La Médiocratie, le livre d’un philosophe
Auteur : Alain Deneault
Cela faisait longtemps qu’un auteur ne nous avait pas directement commandé de faire quelque chose ! C’est fait : Alain Deneault réinvente, dans la Médiocratie, l’Invective aux lecteurs. « Rangez ces ouvrages trop compliqués, - assène-t-il, en premier lieu, car… les livres comptables feront l’affaire. Ne soyez ni fier, ni spirituel, ni même à l’aise, vous risqueriez de paraître arrogant. Atténuez vos passions, elles font peur. Surtout, aucune « bonne idée », la déchiqueteuse en est pleine ».
L’expression veut que ce soit à la fin que l’on sorte sonné, d’un livre. Pas au début. Mais la Médiocratie appartient à cette catégorie, devenue rare, de livres qui d’emblée, nomment leur ennemi. On avance donc dans la Médiocratie comme sur un champ, spécialement miné pour la Novlangue ; un théâtre des opérations où se joue la dernière vraie guerre, celle des mots.
Ainsi Alain Deneault mène-t-il cette guerre comme une véritable bataille dont les rues seraient les interminables rayonnages de bois lustrés des grandes bibliothèques de l’establishment. Là où l’auteur est allé extorquer leurs aveux savamment cachés aux document de première main, rapports de commissions, enquêtes parlementaires, etc. Toute cette littérature supposée n’être que le produit de la distance analytique, d’où serait bannie toute forme de subjectivité, mais qui en vérité écrivent sans cesse le nouveau lexique de la domination du monde.
De fait, la Médiocratie n’est pas un essai écrit par un philosophe du concept, mais philosophiquement et moralement dictée par la volonté de faire jaillir la violence d’apparence objective qui se cache dans le discours des institutions les plus universelles, les plus démocratiques du monde. Tels les universités et leur discours de l’excellence, les institutions entièrement vouées au développement, mais aussi les centres de recherche que l’on dit indépendants.
Car en vérité, qui peut nier que cela soit désormais dans un département d’Economie, payé avec les impôt des démocraties les plus libérales que se préparent les esprits les moins prêts, les moins libres, non plus formés, mais entièrement formatés par les besoins du Marché. Là où l’on trouve des étudiants auxquels on enseigne une essentielle incapacité : celle de lutter contre la dévastation programmée du savoir.
Personne, bien sûr, pour contredire cette nouvelle évidence. Et tout le monde. Car ce désastre, s’il s’apprend sagement, et porte encore le nom d’Education, vaut contre employabilité sonnante et trébuchante. Oui, la puissance d’un capitalisme qui a définitivement rompu avec le Travail est bien qu’il menace, sans jamais être violent. Ne rien dire, donc, si l’on veut une place en entreprise. Quant à ceux qui voudrait être des savants, libres et responsables, qu’ils deviennent plutôt de bons, d’utiles experts et ils jouiront d’une hégémonie presque sans limite.
Oui, l’Expert. Nouvelle figure, centrale de la médiocratie. L’expert, qui est celui dont la pensée n’est jamais la sienne en propre… Mais bien celle d’un ordre mû par des considérations de type idéologique que ce dernier - c’est là sa seule compétence, outrageusement payée -, se doit de transformer en savoirs purs. L’expert, cet individu qui agit dans un cadre strictement fonctionnaliste. L’Expert, qui n’aime pas ce dont il parle.
Il y a du Nietzche, bien sûr, dans la Médiocratie. Lisez plutôt, on croirait Aurore ou l’Antéchrist : «La principale compétence d’un médiocre ? Savoir reconnaître un autre médiocre. » « Ne produit pas du moyen qui veut. » « La médiocratie ne relève pas de la pure incompétence. On ne veut pas d’incapables. »
Conclusion essentielle de la Médiocratie. Celle-ci procède par transfiguration aussi bien du Savoir, que de la Citoyenneté, de l’Economie, etc. Sa puissance semble désormais être bien supérieure à celle du biopouvoir. Cette presque trop vieille, ou devenue banale discipline des corps. Non, en Médiocratie, c’est bien d’un véritable dressage des idées qu’il est question. Dont la finalité est de convaincre d’une chose : la nécessité de jouer le jeu. Or jouer le jeu, c’est justement ce que les philosophes ne veulent pas faire. Comme Alain Denault.
Par : Driss Jaydane
La médiocratie de Alain Deneault