Les pratiques de coordination chez les autres

Les pratiques de coordination chez les autres

Les politiques publiques se déclinent souvent sous un aspect stratégique et se définissent par des actions coordonnées, mises en œuvre par des institutions et/ou des administrations pour faire évoluer ou modifier une situation. Elles utilisent un ensemble de moyens pour agir avec efficacité sur des variables structurelles ou conjoncturelles dans la perspective de réaliser des objectifs préalablement identifiés. Ces variables peuvent se situer au carrefour de plusieurs domaines, acteurs et motivations. Elles peuvent concerner, sans être exhaustif, l’infrastructure, l’environnement, la santé, la jeunesse, la famille, le logement, l’emploi, la formation professionnelle, la recherche, la fonction publique, la crise, la retraite, le déficit, etc. La diversité des situations et la pluralité des acteurs rendent nécessaires la coordination de l’action pour éviter les gaspillages découlant des redondances ou des contradictions.

Un benchmark des pratiques de coordination des politiques publiques ne peut être que réduit. La coordination des politiques publiques change d’un pays à un autre mais elle change d’autant plus à l’intérieur d’un même pays en fonction des élites politiques au pouvoir, de la nature des problèmes, économiques ou sociaux, nationaux ou locaux. Les pratiques de coordination changent aussi en fonction des époques puisque les contextes sociopolitiques et technologiques sont en changement constant. Au Canada, la coordination est conduite dans les années 70 sous la responsabilité d’une structure centrale renforcée1. Critiquée sur le plan des résultats et sous l’impulsion des décentralisations des responsabilités opérationnelles, la coordination a changé pour donner lieu à des mécanismes spécifiques de coordination horizontale. En 2000-2001, la question des politiques publiques a refait surface pour faire l’objet de nouvelles approches de planification, de coordination, de contrôle… en créant de nouveaux groupes de travail dits « sous-ministres »2.

Un benchmark peut s’avérer utile dans la mesure où il permet aux décideurs de s’en inspirer pour mettre sur pied des stratégies gagnantes, éviter les erreurs commises dans d’autres contextes sans chercher à implémenter chez soi des pratiques venant d’ailleurs. Le mimétisme dans ce domaine peut présenter une certaine dangerosité quant aux résultats espérés.

Yves André Fauré3, traitant des relations entre l’État central et les pouvoirs périphériques brésiliens, notamment locaux, évoque la redoutable question de la non-coordination des actions des acteurs qui souvent se transforme en un véritable obstacle au développement local, objectif des politiques publiques à l’instar de la lutte contre la criminalité. Pour Fauré, cette non-coordination a été rendue possible par la fragmentation des pouvoirs et le jeu partisan brésilien changeant au gré des circonstances.
« La fragmentation des pouvoirs dont ont à pâtir les politiques publiques, fussent-elles spécialement limitées et destinées aux périmètres locaux, est en outre alimentée par le nomadisme partisan et la non-transitivité des alliances politiques qui caractérisent le système politique brésilien ». L’exemple cité par Fauré montre bien que l’absence de coordination peut devenir un facteur de contreperformance d’une politique publique. L’intérêt paraît évident. Dans le cas de la coordination des politiques, il est aujourd’hui admis qu’il est devenu extrêmement difficile sinon aléatoire de prétendre à la rationalisation des décisions par une pratique de coordination si les instances dirigeantes n’arrivent pas à faire adhérer toutes les parties prenantes aux principes de la politique publique envisagée.

L’intérêt de la coordination a également été souligné dans le cadre de la politique de la réforme de l’État entamée en Allemagne après la réunification. En décembre 1999, le Chancelier Schröder avait lancé le programme Moderner Staat - Moderne Verwaltung, qui devait être conduit par le ministre de l’Intérieur et dont la coordination a été confiée à une cellule administrative : « ce programme s’applique au seul niveau fédéral, même si le concept d’« État instigateur » ou « État activateur » doit permettre de susciter un mouvement de modernisation à tous les niveaux administratifs. Il s’agit clairement, pour l’État fédéral, de recentrer ses domaines d’intervention, tout en déléguant l’exercice de certaines missions »4.

En France, modèle-type du pays se caractérisant par la présence de politiques publiques visant les équilibres et la modernisation des services publics, la coordination au même titre que l’évaluation occupe une place prépondérante dans la mise en œuvre des politiques publiques. Plusieurs instances supérieures centralisées ou décentralisées jouent ce rôle de coordination. Ces différentes missions de coordination découlent de la volonté de réformer l’État pour répondre à des exigences manifestées par les environnements nationaux et internationaux. Tous les rapports sur les politiques publiques soulignent l’impérative concertation entre les parties prenantes pour asseoir les conditions nécessaires à la réussite d’une politique publique5. La concertation est entendue ici dans le sens de la coordination entre les différents acteurs pour faire réussir cette politique. La coordination et l’évaluation des politiques publiques doit tenir compte des cultures nationales6 et des contextes globaux dans leur mise en œuvre.

L’Australie a également instauré des routines de coordination dans le domaine des politiques publiques par l’entremise de comités interministériels7. La Nouvelle-Zélande a révisé en profondeur les rôles et les fonctions du gouvernement central et favorisé le développement d’initiatives horizontales à caractère coopératif. La coordination des politiques publiques est assurée par le bureau du Premier ministre, principalement par la planification stratégique des résultats à atteindre à moyen et long terme8.

Partout la coordination découle de la volonté des décideurs d’assurer une adéquation entre les résultats obtenus et les objectifs poursuivis lesquels peuvent être financiers, sociaux, sociétaux, environnementaux ou politiques. La mise en œuvre suppose que des alternatives ou des solutions ont été trouvées au préalable. L’approche classique admet que les décideurs adoptent des raisonnements logiques pour trouver des solutions adaptées à des problèmes préalablement identifiés. J.G.Marsh9 n’est pas de cet avis, il dénonce le côté mythique de la décision rationnelle. La décision ne se prend pas toujours selon le processus « nous avons un problème, voilà la solution ». Selon lui, les décideurs vont puiser des solutions préexistantes pour les faire concorder à des problèmes.

Au lieu de solutions à des problèmes prédéfinis, nous aurons des problèmes à des solutions prédéfinies. Ceci nous rappelle le cas de certains pays, toute proportion gardée, qui pour trouver des solutions à certains de leurs problèmes vont chercher dans les poubelles des autres. Ils font concorder des solutions préexistantes, trouvées dans d’autres contextes, pour les faire concorder à des problèmes imposés par leurs propres contextes, qui sont par essence différents. On se retrouve dans le cadre du modèle de la poubelle lorsque l’on pense au « comment » avant de penser au « pourquoi », et que l’on passe très rapidement à la mise en œuvre10 avant de bien étudier le pourquoi.

La coordination des politiques publiques connaît depuis quelques années une pratique de plus en plus large et de plus en plus diversifiée. Elle a migré de l’espace purement économique pour rejoindre et occuper l’espace politique.

Dans les années 70, l’analyse des politiques publiques était centrée sur la rationalité des choix et de la planification budgétaire. Des outils de mesure avaient été utilisés à cette fin. On avait eu recours, aux États-Unis, au Planning Program main Budgeting System (PPBS) et en France à la Rationalisation des Choix Budgétaires (RCB). Les économistes se sont appropriés ces approches en négligeant les aspects sociaux, tant en termes de coûts qu‘en termes d’avantages, difficilement mesurables. La crise financière des années 80 et l’approfondissement de la démocratie dans plusieurs régions du monde avaient réussi à transformer l’usager de l’administration en client de l’administration et à mobiliser plusieurs autres savoirs, comme la science politique, la science administrative, la sociologie, etc. Ce sont des disciplines, initialement écartées du champ des politiques publiques, qui vont occuper le terrain pour comprendre la motivation de l’usager client qui s’est transformé avec le temps en usager électeur, capable de faire et de défaire des gouvernements. Les gouvernements tiennent désormais compte de cette dimension dans le choix des alternatives qui s’offrent à eux pour résoudre des problèmes imposés par les contextes économiques et sociaux et/ou imposés par le corps électoral en réponse à certaines de ses priorités. Les gouvernements des démocraties européennes sont conscients que l’une des solutions à la crise est de recourir à des politiques publiques de rigueur ou d’austérité, mais ils sont incapables de les mettre en œuvre par peur de déplaire à leur base électorale.

Notre tour du monde des systèmes de coordination nous incite à considérer que donner à tout dispositif de coordination la chance de réaliser les objectifs escomptés, c’est confier son leadership à des institutions ou des personnes choisies pour leur capacité à mobiliser, fédérer et gagner la confiance des institutions ou des personnes dont il faut coordonner les actions. Partout où des réformes sont envisagées, la recherche de leaders capables d’accompagner efficacement l’action publique ou privée devient une exigence préalable au succès de tout projet de coordination.

 

 

Burlone Nathalie (2001), Impact de la coordination interministérielle sur l’élaboration des politiques publiques, Thèse présentée à l’ENAP, Québec.

Burlone Nathalie, op.cit.

Fauré Yves-André (2005), « Des politiques publiques décentralisées, entraves au développement local, expériences brésiliennes », Revue Tiers Monde 1 - n°181, Éditions Armand Colin, Paris, pages 95 à 118.

Sénat, session ordinaire de 2000-2001, Rapport d’information : « Étude comparative sur la réforme de l’État à l’étranger », par Gérard Braun.

Programme de l’OCDE pour la construction et l’équipement de l’éducation, Séminaire international sur les infrastructures éducatives, Guadalajara, Jalisco, Mexique, 24 - 27 février 2002.

Philippe d’Iribane (2009), L’Épreuve des différences : l’expérience d’une entreprise mondiale, Éditions Seuil, Paris.

Rapport du sénat français, op.cit.

Burlone Nathalie (2001), Impact de la coordination interministérielle sur l’élaboration des politiques publiques, Thèse présentée à l’ENAP, Québec.

March, J.G. (1988), Decisions and Organisations, Oxford: Basil Blackwell, New-York.