La gouvernance judiciaire

La gouvernance judiciaire

Pour les auteurs du Livre blanc sur la gouvernance européenne la notion recouvre « les  règles, les processus et les comportements qui influent sur l’exercice des pouvoirs (…) particulièrement du point de vue de l’ouverture, de la participation, de la responsabilité, de l’efficacité et de la cohérence ».  

La gouvernance  publique constitue un facteur de modernisation des Etats dans le contexte de la libéralisation économique et de l’universalisation des droits de la personne. Elle a pour finalité de conforter la confiance politique, d’améliorer l’efficience institutionnelle et de renforcer la reddition des comptes de la part des détenteurs d’un mandat public. C’est pourquoi ses leviers sont constitués par la transparence, la prise en compte de tous les intérêts en jeu et la cohérence des politiques publiques.

Compte tenu du rôle qui est dévolu au service public de la justice dans la résolution des litiges, la réparation des préjudices et le maintien de l’ordre public, son bon fonctionnement est essentiel  pour le maintien de la paix sociale et l’environnement des affaires. Mais l’autorité judiciaire joue également un rôle constitutionnel fondamental pour la consolidation  de l’Etat de droit et l’édification de la démocratie. Les rapports qu’elle entretient avec les pouvoirs législatif et exécutif sont consubstantiels de sa gouvernance qui repose également sur l’aptitude des lois  à répondre aux besoins sociaux et sur la qualité des autres institutions publiques..

L’articulation de la gouvernance judiciaire à la gouvernance politique l’empêche  d’émerger de manière autonome. La discrétion et la prudence qu’elle suscite ne sont pas sans rapport avec la volonté de maintenir  l’autorité judiciaire en dehors des débats et des passions politiques. Cette attitude s’avère d’autant plus fondée que c’est le pouvoir politique qui assume la responsabilité de son fonctionnement. Mais à mesure que la  gouvernance publique progresse, les rôles et les responsabilités subséquentes se précisent et impose à la justice autant qu’aux autres services publics de rendre compte de son fonctionnement et de contribuer efficacement à l’action publique.

L’engagement de la réforme de la justice marocaine au milieu de la dernière décennie et le retour de la question au devant de l’actualité depuis deux ans en sont l’illustration. C’est le rapport de  la Banque Mondiale de 1995 qui été le déclencheur de la politique de mise à niveau pour accompagner l’ouverture économique. Ciblant en priorité l’environnement des affaires, celle-ci s’est portée rapidement s’est portée dès  1997, sur le domaine judiciaire pour s’insérer l’année suivante dans une « transition démocratique »  permettant de donner aux objectifs de mise à niveau une finalité de gouvernance publique. Le ministre chargé de conduire la réforme de la justice l’a exprimé en ces termes en 2003 :   « le succès de cette entreprise tient aussi à la capacité de la justice à accompagner et à soutenir la mise à niveau globale de la société. Dans le processus de changement politique, économique, social et culturel en cours, la justice se trouve propulsée en première ligne et sommée de s’acquitter de nombreuses missions nouvelles et d’assumer de lourdes responsabilités inédites. Du jour au lendemain et sans la moindre préparation préalable, la justice s’est retrouvée à la croisée des chemins qui commandent les évolutions en cours avec pour mission de contribuer à la réussite globale de la société en plaçant le droit à la place qui lui revient dans le nouvel ordre en construction et en assurant en toutes circonstances la prééminence de la loi (…) (O. Azziman, 2002).

L’intégration de cette réforme dans le programme du « gouvernement d’alternance »  ne doit toutefois prêter à aucune équivoque.  Comme le rappelle le secrétaire général de  ce même département, « le projet de réforme a été établi par le ministère de la justice et  approuvé par le Roi avant d’être adopté par le gouvernement ».  Si elle contribue  à la modernisation de l’Etat et de l’environnement économique, elle ne relève pas pour autant de la responsabilité du gouvernement et ne s’inscrit pas dans l’agenda de la « transition politique ».

Ainsi appréhendée, elle pouvait difficilement donner lieu à un débat public et encore moins prétendre aborder les rapports institutionnels qui structurent l’ordre juridique et déterminent ses rapports avec les autres pouvoirs.  Les objectifs qui lui ont été fixés sont constitués par   « la réhabilitation et la  modernisation de la justice » . Elle est appelée à rétablir le crédit de la justice, notamment à l’égard du monde des affaires et à améliorer l’efficience institutionnelle de l’appareil.  Son bilan quinquennal à ces deux niveaux a été jugé satisfaisant, notamment par la Banque Mondiale qui a suivi de près toute la réforme. Mais le retour des préoccupations sécuritaires a accéléré la fin de « l’alternance politique » et donné à la politique judiciaire d’autres priorités.

L’attribution en 2008 de la mission de réformer la justice à une personnalité politique donnait à penser qu’elle devait être entreprise cette fois-ci dans une perspective de gouvernance judiciaire. Mais aussi bien la manière avec laquelle le projet a été conduit que le produit qui en a résulté,  indiquent qu’elle s’inscrit dans la continuité des aménagements précédents en visant essentiellement  les procédures, les installations  et les conditions de travail de la magistrature. La nomination d’un nouveau ministre pour reprendre le projet ainsi que la discrétion qui entoure ses travaux confirment que la réforme reste captive des arcanes et que faute de pouvoir anticiper la volonté royale, elle risque de demeurer limitée aux aménagements institutionnels.

Dans un tel contexte la transparence du processus n’est pas à l’ordre du jour et la participation des parties prenantes risque de générer des frustrations futures inutiles. Les contraintes qui pèsent sur la réforme de la justice marocaine sont celles-là même qui ont fixé comme limites historiques à sa modernisation, sa subordination structurelle au pouvoir politique  (1ère partie). La conception de sa réforme dans le respect des structures qui bloquent son émancipation à l’égard de l’autorité politique peut améliorer de manière partielle son efficience institutionnelle (2ème partie) mais la poursuite de la gouvernance judiciaire ne peut se concevoir que dans une stratégie clairement déclinée de  gouvernance publique globale (3ème partie).

1- La genèse d’une justice passive  et contestée

Le système juridique et juridictionnel actuel trouve ses premiers repères dans le droit et les institutions judiciaires miss en place progressivement par le protectorat. Au cours de la première décennie de l’indépendance, son aménagement s’est poursuivi d’abord par des mesures pragmatiques destinées  à remembrer son assise territoriale et à refonder son dualisme normatif,  puis par une mesure d’unification conduisant à la marocanisation immédiate des personnels et à l’arabisation immédiate de la justice.

Jusqu’à  l’installation du protectorat, le pluralisme judicaire et législatif mettait en compétition d’un côté les juridictions consulaires qui appliquaient à leurs ressortissants et protégés marocains  le droit du pays qu’ils représentent et d’un autre côté, les juridictions nationales elles-mêmes constituées des tribunaux du cadi censées  appliquer la loi islamique, ceux  du makhzen (caïd et pacha) et les tribunaux coutumiers. Par le traité du protectorat, la France s’est engagée à introduire les réformes judicaires, administratives et économiques qu’elle jugerait nécessaires. Elle s’est employée à obtenir la renonciation des autres pays à leurs privilèges de juridictions en leur offrant un ordre juridique et juridictionnel « moderne ». Les Marocains ne devaient en relever que  pour autant que l’autre justiciable était une administration publique du protectorat ou une partie étrangère. Par contre, dans leurs rapports respectifs, ils continuaient de relever des tribunaux nationaux. Le protectorat espagnol s’est inspiré de ce modèle, tandis que la ville de Tanger a produit ses propres lois et juridictions.

La  modernisation du droit et de l’appareil judiciaire s’est faite ainsi au moindre coût politique et financier, en limitant leur champ au peuplement colon qui était à 80% urbain. Des codes et une législation ont immédiatement été adoptés pour organiser une nouvelle économie, permettre la mainmise de la puissance publique sur les ressources naturelles (eau, forets, mer mines, domanialité) et  faciliter l’appropriation des terres par les étrangers (lots de colonisation et régime de l’immatriculation foncière doté de l’effet de purge des droits antérieurs).  Grâce à l’expérience acquise dans les autres pays du Maghreb et au transfert des ressources humaines, quelques années ont suffi pour mettre en place une structure judiciaire fonctionnelle avec ses corps de magistrats, d’auxiliaires de justice et une documentation appropriée constituée de jurisclasseurs, de codes commentés et de revues spécialisées.

 L’examen des effectifs de l’ordre judiciaire et des affaires portées devant les tribunaux modernes jusqu’à l’indépendance, donne à penser que le contentieux judiciaire demeurait limité, en raison tant de la faiblesse relative du peuplement européen que du rôle actif joué par l’administration territoriale dans le règlement des affaires à caractère public. Il semble confirmer aussi que même si les Marocains devaient relever de ces juridictions au rythme de leur intégration à l’économie coloniale, leur condition économique et sociale ne permettait par l’exercice effectif des droits à une bonne partie d’entre eux, tandis que les affaires relevant du statut de la famille et des immeubles  non immatriculés continuaient de relever des juridictions traditionnelles.

Le recouvrement de l’indépendance a imposé, en amont la création d’une cour suprême (1957) et en aval l’intégration en une seule structure des systèmes judiciaires des trois zones du protectorat,  en maintenant toutefois deux pôles  respectivement pour les juridictions dites chérifiennes  et les tribunaux modernes. La loi d’unification de 1965 a eu pour effet de fusionner cette dualité en un seul ordre judicaire doté à la base de tribunaux du sadad et régionaux, ces derniers faisant également office de  juridictions de second degré  aux premières  et à un niveau supérieur, de cours d’appel au sein desquelles ont été greffées les chambres criminelles. Elle a aussi décidé la marocanisation de la justice et son arabisation avec généralisation du droit anciennement applicable auprès des juridictions françaises.

C’est dans le contexte de l’une pénurie de cadres nationaux face à l’immensité des besoins créés par l’indépendance et aggravés par la crise des relations franco-marocaines en  1965 que le département de la justice était sommé de se structurer à la hâte et de parer aux besoins immédiats ouverts tant à la Cour suprême que dans les nouvelles juridictions.  La promotion  des anciens auxiliaires de justice et le recrutement  de lauréats des établissements d’enseignement du fikh , ont constitué le premier vivrier, avant que la Faculté de Droit de Rabat ne commence à alimenter un Institut d’Etudes Judiciaires, créé pour doter les candidats   à la magistrature d’une formation assurée principalement par les magistrats en exercice dont les qualifications étaient souvent rudimentaires.  L’arabisation  de la justice puis de l’administration a sonné le glas des revues et  des jurisclasseurs  spécialisés  et  arrêté la mise à jour des consignes de services   Le métier de juriste  d’administration qui s’exerçait avec une grande maitrise dans les directions  centrales a disparu avec le renouvellement du personnel. Pour sa part le  service de législation du protectorat qui  avait accumulé une grande expérience dans la rédaction des textes juridiques, l’émission d’avis et l’édition du Bulletin officiel, s’est trouvé contraint de parer aux défaillances des autres administrations sans disposer des moyens adéquats.

Cette évolution s’est opérée aussi dans un contexte de difficultés financières et politiques  Alors que les préoccupations sécuritaires renforçaient le contrôle politique de la magistrature,  les ressources budgétaires et humaines mobilisées ne  permettaient  guère d’exprimer par la carte judiciaire l’ambition de la loi d’unification de couvrir tout le pays de juridictions de droit commun.  L’hypertrophie des tribunaux, la médiocrité des ressources, l’implication de la justice dans la répression syndicale  et politique ainsi que son opacité et son incapacité à obtenir l’exécution des jugements ont temps aggravé,  au fil du temps, la défiance à son égard.

La réforme de  1974 est survenue à la suite de l’établissement d’une nouvelle carte administrative l’année précédente pour renforcer l’encadrement des provinces  dans un contexte de tension politique alourdi  par les événements armés successifs de 1971, 1972 et de 1973 et par le boycott par les partis de l’opposition des référendums constitutionnels de 1970 et de 1972 et des institutions qu’ils ont instaurés. Elle est constituée principalement de nouveaux codes de procédure pénale et civile qui réduisent les droits de la défense et   restreignent les voies de recours. La nouvelle organisation judiciaire remplace les tribunaux de sadad par des juridictions communales et d’arrondissements confiées à des  magistrats non professionnels sous la houlette de l’autorité locale. Quant  au statut des magistrats, il les prive explicitement de la liberté d’organisation et place leur carrière, de droit sous l’autorité du Roi et de fait, sous le contrôle du ministre de la justice.

 Le département de la justice se destinait naturellement à concentrer tous les pouvoirs en raison de la subordination légale du parquet au ministre,  de ses attributions à la tête de l’administration de la justice (grâce, nationalité, pouvoir réglementaire, inspection, auxiliaires de justice…etc.)  et de son rôle  décisif dans la gestion des carrières des magistrats , des auxiliaires de justice et des personnels administratifs. Les fonctions d’encadrement au sein du département n’ont pas tardé à devenir un objectif de carrière pour de nombreux magistrats en raison tant de la stabilité de la vie familiale qu’ils permettent d’avoir que des opportunités de carrière. Au fil du temps, la direction du département s’est fermée  aux compétences extérieures, condamnant le capital humain aux renouvellement  interne dans le cadre d’un communautarisme professionnel tempéré seulement aux échelles inférieures et au recrutement des attachés de justice.

L’insuffisante qualification en management public est aggravée au niveau des juridictions par la médiocrité des installations et par la modicité de ressources  qu’aggrave  le faible accès aux technologies nouvelles.. En particulier, les secrétariats greffes sur lesquels repose la bonne tenue des dossiers, l’archivage, les notifications et les exécutions des  jugements soufrent de pénurie de moyens matériels et de qualification appropriée, leur personnel ne bénéficiant d’aucune formation spécialisée initiale, ni d’aucun statut.  Les autres corps des auxiliaires de justice, organisés ou non en ordres professionnels, sont également livrés à eux-mêmes :  la formation des nouveaux avocats et notaires se trouve réduite le plus souvent à un séjour dans l’étude ou le cabinet d’un  confrère inscrit tandis que l’admission des experts  judiciaires demeure conditionnée seulement par leur spécialisation professionnelle (traducteurs, médecins, immobilier…) et la prestation du serment, sauf quelques exceptions pour lesquelles un examen d’accès est organisé par le ministère. La faible structuration des ordres professionnels conjuguée à l’absence de formation professionnelle organisée en leur sein et à l’exercice individuel de ces métiers concourent à alimenter les réseaux de clientèles en leur sein et à fragiliser globalement leur condition socioprofessionnelle face aux magistrats.

Les enquêtes sur la perception de la corruption, comme le baromètre de la corruption désignent constamment la justice en tête des services publics affectés par ce mal. Les entrepreneurs marocains la considèrent comme le principal obstacle  au développement des affaires, après la fiscalité. Ses dysfonctionnements en matière civile et commerciale comme sa passivité face aux violations graves des droits humains ont profondément altéré sa crédibilité. Même au sein de la communauté des juges et des avocats, près des deux tiers des participants à une enquête effectuée en 2007 déclaraient ne pas lui faire confiance. C’est d’ailleurs pour reconstruire rapidement la confiance économique et politique à la suite de la campagne dite d’assainissement durant laquelle la justice avait ouvertement couvert les exactions policières que la réforme de 1997 avait été lancée dans l’urgence. La mission a été confiée à une personnalité dont l’expertise juridique était confirmée et dont  l’expérience à la tête du département des droits de l’homme prédisposait à améliorer l’efficience institutionnelle et à réhabiliter l’édifice, sans toucher à ses fondements.

2- La réhabilitation par la quête de l’efficience institutionnelle

L’urgence commandait pour l’attributaire du poste, d’entamer les changements sans attendre l’élaboration d’une stratégie, en commençant par la mise en place d’une équipe de confiance et la mobilisation de l’expertise externe, après avoir estimé  «  que la moitié des ressources disponibles était corrompue et l’autre moitié dépourvue de  qualification professionnelle appropriée ».  La dynamique de changement politique déclenchée l’année suivante allait progressivement réduire les oppositions internes et permettre la multiplication d’initiatives destinées à utiliser au mieux les ressources humaines disponibles et à introduire des transformations institutionnelles dont on escomptait  un effet boomerang. La Banque Mondiale qui a apporté son  appui à cette politique l’évalue de manière nuancée. Le retrait de son assistance  au secteur a été relayé par d’autres de la coopération internationale.

a- Lecture du bilan de la réforme

Les réalisations du quinquennat  sont nombreuses et tranchent avec la léthargie dans laquelle se trouvait le secteur depuis longtemps. Même si la communication qui les a entourées est inédite pour cet  environnement de mutisme absolu, la conception et la mise en œuvre des réformes ont été peu ouvertes à la participation.  Leur appropriation par les professionnels et les bénéficiaires a été limitée, à telle enseigne que la suspension du processus et la remise en cause d’une partie de ses acquis se sont faits dans une certaine indifférence.

Le document publié par le département en 2003 sous l’intitulé, « la réforme de la justice 1997-2007: le changement en marche »,  récapitule les mesures adoptées en cherchant à les rattacher à une vision globale fondée sur les valeurs démocratiques universelles, à commencer par  l’indépendance de la justice.

A ce titre, il expose plutôt les mesures destinées à surveiller l’impartialité des juges et à gérer avec transparence leur carrière.  La réforme du Conseil supérieur de la magistrature est évoquée pour  mentionner la validation par le Roi d’un règlement intérieur préparé par le ministre en vue de rationnaliser le  fonctionnement de l’institution sous sa  direction en qualité de vice-président, ou celle  de son secrétaire général qui s’est trouvé par ce moyen désigné pour le suppléer, quand bien même la composition de cet organe est fixée  par la constitution. Les autres mesures adoptées ont trait à la régularité de ses sessions, à l’organisation de la communication autour de ses décisions principalement. Ses travaux ont bénéficié aussi de la numérisation des dossiers des magistrats qui a facilité la prise en compte du mérite sur la base des critères nouvellement établis (diplômes, production scientifique, qualité des décisions).  Les autres mesures relevant du « rétablissement de l’autorité et de l’indépendance de la justice » concernent :

  • Une meilleure définition des attributions du ministère de l’intérieur et des agents d’autorité en rapport avec le déroulement de la justice ( recours à la force publique, exécution des jugements, poursuite à l’encontre des forces de l’ordre…etc.) ;
  • La régularisation des avancements et l’amélioration de la condition matérielle des juges ;
  • L’organisation de l’accueil et de l’information aux tribunaux,
  • La liquidation des retards enregistrés dans l’exécution des sentences avec un taux de réussite de  81% ;

La réorganisation du département a introduit deux directions nouvelles chargées respectivement des ressources humaines et de la coopération ainsi que  des structures internes de suivi et d’évaluation au sein des  directions et un centre dédié au  suivi et à l’analyse des requêtes et des doléances des justiciables. La restructuration de l’organisation du travail s’est poursuivie par la clarification des relations au sein du parquet et par le rétablissement de l’autorité des présidents des tribunaux sur les magistrats, notamment en leur confiant l’évaluation de leur travail. Un vaste mouvement du personnel s’en est suivi sur la base de la valorisation de  la responsabilité et du mérite, notamment en direction des jeunes et des femmes. Le rétablissement du juge unique dans certaines procédures devait contribuer aussi à relever la célérité et la responsabilité  dans certaines procédures, estimées peu complexes.

Un accord de partenariat a été conclu avec l’association des barreaux du Maroc  pour mettre en place des commissions mixtes de suivi au niveau régional et central et promouvoir la discipline du corps. L’encadrement et le suivi des autres corps d’auxiliaires de la justice a donné lieu à l’adoption de deux lois (traducteurs et experts) et à l’engagement de nombreuses  poursuites à l’encontre de notaires, adouls, huissiers, experts et interprètes.

Un effort particulier a porté sur la formation en transformant l’INEJ en établissement public doté de l’autonomie financière et de la personnalité civile, en renouvelant ses équipements et méthodes et en y introduisant la formation continue.  Les innovations ont concerné l’introduction des langues et de la culture générale dans le concours d’admission et dans les cursus de formation, ainsi que la création de filières spécialisées,  l’enrichissement et la diversification des matières enseignées, et l’organisation de visites de stages.  La restructuration a permis notamment de faire face aux besoins afférents à la création de nouveaux tribunaux administratifs et de commerce. Des séminaires de  formation continue ont également été organisés pour les magistrats en exercice et les secrétaires greffiers. Les cours d’appel ont été invitées à s’associer  à cette dynamique en  organisant au moins une rencontre par mois.

L’informatisation du département a été d’une ampleur considérable. En 1998, le patrimoine du département comptait moins de soixante ordinateurs affectés aux taches de secrétariat. Il  est passé à près de 3000 en 5 ans  pour s’enrichir ensuite de plusieurs applications et de sites notamment pour le registre du commerce, les greffes de la présidence, l’exécution en matière d’accidents de travail et de la route ainsi que pour la gestion des ressources humaines, la carte judiciaire et le suivi des auxiliaires de justice.  La réhabilitation des bâtiments et la construction de nouveaux locaux a bénéficié aussi de ces efforts.

La production législative  a concerné le code de procédure pénale, la haute cour, l’administration pénitentiaire et les immeubles bâtis. Les tribunaux administratifs  instaurés en 1995 et surtout ceux du commerce lancés en 1998 ont fait l’objet d’un suivi particulier, notamment dans le cadre de la coopération avec la Banque mondiale.

Ce bilan évite de mentionner les limites de ces mesures telles que la faible autonomie réelle de  l’Institut, le renforcement de la mainmise de la hiérarchie et du ministre sur les institutions et les personnels, la persistance de la sous-qualification de la plupart des magistrats en place et notamment des plus anciens, la persistance des clans et des réseaux de clientèle…etc. C’est pourquoi, il est intéressant de passer en revue l’état des lieux établi par la Banque Mondiale en 2003.

b- Lecture de l’évaluation par la Banque Mondiale

Le document de la Banque  utilise les informations figurant dans le  bilan précité et formule une série de recommandations qui en soulignent implicitement les limites. Les critiques sont allusives mais non moins claires.

Le document considère que les efforts entrepris ont amélioré le fonctionnement du service  « toutefois, le secteur juridique et juridictionnel reste encore généralement mal perçu par la population et les accusations de corruption sont fréquentes ».  Si le cadre juridique d’ensemble n’exige pas des réformes urgentes,  il souffre néanmoins de nombreuses lacunes  et les efforts entrepris pour les combler ne reflètent pas toujours une bonne maîtrise technique.

La faiblesse des qualifications est entretenue par les défaillances de la formation juridique universitaire qui demeure basée sur des programmes et des méthodes dépassés ainsi que par la coexistence de filières en langue française et arabe qui sont déterminantes pour l’orientation professionnelle sans  favoriser l’excellence. La transformation de l’INEJ en institut supérieur de la magistrature a  permis d’améliorer  la formation professionnelle initiale, mais cette structure demeure incapable de produire l’élite judiciaire qui fait défaut. Les insuffisances sont également notables en ce qui concerne la formation sur le terrain, la formation continue ainsi que  la qualification des  personnels administratifs du ministère et des juridictions. Rien n’est entrepris non plus, pour relever les capacités professionnelles des autres corps d’auxiliaires, notamment des avocats  dont l’évolution des effectifs s’explique tant par l’augmentation du volume des affaires portées devant les tribunaux que par la tendance à recourir systématiquement à la voie du contentieux judiciaire pour résoudre les conflits. De manière générale, l’exercice de ces professions est supervisé de manière inappropriée par les ordres professionnels et demeure mal surveillé par la magistrature.

La cohérence globale du système fait défaut. A sa base on trouve les juridictions communales et d’arrondissements qui devraient offrir une justice de proximité  mais dont le travail effectué souvent par des juges non professionnels est fortement contesté. Les autres structures sont partagées entre la tendance à créer de nouvelles juridictions (administratives et de commerce) et celle de doter les juridictions  de première instance et  d’appel de chambres spécialisées (famille, sections sociales, chambre criminelle).

L’exécution des décisions de justice « pose un problème crucial unanimement considéré comme un obstacle majeur au fonctionnement efficace et intègre du système judiciaire marocain. Ces difficultés découlent de l’inconsistance du rôle et des compétences du personnel chargé de l’exécution de la justice, de l’apathie en la matière, des procédures obsolètes et, parfois de la corruption des agents qui en sont chargés. Ce défaut de mise en œuvre stricte met en danger les améliorations constantes entreprises dans le secteur judiciaire. L’application de la loi en tant que telle devra faire l’objet de progrès significatifs dans un proche avenir ».

La mission de contrôle des personnels des juridictions échoit à l’Inspection générale dont les fonctions recouvrent des « matières allant des dispositions réglementaires, aux processus de recrutement et de carrière »  ainsi qu’au  Conseil Supérieur de la Magistrature qui formule des avis sur la carrière et la discipline des magistrats. Ces deux instances, qui sont placées sous la direction du ministre,  manquent  de souplesse et de  capacité de répondre de manière appropriée à l’accroissement du nombre des affaires.  « Il conviendrait donc d’instaurer un nouvel équilibre entre les principes de responsabilisation et d’indépendance de la justice ».

La  marge de manœuvre dont disposent les présidents des juridictions est trop faible pour leur permettre de prendre des initiatives. Sur le plan quantitatif, les juridictions affichent un rendement convenable, mais les statiques disponibles ne sont pas suffisamment fines  « pour fournir des informations réalistes sur l’évolution et le flux du nombre de dossiers ». L’insuffisance de l’information se déplore aussi au sujet de la disponibilité et de la diffusion  des textes juridiques et des directives de service.

Le document relève également  la faiblesse des ressources financières affectées à la justice y compris le niveau relativement modeste des  salaires des magistrats qui « sont complétés par des avantages en nature gérés par le Ministère ». L’effort entrepris pour l’informatisation est jugé encourageant  notamment parce qu’il a permis d’assurer la maîtrise technologique en interne, mais il doit être poursuivi en veillant à la conservation du niveau de  compétence qui l’a rendu possible.

Finalement,  « des progrès mesurables ont été réalisés en vue de battre en brèche le modèle d’une justice routinière et relativement passive. Cependant, un grand nombre de réformes supplémentaires sera nécessaire pour arriver à un système judiciaire proactif et efficace. Cet objectif doit être poursuivi par chaque maillon de la chaîne judiciaire depuis la formation initiale jusqu’à la réforme de la procédure, en passant par la gestion des tribunaux et la surveillance de l’exécution des jugements ».

Le document aborde aussi la coopération internationale et relève que les actions entreprises à ce titre tendent à se chevaucher, car « aucun mécanisme n’est établi en vue de coordonner ces aides ».

c- La contribution de la coopération internationale

La coopération internationale en matière judiciaire se décline plus facilement sur le plan de l’entraide bilatérale et de l’assistance technique que dans le domaine de la réforme, en raison précisément de l’obstacle politique que représente sa gouvernance. C’est pourquoi, l’expérience de la Banque Mondiale demeure pionnière pour les deux parties. Elle ouvre la voie à des programmes plus audacieux, notamment dans le  cadre du statut avancé, dans la mesure où l’Union Européenne a reconduit l’assistance au titre de Meda et exprimé une réaction critique au sujet de la réforme.

La coopération bilatérale couvre le champ classique de l’entraide. Elle se développe traditionnellement avec les pays   qui ont un système juridique voisin et qui accueillent généralement une grande communauté d’origine marocaine, ce qui l’oriente  sur les préoccupations d’ordre pratique, notamment en matière de statut personnel, de conflit de lois, d’exequatur, de sécurité et de trafic de drogue. Les relations qu’elle permet de nouer s’avèrent utile, à l’occasion, pour assurer la bonne fin de certains procès et rejaillissent sur le positionnement politique à l’égard de la réforme. Mais les préoccupations de la mise à niveau ont ouvert également le champ de cette coopération à une assistance technique limitée assurée par des ONG, comme l’ l’Americain Bar Association , (ABA), des organismes publics comme l’USAID ou des pays (Danemark, France, Espagne…etc)

La sensibilité à cette question jaillit d’ailleurs du titre même du chapitre  5 du bilan ministériel qui lui est consacré, comme pour justifier le développement important qu’elle a connue durant ce quinquennat et son débordement du champ classique de la coopération judiciaire : « Redéfinition de la coopération judiciaire et judiciaire internationale ». Son contenu insiste sur l’impératif  d’assurer la conception et la maîtrise  au plan interne des projets et souligne que la coopération doit se dérouler « dans le strict respect de l’indépendance de la justice » ;  pour ajouter : « Conscients et convaincus que le renforcement de cette indépendance constitue l’un des volets essentiels de cette réforme, nos partenaires dans la coopération adhèrent totalement à cette position ». Sans doute l’affirmation vaut autant pour les interventions indues au sujet du déroulement des procédures et des procès que pour souligner que les limites politiques et administratives imposées à l’indépendance de la justice relèvent de la souveraineté et ne peuvent donner lieu à débat. Cela s’exprime d’ailleurs dans la délimitation claire du champ de la coopération à l’appuis technique: « Pour qu’elle soit au service de la réforme, la coopération internationale doit avoir pour objectif d’apporter sa contribution sur le plan de la mise à niveau des ressources humaines, la modernisation des modes de gestion, et l’échange d’informations et d’expériences avec les ministères de la justice des pays amis ».

Au titre de la modernisation, il est fait état des contributions :

  • de l’union européenne dans le cadre de MEDA en vue de l’informatisation de 44 juridictions , de la conception d’une base de données (Adala), de la mise en place de 5 centres régionaux d’archivage ainsi que  de guichets et de centres d’information, de bibliothèques et de formation des cadres ;
  • de la Banque mondiale (6,73 millions de dollars) pour l’équipement des tribunaux de commerce, le renforcement de la capacité de communication et informatique ;
  • du PNUD qui a été consacrée notamment à la Cour suprême pour la documentation numérique.

Elles sont appuyées par les apports de la coopération bilatérale qui prend la forme d’arrangements administratifs et de jumelages destinés à faciliter les visites et de stages  (France, Espagne, Portugal, Danemark, Canada, USA, Koweït, Egypte) ou d’accords plus élaborés notamment avec :

  • La France : programmes triennaux permettant la formation au profit des cadres supérieurs, de magistrats et de greffiers  au Maroc  avec des formateurs français ou en France (bourses et invitations) ;
  • Les USA (USAID) : amélioration de la performance de 3 juridictions et informatique ;

L’Espagne, a développé ultérieurement le projet Adl qui appuie notamment le réseau marocain de coopération judiciaire internationale

Au titre de l’actualisation de la législation, on relève  l’accompagnement par la Banque Mondiale pour le volet de la législation commerciale, par l’USAID, dans ce même domaine ainsi que par le PNUD en matière de statistiques.  Quant au domaine de la formation, il est investi par tous ces partenaires et par des organismes internationaux.

L’ouverture de cette coopération sur la société s’est effectuée essentiellement à travers les activités de la Banque Mondiale, de l’USAID et de l’ABA, au moyen de séminaires ou de points d’information qui ont abordé notamment la corruption et les voies de la réforme.

3- L’aspiration à la gouvernance judiciaire

Les constats et les propositions qui  abordent ouvertement la question de la gouvernance judiciaire sont principalement le fait de la société civile. Ils trouvent une forte expression dans les recommandations de l’Instance Equité et Réconciliation, surtout depuis qu’elles ont été approuvées par le Roi. Le mémorandum pour la réforme de la justice élaboré par 10 associations  à la suite de larges débats publics les mets au cœur du référentiel qu’il invoque avant de restituer la vision de la société civile et ses propositions sur la voie de la gouvernance judiciaire.  Leur synthèse conduit à deux affirmations principales :

  • La gouvernance judiciaire se construit sur la base de l’indépendance de la justice, du respect des droits humains et de l’affirmation de la suprématie de la loi à l’égard de tous ;
  • l’efficience institutionnelle n’est durable que pour autant qu’elle est portée par la gouvernance publique.

a- Les préalables d’une gouvernance judiciaire

Le traitement des atteintes graves aux droits humains dans un processus extrajudiciaire ainsi que la conduite de la modernisation du cadre institutionnel de la justice dans un processus de consensualisme politique ont évité toute interpellation de l’appareil judiciaire et fermé la voie à l’analyse des causes de sa passivité et de ses compromissions. La réforme judiciaire a pu ainsi se limiter à des mesures de moralisation dont l’impact est forcément limité dans le temps et à des améliorations limitées du service public qui n’affectent pas la pérennité de ses bases. Si cette manière de procéder est justifié au plan politique et constitue un choix pour assurer la transition politique, elle ne doit pas néanmoins écarter la nécessité d’opérer un diagnostic objectif de la situation globale de la justice pour l’identifier les causes profondes de ses dysfonctionnements et aboutir à une stratégie et à un agenda de réformes participatifs et clairement énoncés.

En tête des obstacles à la gouvernance judiciaire, on trouve la dépendance de la justice à l’égard du pouvoir politique et de l’argent. L’altération  de l’impartialité des juges et la passivité de la justice face aux violations avérées de loi par les puissants en découlent directement. Sa cause structurelle est représentée par la conception de justice retenue qui prédétermine la subordination de  la magistrature et de tout l’appareil au pouvoir exécutif. En rattachant la fonction judiciaire au statut Amir Al Mouminine, non seulement on aboutit non seulement à enlever à l’indépendance de l’autorité judiciaire qui est proclamée par la constitution sa signification commune,  mais aussi à ouvrir la voie au double référentiel du droit positif et de la charia dans l’interprétation, sans respecter clairement les conditions de cette mise en concurrence.

Cette orientation a été dictée par une simple jurisprudence de la chambre administrative de la Cour Suprême en se déclarant incompétente pour connaître de la légalité des actes royaux,  soutenant à cet effet que  le magistrat exerce son office par simple délégation de pouvoirs d’Amir Al Mouminine. Une fois confortée par l’évolution politique du pays, elle a présidé à l’organisation  du conseil supérieur de la magistrature en le limitant à un  rôle consultatif et en conférant sa présidence au Roi et sa direction effective au ministre de la justice en sa qualité de vice-président.

Le ministre de la justice prépare les travaux du conseil, fixe son ordre du jour, préside ses délibérations et assure ses rapports avec le monarque, ce qui lui donne une maîtrise sur l’appareil, d’autant plus étendue qu’il exerce aussi l’autorité administrative sur le fonctionnement du système, ordonne le budget, coiffe l’inspection et commande au parquet. La concentration de ces pouvoirs a  été historiquement mise à profit pour contrôler les juges et donner jour  à une magistrature prompte à capter les signaux politiques et à se montrer conciliante voire zélée à l’égard  de tous ceux qui se prévalent à tort ou à raison d’instructions ministérielles et a fortiori royales.

La mise au pas de la justice est soutenue par leur privation  de la liberté syndicale, de la liberté d’association et même de celle de prendre part à des activités culturelles ou de signer des textes es qualité sans autorisation du ministère. La suspension administrative récente d’un membre élu du Conseil Supérieur de la Magistrature accusé de divulgation d’informations sur les délibérations de cette instance, puis sa révocation définitive illustrent la précarité de ce statut.

Par ailleurs, le droit en vigueur qu’on considère généralement comme moderne et actualisé  ne permet pas encore de rompre avec le fiqh non codifié et surtout de trancher  des questions aussi sensibles que la hiérarchie des normes en vigueur. La non reconnaissance de la suprématie des conventions internationales sur les lois internes maintient de manière injustifiée l’obstacle de la mise en conformité normative.

Ce sont ces faits qui ont sans doute a conduit l’Instance Equité et Réconciliation à réclamer d’une part la ratification des conventions sur les droits humains qui permettent aux citoyens de recourir à la justice internationale et d’autre part  la levée des réserves qui parasitent  la mise en conformité des lois avec les engagements internationaux.

Evitant de poser de manière frontale la question de la séparation des pouvoirs, l’Instance  invite à exprimer l’attachement aux droits humains sous forme de disposition explicite dans le corps de la constitution et d’y mentionner spécialement  la présomption d’innocence, le droit à un procès équitable et les mesures destinées à renforcer l’indépendance de la justice et à étendre le contrôle de constitutionnalité. La composition, les attributions et le fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature devraient également être revus pour en faire la garante de l’indépendance de la justice et l’autorité de veille sur la carrière, la discipline et la déontologie des magistrats. D’autres recommandations visent à renforcer l’Etat de droit, la compétence de l’organe législatif et les libertés fondamentales.  

Le mémorandum pour la réforme de la justice se réapproprie ces recommandations et les complète par des propositions visant à mettre l’ordre juridique et judiciaire du pays aux normes des sociétés démocratiques et de l’Etat de droit notamment par :

  • La dévolution du droit d’amnistie au parlement ;
  • Le renforcement de l’indépendance et du mandat de la cour constitutionnelle ;
  • La délimitation de l’autorité du ministre sur le parquet et la subordination de sa hiérarchie à des instructions écrites ;
  • La réforme de la justice militaire pour assurer son impartialité et le double degré de juridiction;
  • L’adoption de mesures contraignantes pour l’exécution des sentences judiciaires par les entités publiques  et encadrer le pouvoir de l’autorité administrative en matière de mobilisation de la force publique à cette fin;
  • Le renforcement des moyens et de la neutralité de l’inspection ;
  • L’indemnisation des victimes  des voies de fait et la reconnaissance des responsabilités y afférentes.

Une multitude d’autres mesures visent l’amélioration du cadre institutionnel et législatif de la justice dans un processus de gouvernance globale.

b- La dépendance de l’efficience institutionnelle de la justice à la gouvernance globale

En 2003, le ministre de la justice préfaçait le bilan de son quinquennat en ces termes : « Le Maroc a fait le choix de la démocratie et de l’ouverture économique et il s’est fortement engagé dans l’immense chantier des réformes nécessaires à la réussite de la transition politique. Ce choix fait apparaître clairement les étroites corrélations entre la mise à niveau institutionnelle, la modernisation de l’économie, la bonne gouvernance et la moralisation de la vie publique. De ce fait, l’édification de l’Etat de droit et le renforcement de l’éthique apparaissent aujourd’hui comme les conditions  de la mise en place d’une économie moderne régie par les nouvelles règles du jeu à savoir la transparence, la sécurité juridique ».  Peu de temps après, l’alternance politique prenait fin, du moins symboliquement par la nomination d’un premier ministre sans appartenance politique, et la lutte anti terroriste a remis au goût du jour les pratiques de torture et de disparitions forcées. La remise en cause même des conditions de poursuite du programme d’informatisation a dissuadé la Banque mondiale à poursuivre sa coopération avec un département de la justice qui s’est vite débarrassé des contraintes de fonctionnement qui avaient été apportées par la réforme. Dès 2006 le baromètre de la corruption désignait la justice en tête des services affectés par ce fléau. Les autres services qui la suivent dans le classement sont aussi extrêmement mal appréciés, ce qui exprime m’enlisement du pays dans la corruption endémique. L’impunité s’étale au grand jour et même les rapports de la cour des comptes qui désignent nommément les auteurs de détournements de deniers publics n’arrivent pas convaincre le parquet d’engager l’enquête et la poursuite judiciaire requises par la loi. Pour leur part, les élections communales et législatives se déroulent comme un marché à la criée contribuant. Le crédit de l’Etat s’en trouve ruinée. La captation des institutions publiques par les intérêts particuliers ne permet plus au droit et à la justice d’assurer la sécurité juridique et de réguler une compétition économique déclarée levier principal du développement  et de la justice sociale. 

Ce climat affecte lourdement une justice forgée habituée à la passivité et maintenue sous la prégnance des  intérêts dominants. Elle apparaît à la fois comme une victime de la situation politique et comme un obstacle majeur à son redressement.  Indéniablement le recours, de nouveau  à des mesures ponctuelles de moralisation et d’amélioration des moyens de travail ne peut rétablir ni la confiance en son sein  ni son crédit parmi la population et le monde de l’économie. Sa réforme doit la libérer de ses propres démons et s’opérer dans un environnement qui permet de donner sens à l’Etat de droit en obligeant d’abord les détenteurs du pouvoir politique et administratif à se soumettre à la loi. La gouvernance judiciaire est indissociable de la sécurité juridique et de la confiance politique. Elle doit constituer un objectif permanent, ce qui signifie que sa réalisation est forcément progressive et que sa matérialité se vérifie à travers la transparence, la participation et  la reddition des comptes. Sans une stratégie de réforme qui trouve ses référents dans les valeurs de la démocratie et des droits humains et qui se décline en agenda mobilisateur des parties prenantes, la réforme de la justice ne peut que demeurer une promesse qui n’engagent que ceux qui y croient.