée parce qu’il a peur de lui ».

Par ailleurs, l’implication des élèves est jugée absente dans la gestion ; quasiment tous n’ont pas entendu parler des COGES et ne bénéficient pas d’une représentation des élèves au sein de l’établissement. Au final, il ressort des témoignages du groupe d’élèves consultés que l’école publique fait face à de nombreux problèmes tant éducatifs que logistiques et sociaux ; problèmes qui ne trouvent pas un espace d’écoute et de résolution et, de fait, interpellent le caractère problématique de la gouvernance éducative. Constat que confirment, à leur manière, des directeurs d’écoles et des responsables des conseils de gestion.

Directeurs et responsables des COGES « ligotés »

Plusieurs participants, responsables d’écoles, ont exprimé une certaine impuissance à un moment ou à un autre, face à la gestion des ressources humaines : selon eux, lorsqu’un membre de l’équipe est défaillant ou ne fait pas correctement son travail, le directeur ne peut rien faire pour corriger la situation. D’autres ont souligné un problème important ayant des incidences sur l’ensemble du processus éducatif : il s’agit de la décision pédagogique qui leur échappe car la pratique de la carte scolaire impose le seuil de passage : « La carte scolaire nous a imposé un taux d’échec de 20% seulement. Nous n’avons pas une marge de manœuvre. Il est inconcevable qu’un élève réussisse avec 6/20 en première année puis 7/20 l’année suivante… ».

Les conseils de gestion ont également les mains liées au niveau de la prise de décision et des moyens : « Le COGES ne peut établir des partenariats que si l’académie donne son consentement. Malheureusement, on est souvent confrontés à des refus de la part de la délégation sans même de précision sur la cause ». Même dans le domaine des cours de soutien, certains directeurs ont signalé des contraintes fortes imposées aux établissements. À part les semaines de consolidation, il est difficile d’organiser des cours de soutien au sein des établissements. Il faut passer par les associations de parents d’élèves et, même dans ce cas, la démarche n’est pas toujours concluante.

La performance est liée à la qualité de la gouvernance éducative et les deux, selon les directeurs consultés, supposent l’autonomie de l’établissement scolaire. Cette dernière est perçue comme une nécessité : « Il est temps de donner aux établissements une autonomie, une marge pour qu’ils puissent prendre des initiatives, réaliser des projets ». Ils pensent aussi que l’autonomie financière doit être accompagnée par des garde-fous mais constatent que les différentes réformes initiées n’ont pas touché l’établissement scolaire.

La violence à l’école s’explique aussi, selon des directeurs consultés, par plusieurs facteurs psychologiques et familiaux… mais ils reconnaissent également la pression que subissent les enfants, comme la surcharge de travail et les différences de niveaux scolaires non pris en compte de manière adéquate, ce qui provoque des frustrations et des tensions pouvant aboutir à des violences.

RECOMMANDATIONS

Vers une approche de la gouvernance au service de la qualité de l’éducation pour tous

Les alternatives et les propositions concrètes qui visent la promotion d’une éducation de qualité doivent aborder de manière holistique l’ensemble des niveaux institutionnels et des dimensions évoquées. Dans l’élaboration des alternatives, il nous semble crucial de mettre l’accent sur la vision et les orientations d’ordre stratégique à promouvoir pour assurer une meilleure gouvernance du système éducatif ainsi que la redevabilité sociale qui a trop longtemps fait défaut.

Trois niveaux nécessitent des changements et des interventions stratégiques. Le premier porte sur les orientations, les choix et la formulation des politiques, le second porte sur les niveaux institutionnels décentralisés et le dernier concerne les établissements scolaires (voir schéma ci-dessous) :

Matérialiser la volonté de réforme… par un engagement effectif

En premier lieu, la prise en compte de la longue expérience du pays en tentatives de réformes, notamment au cours des quinze dernières années, amène des connaisseurs du système éducatif à se poser la question de l’absence d’une véritable volonté de faire aboutir la réforme éducative. Ce questionnement est d’autant plus justifié que sur le plan de la conception et des moyens, la Charte de l’éducation et surtout le Programme d’urgence ont traité et intégré théoriquement tous les éléments pour espérer un aboutissement heureux de la réforme éducative. Mais, dans la phase de la mise en œuvre, les résultats se sont avérés très éloignés des objectifs affichés, ce qui impose une interrogation sur l’existence ou l’absence de la volonté politique pour faire aboutir la réforme. Ce qui est certain, c’est que des progrès dans la bonne direction supposent la renonciation à une culture de gestion et une gouvernance de type  makhzénien encore fortement diffuse dans le système. Dans cet esprit, les politiques éducatives, les orientations et la gestion sont appelées à être imprégnées de la pratique d’une nouvelle culture de la responsabilité et de la redevabilité déclinée à tous les niveaux de la hiérarchie institutionnelle du système éducatif. Ceci concerne les cinq niveaux de gouvernance suivants : le ministère de l’Éducation nationale et celui du CSE ; la gouvernance régionale et provinciale ; les structures de base (écoles, collèges, lycées…) ; les institutions de contrôle et d’audit et, enfin, les acteurs et leurs institutions représentatives (associations de parents, syndicats…). Des clarifications fondamentales des attributions et responsabilités doivent être faites à ces différents niveaux et entre eux.

Autonomisation et responsabilisation des établissements scolaires

Les expériences réussies et les tendances qui se développent au niveau international soulignent que les politiques, au niveau central, assurent le suivi et l’évaluation interne de ces systèmes éducatifs. Dans le prolongement de la fonction d’évaluation et de l’élaboration de la stratégie éducative, quelques attributions peuvent être pilotées au niveau central comme l’évaluation des acquisitions. Le niveau central ou national doit également avoir la charge des politiques correctives des inégalités et de promotion de l’équité. Cependant, l’autonomisation des établissements scolaires se confirme davantage, rendant les établissements responsables de leurs budgets, de la gestion des ressources humaines et actifs par rapport à leurs résultats et performances. La décentralisation des fonctions de gestion et de mise en œuvre des politiques se fait selon des niveaux territoriaux variables, mais de plus en plus avec un objectif stratégique, celui de réduire la distance qui sépare les différents niveaux administratifs de la gouvernance des établissements scolaires de base. L’adoption d’indicateurs de résultats, la gestion réellement décentralisée et la responsabilisation au niveau des institutions directement concernées devraient permettre d’améliorer les performances des établissements scolaires. Un effort de rationalisation doit être fait dans le sens de la réduction de la sous-utilisation des charges horaires d’enseignement, le développement d’un système d’incitations permettant de mieux répartir les enseignants expérimentés sur le territoire. Enfin, une logique de résultats, impliquant la contractualisation et la redevabilité, devrait être développée de manière concertée.

Faire le choix clair et effectif de l’autonomisation et la responsabilisation des établissements scolaires signifie que la réforme profonde des statuts des établissements scolaires et des attributions de leurs directeurs est nécessaire. Cette réforme doit fixer des objectifs à l’école et mettre en place des mécanismes de responsabilisation, d’intéressement et de motivation des enseignants visant l’amélioration des acquisitions scolaires, et le personnel administratif au niveau de la rationalisation de la gestion des structures et des moyens. Les anomalies observables dans l’affectation et l’utilisation des ressources humaines (emplois fantômes, inadéquations dans les affectations…) trouvent leurs origines dans un système centralisé, opaque et de rente.

Une gestion responsable de proximité est en mesure de faire face efficacement à ces dysfonctionnements.

Pour avancer concrètement dans ce sens, il faut tenir compte des difficultés et réunir des conditions favorables à l’exercice de ce type de gestion : accorder des attributions qui permettent d’agir sur la gestion de l’école et sa performance ainsi que celle des enseignants ; doter les établissements de budgets propres alloués et contrôlés de manière institutionnelle ; prévoir des dotations budgétaires spécifiques pour motiver les enseignants et les responsabiliser en fonction des résultats atteints ; revoir la structure et les attributions des COGES pour les rendre actifs et disposant des moyens pour concevoir des projets d’établissements et leur mise en œuvre. Dans cette démarche, les conditions de succès seraient plus grandes avec une approche progressive et l’adoption de structures de mutualisation de fonction d’aide aux écoles (comptabilité, formation continue…) ainsi que le renforcement du suivi et de la supervision pédagogique managériale.

Développer une stratégie des ressources humaines

L’autonomisation de la gestion des établissements scolaires associée à une gestion de proximité des ressources humaines est susceptible de mieux traiter le problème de l’absentéisme, d’améliorer les conditions de travail, et d’agir plus efficacement sur le développement de comportements déviants au travail (notamment les activités lucratives et les cours de « soutien » payants en situation de conflits d’intérêts).

D’autres questions essentielles, du point de vue de la gouvernance éducative, méritent d’être traitées au niveau de la stratégie des ressources humaines. Elles concernent le recrutement qui doit privilégier la motivation et la vocation professionnelle des candidats, la promotion des compétences par le biais de la formation initiale et continue. Sur la base de ces orientations, des principes de fonctionnement de base doivent être définis et mis en place de manière rigoureuse dans le cadre de la gestion de l’ensemble du système.

La pratique des tests d’évaluation et sa généralisation progressive est en mesure d’apprécier et de valoriser les efforts faits – individuellement ou collectivement – pour améliorer la qualité de l’éducation, les acquis scolaires et la réduction des déperditions.

Cette approche serait incomplète sans une adhésion forte aux principes de la redevabilité sociale et la prise en compte de trois dimensions essentielles. La première vise le développement d’un système d’encadrement et de supervision du corps enseignant, la seconde concerne le rôle crucial des parents dans la gestion et la redevabilité éducative, et la troisième concerne le développement et la promotion du contrôle et de l’audit pour informer les acteurs et apporter un soutien visant la correction des dysfonctionnements observés.