Pour en finir avec les inégalités femmes-hommes au travail
Auteur : Christophe Falcoz
Le chercheur français Christophe Falcoz analyse les facteurs de blocage à la résolution des inégalités de genre au travail et propose des pistes d’action globale.
Malgré les avancées et la présence sans cesse accrue des femmes dans le monde du travail, l’égalité femmes-hommes reste encore théorique à bien des niveaux. « Des inégalités criantes se maintiennent », déplore Christophe Falcoz, chercheur en sciences de gestion et spécialiste de management et de gestion de carrière, en particulier du management de la diversité. En France, « les temps partiels sont occupés à hauteur de 81 % par des femmes, l’accès au statut de cadre et de dirigeant leur est toujours limité et l’écart de salaire ne se résorbe que bien trop lentement. » Du coup, les potentiels de la main-d’œuvre féminine sont largement sous-utilisés. D’où la lassitude, véritable « blues de la parité » ou « gender fatigue », selon le terme utilisé dans le monde anglosaxon, que ressentent les organisations qui plaident pour l’égalité, dans un contexte réglementaire qui y est pourtant favorable. Mais, s’interroge Christophe Falcoz, « peut-on prétendre réussir à atteindre l’égalité réelle entre les femmes et les hommes sans faire en sorte que les hommes se sentent concernés et acteurs de cette égalité professionnelle ? » Le propos de cet essai est en effet que l’égalité au travail n’est pas qu’une affaire de spécialistes des ressources humaines mais un véritable projet de société, qui dépasse largement la question du nombre de cadres et touche le cœur du vivre-ensemble.
Arrêt à mi-chemin
Christophe Falcoz articule sa démonstration en deux parties. La première dresse un panorama des effets pervers des pratiques, outils et politiques destinés à mettre en œuvre l’égalité au travail, mais qui se trop souvent cantonnés à un aspect du problème.L’égalité professionnelle n’est pas en effet qu’une question de mixité. « Les confusions entre parité, mixité et égalité ont tendance à faire de la mixité une panacée, alors qu’elle est tout au plus un indicateur de la réussite des démarches Égalité. »Or, il s’agit d’éviter à la fois un gâchis socioéconomique et d’inacceptables inégalités. L’égalité n’est pas non plus qu’une affaire de femmes : il faut impliquer les hommes dans le processus, sans qu’ils soient victimes ni s’attribuent le bénéfice de l’égalité, mais sur le mode d’une « coopération efficace ». Ce n’est pas juste une affaire de pratiques RH. Christophe Falcoz analyse les modes de recrutement, de rémunération et de gestion de carrière, trois points stratégiques dans la fabrique du plafond de verre, mais qui ne font que refléter des mentalités et un état de société. Quant aux nouvelles pratiques de RH, en termes de négociation et de diagnostic, elles sont fragiles dans un contexte de modifications en profondeur du droit du travail, mais aussi du fait que la fonction RH elle-même, n’est « pas toujours considérée comme stratégique ». La performance économique est d’autre part un faux argument, car les femmes ne sont pas un groupe homogène et qu’à se focaliser sur le nombre de femmes cadres, il ne faudrait pas perdre de vue la situation des autres travailleuses. Enfin l’égalité n’est pas que l’affaire de grands groupes privés : l’État a un rôle déterminant pour donner l’impulsion aux bonnes pratiques, et les collectivités locales pèsent sur le tissu des petites entreprises.
Dans la seconde partie, Christophe Falcoz propose six pistes qui permettraient de progresser vers l’égalité réelle.D’abord, prendre en compte l’écosystème dans sa globalité, des impératifs légaux aux fournisseurs en passant par les talents à attirer et à fidéliser, etc. Adopter ensuite une stratégie cohérente au niveau de la Responsabilité sociétale des organisations (RSO). « La fonction RH doit s’attaquer au délicat chantier de la mise à plat des systèmes de classification et de gestion de carrière, dont les nombreux outils renferment des stéréotypes de sexe et ont été construits dans et par un monde masculin et industriel », plaide-t-il. « Il faut élargir la performance économique à une performance globale et responsable », incluant les questions de santé et de qualité de vie au travail. Par exemple,prendre en compte la parentalité est une démarche plus inclusive que celle de la seule grossesse.De même, la prévention des risques psychosociaux passe par l’équilibre des temps de vie et donc la lutte contre les stéréotypes. Il s’agit donc de lutter drastiquement contre le sexisme dès le niveau de la formation, en déconstruisant les clichés de sexe et en s’attaquant aux discriminations et aux harcèlements. Enfin, il est nécessaire de prendre en compte toutes les femmes, dans la diversité de leurs situations. « L’égalité réelle au travail entre les femmes et les hommes se fera à cette condition de rechercher plutôt l’égalité entre les genres, ce qui suppose de s’attacher aux configurations originales des formes de masculin et de féminin que nous portons en chacun-e de nous… » conclut Christophe Falcoz.
De fait, la question de l’égalité femmes-hommes au travail soulève des enjeux sociétaux beaucoup plus larges, qui concernent également les questions liées au handicap, aux minorités, à l’âge… « Pour que réussissent les démarches d’égalité professionnelle, elles devront être repensées au travers de ces cinq axes : un processus à conduire comme un véritable projet de changement organisationnel ; une approche intégrée, intersectionnelle et collaborative ; un levier du vivre-ensemble et de l’inclusion ; une expérimentation pour repenser le travail ; un vecteur de transformation des pratiques managériales. »
Une réflexion riche, à la fois pragmatique, faisant de la fonction RH la pierre angulaire de la mise en œuvre de l’égalité, et profonde, en appelant à reconnaître la singularité de chacun, au-delà de son genre, de son orientation sexuelle, de son âge et de son état de santé. Ce livre déclare la guerre aux stéréotypes de tous ordres au nom de la justice sociale.
Par: Kenza Sefrioui
L’égalité femmes-hommes au travail, perspectives pour une égalité réelle
Christophe Falcoz
Éditions EMS, 264 p., 22 € / 280 DH