Nationalistes, Légitimistes mais optimistes
Auteur : Laetita Grotti
Ils ont entre seize et vingt-neuf ans et sont donc nés entre 1981 et 1994. Tous ont grandi et appris dans un monde déjà globalisé. D’où le réel intérêt de l’enquête conçue par la Fondation pour l’innovation politique, «2011, la jeunesse du monde» qui, en sondant les jeunesses de 25 pays, permet de mieux cerner les opinions et comportements de ces générations, tout en les comparant1 (cf. encadré méthodologique).
D’emblée, cette première génération marocaine globalisée semble vivre la mondialisation de manière assez ambivalente. En effet, alors qu’elle est considérée comme une opportunité par 91% des Chinois, 87% des Indiens et 81% des Brésiliens, les Marocains et les Turcs sont les seuls des pays en développement qui restent partagés sur la question. Mieux encore, 55% des Marocains (un des taux les plus élevés du panel) considèrent que ce qui se passe dans le monde a peu d’impact sur leur vie. Plus prosaïquement, un Marocain sur deux (47%) doute des bienfaits de la technologie.
Si l’enquête couvre de nombreux champs, nous avons souhaité mettre en lumière ce qui caractérise les jeunes Marocains de leurs homologues étrangers.
Primauté du religieux et affirmation de solidarités
Premier élément frappant quand on observe la jeunesse marocaine à la loupe, le plébiscite de la religion dans des proportions très supérieures aux autres pays. Elle apparaît ainsi comme le premier élément constitutif de l’identité (92%)2 et ce, sans comparaison avec les 24 autres pays. De même, alors que dans le reste du monde, la jeunesse reconnaît toujours plus d’importance à la dimension religieuse dans son identité qu’elle n’est disposée à y consacrer du temps, «comme si le lien avec la religion devait davantage à des logiques d’affiliation qu’à des logiques d’engagement» expliquent les auteurs de l’étude, au Maroc ils sont 90% à se déclarer prêts à y consacrer du temps. Dans le même ordre d’idées, la foi religieuse apparaît comme la première valeur à transmettre aux enfants (56%) alors que partout ailleurs, ce sont l’honnêteté et la responsabilité qui ressortent nettement en tête. Mais, et c’est peut-être là un élément à creuser, 51% des jeunes Marocains préfèrent une société fondée sur la science et la rationalité plutôt que sur les valeurs spirituelles. Certes, la majorité apparaît faible mais elle semble indiquer une volonté de dissocier la foi (personnelle) de l’espace public.
Y a-t-il un lien de cause à effet entre la primauté du religieux et l’altruisme dont font preuve les jeunes Marocains ? Toujours est-il qu’avec les Brésiliens, ils se caractérisent par une attention particulière portée aux autres. Avoir un travail utile à la société est important pour plus d’un jeune sur trois (38%). Aider ceux qui en ont besoin en leur consacrant du temps ou de l’argent suscite un fort engouement (92%). L’idée que les plus pauvres doivent pouvoir bénéficier de soins de santé gratuits y est unanimement partagée (93%). Alors que dans la plupart des pays, les jeunes sont peu disposés à payer pour les retraites des générations antérieures, les Marocains sont parmi les plus solidaires (76%). Une idée que l’on retrouve dans l’envie de bénéficier d’une forte protection sociale plutôt que de payer moins d’impôt. Plus frappant encore, 91% des Marocains estiment important pour eux de contribuer au bonheur des autres. Des chiffres qui expliquent peut-être le réel intérêt pour le militantisme associatif dont font preuve les jeunes Marocains (63%).
Famille, je vous aime
Partout les relations familiales sont jugées précieuses. L’importance des liens familiaux se retrouve dans la place que les jeunes accordent à la famille dans la construction de leur identité personnelle (88% au Maroc). Non seulement, ils accordent une grande importance à la famille mais les jeunes Marocains sont aussi satisfaits de leur propre famille (88%), au point qu’ils préfèrent passer du temps avec elle (93%) plutôt qu’avec leurs amis (81%). De même, la famille est partout perçue comme le fondement de la société. Parmi les différents aspects de l’existence, le fait de fonder une famille est celui qui correspond le plus à l’idée que les jeunes se font d’une vie satisfaisante, après le fait d’être en bonne santé. Au Maroc, fonder un foyer est un projet dans lequel se retrouvent 46% des Marocains. Par ailleurs, 86% accordent une grande importance à l’assentiment de leur famille dans le choix de leur conjoint.
Quand identité rime avec appartenances collectives
Avec la religion (92% des jeunes Marocains interrogés), la nationalité (87%) et le groupe ethnique (75%) constituent les trois piliers de l’identité marocaine. Ce lien avec la dimension collective se retrouve également avec force dans l’importance que ces jeunes accordent à l’humanité (88%) dans leur identité, loin devant la jeunesse européenne (79%).
L’importance de toutes ces appartenances collectives dans la construction de leur identité explique peut-être pour partie l’ambivalence des jeunes Marocains vis-à-vis de leur société. En effet, s’ils éprouvent avec une force particulière le sentiment d’appartenir à leur société (83%) - seuls les Indiens (89%), les Israéliens (84%), les Brésiliens (80%), les Chinois (79%) et les Mexicains (78%) se situent à un tel niveau - ils ne s’y sentent pas forcément à l’aise. Près d’un jeune Marocain sur deux (48%) dit avoir le sentiment que la société n’est pas tolérante avec des gens comme lui. Sur ce point, seule la jeunesse turque exprime un niveau de malaise plus élevé (53%).
Un malaise que l’on retrouve formulé dans l’intention des jeunes de quitter leur pays pour vivre ou s’installer à l’étranger. Avec la jeunesse roumaine, la jeunesse marocaine est celle qui affirme le plus fortement le projet d’émigrer. Invités à dire s’ils aimeraient vivre là où ils vivent actuellement, ailleurs dans leur pays ou à l’étranger, 29% des Marocains choisissent l’étranger. Un chiffre qui ne manque pas d’interroger, surtout s’il est corrélé aux 72% de jeunes Marocains reconnaissant n’avoir jamais quitté leur pays (un des plus forts taux du panel).
Des jeunes légitimistes
Au regard du Mouvement du 20 février, enclenché dans le sillage des soulèvements arabes et porteur de revendications prônant une monarchie parlementaire, ces résultats éclairent d’un jour nouveau le clivage qui semble s’opérer dans la société marocaine. Car nos jeunes se montrent fort légitimistes, bien plus que leurs aînés. Ce point pourrait d’ailleurs rassembler toutes les jeunesses du monde : elles se montrent légèrement moins défiantes que leurs aînés à l’égard des institutions politiques. Alors que Marocains et Israéliens affichent des taux record de confiance en leur gouvernement (60%), au Maroc, l’écart avec la génération précédente est particulièrement significatif (+ 15 points). Partout, l’armée recueille la confiance d’au moins 40% des jeunes. Au Maroc, ils sont 66% à lui faire confiance, 59% à faire confiance à la police et 60% à la justice. Avec 73%, les institutions religieuses apparaissent les plus crédibles. Quant aux médias, ils sont partout discrédités et la défiance s’exprime lourdement. Exception faite du Maroc où, avec 53%, nos médias sont ceux qui, dans le monde, inspirent le plus confiance à leurs concitoyens !
Une modernité peu assimilée
Loin devant les autres pays, les Marocains apparaissent comme les plus conservateurs en matière de sexualité hors mariage. Ils sont en effet 85% à ne pas la juger acceptable. De même, ils sont les plus nombreux à exprimer une gêne avec les personnes ayant une orientation sexuelle différente de la leur (40%). Comme ils sont, de loin, les plus rétifs à l’égalité des sexes puisque 50% d’entre eux n’ont pas retenu ce critère pour définir leur société idéale. Et que dire de cette société idéale où loi et ordre sont majoritairement revendiqués (65%), devant les libertés individuelles ?
Mais, et c’est peut-être là le plus rassurant, les jeunes Marocains restent non seulement optimistes vis-à-vis de leur avenir personnel (77%) mais aussi, et en opposition avec la plupart des pays du panel, vis-à-vis de celui de leur pays (67%).
Encadré méthodologique
L’enquête «2011, la jeunesse du monde3» a été conçue par la fondation pour l’innovation politique (Fondapol). Sa réalisation a été confiée au groupe TNS Opinion qui a interrogé 32 714 personnes sur la base d’échantillons nationaux comprenant 1000 individus âgés de 16 à 29 ans, ainsi qu’un échantillon supplémentaire de 300 individus âgés de 30 à 50 ans (destiné à permettre les comparaisons entre les jeunes générations et les plus âgées). Le questionnaire a été administré dans 25 pays et dans chacune des langues nationales, soit 20 langues au total. Il comportait 242 items. La collecte des données a été effectuée entre le 16 juin et le 22 juillet 2010. La méthode des quotas d’âge, de genre et de lieu d’habitation a été utilisée pour assurer une bonne représentativité des échantillons. Toutefois, l’enquête ayant été administrée via un questionnaire électronique, les échantillons des pays émergents sont davantage représentatifs des catégories les plus aisées de la population. Il est important de souligner que quelques questions jugées sensibles, portant sur les appartenances religieuses n’ont pas pu être posées au Maroc, «non pas en raison d’une quelconque censure mais d’un refus de répondre suffisamment massif pour nous conduire à retirer ces questions du questionnaire marocain», expliquent leurs auteurs
1 Il est important de préciser que sur l’ensemble des pays arabomusulmans, seuls la Turquie et le Maroc sont représentés dans le panel pour des raisons liées à la faisabilité de l’enquête
2 Les pourcentages cités représentent l’agrégation des réponses «tout à fait d’accord» et «plutôt d’accord»
3 www.fondapol.org/sondages/france-2011-la-jeunesse-du-monde