Medias et publicités discriminatoires : aux sources d’une inégalité par l’image

Medias et publicités discriminatoires : aux sources d’une inégalité par l’image

Pour beaucoup, la culture n’arrive que par la publicité sous forme d’allusion, de parodie et de déformation d’où son impact dans le maintien des stéréotypes servant de codes pour définir les personnes en fonction de leur classe sociale, de leur origine ethnique, de leur rôle dans la société et surtout en fonction de leur sexe.

Au Maroc, la question féminine est à la fois l’enjeu idéologique, éthique, politique et l’indicateur des mutations profondes et qui, en dépit des apparences, agite depuis longtemps la société marocaine. Néanmoins, nous mettons l’accent sur une discrimination toute particulière qui est celle des mass médias. La problématique qui se pose est de savoir comment les stéréotypes sexistes véhiculés par les médias sont un instrument perpétuant les inégalités et les représentations négatives envers les femmes dans la société, créant ainsi des obstacles qui freinent l’aboutissement à l’égalité économique entre les hommes et les femmes.

Alors que les femmes marocaines investissent tous les domaines de l’activité sociale, politique et économique, les médias, dans leur majorité, continuent de reproduire des conceptions fixées par le schéma de fonctionnement d’une société patriarcale, archaïque et machiste. Aux hommes et à leurs activités sont généralement associées les notions de production, d’ouverture, de force, de domination, de compétition, d’efficacité, de courage, d’importance, d’influence, de forte rémunération, de valeur et de reconnaissance sociale, politique et économique. Aux femmes, à l’inverse, sont attribuées l’impuissance, l’apathie, l’inaction, la faiblesse, la domesticité, l’inaction, l’inefficacité, la fragilité et la vulnérabilité. Elles sont reproductrices plutôt que productrices, dépendantes, féminines, consommatrices, passives et orientées sur la famille et la domestication.

Nous évoquons les publicités diffusées par le biais des supports médiatiques nationaux qui diffusent encore une image de la femme ménagère, dépendante, soumise subissant les violences conjugales, symboliques et toutes autres sortes d’agressivité. La publicité marocaine cantonne encore les femmes dans des rôles spécifiques aux femmes, illustrant par là des schémas traditionnels de femmes au foyer incapables de gérer les affaires économiques et politiques. Ces spots en question dégradent la lutte des femmes marocaines en faveur de l’égalité.

Les rôles féminins perpétués par les médias marocains

Nous soulignons un genre1 de publicité diffusée en permanence sur les chaînes marocaines depuis les années soixante jusqu’à nos jours limitant continuellement les femmes à certains rôles en leur collant des étiquettes de la femme ménagère, la femme au foyer (la maman), la femme objet et séductrice.

Dans la publicité représentant la femme ménagère2, les femmes passent leur temps à faire le ménage et à ne s’inquiéter que du choix de produits ménagers, à s’occuper de leur foyer et à embellir leur sphère domestique. L’analyse du discours utilisé dans cette publicité nous montre que celui-ci transmet des valeurs de domesticité et de soumission à l’autorité du mari. La présence de la mère qui vient en aide à sa fille évoque cette notion de femmes gardiennes de la tradition car, au lieu de remettre en question la violence exprimée par le mari, elle la cautionne en donnant à sa fille la solution pour le satisfaire en lui offrant un linge propre et bien repassé. Ni la mère, ni la fille ne contestent l’autorité et la dominance exagérées du mari ; cela évoque une valeur, celle de la patiente (sber). De surcroît, la mère relate indirectement son propre sort et inculque à sa fille cette patience. Cela accentue l’idée que la domination masculine et la soumission des femmes se transmettent d’une génération à une autre. Alors qu’en réalité et d’après certaines études sociologiques récentes, ces rapports de domination ne sont plus acceptés par les mères qui soutiennent au contraire leurs filles3. Cependant, encore aujourd’hui, certaines publicités4 ne dévoilent pas encore cette évolution dans les rapports de genre mais continuent à personnifier la belle-mère qui surveille de loin sa belle-fille effectuant des tâches ménagères (la belle-mère voulant vérifier si elle avait bien choisi la bonne épouse pour son fils). Une mère se doit de veiller au bien-être de son fils (le mâle) en lui sélectionnant la meilleure des femmes qui incarne encore toutes les valeurs traditionnelles. Ces mêmes valeurs sont transmises par une autre publicité dans laquelle le discours de la femme traduit d’autres attributs des femmes marocaines tels que les notions de la bonne ménagère (lhdaga), la face ou l’honneur (lwjeh). Dans ce spot5, la femme explique qu’un salon bien choisi fait l’honneur d’une femme (salonek houwa wejhek). En revanche, nous témoignons d’une certaine évolution dans les rapports de genre introduite dans les publicités marocaines. Ces dernières reflètent les changements sociétaux en présentant des spots qui cassent certains schémas ancestraux et dégagent clairement la déconstruction de certains rapports de pouvoir entre les deux sexes. Le couple dans cette publicité6 investit l’espace public et certains rôles sont inversés.

Dans la publicité représentant la femme au foyer ou la bonne maman, nous retrouvons le stéréotype de la fée du logis ou la reine du foyer dont la plus grande joie est de bien nourrir ses enfants. Elle est épanouie par la cuisine et la maternité. Elle7 est souvent affective et inquiète du bien-être de son bébé en lui changeant les couches mais elle est également douce et souriante devant son enfant couvert de boue et face aux dégâts qu’il fait8. Ces images stigmatisent le sexe féminin dans ces rôles domestiques. La publicité transmet le rôle traditionnel que la société attribue aux femmes. En effet, dans notre société marocaine, les femmes doivent être d’abord et avant toute chose de bonnes mères qui protègent et prennent soin de leurs enfants tout en leur offrant tout l’amour et le bien-être du monde ainsi qu’un foyer chaleureux. De ce fait, le cliché transmis par les spots publicitaires est : papa travaille et rapporte l’argent pour subsister aux besoins de la famille pendant que maman reste à la maison pour s’occuper des enfants, faire la cuisine et le ménage. En outre, la publicité évoque les femmes sous certains aspects comme mères de familles souvent accompagnées d’enfants mais très peu de publicités véhiculent le rôle de la femme dans le domaine économique. Nous voyons rarement les femmes marocaines dans le monde du travail. Cependant, elles occupent souvent des emplois subalternes et leur travail est moins valorisé ; dans ces conditions, la rémunération et la reconnaissance qui leur sont accordées sont moindres. Quant à son image active, elle est invisible. En effet, ces stéréotypes qui visent une manipulation mentale, découlent de deux fausses hypothèses sur lesquelles est basé le patriarcat : la prétendue infériorité biologique et intellectuelle des femmes et leur passivité et faiblesse.

L’image de la femme objet et la femme séductrice est aussi exaltée dans nos publicités9. Les femmes sont chosifiées, réduites à un simple corps, un objet de fantasme, de tentation, de désir mais aussi du péché. Le corps féminin est mis en avant pour cacher l’esprit des femmes, leur potentiel et leurs capacités intellectuelles et rationnelles. Ces spots montrent aussi que le seul souci des femmes est leur bien-être physique et la beauté de leur corps. Elles sont représentées seulement comme consommatrices des produits qui vont servir à conserver leur féminité et entretenir leur sexualité pour plaire aux hommes. Elles n’ont aucun rapport avec la production et le monde de l’économie.

Le fait de chosifier et instrumentaliser le corps des femmes montre que ce dernier est représenté dans la conscience collective comme un moyen pour vendre mais non pour produire. Ceci est une dangereuse instrumentalisation de la femme qui n’est pas sans conséquence sur sa propre considération au sein de notre société. La féminité est utilisée pour nourrir le matraquage publicitaire. Dans l’imaginaire collectif, des notions comme consommation, beauté et apparence sont liées aux femmes. En revanche, des termes comme production, force et travail sont liés aux hommes. C’est d’autant plus alarmant que les femmes qui sont choisies pour jouer dans ces publicités sont des actrices qui ont une certaine renommée et qui ont comme credo la conscientisation de la société sur un certain nombre de problèmes sociaux dont la victime est souvent la femme. Ceci implique, paradoxalement, que les médias agissent avec une arme à double tranchant.

Dans les médias, les femmes ne sont pas représentées comme valeur fondamentale, mais comme valeur commerciale10. Les femmes ne sont pas saisies comme une entité spirituelle et humaine, mais comme une masse physique et organique de pulsions et de désirs à stimuler. C’est bien là le problème des médias et du marché, qui considèrent l’ensemble humain, en particulier les femmes, comme des moyens : moyen d’augmenter l’audimat, moyen de vendre des objets, moyen d’augmenter son pouvoir en manipulant l’opinion publique.

Les rôles masculins perpétués par les médias

Si les représentations sexistes enferment et conditionnent les femmes, elles empêchent aussi les hommes de sortir des schémas sociaux et patriarcaux, car chaque stéréotype sur les femmes entraîne un stéréotype sur les hommes. De ce fait, les hommes représentés dans la publicité marocaine reproduisent les mêmes rôles stéréotypés. Le personnage masculin apparaît dans différents milieux avec différentes occupations. L’homme est souvent en compagnie des hommes, et c’est là où se manifeste avec le plus d’intensité l’identité masculine, caractérisée par la camaraderie et la vie en groupe. L’homme dans les publicités est sportif, travailleur, toujours actif. Les hommes sont la plupart du temps montrés dans des publicités des marques d’automobiles, ce qui valorise leur liberté et leur indépendance. Ils sont dans des sphères publiques telles que les lieux de leur travail où l’homme11 est présenté, par exemple, comme un médecin qui conseille à une maman le meilleur produit à donner à son fils pour bien nourrir ses os. Une autre publicité12 montre un homme avec son conseiller dans une banque. Ce genre de publicité diffuse encore l’idée que c’est l’homme qui gère la finance, contracte un prêt et conclut une transaction immobilière13. Quand la publicité présente l’homme dans le foyer, il s’agit souvent d’un homme évitant les soucis familiaux, qui cherche à trouver le calme et la sérénité en entrant chez lui après une journée de travail à l’extérieur14.

La publicité sexiste appuie globalement le système patriarcal qui renferme l’action des femmes à la sphère privée (sphère domestique), et réserve aux hommes l’action dans la sphère publique, politique et économique : ce sont toujours les hommes qui travaillent à l’extérieur du foyer pour subsister à tous les besoins de la famille. Ceci renforce l’imaginaire social sexiste, qui fait que les hommes jouissent d’une supériorité symbolique puisque, d’après cet imaginaire et par le biais de cette mentalité alimentés continuellement par les médias, ce sont toujours et seulement les hommes qui assument et assurent les responsabilités économiques.

Les mesures pour améliorer l’image de la femme dans les médias

Au Maroc et depuis le lancement du Projet mondial de monitorage des médias en 1995, quelques instances se sont mobilisées en faveur de l’amélioration de la représentation des femmes auprès des médias. Il s’agit d’instances de régulation et de contrôle des contenus médiatiques qui ont pour rôle de recueillir les plaintes concernant les atteintes faites à l’image des femmes dans les médias. La Haute Autorité de la communication audiovisuelle (HACA), par exemple, a été saisie à plusieurs reprises par les organisations de la société civile pour statuer sur les dérives des produits médiatiques.

Le Maroc a mis aussi en place une déontologie destinée à rendre justice à la femme, et permettant de définir les formes et les procédures en vertu desquelles les médias marocains doivent traiter la femme. Cela s’est concrétisé par l’adoption de la Charte nationale pour l’amélioration de l’image de la femme dans les médias. En outre, la création d’un Observatoire marocain pour l’amélioration de l’image de la femme dans les médias est appelé à donner son avis et son appréciation de l’image de la femme présentée dans les médias, lesquels pourront être poursuivis en justice en cas de dénigrement et de discrimination à l’encontre des femmes.

Les médias et le tissu associatif

Au Maroc, la société civile signale aussi les représentations médiatiques négatives des femmes, identifie les médias responsables et aide ainsi à la correction de ces dérapages médiatiques. Elle s’est basée sur le monitorage des médias ou la veille médiatique qui consiste à analyser les contenus de différents supports d’informations afin de donner une photographie précise du traitement médiatique réservé à la représentation des femmes dans certains médias. La Ligue Démocratique pour les Droits de la Femme (LDDF), par exemple, a déposé en 2009 une plainte auprès de la HACA suite à la diffusion du spot publicitaire pour un détergent. Elle estimait que le spot en question dégradait la lutte des femmes marocaines en faveur de l’égalité. L’organisation a publié un communiqué de presse sous la forme d’un plaidoyer adressé au président de la HACA.

D’autres associations ont aussi œuvré pour contrer les messages stéréotypés des femmes marocaines véhiculés par certains médias arabes et même étrangers. Elles ont débattu de la campagne qui vise les femmes marocaines dans les feuilletons et les sitcoms arabes. Cette situation a suscité une levée de boucliers chez l’Union de l’Action Féminine (UAF) qui s’est indignée contre cette campagne, et l’a qualifiée de complot ourdi par des parties rétrogrades, baignant dans le conservatisme et ayant du mal à apprécier à leur juste valeur les acquis du Maroc en matière de promotion des droits de la femme. Pour l’UAF, présenter une image erronée de la femme marocaine et de surcroît ne reflétant aucunement la réalité, illustre le caractère purement mercantile et de mauvaise facture de certaines productions artistiques ayant pour seul objectif la réalisation de gains aux dépens de la dignité de la femme. L’image médiatisée des femmes ne reflète pas encore les changements opérés dans la société.

Exemples de quelques évolutions : vraie évolution ou reproduction des rapports de genre ?

Ce qui est à souligner dans ces publicités c’est que le discours paralysant et les représentations figeant les femmes dans les moules de la domestication n’ont pas pour autant changé mais nous soulignons une certaine évolution dans la conception des spots publicitaires15. Nous remarquons actuellement la présence des hommes dans les publicités réservées aux femmes ménagères. En revanche, ils ne sont pas présents en tant qu’acteurs impliqués dans ces tâches ménagères, mais seulement en tant que producteurs de solutions miracles pour les femmes, leur venant en aide pour résoudre leurs problèmes de ménage au quotidien. Néanmoins, les publicités au Maroc prennent en compte les transformations sociales. Nous notons dans certaines publicités que la famille traditionnelle n’est désormais plus la norme. Les familles sont dorénavant plus complexes. Les publicitaires dévoilent des scènes où la mère est absente ; nous sommes, peut-être, face à une autorité masculine dissimulée, ce qui a cédé la place à une injonction à la participation des pères. L’homme en famille occupe une place importante également, mais le stéréotype du chef de la famille persiste toujours. De même, certaines valeurs positives, telles que le partage et la participation au sein de la famille ont vu le jour. On retrouve l’homme en compagnie de la femme et les dynamiques des relations homme-femme16.

Conclusion

Les médias dans ce sens ne font que suivre les idées. Ce n’est que dans le cas d’une vraie volonté politique que les médias pourront faire office d’une responsabilité sociale et commenceront à jouer un rôle capital dans le façonnement de nouvelles idées mettant en avant une image positive des femmes loin des stéréotypes, prônant ainsi la vraie identité des femmes. En effet, les médias sont le lieu de rencontre de toute la société et c’est ce qui fait d’eux un moyen rapide, efficace et incontournable pour le changement des mentalités et des idées préétablies par des réalisations artistiques comme les publicités, les feuilletons, le cinéma et les sitcoms ; ils véhiculeront alors une image positive et réaliste des femmes : celle des femmes travailleuses, compétentes économiquement et politiquement, capables d’occuper des postes influents comme leurs partenaires masculins.

 

1.     Les choses n’ont pas vraiment changé. Notez que ce genre de publicité − et pour ces mêmes produits − remonte à 1969. Nous retrouvons ces mêmes thèmes représentant les femmes au foyer faisant la réclame de ces mêmes produits en 2014.

2.     http://www.youtube.com/watch?v=SxgazmIsoDo&list=PLF1801E9CC269A6D0&index=8 : publicité pour Tide datant de 1969.http://www.youtube.com/watch?v=sTjzbp1__iE : publicité pour Tide datant de 1993.
http://www.youtube.com/watch?v=6ZAtHaHVfKo : publicité pour levure Idéal datant de 1994.

3.     Bouasria Leïla (2013). Les ouvrières marocaines en mouvement. Qui paye ? Qui fait le ménage et qui décide ? L’Harmattan.

4.     http://www.youtube.com/watch?v=fdTK8dJacp4 : publicité pour la farine Fandy 2011.

5.     http://www.youtube.com/watch?v=ElLxBIDwvdA : vidéo spot Albasma 2013.

6.     http://www.youtube.com/watch?v=G4BDfDFmM0M : publicité Maroc Telecom 2013.

7.     http://www.youtube.com/watch?v=hOdnpSIvLSo : publicité pour les couches Dalaa 2012.

8.     https://www.youtube.com/watch?v=VcXZ9XRxYR4 : publicité pour Omo Matic.

9.     http://www.youtube.com/watch?v=0lYgMgmQhKU : publicité pour Maroc Telecom.

10.   http://www.youtube.com/watch?v=0pVi8rcP0-I : publicité pour Maroc Telecom 2012.

11.   http://www.youtube.com/watch?v=Da7QiPjK0Go : publicité pour le yaourt Danino.

12.   http://www.youtube.com/watch?v=e1LSVGnGq9s : publicité pour Wafacash.

13.   http://www.youtube.com/watch?v=69CvatlfBtA : vidéo spot Addoha, 2013.

14.   http://www.youtube.com/watch?v=ifC4olyQqlI : publicité pour les couches Dalaa 2011.

15.   http://www.youtube.com/watch?v=wL1TMN-MLdk : publicité pour Omo.

                16.   http://www.youtube.com/watch?v=G4BDfDFmM0M : publicité Maroc Telecom 2013.